Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE « LE PASSAGER AÉRIEN EST-IL CONSOMMATEUR ? », E. Desfougères et M-F. Steinlé-Feuerbach

Séminaire organisé par l’Institut François Gény et la Société Française de Droit Aérien et Spatial 

Compte-rendu par :

Éric Desfougères

Maître de conférences (H.D.R.) à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

et

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Membre de la SFDAS

Le 15 décembre 2022, le droit aérien passait virtuellement par l’Université de Lorraine à l’occasion d’un séminaire en ligne co-organisé pour la deuxième fois par l’Institut François Gény et la Société Française de Droit Aérien et Spatial (SFDAS (https://sfdas.org/) sous la présidence de Maître Patrice Rembauville-Nicolle, Président honoraire de la SFDAS. 

Après le rituel mot de bienvenue du directeur de l’Institut François Gény, Julien Lapointe, la parole est donnée à Maître Patrice Rembauville-Nicolle, lequel présidera ce séminaire avec son humour provocateur habituel. Se plaçant explicitement du côté de ses clients, les compagnies aériennes, il constate notamment qu’un passager qui a payé son billet 400 euros peut se voir attribuer une indemnité de 600 euros en cas d’annulation ou de retard ce qui représente un coût certain pour les compagnies.

C’est en revanche les passagers que défend Guy Grandgirard, Président de ADC France (première association de consommateurs de Lorraine, sise à Nancy) en répondant à la question qui lui est posée, « Le passager aérien se sent-il consommateur ? ». L’intervenant plante le décor en retraçant l’évolution du profil des passagers ainsi que celle de leurs droits. Au début des années 1920, les passagers sont des privilégiés, les compagnies aériennes le savent et respectent leurs passagers, la Convention de Varsovie est élaborée. À la fin de la première guerre mondiale, les bombardiers sont transformés en avions de ligne, puis apparaissent des avions de plus en plus rapides et dans les années 70 le transport aérien se développe, les règles de sécurité deviennent plus strictes, les passagers commencent à être soumis à des contraintes. Depuis les attentats de 2001, les contrôles ont drastiquement augmenté au point qu’il faut maintenant arriver trois heures en avance à l’aéroport. Le passager n’a plus aucune autonomie.

Monsieur Grandgirard expose une brève typologie des litiges dont l’ADC France a eu à connaître :

  • Les plateformes, certaines étant moins sérieuses que d’autres et souvent installées à l’étranger ;
  • Les agences de voyages qui proposent des séjours avec le transport inclus ;
  • Les vols secs.

Les litiges les plus fréquents concernent les retards, les annulations et les pertes de bagages. Le consommateur, qui ignore le droit conventionnel, a l’impression d’être dans un monde à part d’où l’intérêt pour lui de recourir à une association pour avoir une chance réelle d’obtenir satisfaction.

« Le passager aérien indiscipliné, le contrat de transport et le droit de la consommation » est le thème confié à Pascal Dupont, Conseiller juridique, Chargé d’enseignement et Secrétaire général de la SFDAS (P. M. Dupont, Manuel de droit aérien. Souveraineté et libertés dans la troisième dimension, Ed. Pédone, 2ème éd., juin 2022). Le passager aérien est devenu, à tort, un consommateur alors qu’il devrait être soumis au droit conventionnel. A partir des années 2000, on assiste à une véritable multiplication des incidents à bord, qu’il s’agisse de consommation de cigarettes, d’ébriété, jusque plus récemment au refus de port du masque. Pascal Dupont rappelle le crash survenu près d’Orly le 11 juillet 1973 dont l’origine pourrait être un mégot mal éteint dans les toilettes ainsi que des incidents plus récents comme, en novembre dernier, le cas d’un passager alcoolisé débarqué après avoir agressé une hôtesse. Cette augmentation des passagers perturbateurs est liée au développement du caractère consumériste du transport aérien, le passager étant un client. On parle alors de PAXI (« Passager qui ne respecte pas les règles de conduite dans un aéroport ou à bord d’un aéronef ou qui ne suit pas les instructions du personnel de l’aéroport ou des membres de l’équipage et perturbe de ce fait le bon ordre et la discipline dans l’aéroport ou à bord de l’aéronef » selon la définition de l’OAC).  Le traitement des PAXI comprend un volet préventif pouvant aller jusqu’au refus de laisser embarquer et un volet répressif. Envisagé dès la Convention de Tokyo du 14 septembre 1963, il a encore été renforcé récemment avec l’adoption de l’ordonnance française n° 2022-831 du 1er juin 2022 prévoyant tout un arsenal de sanctions pénales et administratives (Éric Desfougères, « La prise en compte de certaines situations exceptionnelles dans les transports : une des premières priorités du gouvernement Borne 1 » (commentaire des ordonnances n° 2022-830 et 2022-931 du 1er juin 2022 et des décrets n° 2022-976 du 1er juillet 2022 du 1er juillet 2022 et n° 2022-978 du 2 juillet 2022) : JAC n° 219 – sept. 2022). Le traitement des PAXI s’inscrit de plus en plus dans les conditions générales des transporteurs.

