Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

CHRONIQUE DU DOMMAGE CORPOREL, DU DROIT DES VICTIMES ET VICTIMOLOGIE, C. Lienhard et C. Szwarc

Claude Lienhard

Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,

Professeur émérite à l’Université Haute-Alsace,

Directeur honoraire du CERDACC

et

Catherine Szwarc

Avocate spécialisée en droit du dommage corporel

I – Droit du dommage corporel

  1. Rente AT, un important et opportun revirement jurisprudentiel qui densifie la réparation intégrale

Ce sont deux arrêts du 20 janvier 2023 qui feront date (A LIRE ICI et ICI ).

La rente accident du travail ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Ce revirement de jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation, déjà largement commenté par les meilleurs plumes du dommage corporel, ressemble à un véritable « Tsunami » qui va avoir des répercussions aussi sur le droit commun.

L’essentiel

« Mais sur le moyen, pris en ses trois dernières branches

4. Les ayants droit font grief à l’arrêt de rejeter leur demande d’indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime, alors :

« 2°/ qu’eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d’incapacité permanente défini par l’article L. 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon – CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l’évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l’interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu’à la condition de n’être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19- 13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu’il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d’indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d’appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l’atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

3°/ que lorsqu’en conséquence de la maladie ou de l’accident, la victime souffre d’une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d’un capital quand le taux de l’incapacité est inférieur à 10 %, et d’une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage – en contrepartie de la responsabilité sans faute de l’employeur, l’indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l’évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l’interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu’à la condition de n’être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu’en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d’appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

4°/ qu’indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu’en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d’appel a violé l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale :

5. Selon les deux premiers de ces textes, la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle atteinte d’une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu par l’article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d’incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

6. Selon le dernier de ces textes, indépendamment de la majoration de la rente qu’elle reçoit en vertu du troisième, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

7. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvois n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).

8. Elle n’admet que la victime percevant une rente d’accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu’à la condition qu’il soit démontré que celles-ci n’ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11- 21.015, Bull. 2013, II, n° 48).

9. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d’éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu’une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d’incapacité permanente défini à l’article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.

10. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n’indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

11. Enfin, le Conseil d’Etat juge de façon constante qu’eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d’incapacité permanente défini à l’article L. 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et que dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d’une telle rente ne saurait s’exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065).

12. L’ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

13. Pour rejeter la demande des ayants droit en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, l’arrêt retient que celle-ci était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu’elle n’avait subi aucune perte de gains professionnels ni d’incidence professionnelle. Il en déduit que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

14. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

2. Secret médical

L’étendue du partage d’informations couvertes par le secret médical a encore due être précisée par le Conseil d’Etat le 15 novembre 2022 en raison des violations du secret professionnel par les médecins-conseils des compagnies d’assurances A LIRE ICI .

Conseil d’État 441387, lecture du 15 novembre 2022,

ECLI:FR:CECHR:2022:441387.20221115

Decision n° 441387

Conseil d’État

N° 441387

ECLI:FR:CECHR:2022:441387.20221115

Mentionné aux tables du recueil Lebon

L’essentiel

5. Il résulte des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a relevé que Mme D…, médecin-conseil de la société Axa assurances, couvrant le poids-lourd impliqué dans l’accident dont a été victime M. B…, a communiqué à l’expert judiciaire désigné par le juge des référés le rapport d’expertise concernant M. B… réalisé lors de la procédure amiable par le médecin-conseil de la compagnie d’assurance de la société Macif assurances, auprès de laquelle M. B… était assuré, sans que M. B… n’ait donné son accord préalablement à cette communication. Elle a ensuite jugé que la communication d’un rapport d’expertise, réalisé dans le cadre de la procédure d’indemnisation amiable, par un médecin-conseil d’une compagnie d’assurance au médecin chargé d’une expertise médicale par le juge des référés d’un tribunal de grande instance aux fins d’évaluer le préjudice subi par une victime, sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable à une telle transmission, n’est pas constitutive d’une méconnaissance des dispositions citées au point 2, dès lors que l’obligation de respecter le secret médical s’appliquait aux deux médecins et que l’échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice. En statuant ainsi, alors qu’il résulte de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique cité au point 2 que le partage d’informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d’une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, ce à quoi l’article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a entaché sa décision d’erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède que M. B… est fondé à demander l’annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins du 16 mars 2020 qu’il attaque. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de Mme D… la somme que M. B… demande au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. B… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

3. Le ressenti du dommage, de l’indemnisation et de la réparation vers une approche complémentaire ?

Le ressenti est désormais une approche utilisée et diffusée.

Ici les températures ressenties : A LIRE ICI

Là, les mètres carrés ressentis : A LIRE ICI

Il n’est pas donc pas illégitime de s’interroger dans nos pratiques indemnitaires sur ce phénomène que l’on peut percevoir souvent dans circonstances précises et à des moments particuliers du processus indemnitaire, entre autres, notamment :

– lors de la notification des offres indemnitaires

– au moment de la proposition de provision

– lors de l’énoncé des sanctions pénales

Bien sûr, il ne s’agit pas à ce stade de constat d’en tirer des conclusions mais plutôt d’allumer des clignotants, de repérer ces situations et de les analyser.

Nous aurons à y revenir.

4. La dette de soins

La dette de soins due au retard dans les soins a été mise en évidence par la covid et renvoie à l’accès aux soins.

La question de l’égalité d’accès aux soins ne peut pas être étrangère à la réparation intégrale tout comme la vulnérabilité préalable de certaines victimes qui les exposent à un parcours indemnitaire incertain et rude de privation.

L’intégration dans les dispositifs d’aide aux victimes de la dimension d’assistantes sociales est un indice fort de la nécessité d’une tierce personne administrative, pivot et support des démarches médico-légales en lien avec l’avocat et le médecin conseil et tous les autres acteurs .

La technicité initiale et finale du processus doit être accompagnée depuis le début pour éviter des discriminations et des injustices.

Encore des pistes à explorer.

II – Droit des victimes

  1. La question de la création d’un statut pour les enfants et les familles victimes de féminicide

Il n’est pas sans intérêt de prendre connaissance de cette initiative sous forme de pétition.

A LIRE ICI

« Le Grenelle des violences conjugales, lancé par le gouvernement en septembre 2019, a mis en lumière la situation des femmes victimes de violences conjugales, ce qui a abouti à certaines mesures pour lutter contre ce phénomène sociétal. Cependant, tout ou presque reste à faire en faveur des enfants et de la famille proche des victimes du féminicide.

C’est pourquoi nous vous demandons, Monsieur le Président de la République et Monsieur le secrétaire d’Etat, la création d’un statut de victime pour les enfants et la famille des femmes victimes de féminicides.

Inspiré notamment du modèle législatif italien visant à protéger les “enfants de féminicides”, ce statut serait intégré au sein d’une charte nationale et regrouperait l’ensemble des droits* dont la victime pourrait bénéficier, comme par exemple :

  •             La prise en charge psychologique des victimes en psycho trauma, lors de l’annonce du décès
  •             La prise en charge du nettoyage des scènes de crimes                 
  •             La mise en place d’un suivi médico-psychologique en psycho trauma gratuit sur la durée
  •             La suspension de l’autorité parentale du parent meurtrier entre le jour du meurtre et celui du jugement définitif
  •             L’élargissement du protocole féminicide de Seine Saint-Denis à la France entière (dispositif qui prévoit le placement provisoire en urgence des enfants suite à un féminicide. Ceux-ci sont confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance pour évaluation et hospitalisés en pédiatrie avec des soins en pédopsychiatrie pour une durée de 3 à 8 jours, avec des droits de visite suspendus pendant cette durée, afin d’évaluer à qui confier l’enfant : la famille biologique, une famille d’accueil…) »
  •             Un suivi particulier afin de faciliter l’accès aux études et à l’emploi : bourses d’études, mesures d’incitations à l’embauche, accompagnement financier et social à l’autonomie …

Cette initiative est désormais relayée par des parlementaires.

2.  Avancées procédurale pour les victimes

Le nouvel article 10-4 du code de procédure pénale renforce le droit à l’accompagnement de la victime par un avocat à tous les stades de l’enquête et permet lors des auditions, à l’issu de celles-ci, la présentation d’observations écrites.

III – Victimologie

  1. Décret n° 2023-72 du 6 février 2023 portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Témoignages CIIVISE » (A LIRE ICI )

Notice : le décret crée un traitement de données à caractère personnel, dénommé « Témoignages CIIVISE », ayant pour objet de recueillir les témoignages volontaires des victimes d’inceste ou d’autres violences sexuelles subies alors qu’elles étaient mineures, ou de tiers souhaitant témoigner de tels faits. Il permet à la CIIVISE de mettre à disposition des victimes un espace d’expression adapté et d’améliorer la connaissance du phénomène des violences sexuelles sur mineurs, notamment par la publication de certains témoignages. Le décret détermine les finalités du traitement, les catégories de données à caractère personnel enregistrées dans le traitement, les destinataires et la durée de conservation de ces données, ainsi que les modalités d’exercice de leurs droits par les personnes concernées.

2. Rue Erlanger : le procès d’un incendie et d’un responsable

On peut, dans une optique sociologique, approcher un procès juste au travers des titres de la presse écrite.
C’est très éclairant.

3. Mediator, la BD

Cela s’appelle de la docu-BD (Edition Delcourt, 2023). C’est précis, documenté, démonstratif. Écrit et dessiné à trois plumes, journalistique (Eric Giacometti), médicale et lanceuse d’alerte (Irène Frachon) et le dessinateur François Duprat, cet ouvrage fera date par sa pédagogie intelligente et accessible.

A LIRE ICI