Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RENFORCEMENT DE LA PROTECTION DES LANCEURS D’ALERTE ET DIMINUTION DES RISQUES, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace, Membre du CERDACC

 

Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte

 

Des risques encourus par la population ont été repérés et signalés par des personnes, ce qui a permis aux autorités d’agir pour mettre fin aux problèmes, et aux juridictions de sanctionner les auteurs de ces troubles. L’élimination de dangers a effectivement été, de nombreuses fois, liée aux interventions de tiers qui n’ont pas hésité à révéler des faits illégaux ou des risques de crise, tiers qualifiés de lanceurs d’alerte. Ils sont à remercier pour leur action, d’autant plus qu’ils en ont souvent subi les retombées, si bien que l’on pouvait craindre que des potentiels lanceurs d’alerte restent silencieux.

Dès lors, l’objectif poursuivi par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (JO du 22 mars 2022) qui fait le nécessaire pour aider les lanceurs d’alerte et les soutenir, en améliorant la protection qui leur est accordée est à saluer. Cette avancée législative va les conduire à multiplier leurs signalements, ce qui conséquemment va entraîner un amoindrissement des risques pour tous.

Mots-clés : Lanceurs d’alerte – signalement – diminution des risques – rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte – élargissement du champ des bénéficiaires du statut protecteur – prise en compte de l’entourage du lanceur d’alerte – renforcement des garanties de confidentialité –interdiction des actes de discrimination – réduction du coût financier des procédures à engager.

Même s’ils ont suscité de nombreuses polémiques et subi des ostracisations, les lanceurs d’alerte agissent pour protéger la population car, en faisant des signalements, ils ont évité beaucoup de drames. Leur situation était toutefois précaire, aussi le législateur a fait évoluer le droit afin qu’ils soient protégés à leur tour, ou du moins pour combler les lacunes qui demeuraient dans le dispositif protecteur mis en place pour eux depuis quelques années. Assurément, ils défendent l’intérêt général et l’amélioration du niveau de protection dont ils bénéficient dorénavant et qui conforte leurs droits fondamentaux reposant sur leur liberté d’expression et d’information est pertinente, encourageante et salutaire. Grâce à cette nouvelle loi, ils gagnent en reconnaissance de leur rôle de garde-fou démocratique et en soutien, ce qui va les aider à signaler les faits problématiques dont ils ont connaissance. Grâce à cette réforme, le législateur facilite les signalements en assurant la protection des personnes qui osent les faire, ce qui conduit à limiter des risques en différents domaines.

En la matière, des mesures protectrices avaient déjà été mises en place, mais elles étaient insuffisantes et des avancées législatives étaient en projet (P. Cailleba, Lanceurs l’alerte : quelle protection prévue par la loi ?, The Conversation, 27 janv. 2022). Pour mieux soutenir les personnes qui se lancent dans des signalements, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (JO du 22 mars 2022) est venue compléter utilement un dispositif mis en place par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi « Sapin 2 », pour aider les personnes qui osent signaler les violations des textes juridiques (I).

Avec cette réforme, validée par le Conseil constitutionnel le 17 mars (Décision n° 2022-839 DC du 17 mars 2022, JO du 22 mars), le législateur affine la définition du lanceur d’alerte, explicite la notion d’alerte en précisant le champ des informations considérées comme une alerte et complète la liste des secrets applicables, renforçant par tous les moyens la protection accordée aux personnes qui signalent des faits portant gravement atteinte à l’intérêt général (II). Cette réforme devrait encourager les lanceurs d’alerte à poursuivre leurs objectifs.

I – Les difficultés rencontrées par les lanceurs d’alerte

La nouvelle réforme permet de revenir sur la situation des personnes tentant de faire des signalements dans le but de venir en aide à des tiers. En révélant des faits illégaux ou des risques de crise (environnementale, sanitaire, médicale, familiale, etc.), les lanceurs d’alerte pointent les lacunes du législateur, mais aussi l’échec de la régulation ou encore la défaillance des contrôles effectués. Ce concept de lanceur d’alerte a été repéré en France lorsqu’est paru un ouvrage publié par des sociologues en 1999 (Francis Châteauraynaud et Didier Torny, Les sombres précurseurs, une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1999).

Sur le plan juridique, la notion d’alerte existait mais elle était appréhendée différemment selon le secteur d’activité, les textes abordant spécifiquement des signalements faits par des salariés ou des fonctionnaires par exemple. Plus tard, pour faire suite au scandale du Médiator, dénoncé par Irène Frachon (voir aussi affaire de l’amiante et Henri Pézerat), une définition du lanceur d’alerte a été mise en place par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 (dite loi Blandin) relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte :  « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement. L’information qu’elle rend publique ou diffuse doit s’abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse. » (art. 1er de la loi). Néanmoins, cette loi visait uniquement le domaine de la santé publique et de l’environnement.

