ENTREPRISES EN DIFFICULTE ET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT : UNE PERSPECTIVE EN DROIT ITALIEN, G. Capobianco

Gianni CAPOBIANCO

Chercheur postdoctoral à l’Université de Sienne (Italie)

 

Il est de plus en plus fréquent qu’au moment de l’ouverture d’une procédure collective, les organes nommés doivent gérer une pollution héritée du passé imputable au débiteur avant sa crise, ainsi qu’à de multiples obligations et injonctions imposées par la législation environnementale (sur cette problématique, voir : G. CAPOBIANCO, Crisi d’impresa e (in)sostenibilità ambientale : Thèse de doctorat, Université de Sienne et de Foggia, 2022/2023).

Cette situation est compliquée, en l’absence de dispositions législatives spécifiques, par la coordination de deux cadres normatifs de nature opposée. D’un côté, la règlementation privée relative à la crise des entreprises (en Italie, le nouveau Code de la crise d’entreprise et de l’insolvabilité, D.lgs 12 janvier 2019, n. 14) tend à privilégier la meilleure satisfaction possible des créanciers en négligeant souvent les autres intérêts en jeu dans le cadre de la crise d’entreprise. De l’autre côté, une réglementation publique (en Italie, le Code de l’environnement, D.lgs 3 avril 2004, n. 152) met au contraire l’accent sur la protection prioritaire des biens environnementaux, en imposant des obligations et des injonctions aux responsables d’une pollution.

En ce qui concerne la réglementation italienne sur la crise d’entreprise, il n’existe pas de régulation explicite de cette problématique. Dans le nouveau Code de la crise, une seule référence explicite au mot « environnement » est présente. Comment alors concilier ces cadres normatifs opposés et les intérêts divergents qu’ils représentent ?

Pour bien examiner les termes de la question, il est nécessaire de garder à l’esprit deux données fondamentales. D’une part, l’article 41 de la Constitution italienne tel que modifié en 2022, limite l’initiative économique des personnes privées de manière à ce qu’elle ne se déroule pas de manière à nuire à l’environnement. D’autre part, l’article 191 du TFUE pose le principe fondamental « pollueur-payeur », selon lequel les coûts environnementaux sont intégrés dans les logiques de marché, internalisés comme disent les économistes dans le prix final des biens et services échangés. En définitive, le problème réside dans le fait que la crise ou l’insolvabilité d’une entreprise ayant pollué peut compromettre, en raison des effets spécifiques des lois sur l’insolvabilité, la pleine application de ces mécanismes d’allocation prévus par la Constitution et par le Traité européen, laissant ainsi à la collectivité le poids des externalités environnementales négatives produites par l’entreprise en crise. Il n’est pas anodin que, justement, un récent rapport spécial de la Cour des comptes européenne ait exprimé des préoccupations quant à l’application inégale du principe « pollueur-payeur », notamment en lien avec l’insolvabilité des entreprises (https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/polluter-pays-principle-12-2021/fr/index.html).

 

I.- Environnement et procédures collectives de réorganisation et de liquidation

La solution au problème doit être envisagée différemment selon les procédures collectives concernées. Dans une procédure de liquidation, la pollution environnementale représente un coût (une externalité négative pour les économistes), qui doit être évalué et réparti dans le cadre de la procédure. En revanche, dans les dispositifs de continuité d’entreprise, la durabilité environnementale est étroitement liée à la viabilité économique et financière de l’entreprise cherchant à se restructurer.

Dans les procédures collectives qui poursuivent l’objectif de redressement de l’entreprise en difficulté, la durabilité environnementale et la continuité de l’activité présentent une connexion plus étroite. D’une part, la durabilité environnementale peut influencer le choix, laissé exclusivement aux administrateurs, de la procédure à adopter, dans la mesure où la présence de coûts environnementaux pourrait exclure définitivement des solutions de redressement.

De plus, puisque la planification de la crise doit inclure de manière adéquate les aspects liés à la durabilité environnementale, cela fait émerger des « obstacles possibles ». Ainsi, l’approbation des créanciers est nécessaire. Or ils n’accepteront des solutions concertées que s’ils ne subissent pas une satisfaction plus défavorable que celle qu’ils obtiendraient dans un autre cadre liquidatif. Le contrôle du Tribunal jouera aussi puisqu’il est appelé à examiner les aspects de légalité de ces solutions.

Ainsi, les problématiques environnementales sont en mesure d’interférer avec le processus de restructuration de l’entreprise en difficulté de différentes manières. Elles peuvent d’abord l’empêcher, lorsque les coûts environnementaux nécessaires aux opérations de dépollution ou d’élimination des déchets s’avèrent particulièrement élevés, au point d’affecter, en pratique, la faisabilité même du plan concerté. Elles peuvent ensuite la favoriser, lorsque le « redressement environnemental », inclus de manière appropriée dans le contenu des instruments collectifs, permet de présenter l’entreprise, autrefois polluante, comme engagée sur le front environnemental, ce qui inspire confiance et soutien de la part de ses interlocuteurs, parmi lesquels les consommateurs/utilisateurs jouent aujourd’hui un rôle important. Enfin, elles peuvent la faciliter, lorsque l’intégration des problématiques environnementales dans les outils de redressement permet à des financeurs de mieux délimiter les risques environnementaux et climatiques, aspects que les banques doivent aujourd’hui nécessairement gérer.

