Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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FRAIS DE JUSTICE PÉNALE ET RÉTENTION DU VÉHICULE, P. Schultz

Philippe SCHULTZ

Maître de conférences HDR à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Dans un arrêt du 25 novembre 2021, la Cour d’appel de Douai (2e ch., 2e sect., n° 21/01037) qualifie les frais de gardiennage d’un véhicule occasionnés par une enquête pour vol de frais de justice pénale. Ces frais n’étant pas à la charge du propriétaire, le garagiste ne peut lui opposer de droit de rétention lorsque le premier lui en demande la restitution. Cette conséquence peu conforme à l’orthodoxie juridique est opportune en pratique et équitable.

Mots clés : Frais de gardiennage – droit de rétention – charge des frais – frais de justice pénale – charge des frais – opposabilité du droit de rétention – propriétaire non débiteur.

Pour se repérer

Monsieur Krzysztof M. développe une activité de location de véhicule sous le statut d’auto-entrepreneur. Par l’intermédiaire du site Ouicar, il donne en location une Peugeot 308 qui n’est pas restituée à la fin de contrat. Le 20 avril 2020, le loueur porte plainte pour vol.

Lorsque la police retrouve le véhicule, le 26 avril 2020, elle le confie à un garage, la SARL Garage Burny. Le 19 juin 2020, le garagiste établit une facture de 2 085 euros au titre des frais de gardiennage dus entre le 26 avril 2020 et le 22 juin 2020.

Alors que le loueur sollicite la restitution du véhicule au garagiste, ce dernier la lui refuse au motif que la facture de 2085 euros liée au gardiennage ne lui a pas été payée.

Face à ce refus, le loueur, le propriétaire du véhicule, assigne le garagiste devant le juge des référés commerciaux aux fins de le voir condamné à lui restituer sous astreinte son véhicule. Quant au garagiste, il demande la condamnation du propriétaire à lui régler la somme de 7 335 euros au titre des frais de gardiennage réactualisés.

Par ordonnance du 15 janvier 2021, le juge des référés déclare irrecevable la demande du loueur et rejette celle du garagiste en ce qu’elle se heurte à une contestation sérieuse.

Dans son appel, le propriétaire maintient sa demande de condamnation du garagiste à lui restituer son véhicule sous une astreinte de 100 euros. Il sollicite en outre une provision de 2 000 euros au titre de son préjudice. Quant au garagiste intimé, il demande à la Cour d’appel la condamnation à lui payer la somme actualisée de 7 335 euros au motif que le tarif n’est pas règlementé en cas de gardiennage à la suite d’un vol et, sinon, à titre subsidiaire le paiement de la somme réglementaire de 1 609 euros.

Dans son arrêt n° 21/01037 du 25 novembre 2021, la Cour d’appel de Douai ordonne la restitution du véhicule sous astreinte à son propriétaire et le versement d’une provision de 1 500 euros au titre du préjudice qu’il a subi, considérant que le garagiste n’a pas légitimement retenu le véhicule au motif que les frais de gardiennage ne sont pas à la charge du propriétaire.

 

Pour aller à l’essentiel

L’immobilisation du véhicule au sein du garage n’étant pas le fait du propriétaire mais étant réalisée à la demande des autorités de police pour les besoins de l’enquête diligentée dans le cadre de la procédure pour vol suite à la plainte déposée par le propriétaire, les frais y afférent apparaissent dès lors comme des frais de justice pénale que le garage doit faire taxer auprès de l’autorité compétente.

Dès lors que le propriétaire n’est pas débiteur des frais de gardiennage réclamés, le garagiste n’exerce pas de manière légitime son droit de rétention sur le véhicule. Il convient dès lors de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par la rétention injustifié du véhicule, conformément à l’article 873 du Code de procédure civile, et d’ordonner sous astreinte la restitution du véhicule à son propriétaire.

Eu égard aux revenus perçus au titre des locations de l’année 2019, le montant de la provision devant être versée au titre du préjudice subi par le loueur est fixée à 1 500 euros.

