Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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FERMETURE OU DETERIORATION DES SERVICES D’URGENCES : UNE MENACE SUR LE SERVICE PUBLIC HOSPITALIER ?, V. Doebelin

Vincent DOEBELIN
Doctorant en Droit public, Université de Haute-Alsace, CERDACC (ED 101). 

            Plusieurs fermetures de services hospitaliers d’urgences ont été médiatisées, dans notre pays, ces dernières années. Des fermetures particulièrement décriées, tant par la population, que par le personnel de santé et les élus locaux particulièrement dans la ruralité. Pour autant, de nouveaux projets de fermetures ou de réorganisation menacent, une fois de plus, ce service public dans plusieurs localités. C’est notamment le cas en Bourgogne Franche-Comté, où le projet régional de santé, pour la période 2018-2027, devrait être présenté par l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’ici la fin du mois de juin prochain[1].

            À Clamecy, commune de la Nièvre, mais aussi à Tonnerre, petite ville située dans le département de l’Yonne, l’heure est à la mobilisation ces dernières semaines[2]. En effet, ces deux communes, qui comptent entre 3 500 et 5 000 habitants, craignent pour le maintien de leurs services d’urgences hospitalières.

            Comme le rapporte le journal Le Monde, l’ARS de Bourgogne Franche-Comté met en avant « un manque de deux cents urgentistes dans la région » et précise que « la suppression d’une garde de nuit aux urgences de Clamecy permettrait de libérer un médecin pour d’autres hôpitaux, mais elle ne permettrait pas de conserver un service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) et un accueil des urgences à l’hôpital »[3]. L’inquiétude est également vive concernant le service d’urgences de nuit situé à Tonnerre, même si le directeur du centre hospitalier évoque davantage une réorganisation des services « qui continueront de fonctionner 24 heures sur 24 »[4]. Pour protester, trente maires de communes de la Nièvre ont envoyé leur démission au préfet de région, tandis que la démission d’élus de l’Yonne a également été envisagée. Pour Dominique Aguilar, maire (UDI) de Tonnerre, intervenant sur ce sujet lors du conseil municipal qui se réunissait le 21 février dernier, il s’agit d’être mobilisé pour maintenir « une offre de services qui donne aux citoyens de zone rurale, une égalité devant la santé »[5]. Des manifestations ont également été organisées et des collectifs créés pour défendre la pérennité de ces services.

            De son côté, Agnès Buzyn, ministre de la Santé a déclaré début mars, qu’il « y aura toujours des urgences pour prendre en charge les gens la nuit (…) à Clamecy comme partout en France grâce à un service de Samu ou d’urgence qui soit en capacité de répondre à une situation aiguë »[6].

            Il faut dire que l’égal accès au service public hospitalier, de même que sa qualité sont garantis et reconnus juridiquement. Malheureusement, des inégalités d’un territoire à l’autre et une détérioration du service public sont souvent constatées. Ces difficultés doivent nous amener à nous interroger sur l’avenir du service public hospitalier, sur l’existence ou non d’un problème structurel, sur sa qualité, mais également sur son « universalité » d’un point de vue territorial.

Un service public hospitalier garanti par la loi

            L’alinéa 1er de l’article L. 6111-1 du Code de la santé publique précise que « les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés assurent, (…) le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé ».

            Aussi, la loi du 21 juillet 2009[7] sur la réforme de l’hôpital avait supprimé la notion de « service public hospitalier » au profit d’une liste de missions de service public. La loi du 26 janvier 2016[8], sur la modernisation du système de santé, a réintroduit cette première notion tout en en précisant également les contours. L’article L. 6112-1 du Code de la santé publique prévoit ainsi que « le service public hospitalier exerce l’ensemble des missions dévolues aux établissements de santé (…) ainsi que l’aide médicale urgente, dans le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, de continuité, d’adaptation et de neutralité ».

            Si le Code de la santé publique dresse aujourd’hui une large liste de missions pour les hôpitaux et rappelle les grands principes du service public, on ne peut pas nier les difficultés rencontrées au sein de nombreux établissements de santé. L’article L. 6112-2 rappelle notamment « la permanence des soins (…) » et « l’égal accès à des activités de prévention et des soins de qualité », qui doivent pourtant être garantis à chaque patient du service public hospitalier. Au-delà des textes législatifs codifiés au sein du Code de la santé publique, c’est aussi le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui garantit « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales », mais aussi « la protection de la santé » pour chacun.

            Malheureusement, face à des restrictions souvent nombreuses dans un contexte budgétaire contraint, il semble de plus en plus difficile de garantir un égal accès des citoyens français aux établissements hospitaliers et particulièrement à des services d’urgences de qualité sur l’ensemble du territoire de la République. L’égalité, principe général du droit et principe à valeur constitutionnelle, tant liée au service public, s’efface ainsi quelque peu, laissant subsister un service public hospitalier de plus en plus affaibli et inégal.  