Xavier Delpech, Professeur associé à l’Université de Lyon III, Président de la SFDAS, s’interroge : « Le passager aérien est-il protégé comme un consommateur par le droit conventionnel ? » Pour lui, la réponse n’est pas évidente, il faut tout d’abord identifier les termes. Dans l’aviation commerciale, les compagnies sont des professionnels alors que le passager est plutôt un consommateur. Ainsi, la Cour de cassation dans un arrêt du 26 avril 2017 (Civ. 1ère, 26 avril 2017, n°15-18.970) a appliqué les dispositions du droit de la consommation sur les clauses abusives. S’agissant du droit conventionnel, la Convention de Varsovie de 1929 était plutôt un texte anti-consumériste. Le transport aérien était encore une activité dangereuse et les assureurs n’auraient pas suivi si l’indemnisation avait été intégrale. La Convention de Varsovie a permis le développement de l’aviation mais ce régime ne se justifiait plus au fur et à mesure que le transport devenait plus sûr. L’orateur résumant que si la digue s’est affaissée, elle n’a pas véritablement cédé. Les Accords IATA (International Air transport Association) ont préfiguré la Convention de Montréal de 1999 dont le régime est lui beaucoup plus protecteur des passagers. Dans son troisième considérant, le mot « consommateur » est d’ailleurs lâché pour la première fois : « Reconnaissant l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation ».

Xavier Delpech relève ainsi plusieurs dispositions consuméristes dans la Convention de Montréal :

  • Les avances de premiers secours (art. 28) ;
  • La possibilité pour le demandeur, en cas de mort ou de lésion corporelle, de porter l’action en responsabilité dans le pays de la résidence personnelle de la victime (art. 33) ;
  • L’obligation pour le transporteur de prouver la souscription d’une assurance suffisante pour couvrir sa responsabilité (art. 50).

La disposition fondamentale est l’article 17§1 (« Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement. »).

Monsieur Delpech propose ensuite d’effectuer une présentation générale du dispositif de la Convention de Montréal avant d’aborder la question de la lésion psychique.

La Convention instaure un système d’indemnisation de deux niveaux : une responsabilité de plein droit jusqu’à un niveau initial de 100.000 DTS actuellement réévalué à 128.821 DTS soit 162.831 euros puis, une présomption de faute sans limitation de montant. Ce système est très protecteur car il n’est pas nécessaire pour le passager ou ses ayant droits de prouver une faute inexcusable du transporteur pour dépasser le premier niveau d’indemnisation comme cela est le cas sous la Convention de Varsovie. Celui-ci peut juste au-delà de ce seuil s’exonérer s’il démontre qu’il n’a commis aucune négligence.

Mais qu’est-ce qu’un accident ? Des réponses ont été données par la CJUE, laquelle est autorisée à interpréter la Convention de Montréal (décision 2001/539/CE du Conseil du 5 avril 2001) ce qui en permet une interprétation uniforme. Ainsi, elle a répondu positivement à la question de savoir si le renversement d’un gobelet de café brulant sur un passager est un accident (CJUE 19 déc. 2019, aff. C-532/18 Niki Luftfahrt : JT 2020, n° 227, p. 10, obs. X. Delpech) ; elle a également qualifié d’accident la chute d’un passager sur un escalier mobile (CJUE 2 juin 2022, aff. C-589/20, X. Delpech, « Une conception large de la notion d’accident au sens de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 » : D. actu. 23 sept. 2022).

