JAC n°136/2013
ACCIDENT COLLECTIF, COLLISION ENTRE UN TRAIN ET UN CAR SCOLAIRE A ALLINGES : UN JUGEMENT REMARQUABLE
Claude LIENHARD et Marie-France STEINLE-FEUERBACH
Commentaire du jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains en date du 26 juin 2013
Le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a eu à connaître d’une affaire particulièrement dramatique : le 2 juin 2008, une collision entre un TER et un car scolaire a coûté la vie à sept collégiens et a provoqué, à des degrés divers de gravité, des atteintes à l’intégrité physique à 49 autres (Jo. Laengy, « Actualité catastrophes », JAC n° 85, juin 2008). Le décès brutal d’enfants d’une même classe est un événement collectif provoquant une légitime émotion, il en a été ainsi pour l’accident du passage à niveau de la Calade (décès de 3 enfants et du chauffeur d’un mini-bus qui a calé sur un passage à niveau le 8 avril 1993 : trib. corr. Aix en Provence 17 décembre 1998, inédit, doc. CERDACC. ; Aix-en-Provence, 29 novembre 1999, JCP G 2000, I, 2665), l’avalanche de la Crête du Lauzet (décès de 9 collégiens et de 2 accompagnatrices le 23 janvier 1998 : trib. corr. de Gap, Jo Laengy, « Procès de Gap: les familles des victimes en quête de justice », « Catastrophe du Lauzet : les réactions des familles des victimes et de différents acteurs », JAC n° 1, fév. 2000), les noyades du Drac (six élèves et une accompagnatrice emportés, le 4 décembre 1995, par la brutale montée des eaux du Drac : Jo. Laengy, « Affaire du Drac : au fil de l’audience », JAC n° 15, juin 201, « Affaire du Drac : les deux enseignantes relaxées », JAC n°16, juill. 2001 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, note ss. Crim. 12 déc. 2000, JAC n° 10, janv. 2001 ; note ss. Lyon, 28 juin 2001, JAC n° 17, oct. 2001). C’est par une décision particulièrement riche et motivée, longue de 256 pages, que les magistrats du tribunal de Thonon-les-Bains ont apporté une réponse judiciaire forte et pédagogique à cet accident collectif et ceci après un procès matériellement remarquablement organisé.
Il pleuvait à Allinges lorsque J.-J. P., conducteur de car employé par la SAS P. TRANSPORTS, ramenait un groupe de collégiens et leurs accompagnateurs d’une visite au monastère d’Allinges pour les conduire à Yvoire. Le trajet qu’il avait choisi impliquait la traversée du passage à niveau n°68 sur la RD 233, non gardé, automatisé avec une demi-barrière dans chaque sens de la circulation et une signalisation automatique lumineuse. Situé dans une descente à 10 % limitée à la vitesse de 30 km/h avec un ralentisseur, à proximité d’un virage à droite très prononcé se terminant par un dénivelé de 3,6 % sur les 20 derniers mètres, ce passage à niveau n’était pas aisé à traverser.
Le conducteur a tout d’abord été obligé de s’arrêter pour laisser la priorité à un véhicule de type 4×4, dont le chauffeur ne sera pas retrouvé, il s’est arrêté une deuxième fois avant de s’engager sur le passage à niveau. C’est alors que les demi-barrières du passage à niveau se sont abaissées sur le côté gauche de l’habitacle du car pendant que les signaux lumineux et sonore indiquaient l’arrivée d’un train. Le chauffeur a tenté plusieurs manœuvres pour franchir la voie ferrée mais en vain : le car est malheureusement resté bloqué avec le tiers arrière sur la voie ferrée. Tout sera ensuite une affaire de quelques secondes, alors que J.J.P. tentait toujours de dégager son véhicule, arrivait un TER parti de Thonon avec 16 passagers. Le conducteur du train, qui n’avait que 125 mètres de visibilité, a déclenché le frein d’urgence 4 secondes avant le choc entre l’avant du train, dont la vitesse était alors de 85 km/h, et l’arrière du car engagé sur la voie (pp. 49 à 51 de la décision).
Le TER s’immobilisait 316 mètres plus loin, le conducteur prenant en charge ses passagers, dont trois ont prêté leur concours aux secours arrivés très rapidement sur les lieux.
