Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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VACCIN CONTRE L’HEPATITE B ET SCLEROSE EN PLAQUES : L’INCONSISTANCE DES PRESOMPTIONS, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France STEINLE-FEUERBACH
Professeur émérite de droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Commentaire de Civ. 1ère, 18 octobre 2017 (n° 14-18.118 l’arrêt ) et Civ. 1ère, 18 octobre 2017 (n° 15-20.791 l’arrêt).

 

Par ces deux arrêts, rejetant les pourvois formulés après le refus des cours d’appel de reconnaître la responsabilité du fabricant du vaccin contre l’hépatite B, la première chambre civile tire ses conclusions de l’arrêt rendu le 21 juin 2017 par la CJUE en renforçant l’exigence probatoire.

Mots clef : Lien de causalité – présomptions – produits défectueux – santé – sclérose en plaque – vaccin contre l’hépatite B

 

Les deux affaires ont trait au contentieux du vaccin contre l’hépatite B et à l’établissement du lien de causalité entre l’administration de ce vaccin et l’apparition postérieure d’une sclérose en plaques. Selon l’article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant en droit interne la directive du 25 juillet 1983, il appartient au demandeur d’établir à la fois le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. S’agissant plus précisément du vaccin contre l’hépatite B, la difficulté réside dans l’absence de certitude scientifique quant à l’administration du vaccin et le développement ultérieur d’une sclérose en plaques. Si la Cour de cassation a parfois été favorable au demandeur, elle a également refusé de reconnaître la responsabilité du fabricant, notamment dans les deux affaires qui ont conduit aux arrêts du 18 octobre 2017.

Un bref résumé de leurs parcours judiciaires est nécessaire pour apprécier pleinement l’importance de ces deux arrêts prononcés suite à un pourvoi contre un arrêt d’appel rendu sur renvoi après cassation (D. actualité, 31 oct. 2017, obs. A. Hacene) et dans le prolongement d’un arrêt de la CJUE.

Pour la première affaire (pourvoi n° 14-18.118) concernant M Jack… la Cour de cassation, avait rendu un premier arrêt sur pourvoi des ayants-droit de M Jack … décédé (Civ. 1ère, 26 sept. 2012, n° 11-17.738 : D. 2012, p. 2304, obs. I. Gallmeister ; p. 2853, note J.-S. Borghetti ; RCA 2012, comm. 350, S. Hocquet-Berg) et la cour d’appel de Paris, cour de renvoi, avait rejeté les demandes de ces ayants-droit le 7 mars 2014. S’agissant de la seconde affaire (pourvoi n° 15-20.791 : JCP G 2017, 1220, note G. Viney) concernant Mme Aline…, après un premier arrêt de cassation, cette fois sur pourvoi du producteur, la société Sanofi Pasteur (Civ. 1ère, 10 juill. 2013, n° 12-21.314 : D. actualité, 25 juill. 2013, obs. T. Douville ; D. 2013, p. 2315, note J.-S. Borghetti ; JCP G 2013, 1012, note B. Parance ; M.F. Steinlé-Feuerbach, « Vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques : l’imbroglio de la causalité ! », JAC n° 137, oct. 2013), la cour d’appel de Paris, également cour de renvoi, avait rejeté les demandes de la patiente le 17 avril 2015.

Avant de se prononcer à nouveau dans la première affaire, la Cour de cassation avait renvoyé à la CJUE trois questions préjudicielles relatives à l’établissement de la preuve du lien de causalité entre la sclérose en plaques développée par un patient après une vaccination contre l’hépatite B et le défaut du vaccin (Civ. 1ère, 12 nov. 2015, n° 14-18.118 : RCA n° 2, fév. 2016, comm. 60, S. Hocquet-Berg). La CJUE, interprétant l’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, ne s’oppose pas à un régime de preuve par un faisceau d’indices graves, précis et concordants mais refuse tout système de présomptions préétablies (CJUE (2ème ch.), 21 juin 2017, aff. C-621/15 N.W e.a./ Sanofi Pasteur MSD e.a. : D. actualité, 28 juin 2017, obs. T. Coustet ; M.F. Steinlé-Feuerbach, « Vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques : la CJUE admet la preuve par faisceau d’indices », JAC n° 168, juin 2017).

La Cour de cassation s’appuie sur l’arrêt de CJUE pour énoncer que les juridictions nationales doivent veiller à ce que le régime probatoire qu’elles mettent en oeuvre n’aboutisse pas à renverser la charge de la preuve et elle insiste sur la double preuve : celle de l’imputabilité du dommage au produit de santé et celle de la défectuosité de celui-ci. En conséquence, elle refuse dans les deux arrêts de reconnaître le lien de causalité (I) et, dans le second arrêt, la défectuosité du produit lors des vaccinations (II).

