Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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EDITO, AU CANADA SI LOIN ET SI PROCHE ! C. Lienhard

Claude Lienhard,
Professeur de droit privé à l’UHA, avocat, ancien directeur du CERDACC

Au Canada si loin et si proche !

Les catastrophes s’inscrivent dans les mémoires collectives. Comme les mémoires humaines, elles sont sélectives, marquées par des approches culturelles et de sensibilités multiples. La catastrophe de Lac-Mégantic et son verdict peuvent et doivent nous faire réfléchir.

Rappelons les faits.

Vers 23 h 25, le 5 juillet 2013, un train de 72 wagons-citernes transportant des hydrocarbures de la MMA s’est immobilisé à Nantes, à 11 km au nord-ouest de Lac-Mégantic, pour un changement de quart de travail. Puis, sans pilote à bord, le train s’est mis à avancer, entraîné par la gravité. Le train fantôme a gagné en vitesse, puis est entré dans le centre-ville de Lac-Mégantic le 6 juillet vers 1 h 15. Près de la rue Cartier, plusieurs wagons ont explosé causant un immense incendie. Quelque 2000 personnes ont été évacuées sur les 6000 habitants que comptait Lac-Mégantic.

Le bilan des victimes s’établira à 47 morts dont 40 ont été formellement identifiés. L’identification a été particulièrement difficile car, selon les pompiers, la température a pu atteindre 3 000 °C au centre du brasier.

Le verdict a été rendu vendredi  19 janvier 2018 au palais de justice de Sherbrooke après neuf jours de délibérations.

Les trois ex-employés de la Montreal Maine & Atlantic Railway (MMA) ont été reconnus non coupables de négligence criminelle ayant causé la mort de 47 personnes lors de la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic.

La presse canadienne relate les prolongements du verdict comme suit.

Textes de Geneviève Proulx et Charles Beaudoin Radio-Canada :

« Les gens de Mégantic, avec tout ce qu’ils ont eu, nous ont montré beaucoup de courage et de résilience, a dit Richard Labrie avec empathie. Je remercie mes avocats qui m’ont supporté. »

La tension était palpable au palais de justice vendredi au moment où une enveloppe annonçant un verdict est parvenue au juge Gaétan Dumas. Plusieurs proches des victimes et des accusés étaient rassemblés dans une salle de cour bondée, mais il aurait été possible d’entendre une mouche voler.

Ç’a été dur, ç’a été long… Maintenant c’est terminé et j’espère qu’on puisse rapidement tourner la page et retourner dans notre anonymat d’avant juillet 2013.

Ému, le chauffeur de train Thomas Harding a rapidement quitté le palais de justice de Sherbrooke, trop secoué par l’émotion pour s’adresser aux médias, au dire de son avocat.

« Je connais la famille de M. Harding depuis une vingtaine d’années et c’est une famille unie et qui a des valeurs familiales et j’admire la façon dont il a porté ça sur ses épaules pendant si longtemps. Il ne peut faire autrement que de rester marqué par l’expérience de ce procès », a expliqué son avocat, Me Thomas Walsh.

C’est quelque chose qu’il [Thomas Harding] va toujours avoir comme responsabilité morale. Il ne sera jamais capable de s’en décharger.

Me Thomas Walsh, avocat de Thomas Harding

Ce n’est que plus tard en soirée vendredi que Thomas Harding s’est adressé par écrit « aux familles et aux amis des victimes de la tragédie », se disant « profondément désolé pour [s]a part dans cette tragédie. »

« Je ne trouve pas les mots suffisants pour exprimer mes sympathies », se désole Thomas Harding.

Affirmant qu’il avait lui aussi hâte de partir du palais de justice, Jean Demaître s’est simplement dit « soulagé » que le procès soit enfin terminé.

Un verdict « juste »

Les membres du jury devaient en arriver à trois verdicts distincts, comme s’il s’agissait de trois procès séparés.