Le bilan de la collision est lourd : 6 collégiens, de 12 à 13 ans, étaient tués sur le coup, une de leur camarade décédera dans la journée. Le tribunal décrit les blessures de 6 des enfants et précise que les autres victimes, moyennement ou plus légèrement blessées, ont été dirigées vers les hôpitaux de la région (PP. 51-52). Un des enseignants, organisateur de la sortie scolaire accompagnant les élèves, se suicidera 45 jours après l’accident.
Unité de temps, de lieu et d’action, cette tragique collision répond exactement aux critères de l’accident collectif posés lors de la création du CERDACC (M.F. Steinlé-Feuerbach, « Le droit des catastrophes et la règle des trois unités de temps, de lieu et d’action », LPA 28 juillet 1995, n° 90, p. 9 ; C. Lienhard, « Pour un droit des catastrophes », D. 1995, p. 91 ; Rapport du Conseil National de l’Aide aux Victimes concernant la prise en charge des victimes d’accident collectif, octobre 2003 ; Guide méthodologique La prise en charge des victimes d’accidents collectifs, réédité en mars 2007) et le tribunal rappelle l’émotion institutionnelle caractérisée par la venue sur les lieux du Président de la république, et de la présence de nombreuses personnalités, dont le Premier Ministre et cinq ministres en exercice, aux obsèques (p. 52). Ainsi qu’il en très souvent le cas, les victimes se sont regroupées dans une association de défense, l’association « Sourires des Anges » (http://association-souriresdesanges.e-monsite.com ) adhérente à la FENVAC (http://www.fenvac.com, que nous remercions pour la communication de cette décision). Cet accident ne pouvait échapper à la sphère judiciaire et à la tenue d’un procès pénal (C. Lacroix, La réparation des dommages en cas de catastrophes, préf. M.F. Steinlé-Feuerbach, avant-propos, D. Houtcieff, LGDJ, 2008, tome 490). Outre l’enquête judiciaire ont été également diligentées une enquête interne à la SNCF ainsi qu’une enquête administrative menée par BEA-TT (Bureau enquête accidents transports terrestres).
Le tribunal disposait ainsi de nombreux éléments pour se prononcer sur une responsabilité partagée entre les prévenus, à savoir le conducteur du car et deux personnes morales, l’établissements public industriel et commercial (EPIC) Réseau Ferré de France (RFF) et l’établissements public industriel et commercial Société Nationale des Chemins de Fer (SNCF), poursuivis tous les trois pour délits d’homicide et de blessures involontaires ainsi que les contraventions de blessures involontaires pour délits et contraventions d’homicide et blessures involontaires ainsi que pour contraventions de blessures involontaires (I) avant de se pencher sur les aspects indemnitaires (II).
I. Une responsabilité pénale partagée
Le tribunal précise avec pertinence la différence entre la causalité matérielle et la causalité juridique en indiquant que « les causes de l’accident doivent être distinguées des causes du dommage, c’est à dire de la recherche des liens de causalité entre les fautes pénales non intentionnelles reprochées aux trois prévenus et la survenance du dommage » (p. 69). Alors que pour d’autres accidents collectifs, comme des crashs aériens, les causes factuelles peuvent être techniquement difficiles à établir, il n’y a en l’espèce aucun doute quant aux causes de l’accident qui sont « les raisons immédiates de la collision », il s’agit d’une part de la présence de l’arrière du car sur la voie ferrée suite à son immobilisation et, d’autre part, de l’impossibilité pour le train de s’arrêter à temps.
La mise en évidence de la dangerosité du passage à niveau, confirmée par de nombreux témoins et experts, implique qu’au rang des prévenus figurent, à côté du chauffeur, auteur direct de l’accident, à la fois la SNCF et à RFF, personnes morales.
A. Une condamnation mesurée du chauffeur
Suite aux décès et blessures en lien direct avec la collision, J.-J. P., auteur direct, encourt une condamnation pour faute simple d’imprudence, or plusieurs fautes lui sont reprochées comme de n’avoir pas perçu, par inattention, les signaux lumineux qui se sont déclenchés au moment où le car accédait au passage à niveau, d’avoir commis une erreur d’appréciation en arrêtant son véhicule en pleine traversée et en mettant plusieurs secondes à réagir aux cris d’alerte des passagers ainsi que d’avoir commis plusieurs manœuvres maladroites comme de braquer trop à droite ou encore de n’être pas parvenu à faire redémarrer le moteur.