Pour aller plus loin

Le contentieux des frais de gardiennage de véhicule réclamés par les garagistes est abondant (Ph. Schultz, JCl. Civ. Code, art. 1947 et 1948, Dépôt . – Obligations du déposant . – Garanties du dépositaire, 1er décembre 2021, n° 28 et 33). Pour l’essentiel, il repose sur l’existence d’un contrat de dépôt accessoire au contrat d’entreprise. Alors que le dépôt est essentiellement gratuit (C. civ., art. 1917), la jurisprudence a posé une présomption d’onérosité des dépôts accessoire aux contrats d’entreprise (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 02-16.926, Société Nouvelle Carnot automobiles : Bull. civ. I, n° 165 ; Contrats, conc. consom. 2005, comm. 148, L. Leveneur ; Dr. & patr. 2005, p. 106, note P. Chavel ; RDC 2005, p. 1029, note A. Bénabent et p. 1123, note P. Puig . – V. également : Cass. 1re civ., 30 janv. 2007, n° 05-21.325). Le contentieux porte alors davantage sur la détermination des frais dus par le déposant que sur leur existence. En sa qualité de dépositaire, le garagiste bénéfice d’un droit de rétention pour le paiement des frais de gardiennage (C. civ., art. 1948).

En l’espèce, le véhicule n’avait pas été remis au garagiste par le propriétaire lui-même mais par les services de police. La jurisprudence relative à ce type de contentieux n’est pas totalement inexistante. La qualification de dépôt nécessaire est généralement retenue face à une telle situation (CA Metz, 1re ch., 4 oct. 2007, n° 06/00916 : JurisData n° 2007-355058. – CA Paris, Pôle 4, 9e ch., 19 sept. 2013, n° 11/06780 : JurisData n° 2013-021384. – CA Besançon, ch. civ., 3 nov. 2015, n° 14/00619 : JurisData n° 2015-025167. – CA Lyon, 6e ch., 30 juin 2020, n° 19/04870 : JurisData n° 2020-009429). Hormis la preuve qui est libre, le dépôt nécessaire est soumis aux même règles que le dépôt volontaire (C. civ., art. 1950 et 1951). C’est pourquoi le dépositaire peut se prévaloir d’un droit de rétention pour obtenir paiement des frais de garde.

La question posée à la Cour d’appel de Douai dans l’arrêt commenté porte sur la légitimité de l’exercice du droit de rétention et son opposabilité au propriétaire du véhicule qui n’est pas le déposant.

L’existence d’un droit de rétention repose sur la réunion de trois conditions : la détention légitime d’une chose, une créance et un lien de connexité entre la créance et la détention (C. Albiges et M.-P. Dumont, Droit des sûretés : Dalloz, Hypercours, 7e éd., 2019, n° 372 et s. – M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés : Sirey, Université, 7e éd. 2020, n° 808 et s. – J.-B. Seube, Droit des sûretés : Dalloz, Cours, 10e éd., 2020, n° 458 et s. – Ph. Simler et Ph. Delebecque, Les sûretés, la publicité foncière : Précis Dalloz, 7e édition, 2016, n° 599 et s.). Si la condition de détention légitime ne soulevait aucune difficulté puisque le garagiste était entré en détention à la demande de l’autorité publique et détenait toujours le véhicule revendiqué par son propriétaire, c’est davantage la créance et incidemment sa connexité avec la détention qui était litigieuse.

Pour la Cour d’appel de Douai, les frais de gardiennage n’étant pas à la charge du propriétaire du véhicule, le droit de rétention ne pouvait être exercé légitimement à son endroit. Si on peut partager l’analyse de la juridiction concernant les frais de gardiennage, les conséquences qu’elle en tire sur l’exercice légitime de la rétention sont plus incertaines sur le plan juridique, même si elles restent opportunes.

I. Les frais de gardiennage

Le dépositaire peut se prévaloir d’un droit de rétention pour le paiement des frais de gardiennage. Cela suppose que de tels frais existent (A). Il reste alors à identifier le débiteur de ces frais (B).