« Je pense que c’est un verdict juste, a lancé l’avocat de Thomas Harding. Ç’a été long et ça nous prouve encore une fois la force de nos institutions démocratiques. Certains ont mis en doute les procès devant jury, mais je pense que ça prouve la valeur que cela a pour le système. »

« Vous comprendrez que ce n’était pas la décision que l’on attendait, mais on respecte la décision qui a été rendue et le travail exercé par le jury », a quant à elle mentionné la procureure aux poursuites criminelles et pénales Véronique Beauchamp. « Nous avons une pensée pour les familles en ce moment. »

En matinée vendredi, les jurés ont demandé de nouveaux éclaircissements au juge, tout comme ils l’avaient fait lundi et mardi.

Pour déclarer un accusé coupable, le jury devait conclure qu’il avait omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir d’accomplir et, ce faisant, qu’il avait montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, et que ce comportement avait causé la mort des 47 victimes de la tragédie.

Les accusés étaient passibles d’une peine maximale d’emprisonnement à vie.

« C’est une des accusations difficiles à prouver dans le Code criminel », a admis Me Beauchamp.

Cette dernière a refusé de commenter les propos du juge Gaétan Dumas, qui a qualifié de « faible » la preuve de la Couronne après l’isolement du jury.  

Au total, la Couronne a fait entendre 31 témoins pendant les 41 jours qu’a duré le procès. Thomas Harding, Richard Labrie et Jean Demaître n’ont pas témoigné lors du procès.

Ce verdict arrive après de longues années de procédures judiciaires. Les trois accusés avaient été arrêtés en mai 2014 avant d’être remis en liberté moyennant plusieurs conditions.

Mais aussi ces autres réactions 

« On comprend que ce sont des erreurs humaines qui sont arrivées et qu’aujourd’hui, ça pourrait encore arriver… le train continue de passer », a déclaré la mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin.

Le système en cause

Émus, plusieurs résidents de Lac-Mégantic trouvaient injuste de faire reposer le poids de la tragédie sur les trois accusés. Jean Clusiault, le père de Kathy, l’une des victimes de la tragédie, a affirmé qu’il s’agissait des « seuls et uniques verdicts possibles ».

« C’est équitable pour tout le monde. Depuis le début du procès, j’ai toujours dit que ce ne sont pas les bonnes personnes qui sont au banc des accusés », a-t-il mentionné.

« Je suis venu les yeux pleins d’eau. J’ai vécu une grande émotion, parce que je savais l’enfer que ces employés vivaient », a souligné quant à lui Yvon Rosa, l’un des survivants du Musi-Café. « Un enfer qui a handicapé leurs vies pour ne pas être responsable plus que ça de ce qui s’est produit. »

 Ce qui a mené à la tragédie de Lac-Mégantic, c’est vraiment un problème de perte de vigilance systémique qui part de Transports Canada et toute la déréglementation de l’industrie ferroviaire au pays qui a débuté dans les années 80 », fait valoir la mairesse Julie Morin.

L’ancien curé de Lac-Mégantic Steve Lemay estime que la condamnation de Thomas Harding, Jean Demaître et Richard Labrie aurait créé une « fausse illusion ».

« De condamner trois hommes, c’était de créer l’illusion que le dossier était clos. D’un point de vue humain, je trouvais difficile de faire peser le poids de cette tragédie sur trois personnes », résume-t-il.

« Il y a quelque chose qui ne va pas »

Raymond Lafontaine, qui a perdu quatre proches dans la tragédie, soit son fils, deux belles-filles et une employée, s’est toutefois montré amer envers la décision du jury.

« Quand j’ai entendu ces verdicts-là, les bras me sont tombés. Ça ne se peut pas », a déclaré d’emblée M. Lafontaine.

« Il y a quelque chose qui ne va pas. Ça ne se peut pas que trois personnes qui avaient la vie des gens en jeu aient laissé partir un train, aient pris la décision de dire au chauffeur d’aller se coucher, que ce n’était pas grave, et qu’on tombe avec un blanchiment complet », déplore-t-il.

Nous retiendrons de tout cela que la vérité ne pouvait être que judiciaire et que c’est le débat judiciaire et la loi pénale qui sont le seul curseur, mais aussi qu’au Canada c’est un jury qui se prononce.