C’est enfin la lésion psychique qui est abordée : le trouble de stress post-traumatique non lié à une lésion corporelle peut-il être considéré comme une lésion corporelle au sens de l’article 17 §1 de la Convention ? La réponse vient juste d’être apportée par la CJUE (CJUE 20 oct. 2022, aff.  C‑111/21, BT c/ Laudamotion,P. Dupont et G. Poissonnier,« Le stress post-traumatique subi à l’occasion d’un vol peut engager la responsabilité du transporteur aérien » : Gaz. Pal. 6 déc. 2022, n° 40 p. 23 ; X. Delpech, « Transport international : indemnisation du préjudice résultant d’une lésion psychique » : D. actu 15 déc. 2022). [Précisons qu’il est admis depuis de nombreuses années que l’absence de blessures physiques, ou la légèreté de celles-ci, n’exclut pas l’apparition d’un traumatisme psychologique car « Il est des cas d’agression sans qu’il en résulte des blessures physiques. L’effet de sidération ou bien de débordement émotionnel peuvent constituer l’un comme l’autre le signe d’un trauma inintégrable, alors que l’examen médical peut indiquer l’absence ou la faible gravité de séquelles physiques » (J. Gortais, « Victimes et traumatisme psychique » :  Le Journal des Psychologues, févr. 1997, n° 144, p. 21)]. Au décollage d’un vol reliant Londres à Vienne, le réacteur gauche de l’aéronef a explosé entraînant l’évacuation des passagers. Une passagère a quitté cet aéronef en utilisant une sortie de secours et a été projetée à plusieurs mètres en l’air par le souffle du réacteur droit qui n’était pas encore coupé. Elle n’a pas été blessée mais depuis, il lui a été diagnostiqué un trouble de stress post‑traumatique, pour lequel elle est suivie médicalement. La Cour considère que l’article 17 §3 « doit être interprété en ce sens que : une lésion psychique causée à un passager par un « accident », au sens de cette disposition, qui n’est pas liée à une « lésion corporelle », au sens de ladite disposition, doit être indemnisée au même titre qu’une telle lésion corporelle, pour autant que le passager lésé démontre l’existence d’une atteinte à son intégrité psychique d’une gravité ou d’une intensité telles qu’elle affecte son état général de santé et qu’elle ne peut s’estomper sans traitement médical. »

Pour Xavier Delpech, c’est l’esprit de la Convention qui l’emporte et donc la protection des consommateurs. La décision de la Cour est équitable car quelle que soit la source du préjudice celui-ci doit être réparé intégralement et il doit y avoir égalité de traitement des passagers ayant subi une lésion physique ou psychique.

La Convention de Montréal permet donc bien l’indemnisation d’une lésion psychique sans qu’elle soit liée à une lésion corporelle mais il n’y a pas d’automatisme. Il faut concilier deux objectifs, l’indemnisation équitable du passager et les intérêts du transporteur, d’où une charge probatoire lourde quant à la réalité du dommage qui pèse sur la victime. L’intervenant souligne qu’il est rare que la Cour tienne compte de l’intérêt économique du transporteur.

La réparation du préjudice psychique n’est pas expressément prévue par l’article 17 mais elle ne heurte pas les canons du droit civil, la réponse de la Cour est inédite mais, selon lui, pas vraiment surprenante.

Maître Patrice Rembauville-Nicolle ajoute que la notion de lésion corporelle est discutée depuis longtemps en renvoyant à de Pontavice.

« Le passager aérien, entre protection individuelle et collective » est le thème de l’intervention suivante confiée à Lukas Rass-Masson, Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole qui démontre que le passager aérien international est un sujet de droit bénéficiant de protections multiples. Il existe une pluralité de sources de protection :

  • La Convention de Montréal sauf pour les rares États qui ne l’ont pas adoptée ;
  • Le Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 pour les retards et les annulations.

Cependant, le consommateur ne bénéficie pas d’une protection aussi importante si on se réfère aux conditions générales de transport des compagnies. Bien que selon la Directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil les passagers soient des consommateurs, se pose la question du véritable niveau de protection : à titre individuel ou comme une catégorie de personnes ? Quel est le niveau de protection le plus pertinent du passager aérien ? Derrière la protection des passagers aériens on distingue clairement la protection individuelle par rapport à la protection collective.

Lukas Rass-Masson s’intéresse ensuite aux conditions d’une concurrence non faussée au sein du marché du transport aérien international. On rentre dans une perspective macro-économique, on cherche à protéger les conditions d’une concurrence équilibrée.

En conclusion, il faut assurer une protection efficace des droits individuels, y compris par le droit international privé, mais aussi permettre l’intervention des autorités publiques, d’où l’importance d’une conception duale de la protection.

Constantin Ringot-Namer, nouvellement recruté à l’Université de Lorraine, se dit très heureux d’effectuer sa première intervention en qualité de Maître de conférences conjointement avec son directeur de thèse, Olivier Cachard, Professeur à l’Université de Lorraine, pour répondre à l’interrogation « Le passager aérien retardé ou insatisfait des prestations annexes est-il traité comme un consommateur ? » Il constate qu’il n’y a pas beaucoup de jurisprudence sur ce sujet alors que sur les sites des compagnies figurent plusieurs prestations annexes comme les repas, la vente de marchandise à bord, des réservations d’hébergement… avant de se lancer dans un bel exercice de qualification juridique. Celle de consommateur est contingente, l’article 17.1 du Règlement Bruxelles I bis du règlement (CE) du 12 décembre 2012 n° 1215/2012) à propos de la notion de matière civile et commerciale ainsi que l’article 6.1 du Règlement Rome I (règlement (CE) du 17 juin 2008 n° 593/2008) sur la loi applicable aux opérations contractuelles définissent le consommateur comme une personne qui conclut un contrat pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle. Les connaissances de la personne sont sans importance et en France le critère de la finalité du contrat est volatile.

Cette qualification est fragile car les règles de Rome I sont écartées pour les contrats de transport ; se pose donc la question de savoir si les prestations annexes font ou non partie du contrat de transport. En opérant une qualification distributive selon le critère de l’accessoire on aboutit à un panachage de qualification : si la réservation d’une place particulière est accessoire au contrat de transport il n’en est pas de même pour la restauration, sauf peut-être pour les longs courriers.

Constantin Ringot-Namer s’interroge ensuite sur l’efficacité de la qualification : la question du passager insatisfait entre-t-elle dans la Convention de Montréal ? Le doute est permis dès lors que ce cas n’entre dans aucune des causes de responsabilité du transporteur visées par la Convention de Montréal dans ses articles 17 à 20 et que son article 29 n’apporte guère une réponse très claire. Par ailleurs, la position de la Cour de cassation n’est pas totalement fixée.

Il existe cependant quelques éléments de solution comme le titre même de la Convention de Montréal qui ne vise que l’unification de certaines règles. Dans une lecture finaliste, on peut relever que la Convention consacre l’importance d’une indemnisation équitable sur le fondement de la réparation.

Si on admet qu’une compagnie aérienne peut exercer toute activité commerciale, elle doit en assumer toutes les responsabilités.

Le professeur Olivier Cachard prend la suite pour partager quelques pensées sur le sujet des retards. Ce sujet a d’abord été considéré comme anecdotique mais il a pris de l’importance en conséquence de son caractère systémique, on aboutit à un contentieux de masse. Le règlement de 2004 (règlement (CE) n°261/2004 du 11 février 2004) est sui generis, ce n’est pas tout-à-fait du droit aérien ni tout-à-fait du droit de la consommation.

Le régime est simple ou simpliste car il repose sur un barème mais dès lors qu’il y a des effets de seuil, ce qui est simpliste ne l’est plus. Il existe une dualité entre le constat du retard par le passager et la preuve de la circonstance extraordinaire exonératoire ce qui explique les questions préjudicielles sur des sommes modestes par passager, les enjeux pour les compagnies étant importants.

La jurisprudence est créative et le juge s’affranchit du cadre comme lorsqu’il assimile retard et annulation.

Le traitement procédural, ou processuel, est très variable d’un État à un autre. Quid du passager qui a oublié un moyen de droit ? Ce moyen doit-il être relevé d’office ?

Olivier Cachard évoque encore un point d’avenir, celui des modes de règlement en ligne : pourrait-il y avoir possibilité de réclamer par voir électronique ?

Les actes de ce séminaire, aussi original par sa thématique que dense par le contenu des interventions, seront publiés aux éditions Pedonne.