A. L’existence de frais de gardiennage

Pour qu’un garagiste puisse se prévaloir d’un droit de rétention sur le véhicule, il doit justifier d’une créance certaine et exigible. Celle-ci repose sur les frais de réparation du véhicule (C. civ., art. 2286, 2° et 3°). Comme dépositaire du véhicule, son droit de rétention lui permet aussi d’obtenir le paiement des frais de gardiennage. L’existence d’une créance de frais de gardiennage n’est pas douteuse lorsque le dépôt est accessoire au contrat d’entreprise. Dans ce cas, il est présumé à titre onéreux. Les litiges portent alors davantage sur la montant des frais. Les conditions générales de services du professionnel prévoient généralement un tel montant. Dans l’affaire dont la Cour d’appel de Douai était saisie, le garagiste réclamait au titre des frais de gardiennage la somme de 25 euros par jour. Encore faut-il que ce montant ait été connu du déposant et accepté par lui pour qu’il entre dans le champ contractuel ; à défaut le montant est fixé par le juge (Ph. Schultz, JCl. Civ. Code, art. 1947 et 1948, spéc. n° 33 et la jurisprudence citée).

Cette jurisprudence bien établie consacrant l’onérosité du dépôt accessoire à un contrat d’entreprise n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce. En effet, le véhicule n’avait pas été remis au garagiste par son propriétaire pour y effectuer une révision ou une réparation, mais par les services de police pour les besoins de l’enquête diligentée dans le cadre d’une procédure pour vol. N’étant pas l’accessoire d’un contrat d’entreprise, ce dépôt est en principe gratuit. Ainsi, au sujet d’un véhicule retrouvé après un vol et entreposé chez un garagiste sur demande de la police, il a été jugé que, faute de pouvoir se prévaloir d’un « contrat d’entreprise accessoire à ce dépôt », le dépositaire qui réclame le paiement des frais de gardiennage au propriétaire doit démontrer l’existence du caractère onéreux du contrat (CA Versailles, 12e ch., 7 nov. 2019, n° 18/05808 : JurisData n° 2019-020668).

La gratuité signifie seulement que le dépositaire ne peut prétendre à une rémunération pour son service. Cela ne signifie pas pour autant qu’il entend faire une libéralité au déposant si la conservation lui occasionne des frais. L’article 1947 du Code civil permet au dépositaire d’obtenir de celui qui a fait le dépôt le remboursement des dépenses de conservation. L’indemnisation de ces frais de conservation d’un véhicule fondée sur ce texte est justifiée par l’occupation d’un emplacement par le véhicule (CA Lyon, 6e ch., 30 juin 2020, n° 19/04870 : JurisData n° 2020-009429, qui octroie au dépositaire une indemnité de 2 € par jour correspondant au coût de l’emplacement nécessaire au maintien de l’épave sur son terrain en l’absence de soins particuliers. – V. déjà : CA Paris, 1re ch. urg., 25 nov. 1985, n° L06803 : JurisData n° 1985-026404 ; D. 1986, IR p. 272 ).

Si l’existence de frais de gardiennage est justifiée, en l’espère, il reste à déterminer celui qui en a la charge.

B. La charge des frais de gardiennage

L’article 1947 du Code civil fait peser une obligation de rembourser les frais de gardiennage sur celui qui a fait le dépôt. Littéralement, ce texte vise l’auteur matériel du dépôt. Il s’agit du déposant lorsque l’auteur matériel est aussi celui au nom duquel le contrat a été conclu. En cas de représentation du déposant, le dépôt est matériellement effectué par le représentant, mais au nom du déposant. Dans ce cas, l’article 1937 du Code civil prévoit que la restitution doit être faite au déposant. Pour autant, l’interprétation littérale de l’article 1947 conduirait à faire peser l’obligation de remboursement sur celui qui a fait le dépôt, à savoir le représentant, sachant que ce dernier peut se faire lui-même rembourser par le déposant représenté (Pour les mandataires : C. civ., art. 1999). Cela étant, malgré cette rédaction sujette à interprétation, il convient de considérer que s’agissant d’une obligation née du contrat de dépôt auquel seul le déposant est partie, celle-ci pèse bien sur le déposant, même s’il n’a pas fait matériellement le dépôt.

Une difficulté supplémentaire se greffe sur le contrat de dépôt lorsque celui-ci est effectué par un non-propriétaire. En dépit des termes de l’article 1922 du Code civil, un dépôt peut être valablement effectué par un non-propriétaire, même sans son consentement. D’ailleurs, le dépositaire ne peut exiger du déposant qu’il a la qualité de propriétaire (C. civ., art. 1938, al. 1er). Cette hypothèse se présente lorsqu’un véhicule se trouvant sur la voie publique est confié à un garagiste par les forces de police ou de gendarmerie.