Le conducteur ne cherche pas à nier sa responsabilité et ne plaide pas la relaxe. En défense, il demande simplement que soit précisé le contour de sa faute pénale non intentionnelle et que sa responsabilité soit limitée au rôle causal joué par sa propre faute (p. 80).
Le tribunal retient finalement la responsabilité du chauffeur pour deux des cinq chefs de poursuites.
S’agissant de la non perception des signaux lumineux et sonores lors du franchissement du passage à niveau, le prévenu a toujours maintenu qu’il a vérifié le signal lumineux avant et après le passage du véhicule auquel il a laissé la priorité, qu’il est passé alors que la signalisation était éteinte et qu’il n’a pas vu le signal lumineux, ni entendu le signal sonore. Le tribunal relève que le feu de signalisation gauche est situé en amont du feu de droite et qu’il n’est donc plus complètement visible en limite de visibilité sans tourner complètement la tête vers la gauche. Expertises, reconstitution et témoignages n’ont pas permis au tribunal d’acquérir une certitude quant à la perception du signal par le conducteur. La personnalité de J.-J. P., ajoutée à l’incertitude quant à la perception des signaux lumineux, rend « inconcevable » le « franchissement de sa part sans vérification ni perception du signal lumineux » (p. 83).
En ce qui concerne le signal sonore, il ressort d’une expertise que l’élévation du niveau sonore produit par la pluie rendait en effet le signal assez inaudible. Ainsi, la preuve d’une inattention particulière du prévenu n’est pas rapportée et celui-ci est renvoyé des fins de la poursuite de ce chef.
Le tribunal se montre moins clément quant aux deux arrêts effectués en pleine voie ainsi qu’au défaut de réaction rapide du conducteur. De nombreux témoignages ainsi que les expertises relatives aux traces laissées par les demi-barrières sur le toit du car confirment un arrêt au moins, voire plusieurs. A l’audience, J.-J. P. reconnaît finalement avoir effectué deux arrêts en pleine voie, exprime ses regrets et se déclare prêt « à assumer ce que les familles attendent de ce procès ». Selon le tribunal, le conducteur aurait pu faire le choix d’enfoncer les demi-barrières pour préserver la vie des passagers plutôt que chercher à éviter des dégâts matériels. Ces deux arrêts constituent bien une faute d’imprudence, en lien direct et certain avec l’accident. Ce mauvais choix de manœuvre a été accompagné par un défaut de réaction rapide et du manque du réflexe de prévenir les passagers. Entré en panique, le chauffeur a perdu plusieurs précieuses secondes, ce qui s’est révélé fatal. En conséquence, J.-J. P. est déclaré coupable des délits d’homicide et blessures par imprudence ainsi que des contraventions de blessures involontaires sans incapacité.
Les traces d’impact du train sur l’habitacle du car ainsi que des traces laissées par les demi-barrières sur le car indiquent clairement que le conducteur s’est livré à une manœuvre inappropriée de braquage qui constitue une autre maladresse coupable.
En revanche, l’hypothèse du calage du car par maladresse n’est pas retenue car, aux dires d’experts, elle est seulement probable mais déniée de la certitude indispensable à la constitution d’une faute pénale.
J.-J. P. est encore poursuivi pour le franchissement irrégulier d’un passage à niveau, contravention prévue à l’article R. 442-3 du Code de la route. Cette disposition impose la priorité du train sur les véhicules. C’est par une analyse détaillée des différents alinéas de cette disposition que le tribunal ne retient ni la contravention, « la simple matérialité d’une immobilisation en milieu de voie ferrée ne pouvant suffire à caractériser l’infraction », ni les délits d’homicide et blessures involontaires pour manquement à l’obligation de sécurité imposée par l’article R. 442-3 du Code de la route.
En défense, afin de limiter sa responsabilité, le prévenu avait invoqué les hypothèses d’un patinage des roues et d’un défaut d’injection. Les expertises effectuées ainsi que les témoignages invalident ces deux hypothèses.
Finalement, le tribunal retient que J.-J. P. a effectué imprudemment deux arrêts en milieu de voie ferrée, qu’il n’a pas eu de réaction rapide après avoir été averti de l’abaissement de la demi-barrière gauche, qu’il a maladroitement braqué trop à droite, qu’il n’est pas arrivé à éviter l’immobilisation totale et fatale du car. Le conducteur est reconnu coupable des délits d’homicide et de blessures involontaires ainsi que des contraventions de blessures involontaires sans incapacité par imprudence et maladresse (p. 93).
Le conducteur est encore mis en cause pour des suites plus éloignées de l’accident, à savoir, d’une part le choc psychologique subi par Valérie S., une passagère du TER laquelle, en tant qu’infirmière est intervenue pour porter secours aux victimes et, d’autre part le suicide ultérieur d’Eric J., l’organisateur de la sortie scolaire. Le prévenu, personne physique, bénéficie ici de la réforme du 10 juillet 2000 car, en l’absence d’un lien de causalité direct entre ses fautes et les dommages ultérieurs, sa culpabilité ne saurait résulter que d’une faute qualifiée. En ne retenant pas la responsabilité du conducteur pour la survenance de ces deux dommages (p. 94), le tribunal indique clairement que les différentes fautes retenues à l’encontre de J.-J. P. ne sont que des fautes simples d’imprudence, le degré de ces fautes est pris en compte pour la sanction, modérée au regard du nombre de victimes.
Après de longs développements sur la personnalité du chauffeur, le tribunal retient que « la peine de deux ans d’emprisonnement entièrement assorti du sursis apparaît constituer la juste répression d’infractions aux conséquences humainement irréparables mais commises dans un contexte d’une faute simple d’imprudence et de maladresse unique dans une vie personnelle et de travail honnête et droite » (p. 97).
S’y ajoute, la condamnation à une peine complémentaire d’interdiction de conduire les véhicules de transport en commun pendant une durée de 5 ans, « bien que le tribunal ait la conviction que J.-J. P. ne reconduira jamais un véhicule de transport en commun ».
La culpabilité du chauffeur ne faisait aucun doute, cependant à la fois le degré simple de ses fautes d’imprudence et, très certainement, les regrets sincères exprimés, ont conduit à une peine modérée.
L’auteur direct, personne physique, semble bénéficier de la clémence du tribunal, plus enclin à pointer le dysfonctionnement des personnes morales.
B. La responsabilité pénale des personnes morales RFF et SNCF
Les deux personnes morales, RFF et SCNF, sont concernées par la sécurité des passages à niveau. Le tribunal prend soin de préciser, conformément à la lettre de l’article 121-2 du Code pénal, que les infractions d’homicides et blessures involontaires ont été commises, pour le compte des deux personnes morales, par leurs organes et représentants, c’est-à-dire les directeurs régionaux successifs en poste à la Direction Régionale Rhône-Alpes-Auvergne entre le 1er janvier 2000 et le jour de la collision. La décision est ainsi à l’abri de toute critique sur l’imputation des infractions aux personnes morales poursuivies (J.-Ch. Saint-Pau, « Imputation directe et imputation présumée d’une infraction à une personne morale », note ss. Crim., 11 avr. 2012, D. 2012, p. 1381). Elle effectue par ailleurs une analyse intéressante de l’intérêt de la personne morale en explicitant qu’en « matière d’infraction non intentionnelle, l’intérêt d’une personne morale s’entend de l’intérêt de l’activité à l’occasion de laquelle a été commise l’infraction et non de l’intérêt à la commission de l’infraction elle-même ».
L’articulation entre les deux EPIC mérite d’être rapidement exposée avant l’analyse de leurs fautes pénales respectives.
1°) L’articulation entre les missions de RFF et celles de la SNCF
RFF a été créé par la loi n° 97-135 du 13 février 1997, en application de la directive européenne 91/440/CEE du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires qui a imposé la séparation comptable de l’infrastructure ferroviaire de celle de l’exploitation des services de transport. La propriété des biens constitutifs de l’infrastructure a été transférée de la SNCF à RFF qui a repris une part importante de la dette de la SNCF. Les missions respectives des deux EPIC ont été définies par la loi du 13 février 1997, le décret du 5 mai 1997 et la convention du 26 octobre 1998 modifiée.
RFF assure la maîtrise d’ouvrage des opérations d’investissement réalisées sur le réseau ferré et la gestion des infrastructures. La SNCF, de son côté, est gestionnaire d’infrastructures délégué pour le compte de RFF ; dans le cadre de cette mission, elle est notamment chargée du fonctionnement et de l’entretien des installations techniques et de sécurité du réseau ferré national, propriété de RFF (B. Ackermann-Lorber, Approche cindynique d’une démarche de sécurité en gare de voyageurs, Mémoire Mastère spécialisé Gestion des risques sur les territoires, ss. la dir. de G. Pelsy, ENA, promotion Caroline Aigle, 2012-2013, p. 21 et s.).