Dans la procédure de liquidation, en revanche, il s’agit de comprendre comment le principe européen « pollueur-payeur » s’applique lorsque le débiteur responsable de la pollution perd la disponibilité matérielle et juridique de ses biens suite à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, laquelle est exclusivement orientée vers la satisfaction concurrentielle de ses créanciers. En outre, les coûts environnementaux élevés peuvent significativement réduire le niveau de satisfaction des créanciers, nécessitant des opérations coûteuses de dépollution et de sécurisation dans le cadre de la procédure.

En effet, la possibilité d’imposer au « curateur de faillite » – qui n’est pas responsable de la pollution – les obligations et ordonnances prescrites par la législation environnementale de droit public est une question qui occupe la jurisprudence administrative italienne depuis plusieurs années. Dans une affaire récente portant sur la possibilité d’adresser des ordonnances municipales relatives à l’enlèvement des déchets au curateur, l’Assemblée Plénière du Conseil d’État italien (Conseil d’État, 26 janvier 2021, n. 3) a observé qu’après la déclaration de faillite, la charge de la remise en état et du traitement des déchets doit incomber au curateur. Les coûts correspondants doivent être supportés par les créanciers. Selon le juge administratif, cela découle du fait que le curateur devient détenteur des biens sur lesquels se trouvent les déchets, maître de leur disponibilité juridique.

Dans la procédure liquidative, la présence de problématiques environnementales peut interférer avec la liquidation de deux manières. Elle empêche la liquidation elle-même lorsque la pollution environnementale rend les biens de l’actif invendables, sauf après des opérations coûteuses de dépollution et de remise en état (que la procédure ne peut pas toujours supporter, l’actif étant limité). Elle affecte la valeur de réalisation effective des biens pollués, qui doit tenir compte de ces problématiques. Par exemple, si le siège de l’entreprise est recouvert d’amiante, sa liquidation (par exemple sa vente) se fera à un prix bien inférieur à celui qui aurait été obtenu en l’absence de problématiques environnementales.

En ce qui concerne le rang à attribuer à la créance née des opérations de dépollution, un arrêt isolé de la Cour de cassation italienne (Cass. civ., sez. I, 7 mars 2013, n. 5705) l’avait qualifiée de créance « prédéductible » (c’est-à-dire, dans le système italien, une créance née au cours de la procédure collective ou qui découle de cette procédure et qui est satisfaite avant les crédits munis de privilège). La Cour de cassation a reconnu le caractère prédéductible de la créance relative aux opérations de dépollution effectuées au cours de la procédure, considérant que cela faciliterait la vente des biens de l’entreprise insolvable. En revanche, si ces coûts sont pris en charge par l’État à titre subsidiaire, parce que le débiteur est dans l’incapacité de les assumer ou parce qu’il n’est pas clairement établi qu’il en est le véritable responsable (art. 250 cod. env.), alors le Code de l’environnement prévoit un privilège immobilier spécial qui pourra être invoqué par l’État lors de la vérification du passif de la procédure (art. 253).

 

II.- La récente réforme italienne du Code de la crise : une critique

Avec la récente réforme, le législateur italien n’a pas réglementé la problématique spécifique examinée. Il ne fait qu’une seule référence au mot « environnement » dans le concordat préventif en continuité directe, à savoir la prise en compte des coûts nécessaires au respect de la réglementation environnementale (art. 87 du Code de la crise).

Cependant, cet aspect ne constitue pas une véritable ouverture du système italien de gestion de la crise à la question de la durabilité environnementale, car il n’introduit aucune évaluation prospective de la durabilité environnementale de l’entreprise à redresser. Il se limite à rappeler un élément évident, à savoir la « prise en compte » des coûts nécessaires pour respecter la législation environnementale par l’entreprise concernée.

À l’inverse, le cadre constitutionnel et la législation européenne semblent offrir une perspective bien différente, dans laquelle une entreprise (même en crise) devra fonctionner selon une approche où la réorganisation est possible uniquement si elle intègre des aspects liés à la durabilité environnementale et ne viole pas les objectifs de protection de l’environnement, aujourd’hui clairement établis dans la Constitution.

À ce sujet, il est nécessaire d’être clair. Les deux aspects, bien que semblant similaires, ne peuvent être confondus. D’une part, il s’agit d’assurer la prévision complète des coûts nécessaires au respect de la législation environnementale. D’autre part, il s’agit de développer une perspective à long terme sur la durabilité environnementale future de l’entreprise réorganisée à travers les instruments de gestion de la crise ou les procédures collectives.

En d’autres termes, à partir du cadre normatif et jurisprudentiel existant en ce moment, il semble qu’on peut dégager un principe fondamental. La réorganisation de l’entreprise en crise, tout comme ses aspects économiques et financiers, devrait également inclure des évaluations sur sa durabilité environnementale. Celle-ci doit être comprise comme la capacité de l’entreprise à se réorganiser de manière à opérer sans compromettre l’environnement qui l’entoure, dans lequel elle exerce (et continuera d’exercer) son activité.

Pour ces raisons globales, en définitive, une simple relecture des institutions du droit des procédures collectives italien à la lumière de ces aspects ne peut suffire à atteindre l’objectif. Cela risquerait, au contraire, de confier à la sensibilité environnementale, très variable selon les interprètes, l’inclusion de ces aspects dans chaque tentative individuelle de résoudre la crise de l’entreprise.

Cela soulève également quelques doutes sur la légitimité constitutionnelle de la réglementation italienne en matière de crise d’entreprise. Ces doutes reposent non seulement sur le nouvel article 41 de la Constitution, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne (Cour const. 9 mai 2013, n. 85 ; Cour const. 7 février 2018, n. 58), mais aussi dans le cadre international – en particulier la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 24 janv. 2019, Cordella et autres c. Italie, recours 54414/13 et 54264/15) – ainsi que dans le cadre européen.