I. L’introuvable faisceau de présomptions

 La Cour rejette un à un tous les arguments des parties en faveur de la vraisemblance de l’imputation de la pathologie au vaccin. Ainsi, la date de l’apparition des premiers symptômes ne constitue en rien un élément allant dans le sens de leur demande. Dans le cas de M Jack…, trois injections d’un vaccin produit par les laboratoires Sanofi Pasteur lui ont été administrées les 26 décembre 1998, 29 janvier 1999 et 8 juillet 1999. Il a ressenti des troubles dès le mois d’août suivant la dernière injection et une sclérose en plaques a été diagnostiquée au mois de novembre. La Cour considère que la brièveté du délai entre sa vaccination et les troubles n’est pas pertinente. Pour se faire elle a recours à une formule générale qui pourrait bien faire échec aux recours des dates comme élément positif de présomption : « des études scientifiques ont admis que, lors de l’apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique a probablement déjà commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant ». Faut-il en déduire que le producteur profitera désormais non seulement de l’incertitude scientifique quant au lien de causalité mais encore d’une certitude quant à l’apparition de la sclérose en plaque déduite des études ?

Pour Mme Aline…, laquelle a subi trois injections de vaccins en 1986, puis dix autres jusqu’en 1993 le diagnostic de la pathologie a été établi en 1998. La Cour se réfugie ici notamment derrière le nombre d’injections pour réfuter le lien de causalité « en raison de la difficulté à dater précisément les premiers troubles…, de la multiplicité des injections pratiquées », tout en se référant également à « des éléments de nature scientifique remettant en cause la durée du délai jusqu’à présent admise pour caractériser l’existence d’un défaut ».

Faut-il déduire des arrêts du 18 octobre 2017 que le producteur profitera désormais non seulement de l’incertitude scientifique quant au lien de causalité mais aussi d’études scientifiques récentes en sa faveur ?

Après avoir réfuté les arguments relatifs aux dates, la Cour balaie ceux qui relèvent de la situation personnelle des patients. Elle affirme que « l’ignorance de l’étiologie de la sclérose en plaque ne permet pas de considérer que l’absence d’autres causes éventuelles de cette maladie chez Jack… et d’antécédents neurologiques personnels constitueraient des éléments de présomptions en faveur d’un lien de causalité » et qu’« il en est de même de l’absence d’antécédents familiaux chez ce dernier, 92% à 95% des malades atteints de sclérose en plaque n’ayant aucun antécédent de cette nature ». Ce raisonnement s’applique également à la situation de Mme Alice…

Une fois encore, la Cour joue sur deux tableaux : sur les incertitudes scientifiques, d’une part, et sur les connaissances scientifiques, d’autre part, pour écarter toute présomption de causalité.

 

II. L’absence de défaut du vaccin à la date des vaccinations

Aux termes de l’article 1386-4 du Code civil, devenu article 1292, « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. »

Il appartient à la patiente de démontrer la défectuosité du vaccin et la Cour de cassation s’attache tout particulièrement à ne pas renverser la charge de la preuve en précisant que « les doutes sérieux exprimés par certains experts sur l’existence d’un lien entre le vaccin et la maladie ne peuvent constituer une présomption, dès lors que le défaut du vaccin ne peut se déduire de l’absence de preuve scientifique de l’innocuité du produit ».

Ainsi, s’agissant de la multiplicité des vaccins administrés à Mme Aline… la Cour considère que si les expertises expriment un doute sur l’utilité de si nombreuses injections, cet élément ne constitue pas une présomption de défectuosité. Au-delà, la Cour prend une position plus générale quant au défaut qui pourrait résulter de la présentation du produit en s’appuyant sur la date des vaccins. La première chambre civile avait déjà retenu un tel défaut (Civ. 1ère, 9 juill. 2009, n° 08-11.073 : RCA oct. 2009, p. 7, note C. Radé ; RTD civ. 2009, p. 735, obs. P. Jourdain) en se référant à l’édition 2003 du dictionnaire Vidal et à la notice ultérieure du vaccin mentionnant, au titre de ses effets indésirables possibles, la poussée de sclérose en plaques ; elle en avait conclu que le vaccin, administré en 1997, était défectueux dès lors qu’il ne contenait pas cette information. Quatre années plus tard, la Cour de cassation en se référant toujours au Vidal, en l’occurrence à l’édition de 1994, et à la notice ainsi qu’à une enquête de pharmacovigilance de la même année pour en tirer des conclusions opposées à celles de l’arrêt de 2009 : les vaccins ayant été administrés entre 1986 et 1993, il ne peut être reproché un défaut d’information à la société Sanofi.

Ainsi, loin des considérations générales qui ont pu prévaloir par le passé, la Cour se fonde sur un élément objectif qui est l’antériorité de la vaccination, par rapport aux publications scientifiques. En clair, il ne saurait y avoir de défectuosité quant à la présentation pour les vaccins mis en circulation avant 1994. Il est vrai que si la responsabilité du producteur était reconnue dans ces circonstances, il pourrait facilement invoquer l’exonération pour risques de développement. La position de la première chambre civile n’est pas dépourvue de logique, il est cependant permis de regretter le « couperet » de la date et d’avoir quelques interrogations sur les connaissances de producteur à peine un an avant l’enquête de pharmacovigilance.

Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation interprète l’arrêt de la CJUE de manière la plus favorable possible au producteur. Espérons qu’elle n’occultera pas pour l’avenir deux des objectifs de la directive 85/374/CEE, rappelés également par la CJUE, qui sont d’assurer une juste répartition des risques inhérents à la production technique moderne entre la victime et le producteur et de protéger la sécurité et la santé des consommateurs.