Qui a alors la charge des frais de gardiennage dans une telle situation ? Lorsqu’il s’agit d’une mise en fourrière d’un véhicule en application de l’article L. 325-1 du Code de la route, les frais sont à la charge du propriétaire du véhicule (C. route, art. R. 325-29). Toutefois, dans ce cas, il ne s’agit pas d’un dépôt volontaire puisque le propriétaire n’a pas consenti à la mise en fourrière.

Il arrive aussi qu’un véhicule soit confié par les forces de police à un garagiste à la suite d’un accident ou, comme c’était le cas en l’espèce, après avoir été retrouvé dans le cadre d’une enquête pour vol. Lorsqu’il s’agit d’un véhicule accidenté, les frais de remorquage et de gardiennage sont mis à la charge du propriétaire du véhicule, même si l’opération a été requise par les forces de l’ordre (CA Lyon, 6e ch., 22 sept. 2011, n° 10/03325 : JurisData n° 2011-021130. – CA Besançon, ch. civ., 3 nov. 2015, n° 14/00619 : JurisData n° 2015-025167). Cette solution peut s’expliquer par l’existence d’un dépôt nécessaire, c’est-à-dire celui qui a été forcé par un accident ou tout autre événement imprévu. Un tel dépôt peut exister sans le consentement exprès du propriétaire du véhicule (CA Besançon, ch. civ., 3 nov. 2015 : préc.).

Dans l’arrêt commenté, le véhicule a été immobilisé chez un garagiste dans le cadre d’une enquête pénale pour vol sur plainte du propriétaire. La Cour d’appel de Douai considère dans ce cas que les frais de gardiennage ne sont pas à la charge du propriétaire, mais constituent des frais de justice pénale. Cette qualification n’est pas partagée par toutes les juridictions. Précédemment, la Cour d’appel de Versailles avait jugé que les frais de gardiennage d’un véhicule volé et retrouvé sont à la charge de son propriétaire (CA Versailles, 12e ch., 7 nov. 2019, n° 18/05808 : JurisData n° 2019-020668). Du moins, dans cette décision, qui qualifie cette remise au garagiste de dépôt nécessaire, deux périodes sont distinguées. La première débute avec la remise du véhicule au garagiste (28/10/2014) et court jusqu’au jour (08/02/2016) où le propriétaire averti du montant des frais de gardiennage s’y oppose. La seconde court à compter de cette opposition jusqu’à la restitution effective du véhicule (01/08/2018). Pour la première période, la juridiction versaillaise juge que le garagiste, faute d’avoir pu établir une convention conclue à titre onéreux, ne peut rien exiger du déposant. Pour la seconde période, le déposant étant averti d’un dépôt à titre onéreux et de son tarif, il est redevable des frais de gardiennage courant jusqu’à la restitution, à raison de 25 euros H.T. par jour, soit une somme de 22 600 euros. Même si pour la première période, la Cour d’appel de Versailles exonère le propriétaire du paiement de frais de gardiennage faute de contrat conclu à titre onéreux, elle lui reconnaît la qualité de déposant, ce qui aurait permis au garagiste dépositaire d’obtenir remboursement de ses dépenses de conservation prouvées auprès du déposant en se fondant sur l’article 1947 du Code civil.

Toute autre est l’approche de l’arrêt commenté. La Cour d’appel de Douai ne retient nullement la qualification de dépôt nécessaire et considère que les frais de gardiennage relèvent des frais de justice pénale de telle sorte qu’elle renvoie le garagiste à les faire taxer par l’autorité compétente. Les frais de justice pénale sont, en principe, déterminés par décret (C.P.P., art. 800). C’est l’article R. 92, 5°, du Code de procédure pénale qui vise les frais de garde en matière de scellées judiciaires et l’article R. 147 qui en fixe le tarif à 3,20 euros pour un véhicule. On est dont bien loin du tarif de 25 euros réclamé par le garagiste. Au demeurant, de manière subsidiaire, il demandait le paiement de frais en application de ce tarif réglementé si le tarif n’était pas libre.

