Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ D’UN EHPAD POUR LE SUICIDE D’UNE RÉSIDENTE, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de CA Aix-en-Provence, 6 juillet 2021, n° 19/02708

 

Résumé 

 Un EHPAD est tenu responsable du suicide d’une pensionnaire pour manquement à son obligation de surveillance et de sécurité car la pathologie de la victime étant connue, il convenait de mettre en place un dispositif sécurisant mieux adapté à son état actuel d’agitation.

Mots clefs 

Entrée en EHPAD – suicide d’un résident – obligation de moyens – absence de mesures préventives – précautions insuffisantes – manquement aux obligations de prudence et de diligence, de surveillance et de sécurité – responsabilité de l’établissement – absence de cause d’exonération – versement de dommages et intérêts.

Pour se repérer

Une dame souffrant de graves troubles de santé a été prise en charge dans l’EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) résidence « Verte prairie » à sa sortie de l’hôpital en juillet 2013. Son état de santé s’était fortement dégradé dès novembre 2014 et elle présentait des idées suicidaires, état qui était connu du personnel de l’établissement. En effet, une tentative de suicide avait déjà pu être constatée ; la résidence ayant noué des draps et rideaux autour de son cou quelques jours avant son décès.

Le 2 décembre 2014, elle a été trouvée inerte dans sa chambre avec un fil électrique autour du cou et son décès a été malheureusement constaté.

Les parents de la résidente ont alors intenté une action en responsabilité civile contre la maison de retraite « Verte Prairie », pour qu’elle soit jugée responsable du suicide, estimant que la pensionnaire n’avait pas été suffisamment surveillée et sécurisée, malgré son comportement, sa pathologie psychique et son état d’agitation permanent.

Pour aller à l’essentiel

Prenant en charge des pensionnaires sur la base d’une relation contractuelle, tous les EHPAD sont tenus d’assurer leur surveillance afin de veiller à leur sécurité. Certes, il s’agit d’une obligation de moyens et l’établissement n’est pas tenu de garantir une surveillance continue ou de mettre en place un dispositif spécial contre des actes imprévisibles. En revanche, à partir du moment où le personnel avait connaissance de l’état de santé de la résidente, il aurait fallu qu’il gère mieux la situation. En effet, il ressort des pièces de la procédure que la lourdeur et la gravité de la pathologie psychique de la défunte était connue, cette dernière ayant été classée comme une personne confinée au lit ou au fauteuil, ayant perdu son activité mentale, corporelle, locomotrice et sociale nécessitant la présence indispensable d’intervenants et, surtout, son état d’agitation avait justifié que des décisions de contention soient prises.

Son état dépressif actuel ne pouvait pas être ignoré car le week-end précédant son décès, elle avait été trouvée avec des draps de lit et des rideaux noués autour du cou. Il aurait donc fallu que l’EHPAD prenne des mesures adaptées à cette situation inquiétante, à savoir des soins appropriés dans la chambre de la résidente ou encore le choix de la faire hospitaliser. Le défaut de surveillance et de sécurité étant ainsi démontré, la responsabilité de l’établissement est engagée car il ne peut se retrancher derrière aucune cause d’exonération. Ainsi, ne peut pas être invoqué le fait que la résidente ne séjournait à la « Verte prairie » qu’à titre provisoire, en attendant son transfert vers un autre établissement.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme dès lors le jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence du 10 janvier 2019 (n° 17/06316) lequel avait condamné l’établissement à verser 25 000 euros de dommages et intérêts à chacun des parents de la victime pour leur préjudice moral, et 1 800 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et les juges y ajoutent les frais de dépens d’appel (CPC, art. 699).

Ayant manqué à son obligation de prudence et de diligence, l’EHPAD, représenté par son directeur, est donc jugé responsable du préjudice moral subi par les père et mère de la défunte.

Pour aller plus loin

Accueillie dans l’EHPAD résidence « Verte prairie » en raison de ses graves troubles de santé, une résidente s’est donnée la mort dans sa chambre quelques mois après son arrivée. Face à ce décès, il s’agissait de savoir si une faute de l’établissement pouvait être reconnue car l’état fortement dépressif de l’intéressée était connu du personnel mais la mise en place de mesures protectrices avait fait défaut.

L’arrêt confirme qu’un établissement pour personnes âgées n’a qu’une obligation de moyens et non de résultat à l’égard de ses pensionnaires, ce qui justifie qu’il n’a ni à garantir leur surveillance continue, ni à prévoir un dispositif de sécurité spécial pour les actes imprévisibles. Néanmoins, une faute peut être commise et entraîner la responsabilité contractuelle de l’EHPAD.