Par la suite, les choses ont bien évolué avec la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Sapin 2) pour que soit élargi le champ des alertes et que le statut des lanceurs d’alerte soit précisé : « Un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation international pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance » (art. 6 et s.). Avec cette loi (art. 7), les lanceurs d’alerte sont protégés en cas de divulgation de secrets lorsque cette transmission d’informations est « nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause ». Grâce à cette évolution législative, la France a adopté en 2016 un véritable statut unique du lanceur d’alerte en vue d’assurer sa protection, en permettant de bien faire la distinction entre ce lanceur d’alerte et un dénonciateur ou un délateur. L’intéressé se donne pour mission de signaler un danger ou un risque en interpellant les pouvoirs publics et les autorités compétentes.

Dans le but de mieux accompagner les lanceurs d’alerte, le député Sylvain Waserman (député Modem alsacien) a déposé la proposition de loi n° 4398 à l’Assemblée nationale le 21 juillet 2021. Il a notamment eu pour objectif de transposer dans cette proposition de loi la directive européenne (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, allant au-delà des dispositions européennes. Il a ajouté une autre proposition de loi dans le but de renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte et il a été entendu par le législateur qui, retenant les deux propositions de loi, a doublement fait évoluer les règles applicables.

II – Les apports de la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte

D’importantes avancées en matière de protection des lanceurs d’alerte et d’allègement du dispositif applicable découlent de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (JO du 22 mars). En effet, le législateur accorde une grande attention aux lanceurs d’alerte, à la fois en modifiant le dispositif général de protection et en corrigeant certaines imperfections de la loi Sapin 2. Parallèlement, la loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte (JO du 22 mars) permet d’améliorer encore le dispositif. Ce représentant de l’État a désormais pour mission d’orienter les lanceurs d’alerte et de réorienter les alertes à partir du moment où une autorité externe ne s’estime pas compétente. Grâce à cette nouvelle réforme, la personne qui aura fait un signalement d’alerte sera soutenue par un nouvel adjoint au Défenseur des droits.

Si la situation des personnes qui faisaient des signalements était parfois méconnue, Irène Frachon lors du scandale du Médiator et d’autres lanceurs d’alerte, dans des affaires parfois moins médiatisées, ont permis de révéler des situations à risque, notamment dans les domaines de la santé, de l’environnement, de la Défense, des finances ou de l’internet. Ils ont révélé des faits hors la loi, des risques de crise, des dangers et ont pointé diverses lacunes législatives. Avec la nouvelle réforme, ils vont être encouragés à continuer sur cette lancée, le législateur renforçant leur protection et allégeant les démarches. À faire leur signalement, ils prennent un risque personnel et professionnel, aussi était-il important que la loi change afin de mieux les soutenir.

Grâce à la loi du 21 mars 2022, un dispositif plus protecteur est mis en place. En premier lieu, le législateur a élargi le champ des bénéficiaires du nouveau statut, modifiant la définition des lanceurs d’alerte, figurant à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. Est désormais visée la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation (qui n’a plus à être grave et manifeste comme dans les textes antérieurs) ou simplement une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.

Pour distinguer le lanceur d’alerte du « chasseur de prime », le texte remplace désormais par l’absence de contrepartie financière, la formule précédente qui indiquait que le lanceur d’alerte devait agir « de manière désintéressée » (critère jugé effectivement trop ambigu), afin d’assouplir la recevabilité de l’alerte en particulier en cas de conflit employé/employeur. Le texte supprime aussi la condition de gravité qui était précédemment requise pour les menaces ou préjudices pour l’intérêt général, ainsi que pour les violations d’engagements internationaux, de la loi ou du règlement, afin d’élargir le champ d’intervention, le domaine de l’alerte englobant davantage de faits.

De plus, il fallait jusqu’à présent que l’intéressé ait personnellement connaissance des faits mais dorénavant (la loi modifiant l’article 6 de la loi de 2016), pour pouvoir agir dans un contexte professionnel, il pourra aussi signaler des problèmes qui lui auront été rapportés. Néanmoins, conformément à l’article 1, II de la loi de 2022, restent expressément exclus du régime de l’alerte les faits, informations ou documents, quels que soient leur forme ou leur support, dont la révélation ou la divulgation est interdite car ils sont couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical, le secret des délibérations judiciaires, de l’enquête ou de l’instruction judiciaire, ou le secret professionnel de l’avocat.

Toutes ces modifications législatives sont à approuver car elles conduisent à élargir le champ et l’objet du signalement.

La loi mentionne également que, si les personnes relèvent d’un dispositif spécifique de signalement, elles bénéficieront toutefois des garanties prévues par la loi quand il s’agira de mesures qui leur seront plus favorables.

En outre, si le statut du lanceur d’alerte est revu, il en va de même des personnes de son entourage, alors que la loi Sapin 2, ne les englobait pas. Elles ont droit désormais à une protection contre les mêmes représailles. Ainsi les personnes physiques ou morales à but non lucratif (organisations syndicales et associations) en lien avec le lanceur d’alerte pourront aisément l’aider à faire ses signalements. Ces personnes qui ont joué un rôle actif dans les démarches de signalement sont entendues comme des « facilitateurs » afin de simplifier le démarrage des alertes, mais aussi de faire en sorte que le lanceur d’alerte ne soit pas systématiquement isolé. Cette avancée législative est aussi très pertinente car ces personnes aident effectivement le lanceur d’alerte à signaler et divulguer des informations relatives à des faits illicites, ce qui augmente le nombre de signalements.