Le tribunal correctionnel de Thonon-les Bains souligne que « l’article 3 du décret dispose que RFF est le maître d’ouvrage des opérations d’investissements sur le réseau ferré national et propose, à partir des besoins qu’il identifie, les adaptations qu’il estime nécessaire d’apporter à la consistance et aux caractéristiques du réseau » (p. 99).
Au regard de la répartition des missions entre les deux personnes morales, le tribunal estime qu’il n’y a pas une obligation générale de sécurité à la charge de ces deux entités distinctes, mais bel et bien « des obligations spécifiques de sécurité imposées par la loi et le règlement :
- pour RFF, une obligation de sécurité du réseau en sa qualité de propriétaire et gestionnaire du réseau ferré national en charge de l’aménagement des caractéristiques du réseau, de la définition des objectifs et principes de gestion relatifs au fonctionnement et à l’entretien des installations techniques et de sécurité ainsi que des objectifs de sécurité des différentes catégories d’installations,
- pour la SNCF, une obligation de sécurité opérationnelle des installations de sécurité du réseau, en ce compris leur surveillance, leur entretien et leur maintenance ainsi que les mesures nécessaires à la sécurité des installations » (p. 100).
Le tribunal rappelle encore sur le rapport de la Cour des comptes d’avril 2008 intitulé « Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine » mettant en exergue une grande confusion des responsabilités, pour partie institutionnelle, avec, notamment des rapports de force à l’origine de conflits récurrents. Une clarification de la répartition des missions et des moyens était préconisée par la Cour des comptes. Précisons qu’un projet de loi portant sur la réforme ferroviaire devrait être présenté cet été au Conseil des ministres (La Gazette des Communes, 30 mai 2013).
Il est bien indiqué dans la décision que ces considérations ne doivent pas permettre de caractériser une faute pénale, laquelle doit être appréciée in concreto, c’est-à-dire en tenant compte de la nature des missions ou des fonctions, des compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont disposent les personnes poursuivies (art. 121-3, al. 3 C.P.) (p. 103). A cet égard, le rapport de la Cour des comptes peut être éclairant.
2°) Les fautes pénales retenues à l’encontre des deux personnes morales
RFF et la SNCF se voient toutes les deux reprocher d’avoir omis de tenir compte de la dangerosité particulière du passage à niveau n° 68, notamment d’une durée de franchissement supérieure au délai de fermeture des barrières pour certains types de véhicules. Il est également reproché des fautes particulières à chacun des EPIC. RFF n’a pas mis en oeuvre les mesures adéquates pour faire cesser ce risque, notamment en avisant les autorités compétentes de la nécessité d’interdire la circulation des poids lourds et des cars sur ce passage à niveau, ou en effectuant les travaux nécessaires, il a omis de faire inscrite le passage à niveau n° 68 sur la liste des passages à niveau préoccupants. La SCNF, quant à elle, n’a pas effectué les travaux de remplacement du platelage de reprise du profil routier de ce passage à niveau, tels qu’ils avaient été préconisés après une visite effectuée en juin 2007.
Avant de se prononcer sur la culpabilité, le tribunal se livre à une véritable leçon de droit sur le degré de la faute d’imprudence des personnes morales dont la responsabilité est engagée pour faute simple, sans qu’une faute délibérée ou caractérisée n’ait à être établie.
Il reprend ensuite, les nombreux moyens de défense des deux personnes morales (p. 107 et s.). Parmi ceux de RFF, on peut citer une volonté de se défausser à la fois sur le chauffeur et sur la SNCF, laquelle est selon RFF seule responsable de la sécurité au regard des conventions passées, RFF n’ayant pas de mission de sécurité ; au-delà, s’abrite derrière la règlementation : l’article L. 2242-3 du Code des transports et l’article R. 422 du Code de la route édictent une règle absolue de priorité au train, les règlements quant aux délais d’annonce et de fermeture des barrières ont été respectés. Quant au passage à niveau n° 68, il n’était pas d’une dangerosité particulière et aucune information concernant un incident n’avait été remonté.