Tel est le cas en l’espèce, dans la mesure où le personnel connaissait la lourdeur et la gravité de la pathologie de la défunte qui souffrait de graves troubles psychiques et, de plus, avait déjà constaté une tentative de suicide lors du week-end précédant son décès. Le risque étant avéré, il est reproché à l’établissement de ne pas avoir pris de dispositions particulières pour assurer la surveillance de la résidente.

En conséquence, il est jugé que l’établissement n’a pas respecté l’obligation de surveillance et de sécurité qui lui incombait, raison pour laquelle la responsabilité a été retenue, décision confirmée par la cour d’appel. Au titre du contrat de de séjour, sa mission est d’assurer la sécurité, la préservation de l’intégrité et de l’état de santé de l’ensemble des résidents. Toute défaillance dans cette mission conduit à l’engagement de la responsabilité civile de l’établissement en cas d’atteinte corporelle subie par un de ses résidents en lien avec cette défaillance.

Dès lors que l’établissement accueille une personne dont l’état s’aggrave au cours de son séjour, il doit nécessairement y avoir un renforcement de l’obligation de sécurité et ce afin de gérer au mieux cette aggravation. Si la personne accueillie cesse de remplir les conditions d’admission dans un EHPAD – son état de santé nécessitant des soins que l’établissement n’est pas en mesure de fournir – il convient de trouver une solution la mieux adaptée à celle-ci.

En l’absence de mesures préventives, la responsabilité de l’établissement avec lequel est conclu un contrat de séjour pourra être engagée pour défaut de surveillance (pour une résidente atteinte d’Alzheimer qui faisait des fugues et a perdu la vie : CA Paris, 7 mai 2018, n° 16/10689 ; adde CA Amiens, 26 mars 2020, n° 18/03366 ; divagation dans les locaux de l’établissement d’un pensionnaire retrouvé décédé dans la chaufferie : CA Lyon, 14 juin 2018, n° 16/05070 ; chute d’un résident atteint de la maladie d’Alzheimer, depuis la fenêtre de sa chambre : CA Aix-en-Provence, 25 janv. 2019, n°17/19062).

Pour l’obtention de dommages et intérêts, il est nécessaire de prouver une faute et un préjudice en relation avec la faute, faute qui certes n’est pas volontaire dans l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 6 juillet 2021, mais qui découle d’une imprudence voire d’une négligence. En effet, l’EHPAD « Verte prairie » n’a pas pris les moyens appropriés et proportionnés pour assurer la sécurité d’une résidente dont l’état avait pourtant été jugé alarmant. La résidente avait bien été « classée comme une personne confinée au lit ou au fauteuil, ayant perdu son activité mentale, corporelle, locomotrice et sociale nécessitant la présence indispensable d’intervenants », néanmoins, le nécessaire n’avait pas été fait face à la gravité de sa pathologie psychique.

Afin d’assurer la sécurité de ses résidents, l’établissement doit, d’une part, évaluer les attentes et besoins des personnes qu’il accueille lors de leur admission et, d’autre part, doit garantir la sécurité du pensionnaire tout au long du séjour, Le défaut de surveillance ou de sécurité des usagers conduit dès lors à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de la direction de l’EHPAD.

Il faut certes pouvoir prouver les manquements de l’établissement mais, en l’espèce, les juges ont souverainement estimé que le dossier était probant ; la défunte ayant antérieurement fait une tentative de suicide sans que cet événement n’ait entrainé un renforcement de sa protection.

De ce qui précède, une faute a bien été commise par l’établissement lequel engage sa responsabilité contractuelle afin d’indemniser le préjudice moral des parents demandeurs à l’action. En effet, la résidente de l’EHPAD « Verte prairie » avait conclu un contrat de séjour en vertu duquel elle avait droit « au respect de sa sécurité » (art. L. 311-3, 1°, du Code de l’action sociale et des familles). Plus concrètement, les établissements sociaux et médico-sociaux tels que les EHPAD, s’engagent à assurer la sécurité de leurs pensionnaires par un encadrement humain suffisant et des installations adaptées à l’état de chacun d’entre eux.

Cette obligation de sécurité est renforcée pour les résidents ayant perdu une partie de leurs facultés intellectuelles et qui à cet égard se trouvent dans l’incapacité de pourvoir à leur propre sécurité ou présentent des troubles dépressifs et une désorientation. Nul doute donc qu’en l’espèce, le nécessaire n’a pas été fait pour éviter le drame.