Inégalités et détérioration des secours dans les territoires ruraux !

            La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises met déjà en avant, dans son dernier rapport de statistiques (2017), sur les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) (en cliquant sur ce lien vous pourrez consulter les statistiques 2017 https://www.interieur.gouv.fr/fr/Publications/Statistiques/Securite-civile/2016), les inégalités qui existent dans les délais d’intervention. En effet, d’un département à l’autre, ces délais varient considérablement, créant de fait des inégalités renforcées depuis la loi sur la départementalisation des SDIS[9].  Si la région parisienne, le Haut-Rhin et le Territoire de Belfort, par exemple, affichent des délais assez courts d’intervention sur zone (moins de dix minutes), d’autres départements ruraux tels que l’Ardèche, voient leurs délais multipliés par deux.

            En 2016, 77% de interventions des différents SDIS, en France, portaient sur le secours à personnes, devenue aujourd’hui la mission principale de ces services. Si le délai moyen d’intervention des SDIS (avec traitement de l’appel d’alerte), au niveau national, correspond à un peu plus de 13 minutes, c’est ensuite la prise en charge, par les services d’urgences, qui peut demeurer parfois difficile. En effet, alors que les délais d’intervention – et souvent leur amélioration – figurent dans les différents objectifs des Schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDACR)[10], un accueil tardif aux urgences ou une prise en charge avec difficultés ruinerait considérablement les efforts entrepris par les secours à travers leur rapidité.  Finalement, à quoi bon être pris en charge rapidement par les pompiers ou des ambulanciers, s’il faut ensuite plus de 30 minutes pour arriver sur les lieux d’un service d’urgences et attendre ensuite longuement sur un brancard ? L’inquiétude est donc totale dans les secteurs où des fermetures sont craintes voire envisagées, car les élus, les patients et le personnel craignent évidemment un renforcement considérable de ces difficultés.

            Indéniablement, le secteur hospitalier souffre, et tout particulièrement les services d’urgences. Des faits illustrent cette affirmation aux quatre coins de la France, avec des conditions difficiles pour le personnel et souvent au détriment de la prise en charge des patients. Plusieurs décès ou prises en charge ont fait polémique ces derniers mois et ont été signalés par les médias :

            Par exemple, à l’hôpital Nord Franche-Comté de Belfort-Montbéliard, une patiente « est décédée d’une embolie pulmonaire dans un couloir des urgences (…) le 13 mars [2017]. Sa fille dénonce de nombreux dysfonctionnements, comme beaucoup d’autres usagers »[11], rapportait alors L’Est Républicain.

            Plus récemment, c’est à Reims, qu’une patiente est décédée aux urgences. En effet, l’Union relate le mécontentement du personnel et des ambulanciers : « À 18h30, après déjà 2h30 d’attente aux urgences pour la prise en charge de la personne qu’ils ont amenée, celle-ci a fait un malaise. Un arrêt cardiaque. Le personnel médical de l’hôpital a entrepris la réanimation à même le brancard. Le cœur n’est pas reparti. Cette personne est décédée. Le fils de cette dame de 73 ans a également contacté L’Union, pour faire part de son mécontentement et de son désarroi : ‘’Cette attente lui a peut-être été fatale, je regrette qu’elle ait tant attendu…’’ »[12].

            Une version que réfute l’hôpital, assurant d’une prise en charge en fonction de l’état de santé du patient. C’est ainsi que « l’avocat de la famille d’Yvette Mendel, décédée dans un couloir du CHU de Reims mardi 6 mars, a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne afin qu’un expert détermine si oui ou non le décès de cette septuagénaire est dû à un retard de prise en charge »[13], rapporte également BFMTV. Une décision devrait donc être rendue dans les prochaines semaines par la juridiction administrative, tandis que l’hôpital évoque, de son côté, la présence de plusieurs urgences vitales au sein de son service d’urgences ce jour-là.

 Des difficultés également dans les grandes villes : un problème structurel ?

            Au-delà des secteurs ruraux particulièrement frappés par ces difficultés, nous constatons qu’il en va de même pour les services d’urgences de certaines grandes villes, où comme à Dijon récemment, un patient a passé près de « douze heures dans une salle d’attente des urgences du CHU (…) »[14]. La presse quotidienne régionale rapporte des cas semblables dans plusieurs régions : à Nîmes où « un homme victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) a patienté toute une nuit au CHU (…), avant de décider de rentrer chez lui »[15], mais aussi à Vichy[16] et Clermont-Ferrand[17]. La situation semble, ainsi, difficile dans de nombreux établissements hospitaliers publics et privés : « Selon des chiffres fournis par le ministère de la santé vendredi 16 mars, 97 hôpitaux sur les 650 – publics ou privés – comportant une structure d’urgences avaient, au 13 mars, activé le plan ‘’hôpital en tension’’, un dispositif qui permet notamment de libérer des lits dans les différents services en reportant des opérations programmées. Une saturation inhabituelle à cette époque de l’année »[18], révèle Le Monde, il y a quelques jours.

            En 2017, un rapport d’information publié par le Sénat[19] mettait déjà en avant les difficultés du service public de l’aide médicale urgente, l’augmentation de la fréquentation de ces services et les disparités d’un bout à l’autre du territoire. Les rapporteurs y soulignaient alors le nécessaire maintien des petites structures dans les territoires, « même lorsqu’elles ont une activité faible », ce qui « permet de garantir le maillage de la population et d’assurer une certaine sécurité sanitaire ».

            Le manque de moyens semble être, à l’heure actuelle, l’une des principales causes des difficultés rencontrées par le service public hospitalier en France. Il crée assez logiquement une certaine désorganisation de l’hôpital, renforcée parfois par le recours inadapté de certains patients aux services d’urgences pour des petits maux du quotidien. Il conviendra alors de suivre l’évolution de cette situation dans les mois qui viennent, mais aussi les méthodes et moyens qui pourraient être entrepris pour réformer et solidifier à nouveau, sur l’ensemble du territoire français, les fondements d’un service public hospitalier qui semble menacé.

            Le gouvernement ne devrait-il pas désigner, auprès de la ministre de la Santé, un haut-commissaire qui serait chargé de travailler sur ces problématiques ? Le législateur ne devrait-il pas prévoir des garanties supplémentaires en matière de service public hospitalier, afin qu’il soit assuré dans de meilleures conditions et maintenu d’une manière plus sereine sur l’ensemble du territoire national ? Enfin, quelles réponses apporter au personnel médical en difficulté et engagé chaque jour pour sauver des vies ? Des mesures doivent être présentées prochainement par le Premier ministre, Edouard Philippe, qui a annoncé le 13 février 2018 un plan spécial en faveur d’une réforme de l’hôpital et de la santé publique[20].

[1] Le projet régional de santé est arrêté par le directeur de l’ARS, définissant ainsi la politique de santé au niveau régional pour les années à venir, conformément à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé (JORF du 27 janvier) et au décret n° 2016-1023 du 26 juillet 2016, relatif au projet régional de santé (JORF du 28 janvier 2016).

[2] P. Brérard, « Urgences de Clamecy et Tonnerre, les élus mettent la pression », L’Yonne Républicaine, 23 février 2018.

[3] E. Pommiers, « A Clamecy, un combat pour conserver les urgences », Le Monde, 1er mars 2018.

[4] M. Charasson, « Tonnerre : vives inquiétudes au sein du service des urgences de nuit », L’Yonne Républicaine, 21 février 2018.

[5] Conseil municipal du mercredi 21 février 2018. Les élus du conseil ont évoqué le projet de l’ARS et leurs craintes, appelant à une possible démission collective.

[6] « Urgences de nuit de Clamecy : Agnès Buzyn chahutée », FranceInfo, 02 mars 2018.

[7] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (JORF du 22 juillet 2009, p. 12184).

[8] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (JORF du 27 janvier 2016).

[9] Loi n° 96-369 du 03 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours (JORF du 4 mai 1996).

[10] Article L. 1424-7 du Code général des collectivités territoriales.

[11] Christelle Legand, « Urgences : une mort qui pose question », L’Est Républicain, 18 mars 2017.

[12] « Reims : une femme décède après 2h30 d’attente aux urgences », L’Union, 07 mars 2018.

[13] http://www.bfmtv.com/police-justice/septuagenaire-morte-dans-un-couloir-d-hopital-la-famille-saisit-le-tribunal-administratif-1392741.html

[14] Bertrand Lhote, « Au CHU de Dijon, les urgences saturent », Le Bien public, 10 mars 2018.

[15] « Victime d’un AVC, il attend huit heures aux urgences », Le Bien public, 12 mars 2018.

[16] Matthieu Perrinaud, « Les urgences de l’hôpital de Vichy au bord du burn-out », La Montagne, 08 mars 2018.

[17] Franck Charvais, « Les urgences du CHU de Clermont-Ferrand au bord de l’asphyxie », La Montagne, 11 mars 2018.

[18] François Béguin, « Les urgences hospitalières confrontées à une surchauffe inhabituelle sur l’ensemble du territoire », Le Monde, 17 mars 2018.

[19] L. Cohen, C. Génisson et R-P. Savary, Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé, Rapport d’information n° 685, Sénat, juillet 2017, https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201709/rapport_dinformation_sur_la_situation_des_urgences_hospitalieres_en_liaison_avec_lorganisation_de_la_permanence_des_soins.html

[20] Daniel Rosenweg, « Hôpital : le plan d’Edouard Philippe pour la santé divise », Le Parisien, 13 février 2018.