Quoi qu’il en soit, si le garagiste pouvait bien prétendre à une indemnisation pour les frais de gardiennage, dont le montant reste incertain, la charge de ces frais ne pesait pas sur le propriétaire du véhicule. Faute de créance contre le propriétaire du véhicule, la Cour d’appel dénie au garagiste de droit de retenir le véhicule.

 II. La légitimité de la rétention

Comme le propriétaire du véhicule n’est pas débiteur des frais de gardiennage, le garagiste n’exercerait pas légitimement de droit rétention sur le véhicule si bien que, d’une part, la Cour d’appel ordonne la restitution du véhicule sous astreinte provisoire de 100 euros par jour commençant à courir dans les 15 jours de la signification de son arrêt, et ce pour une durée de trois mois. D’autre part, elle condamne le garagiste à verser une provision de 1 500 euros à valoir sur l’indemnisation du préjudice subi par le propriétaire.

La motivation relative au caractère illégitime du droit de rétention est juridiquement discutable au regard de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation. Le garagiste disposait bien d’un droit de rétention. La question qui se posait était de savoir s’il était opposable au propriétaire non dépositaire. Si la décision est juridiquement critiquable, elle est toutefois opportune en ce qu’elle ne préjudicie pas à la victime du vol.

A. L’opposabilité du droit de rétention au propriétaire non débiteur

Même en l’absence de contrat de dépôt, voire de dépôt nécessaire, le garagiste peut être titulaire d’un droit de rétention. En l’espèce, il était acquis que le garagiste était créancier de frais de gardiennage. Il s’agissait d’une créance née à l’occasion de la détention du véhicule. Celle-ci conférait au détenteur un droit de rétention en application de l’article 2286, 3°, du Code civil. En somme, le véhicule pouvait être légitimement retenu.

L’effet du droit de rétention est d’empêcher la restitution de la chose retenue jusqu’au paiement intégral de la créance. Cet effet n’est pas contesté lorsque la chose retenue appartient au débiteur : elle permet de contraindre le débiteur à payer sa dette.

Bien plus, la Cour de cassation a posé comme principe, au visa de l’article 1948 du Code civil, que « le droit de rétention d’une chose, conséquence de sa détention, est un droit réel, opposable à tous, et même aux tiers non tenus de la dette »(Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, n° 90-14.545 : Bull. civ., I, n° 4. – Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.262 : Bull. civ., IV, n° 106). Le rayonnement de l’opposabilité du droit de rétention atteint ainsi le propriétaire de la chose détenu, alors même qu’il n’a pas la charge de la dette.

Même si l’opposabilité du droit de rétention au propriétaire non débiteur est parfois critiquée en ce qu’elle constituerait « un détournement de la finalité de l’institution, puisque le propriétaire est pratiquement astreint à payer la dette d’autrui » (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés : LexisNexis, 10e éd., 2015, n° 648), d’autres auteurs justifient la jurisprudence relative à l’opposabilité au propriétaire non débiteur en distinguant deux hypothèses C. Albiges et M.-P. Dumont, Droit des sûretés : Dalloz, Hypercours, 7e éd., 2019, n° 401 et s. – M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés : Sirey, Université, 7e éd. 2020, n° 842. – J.-B. Seube, Droit des sûretés : Dalloz, Cours, 10e éd., 2020, n° 469). Lorsque la propriété est acquise alors que le droit de rétention existe, l’acquéreur ne peut acquérir plus de droit que n’en possédait le vendeur si bien que le droit de rétention lui est opposable. Lorsque le droit de rétention nait postérieurement à l’acquisition de la propriétaire du fait d’un tiers, il n’est opposable au créancier que s’il nait d’un lien de connexité matérielle, mais non pour un lien de connexité juridique. La solution est justifiée en ce que le propriétaire non débiteur profite des frais générés par la détention.

En l’espèce, les frais de gardiennage correspondent pleinement à une créance née de la détention si bien que, en application de la décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 mais 2006, le garagiste aurait non seulement pu opposer son droit de rétention au propriétaire, mais exiger de lui son paiement pour permettre le retrait du véhicule.

La décision de la Cour d’appel de Douai peut ainsi manquer d’orthodoxie juridique. Pour autant, elle s’inscrit dans le « syncrétisme d’équité » qui ressort de l’examen de décisions parfois contradictoires en ce qui concerne l’opposabilité du droit de rétention au propriétaire non débiteur (J.-M. Marmayou, JCl. Civ. Code, Art. 2286 – Fasc. 20 : PRIVILÈGES. – Droit de rétention. Régime, 9 décembre 2013, n° 105).

B. Une décision équitable pour la victime du vol

Dans les décisions précitées de la Cour de cassation de 1992 et 2006, il s’agissait bien à chaque fois d’un garagiste qui opposait son droit de rétention au propriétaire de la chose alors qu’il était pas débiteur à titre principal du paiement de la créance du garagiste justifiant de la rétention. Dans l’arrêt de 1992, le garagiste retenait un véhicule pour obtenir les frais de réparation d’un véhicule de collection défectueux mis à la charge du vendeur après que la propriété du véhicule a été transmise à l’acheteur. Dans l’arrêt de 2006, le garagiste retenait un véhicule au titre de frais de réparation et de gardiennage d’un véhicule remis par un locataire.

Dans l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai, l’origine de la détention du véhicule par le garagiste était différente : elle ne reposait pas sur un contrat auquel le propriétaire n’était pas partie, mais sur les réquisitions de forces de l’ordre. À la suite de la plainte du propriétaire du véhicule pour vol, le véhicule retrouvé a été confié au garagiste par les forces de police pour les besoins de l’enquête. Les frais de gardiennage qu’engendre cette détention étant des frais de justice pénale, ils sont à la charge de l’État (CPP, art. 800 et art. R. 92). L’État n’étant pas insolvable, il n’y a pas de risque pour le garagiste de ne pas recouvrer sa créance. Tout au plus doit-il se montrer patient. Une telle certitude de recouvrement n’existe pas lorsque le débiteur des frais de garde est le locataire du véhicule, comme c’était le cas dans l’arrêt précité de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 mai 2006.

En somme, le juge était amené à trancher entre l’intérêt du garagiste à retenir le véhicule pour le paiement d’une créance dont le recouvrement n’était pas douteux et l’atteinte portée au droit de propriété d’une personne qui n’était pas tenue du paiement de ladite créance. Empêcher le propriétaire de retrouver son véhicule en exerçant un droit de rétention alors que le rétenteur n’encourt aucun risque de recouvrement auprès du débiteur est alors apparu à la Cour d’appel de Douai comme un trouble manifestement illicite porté au droit de propriété. C’est d’autant plus vrai que le propriétaire demandant la restitution était la victime du vol à l’origine de la procédure pénale et, par conséquent, la partie civile potentielle dans l’instance pénale.

Par ailleurs, dans l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2006, le garagiste pouvait opposer utilement le droit de rétention tant au propriétaire non débiteur qu’au locataire déposant et débiteur des frais de gardiennage. En effet, ce dernier ayant lui-même une obligation de restitution du véhicule à son propriétaire avait intérêt à acquitter la dette pour respecter ses propres obligations envers son loueur. Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, le débiteur est l’État qui bénéficie d’une immunité d’exécution (CPCE, art. L. 111-1, al. 3). Au demeurant, si la chose déposée appartenait à la personne publique, cette immunité s’opposait même à l’exercice d’un droit de rétention (CAA Paris, 14 oct. 2008, n° 06PA03339 : JurisData n° 2008-003950  ; Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 277, G. Eckert). Il aurait donc été curieux que la seule personne à laquelle le droit de rétention puisse être opposé est le propriétaire non débiteur.

Il était donc opportun d’ordonner la restitution du véhicule sous astreinte. Dans la mesure où le propriétaire exploitait économiquement ce véhicule dans une activité de location, il était aussi fondé à demander une provision au titre de son préjudice économique évalué à partir des ressources précédemment tirées de cette activité.

 

Cour d’appel, Douai, 2e chambre, 2e section, 25 novembre 2021

 

N° RG 21/01037 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TOUN

Jugement (N°20/05118) rendu le 15 janvier 2021par le tribunal de commerce de Valenciennes

 

APPELANT

Monsieur Krzysztof M.

né le 29 novembre 1961 à […] – de nationalité polonaise

demeurant […]

représenté par Me Myriam M., avocat au barreau d’Avesnes-sur-Helpe

INTIMÉE

SARL Garage Burny, SARL immatriculée au RCS de Valenciennes sous le N°522 314 574, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

Ayant son siège social […]

représentée par Me Anne D., avocat au barreau de Valenciennes

 

DÉBATS à l’audience publique du 21 septembre 2021 tenue par Laurent Bedouet magistrat chargé d’instruire le dossier qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

 

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Audrey Cerisier

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Laurent Bedouet, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Laurent bedouet, président et Audrey cerisier, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 septembre 2021

 

Exposé du litige

M. M. exerce une activité de loueur de véhicule sous le statut d’auto-entrepreneur.

Il a loué son véhicule Peugeot 308 par l’intermédiaire du site Ouicar.

A l’expiration du délai convenu pour la location, le véhicule n’a pas été restitué à M. M. qui a déposé plainte pour vol le 20 avril 2020.

Son véhicule, finalement retrouvé par la police a été confié à la Sarl Garage BURNY à Saultain (59).

Celle-ci a établi le 19 juin 2020 une facture de 2 085 euros relative à des frais de gardiennage, du 26 avril au 22 juin 2020, de 25 euros par jour.

M.M. a sollicité auprès de la société Garage BURNY la restitution de son véhicule, ce que cette dernière a refusé au motif que les frais de gardiennage du véhicule du 26 avril au 22 juin 2020 qu’elle a sollicité à hauteur de 2085 euros n’ont pas été payés.

M.M. a alors assigné la société Garage BURNY devant le juge des référés du tribunal de commerce de Valenciennes aux fins de la voir condamnée à lui restituer sous astreinte son véhicule.

La société Garage BURNY a conclu à l’irrecevabilité et au débouté des demandes de M. M. et a subsidiairement sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 7 335 euros au titre de la facture actualisée des sommes dues depuis au titre du gardiennage.

Par ordonnance du 15 janvier 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Valenciennes a:

– Dit la demande de M M. irrecevable,

– Dit que la demande de la Sarl Garage BURNY se heurte à une contestations sérieuse,

– Invité les parties à mieux se pourvoir,

– Condamne M. M. aux dépens et à la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Suivant déclaration du 15 février 2021, M M. a relevé appel de cette décision.

Suivant conclusions, signifiées par voie électronique le 1er mai 2021, il demande à la cour de :

Vu les articles 873 du CPC et 544 du code civil,

Infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Ordonner à la SARL GARAGE BURNY la restitution du véhicule PEUGEOT 308 immatriculé EM 626 GJ, à Monsieur Krzysztof M. sous astreinte de 100 € par jour à compter de la notification de la décision à intervenir, laquelle astreinte courra pendant un délai de 3 mois à l’issue duquel il sera à nouveau fait droit,

Condamner la SARL GARAGE BURNY à payer à Monsieur Krzysztof M. les sommes suivantes :

– 2.000 € à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice,

– 2.500 € par application de l’article 700 du CPC,

Déclarer la SARL GARAGE BURNY irrecevable et, en tant que de besoin, mal fondée en ses demandes,

Condamner la SARL GARAGE BURNY aux dépens de l’instance.

Suivant conclusions signifiées par voie électronique le 29 mars 2021, la Sarl garage BURNY demande à la cour de :

Déclarer Monsieur M. autant irrecevable que mal fondé en ses demandes par application des dispositions de l’article 873 du CPC,

Subsidiairement,

Débouter purement et simplement Monsieur M. de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions

Dire et juger qu’en cas d’enlèvement de véhicule volé le texte applicable est l’article R 325-13 du Code de la route.

Dire et juger qu’en cas de vol de véhicule, le tarif applicable est libre,

Condamner Monsieur M. au paiement d’une somme de 7335.00 € au titre de la facture actualisée due,

Plus subsidiairement encore, si la cour venait à estimer que le tarif réglementé était applicable,

Condamner Monsieur M. au paiement de la somme réglementaire de 1609,44 € TTC y ajoutant la somme de 6.42 € par jour à compter du 15 décembre 2020,

Débouter Monsieur M. de sa demande de dommages et intérêts,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

Condamner Monsieur M. au paiement d’une somme de 1700 € par application des dispositions de l’article 700 du NCPC ainsi qu’en tous les frais et dépens de première instance et 2500 euros en cause d’ appel.

SUR CE, LA COUR

Aucune fin de non-recevoir n’est soulevée à l’encontre des demandes de l’appelant de sorte qu’il convient de dire qu’elles sont recevables.

L’appelant fait valoir qu’aucun lien contractuel ne l’unit à la Sarl Garage BURNY et qu’il n’existe aucun accord sur le prix de la prestation de gardiennage de sorte que le garage est totalement infondé à retenir son véhicule.

Il ajoute que le préjudice qu’il a subi à raison de cette rétention doit être fixé à 2000 euros à titre provisionnel et ajoute que la demande formulée par la société BURNY, à titre provisionnel au titre de l’indemnisation des frais de gardiennage excède la compétence du juge des référés.

La société intimée fait pour sa part valoir que la tarification des frais consécutifs à la garde du véhicule ne relève pas de ceux relatifs au placement en fourrière de sorte que celle qu’elle sollicite au titre des frais de transport et de gardiennage du véhicule de M. M., qui n’est pas réglementée, a été fixée par elle selon un barème affiché au sein de ses locaux, lequel doit s’appliquer, ce qui justifie qu’elle réclame les sommes dues par l’appelant de ce chef et qu’elle retienne son véhicule.

Il résulte des pièces versées aux débats que le véhicule appartenant à M. M. a été découvert le 26 avril 2020 à Denain, qu’il a fait l’objet d’un procès-verbal de restitution par la police le 30 juillet 2020.

Il n’est pas contesté que le véhicule a été immobilisé au cours de cette période au sein du garage pour les besoins de l’enquête de police.

Il s’y trouve toujours depuis lors, retenu par la société Garage BURNY au motif que son propriétaire n’a pas payé les frais de transport et de gardiennage du dit véhicule.

La société Garage BURNY ne justifie toutefois nullement du bien fondé de ses demandes alors que l’immobilisation du véhicule en son sein n’est pas du fait de M. M. mais a été réalisée à la demande des autorités de police pour les besoins de l’enquête diligentée dans le cadre de la procédure pour vol suite à la plainte déposée par ce dernier et que les frais y afférent apparaissent dès lors comme des frais de justice pénale, ce qui n’est pas contesté, qu’il appartient à la société intimée de faire taxer auprès de l’autorité compétente.

Il n’est ainsi pas justifié du fondement sur lequel M M. serait débiteur des sommes réclamées et en conséquence du caractère légitime du droit de rétention de son véhicule par la société Garage BURNY.

Il convient dès lors de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par la rétention injustifié du véhicule, conformément à l’article 873 du Code de procédure civile.

La société Garage BURNY doit restituer le dit véhicule et y sera condamnée sous astreinte, dans les conditions fixées au dispositif de la présente décision.

S’agissant de l’indemnisation de son préjudice M. M. souligne que l’immobilisation forcée de son véhicule l’a privé de ressources mensuelles tirées de sa location via les sites Ouicar et Getaround.

Au vu des pièces qu’il verse au débat quant aux prévisions de ressources auxquelles il pouvait prétendre compte tenu des revenus perçus antérieurement en 2019 grâce à la location de son véhicule, la cour fixe à la somme de 1500 euros le montant que devra lui verser la société Garage BURNY à titre provisionnel à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

Compte tenu des développements qui précèdent quant au caractère non justifié des sommes réclamées par la société Garage BURNY, il convient de la débouter de ses demande de condamnation de M. M. à titre provisionnel.

Le sens de l’arrêt conduit la cour à infirmer l’ordonnance en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du Code de procédure civile et à dire qu’il convient de condamner la société Garage BURNY à payer à M. M. la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

– Infirme l’ordonnance ;

statuant à nouveau et y ajoutant ;

– Ordonne la restitution par la société Garage BURNY, du véhicule Peugeot 308 immatriculé EM-626-GJ à M Krzystof M. sous astreinte provisoire de 100 euros par jour commençant à courir dans les 15 jours de la signification du présent arrêt, et ce pour une durée de trois mois ;

– Condamne la société Garage BURNY à payer à M Krzystof M. la somme de 1500 euros à titre provisionnel à valoir sur l’indemnisation de son préjudice ;

– Déboute la société Garage BURNY de ses demandes ;

– Condamne la société Garage BURNY à payer à l’appelant la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– La condamne aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier : Audrey Cerisier

Le président : Laurent Bedouet