Cour d’appel, Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 6 Juillet 2021 – n° 19/02708

Exposé :

Vu le jugement rendu le 10 janvier 2019 par le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence ayant statué ainsi qu’il suit :

– dit que l’Ehpad résidence Verte prairie a manqué à son obligation de prudence et de diligence, qu’il est responsable du préjudice subi par Monsieur et Madame F.,

– condamne l’Ehpad résidence Verte prairie à verser à Monsieur et Madame F. la somme de 25 000 € chacun en réparation de leur préjudice moral, la somme de 2000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonne l’exécution provisoire,

– condamne l’Ehpad résidence Verte prairie aux dépens.

Vu l’appel interjeté par l’Ehpad Résidence Verte prairie le 15 février 2019.

Vu ses conclusions en date du 27 septembre 2019, demandant de :

– à titre principal, réformer le jugement,

– dire que la preuve d’une faute n’est pas rapportée et rejeter toutes les demandes de Monsieur et Madame F.,

– à titre subsidiaire, dire que la somme de 8500 € est amplement satisfactoire pour chacun des époux F.,

– condamner les époux F. au versement de la somme de 1000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Vu les conclusions de Monsieur et Madame F. en date du 8 juillet 2019, demandant de :

– confirmer le jugement et rejeter toutes les demandes de l’appelant,

– condamner l’appelant à leur verser la somme de 2000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens.

L’ordonnance de clôture a été prise le 11 mai 2021.

Motifs

Madame F. qui en a raison de ses troubles graves de santé, a été, un temps, prise en charge au foyer d’accueil médicalisé ‘le hameau du phare’, a été admise, à sa sortie de l’hôpital de Salon de Provence, sur dérogation du Conseil Général, le 11 juillet 2013 dans l’établissement Verte prairie.

Son état de santé s’est dégradé au mois de novembre 2014 avec des idées suicidaires.

Elle a finalement été trouvée, le 2 décembre 2014, inerte dans sa chambre, avec un fil électrique autour du cou et son décès était constaté le même jour.

André F. et Mme Paulette F., qui sont les parents de la défunte, recherchent présentement la responsabilité civile de l’établissement Verte prairie.

L’Ehpad est tenu d’une obligation de surveillance et de sécurité à l’égard de ses pensionnaires; il s’agit d’une obligation de moyens et si dans le cadre juridique ainsi défini, l’établissement n’est certes pas obligé de garantir une surveillance continue, ni un dispositif de sécurité spécial contre les actes imprévisibles, il résulte des pièces de la procédure que l’établissement connaissait, en l’espèce, la lourdeur et gravité de la pathologie psychique de Mme F.; que celle-ci avait d’ailleurs été classée comme une personne confinée au lit ou au fauteuil, ayant perdu son activité mentale, corporelle, locomotrice et sociale nécessitant la présence indispensable d’intervenants; que compte tenu de son état d’agitation qui avait d’ailleurs nécessité des décisions de contention et plus particulièrement de son état dépressif évident résultant de son comportement le week-end précédent, (Mme F. ayant selon les propos de la directrice, été trouvée avec les draps de son lit ou les rideaux de sa chambre autour du cou pendant ce week-end), le geste de Mme F. n’avait rien d’imprévisible et l’établissement aurait donc dû prendre toute mesure adaptée à cet état, soit par des soins appropriés sur place soit s’il n’en avait pas mes moyens, par une hospitalisation .

Ni la circonstance que Mme F. ne séjournait dans la résidence qu’à titre transitoire et exceptionnel, ni l’effectivité des mesures de l’Ehpad pour organiser son transfert sur un autre établissement, ni les prescriptions du médecin qui suivait Mme F. à titre libéral ne sauraient l’exonérer de sa responsabilité de ce chef.

Le jugement sera donc confirmé, tant sur le principe de la condamnation, que sur le montant exactement apprécié par le tribunal.

Vu les articles 696 et suivants du Code de Procédure Civile .

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort

Rejette les demandes de l’appelant et confirme le jugement en toute ses dispositions,

Y ajoutant :

Condamne l’Ehpad résidence Verte prairie à verser par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile la somme de 1800 € à M et Mme F.,

Condamne l’Ehpad résidence Verte prairie à supporter les dépens d’appel et en ordonne la distraction conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile.