COMPTE-RENDU DE LA JOURNÉE D’ÉTUDE SUR « QUELLE PLACE POUR LES VICTIMES DANS LES PROCÈS CLIMATIQUES ? TÉMOIGNAGES ET FORMALISATIONS DES EXPERTS », F. Mbarga Nguele
Franck Mbarga Nguele
Doctorant en droit privé et sciences criminelles au CERDACC
Doctorant-salarié au sein du cabinet d’avocat de Maitre Bergmann
Une journée sur le thème « Quelle place pour les victimes dans les procès climatiques ? Témoignages et formalisation des experts » a été organisée sous l’égide de Sciences Po Aix par M. Christophe Traïni, professeur à Sciences Po Aix, le 18 mai 22. Cette journée a permis aux participants de se tenir à jour du statut juridique des victimes dans les procès climatiques, des avancées en la matière, ainsi que des perspectives pour une meilleure judiciarisation des atteintes environnementales, grâce aux interventions de chercheurs chevronnés et à un temps d’échange fructueux.
Après l’ouverture de la journée par Mme Sandrine Maljean-Dubois, directrice du centre de recherche CNRS-DICE, la première partie a porté sur la difficile identification des plaignants dans le cadre d’une mobilisation collective.
L’intervention Mme Clothilde Baudouin, coordinatrice de « Notre Affaire à Tous », association de lutte contre les dérèglements climatiques par le droit, a porté sur « People’s climate case. 10 familles plaignantes devant la justice européenne ». Elle a présenté un exemple de cas traités dans le cadre de ses missions au sein de l’association « Notre Affaire à Tous », en l’occurrence l’affaire dite people’s climate, qui est un recours initié en mai 2018 et coordonné par l’association européenne Climate Action Network et dont les victimes regroupaient dix familles dont huit européennes, une kényane et une fidjienne. Leur recours était motivé par la dénonciation des conséquences des dérives climatiques sur leurs droits fondamentaux. Elles demandaient à la commission européenne et au parlement européen davantage d’ambitions climatiques. Ce recours connaitra une fin de non-recevoir au motif que les plaignants n’avaient pas d’intérêt à agir. Par ailleurs, l’intervenante faisait remarquer que malgré la fin de non-recevoir dont avait l’objet le recours ainsi initié, ce dernier a néanmoins était utile à plus d’un titre. Notamment parce qu’il aura permis de donner la parole aux victimes, il s’est inscrit dans la lignée d’autres recours intentés dans toute l’Europe et a été la source d’une forte mobilisation de toutes les parties prenantes.
La mobilisation est-elle le nouveau bras armé du contentieux climatique ? C’est précisément en cela qu’a constitué l’intervention de M. Christophe Traïni, Professeur de Science politique à Sciences Po Aix sur #TémoinDuClimat. « Une mobilisation numérique pour soutenir un contentieux climatique ».
En effet, face à l’inertie du politique à endiguer les dérives du climat en prenant des mesures fortes et face à la difficile judiciarisation des enjeux climatiques, les parties prenantes dans la lutte contre les changements climatiques font usage de moyens innovants pour une prise en compte effective par le droit des atteintes à l’environnement, c’est le cas de la mobilisation numérique. Celle-ci s’articule autour de deux points tirant leur source de l’affaire dite du siècle [1] à savoir l’usage contestataire du droit, qui s’intéresse à la façon dont les actions collectives protestataires s’emparent du droit et la mobilisation multisectorielle qui décrit la manière dont se déploie la mobilisation numérique au sein de diverses arènes sectorielles, notamment les arènes du militantisme, médiatique et judiciaire.
La mobilisation numérique se pose alors comme un nouvel outil de propagande climatique afin de forcer les politiques à travers l’action militante et médiatique à prendre des mesures qui s’imposent, donnant ainsi un nouvel élan au contentieux climatique notamment en ce qui concerne le statut juridique de la victime climatique.
Qui sont donc les victimes dans le procès climatique ? Mme Christel Cournil, Professeur de droit public à Sciences Po Toulouse s’est penchée sur la détermination des victimes des procès climatiques, lors de son intervention sur « De multiples procédures, des victimes à géométrie variables ». La question du statut juridique de la victime climatique dans les procès relatifs u climat se pose avec acuité eu égard aux enjeux à la fois politiques et juridiques que ces procès révèlent. L’intervenante souligne que cette notion s’affranchit de la conception traditionnelle de victime telle que systématisée en droit. Alors que classiquement celle-ci désigne une personne physique ou morale qui a subi un dommage, ayant engendré un préjudice et sujette à une réparation intégrale, la victime climatique est une catégorie sui generis dont le préjudice résulterait des impacts du changement climatique mettant ainsi en péril la vie des personnes. Or, force est de constater que dans la survenance de ce fait générateur, l’auteur du dommage et la victime de celui-ci s’avèrent être la même entité, ce qui rend la mise en œuvre de leur responsabilité hypothétique. A cet égard, l’intervenante souligne que la victime climatique est un « impensé du droit » car il s’agit d’une notion non juridiquement reconnue, qui ne répond à aucun statut juridique en particulier, mais que l’on peut néanmoins assimiler à la notion de victime environnementale. L’intervenante a conclu son propos en faisant constater que, la victime climatique est une notion mal connue, sinon méconnue du droit. Sa construction tire sa source dans les récits judiciaires et approches compassionnelles « écocentrés ». C’est une victime géolocalisée mise en perspective dans les territoires et localités touchées par des dérèglements climatiques. C’est en dernier lieu une « Ecovictime » personne humaine ou non humaine, dont la conscience de voir la nature se désagréger et courir à sa perte peut provoquer une anxiété permanente, on parle alors « d’éco-anxiété ».
La seconde partie de la journée était relative à la définition de la notion d’éco-anxiété et à son caractère réparable par le juge.
Mme Karin Weiss, Professeur de psychologie sociale et environnementale à l’Université de Nîmes débute son intervention relative à « l’éco-anxiété : les impacts psychologiques de la crise climatique », en soulignant la difficulté de conceptualisation et le manque de consensus sur la notion de l’éco-anxiété. En effet la notion d’éco-anxiété obéit à des univers sémantiques divers et variés mettant au prise plusieurs acceptions. Certains auteurs parlent d’éco-inquiétude, d’autres en revanche mettent en avant l’idée d’un stress écologique c’est-à-dire la capacité à faire face au stress et à l’incertitude par rapport à l’avenir de l’environnement. D’autres en outre font état d’une peur invalidante résultant de l’impossibilité et de l’incontolabilité des dérives environnementales. D’autres enfin mettent en exergue l’idée de la crainte de voir dans un avenir plus ou moins proche l’environnement se dégrader. Une telle crainte pouvant être à la fois écocentrée (relative au devenir de l’environnement) ou égocentrée (l’avenir de l’individu dans un environnement qui court à sa perte).
En tout état de cause, ce qui demeure commun dans toutes ces acceptions c’est cette palette d’émotions négatives associées aux problématiques environnementales ce qui ne se réfère pas nécessairement aux troubles anxieux au sens pathologique du terme. On parle alors d’une « émotion morale » plutôt que de pathologie. A ce propos, une étude de psychologie clinique des personnes sujette à l’éco-anxiété révèle que ces dernières souffrent souvent d’autres pathologies dès lors l’idée de l’éco-anxiété comme une pathologie doit être écartée. Aussi, convient-il de considérer l’éco-anxiété comme une forme de lucidité d’un environnement qui se meurt, au point qu’on devrait plutôt parler d’éco-lucidité.
Enfin, sur le point de savoir qui peut être sujet à l’éco-anxiété, l’intervenante détermine plusieurs catégories de sujets pouvant y faire face. Il s’agit entre autres des jeunes, des personnes anxieuses de façon générale, des populations confrontées aux indicateurs de changements climatiques de façon quotidienne et plus flagrante comme les agriculteurs, des personnes ayant été impactées par des événements climatiques extrêmes et finalement les personnes vulnérables.
A cet effet, il apparait constant de considérer que la victime climatique souffre d’un préjudice qui peut raisonnablement résulter de cette crainte de voir l’environnement se dissiper. Cependant le préjudice d’éco-anxiété est-il réparable par le juge ?
Mme Laura Canali, doctorante en droit au CERIC, Aix-Marseille Université dans son analyse intitulée « l’éco-anxiété, préjudice réparable par le juge ? » souligne que la question de la réparation du préjudice d’éco-anxiété doit être pensée dans un contexte de subjectivation du droit dans la mesure où le sort de la victime, y compris sur le volet de son ressenti personnel, est de manière accrue pris en considération, le préjudice devenant un élément incontournable du schéma de la responsabilité.
A cet égard, s’il est arrivé que les juges (judiciaire et administratif) soient amenés à connaitre des litiges liés au préjudice d’anxiété de manière générale, (Anxiété liée à la proximité d’une antenne de téléphonie mobile, CA Versailles, 4 févr. 2019, n° 2009-000135 ; Anxiété du patient porteur d’une sonde cardiaque défectueuse, Cass. 1re civ., 19 déc. 2006, n° 05-15.721, Anxiété liée à une contamination VIH, CE, 18 mai 2011, n° 326416, Anxiété du salarié exposé à l’amiante, CE, 3 mars 2017, n° 401395, Min. Défense c/ Pons) le préjudice d’éco-anxiété lui demeure à ce jour non réparable par le juge français (CAA Lyon, 29 nov. 2021, n°19LY04397, : CAA de PARIS, 1ère chambre, 11/03/2021, 19PA02868, Cour de cassation, Chambre sociale, 6 février 2019, n°17-20.608).
Toutefois, dans une démarche purement prospective, il y a lieu de penser une possibilité de réparer le préjudice d’éco-anxiété et de questionner l’opportunité de consécration de cette notion. Pour ce faire, il convient tout d’abord d’identifier le préjudice d’éco-anxiété en définissant sa nature (patrimoniale ou extrapatrimoniale). Il sera ensuite judicieux de définir ses contours afin de savoir s’il s’agit d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique, d’une exposition à un risque ou enfin une atteinte à l’intégrité environnementale. Ce travail d’identification et de définition des contours du préjudice d’éco-anxiété permettra en dernier ressort de dire si un tel préjudice obéit aux caractéristiques du préjudice réparable tel que formalisé en droit (personnel, direct et certain, légitime). Par ailleurs l’intervenante questionne le régime auquel pourrait appartenir le préjudice d’éco-anxiété si celui-ci venait à être réparable par le juge, notamment en ce qui concerne le régime de preuve. Mais aussi sur les modalités de réparation auxquelles peuvent donner lieu la réparation du préjudice ainsi mentionné. (Réparation pécuniaire en dommages et intérêts ou réparation en nature). Au demeurant, la question de l’opportunité de consacrer et de réparer le préjudice d’éco-anxiété pose une double difficulté sociale et juridique. En effet son origine sociale animée par le souci de rendre visible les émotions des personnes impliquées dans les changements climatiques ainsi que le besoin de se constituer une identité de victime rend sa consécration et sa judiciarisation difficiles.
A l’issue de cette journée les participants ont unanimement admis que les victimes dans les procès climatiques sont multiples et leur souffrance réelle. Cependant l’absence d’une mise en œuvre d’une véritable politique climatique et la difficulté du droit à se saisir des enjeux posés par l’urgence climatique sont autant d’écueils qui mettent à mal l’édification d’une justice climatique prometteuse.
Une question demeure dès lors pendante, celle de la place de la victime dans les procès climatiques : principale ou accessoire ?
[1] Recours en justice inédit en France, l’Affaire du Siècle s’inscrit dans une dynamique mondiale : partout dans le monde, des citoyennes et des citoyens saisissent la justice pour que leurs droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques.
L’ Affaire du Siècle est portée par 4 organisations de protection de l’environnement et de solidarité internationale : Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), Greenpeace France et Oxfam France. Ces associations sont co-requérantes : elles assument la responsabilité juridique et financière de ce recours exercés au nom de l’intérêt général devant le juge