Les personnes physiques en lien avec le lanceur d’alerte, tels que collègues ou proches bénéficient également du statut protecteur pour éviter qu’ils ne fassent l’objet de représailles, de la part par exemple d’un employeur ou d’un client, dans le cadre de leur activité professionnelle.

S’efforçant d’améliorer le dispositif, le législateur simplifie également les canaux dont dispose le lanceur d’alerte lors du signalement des faits, afin d’assurer sa protection. Il lui accorde le droit de choisir entre un signalement interne, un signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen. La mission du Défenseur des droits consistera en l’occurrence à mieux orienter les lanceurs d’alerte, voire à réorienter les alertes si l’autorité contactée s’estime incompétente. Il faudra toutefois attendre la parution d’un décret qui, d’une part, listera les autorités compétentes pour recueillir et traiter les alertes externes, parmi les autorités administratives ou indépendantes, les ordres professionnels ou autres et, d’autre part, déterminera les conditions et délais pour accuser réception des signalements et fournir un retour d’information aux lanceurs d’alerte.

En outre, pour que la protection soit effective, le législateur a aussi renforcé les garanties de confidentialité en matière de signalement, tout en complétant la liste des représailles prohibées (intimidation, atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux, orientation abusive vers des soins, inscription sur une liste noire…). Par ailleurs, le fait de faire obstacle à la transmission d’un signalement est sanctionné en tant que « procédure-bâillon » comme dans la loi de 2016, toutefois l’amende civile passe de 30 000 à 60 000 euros pour sanctionner la personne qui essaie de faire renoncer un lanceur d’alerte à ses objectifs.

Le législateur a aussi modifié l’article 225-1 du Code pénal afin d’interdire les actes de discrimination, non seulement à l’égard des lanceurs d’alerte, mais aussi des tiers ayant joué un rôle actif à leur côté. En complément, il étend l’irresponsabilité civile et pénale des lanceurs d’alerte du fait de leur signalement, même si cela cause certains préjudices, y compris pour avoir intercepté des documents confidentiels. Il est ainsi prévu que le lanceur d’alerte ne pourra être inquiété ni civilement pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés, ni pénalement pour avoir intercepté et transmis lors de son alerte différents documents confidentiels, contenant des informations auxquelles il aura pu accéder licitement.

Enfin, ayant encore pour objectif de faciliter les démarches et d’encourager les personnes à faire ces signalements, la loi intervient en matière de limitation du coût financier des procédures à engager, montant qui peut être considérable et qui sera atténué par le versement d’une provision pour frais de justice par le juge. Par ailleurs, si la preuve que la situation financière de l’intéressé s’est dégradée après son signalement est rapportée, il est prévu qu’une autre provision peut lui être allouée, y compris s’il perd son procès. Dans le but de l’aider, il sera sans doute aussi pertinent de le faire bénéficier non seulement d’un soutien financier mais aussi d’un soutien psychologique.

Cette nouvelle réforme garantit une protection effective et efficace aux lanceurs d’alerte ou à des personnes qui ont essayé de faire bouger les choses, comme Émile Zola dans son célèbre « J’accuse ». Elle permet de poursuivre les efforts réalisés depuis ces dernières années car la protection des personnes qui se risquent à faire de tels signalements est devenue un véritable marqueur démocratique. Surtout, il fallait éviter des retombées pour les personnes osant lancer des alertes en vue de garantir que des signalements pourraient continuer à être transmis ce qui réduirait les risques encourus par la population. Assurément le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte garantit parallèlement une meilleure protection à la population, en écartant ou limitant certains dangers, ce qui devait conduire à les considérer à leur juste valeur.

Ce nouveau dispositif protecteur n’est toutefois pas encore entré en vigueur car, conformément à l’article 18 de la loi il ne va s’appliquer qu’à compter du 1er septembre 2022, à savoir le premier jour du 6e mois suivant la promulgation de la loi. Il est aussi prévu qu’un décret précisera la liste des autorités compétentes pour recueillir et traiter les alertes, en fixant les conditions et délais dans lesquels elles devront accuser réception des signalements (sept jours maximum) et fournir un retour d’information aux lanceurs d’alerte (trois mois ou six mois si cela est justifié).

Tout ceci permettra de doter la France d’un système de protection des lanceurs d’alerte cohérent, complet, performant et de donner aux lanceurs d’alerte leur juste place dans notre démocratie en tenant compte du fait qu’ils peuvent permettre aux personnes d’éviter des situations dangereuses ou d’y échapper au plus vite. Ces personnes qui font le nécessaire pour enclencher un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation collective doivent être aidées et leur liberté d’expression soutenue, ce sont les objectifs poursuivis par le législateur.