La SNCF, de son côté, met également en cause le chauffeur du car, lequel n’a pas respecté les préconisations de bison futé… et reprend l’argument de l’absence de dangerosité du passage à niveau, lequel était conforme à la réglementation. Elle avance qu’il n’y avait pas de dispositions particulières à pendre pour faire cesser un risque qui n’était pas identifié avant l’accident et donc inexistant », elle va jusqu’à affirmer que « les conclusions du rapport du BEA-TT ont été dévoyées ». Elle tente aussi de se placer sur le terrain du premier alinéa de l’article 121-2 du Code pénal en avançant que la prévention était imprécise quant à aux manquements imputables à ses organes ou représentants (cf. L. Saenko, « De l’imputation par amputation ou le mode d’allégement de la responsabilité pénale des personnes morales », Dr. pénal août 2009, p. 9).
Le tribunal souligne ultérieurement, de manière un rien ironique, pour chacune des deux personnes morales, « son excellente et complète défense dont (elle) a su se donner les moyens » (pp. 123 et 125). Les arguments ne l’ont pas convaincu et il y reviendra longuement pour les anéantir et même parfois, exprimer une certaine indignation.
Ainsi, la méconnaissance de la dangerosité du passage à niveau, invoquée par les deux entités, est en réalité la mise en évidence de leur absence de diligences normales.
La répartition des missions entre les deux EPIC est mise en cause. A RFF qui revendique n’avoir aucune équipe fonctionnelle et devoir être averti par des remontées d’informations, le tribunal rétorque qu’une telle position ne peut se concevoir qui si des directives claires et précises ont été données à la SNCF, ce qui n’était pas le cas. Si une convention a été établie pour améliorer la sécurité des passages à niveau, rien n’indique que cette convention ait été mise en oeuvre. RFF n’avait, avant l’accident d’Allinges, que la liste des passages à niveau classés comme préoccupants pour seule connaissance de l’état du réseau des installations de sécurité. Non seulement il n’avait pas donné de directives claires à la SNCF, mais il ne lui assignait pas davantage d’obligation de « reporting » et ne lui demandait pas de rendre compte du mandat qu’il lui avait confié. Il en résulte que sa mauvaise connaissance de l’état du réseau lui était « très largement imputable » (pp. 112-113).
RFF ne justifie, avant l’accident, « d’aucune diligence normale et effective de nature à lui permettre de détecter les informations relatives aux installations de sécurité du réseau, d’en permettre l’audit ou simplement de diagnostiquer la dangerosité intrinsèque d’un passage à niveau, telle que la particularité, voire l’extrême dangerosité du passage à niveau n° 68 ».
Cependant, la non inscription de ce passage à niveau sur la liste des passages à niveau préoccupants n’est pas retenue comme une faute en lien causal avec l’accident, ce raisonnement profite tant à RFF qu’à la SNCF. En revanche, le défaut de diligence déjà souligné « constitue une imprévoyance manifeste ». Il est relevé que depuis l’accident, RFF contribue à la sécurité des passages à niveau et qu’il aura donc fallu un très grave accident de personnes pour que RFF « mette en oeuvre les mesures lui permettant de se forger une connaissance d’une des catégories les plus sensibles de sécurité des installations du réseau lui appartenant » (pp. 115-116).
La SNCF, qui dispose d’experts et de techniciens pour la maintenance des passages à niveau, a effectué celle du passage à niveau n° 68 mais sans avoir relevé ou signalé sa dangerosité. Elle n’a pas alerté RFF, n’est pas intervenue sur le platelage malgré l’état de ce dernier, elle n’a pas davantage procédé à un essai de fonctionnement des installations avec des véhicules légers ou lourds alors que la dangerosité de ce passage à niveau était connue. Ce défaut de diligence normale est considéré comme une négligence manifeste dès lors qu’elle aurait dû détecter que le temps de franchissement, entre le déclenchement du signal lumineux et l’abaissement des barrières, était insuffisant pour les véhicules longs et lourds, ce qu’un incident antérieur avait déjà mis en évidence. En revanche, la prévention concernant la non intervention sur le platelage suite à la visite de juin 2007 ne sera pas retenue « compte-tenu des délais administratifs et techniques inhérents à la réalisation (…) de travaux de remplacement d’un platelage pouvant comporter un aménagement même limité de la voierie routière ».
La régularité normative du délai d’annonce du passage à niveau n° 68 n’est pas suffisante pour mettre les deux EPIC à l’abri d’une condamnation, il en est de même de l’absence de violation d’une norme car une telle violation, exigée par l’article 121-3 du Code pénal, pour établir la faute délibérée d’une personne physique auteur indirect, n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit d’une personne morale.
Les magistrats du tribunal correctionnel stigmatisent les défauts dans la remontée des informations. En résumé : RFF comptait sur la SNCF qui se reposait sur les alertes en provenance des usagers. Ils se livrent à une véritable leçon sur les obligations en matière de sécurité qui incombent à la SNCF et à RFF, « deux entités monopolistiques » (p. 120). Ils retiennent que « la non détection de la particulière dangerosité du passage à niveau n° 68 à l’origine de la réalisation du dommage résulte par conséquent de leur carence respective dans l’exercice de leurs missions et de leurs seules fautes d’imprudence pour RFF et de négligence pour la SNCF » (p. 122) ; les deux entités auraient pu éviter le drame si elles avaient pris les mesures qui s’imposaient.
Le tribunal a donc retourné en boomerang la majorité des moyens de défense pour en faire précisément le creuset des fautes reprochées aux deux personnes morales. Quant à l’argument de droit relatif aux organes et représentants de la personne morale, il est fort justement balayé, le tribunal se basant notamment sur le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et statuts de l’établissement public RFF et sur le décret n°83-109 du 18 février 1983 relatif aux statuts de la SNCF (p. 123). La culpabilité des deux EPIC quant à la survenance de l’accident collectif est indiscutablement établie et leur condamnation respective pour infractions d’homicides et blessures involontaires est inéluctable.
S’agissant des dommages ultérieurs (pp. 127 à 130), à savoir le préjudice psychologique subi par l’infirmière, passagère du train qui avait été réquisitionnée pour porter secours aux victimes, ainsi que le suicide de l’organisateur de la sortie scolaire, si le caractère indirect du lien de causalité avec le drame avait permis au chauffeur du car, personne physique, d’échapper à la condamnation il n’en est pas de même des personnes morales, qui ne sont pas visées par la loi du 10 juillet 2000. La certitude des liens de causalité conduit à la condamnation de RFF et de la SNCF, pour contravention de 2ème classe de blessures involontaires quant au stress post traumatique subi par l’infirmière et pour homicide involontaire quant au décès de l’enseignant. En ce qui concerne l’infirmière, il convient de souligner la distinction, parfaitement exacte, opérée par le tribunal entre le déficit fonctionnel temporaire ou permanent dans son acceptation civile faite par la nomenclature Dintilhac et l’incapacité totale de travail prise en son sens pénal ; il serait souhaitable que cette distinction soit plus largement connue par les professionnels du droit.
Le jugement du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains est aussi exemplaire quant aux sanctions prononcées. RFF, en état de récidive légale car déjà condamné une fois pour homicide involontaire, se voit infliger une peine de 400 000 euros. La SNCF, qui cumule pourtant six condamnations antérieures pour homicides ou blessures involontaires, est condamnée à une peine de 200 000 euros, donc inférieure de moitié à celle de RFF « en prenant compte des diligences accomplies avant l’accident ainsi que l’absence de directives claires et précises de RFF en charge de la sécurité du réseau ».
Pour les deux personnes morales s’ajoute la peine complémentaire de publication d’un extrait du dispositif du jugement sur l’action publique, dans les quotidiens Le Monde, Le Figaro et Le Dauphiné libéré, avec cependant des nuances : pour RFF cette peine « apparaît de nature à constituer la juste répression de faits graves d’atteintes involontaires à la vie de sept jeunes collégiens et aux personnes de 49 autres en récidive légale » (p. 131) alors que pour la SNCF, elle « apparaît de nature à constituer la juste répression de faits graves d’atteintes involontaires à la vie en récidive légale » (p. 132).
En définitive, le prévenu le plus lourdement condamné est RFF, la peine la plus légère étant celle du chauffeur du car, auteur direct de l’accident.
Le tribunal ayant déjà fait état de sa conscience de la gravité d’un accident collectif et de sa connaissance de la nomenclature Dintilhac, sa démarche indemnitaire s’inscrit naturellement dans le traitement d’un événement collectif.
II. Une démarche indemnitaire s’inscrivant dans l’événement collectif
A l’évidence, le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains a tiré toutes les conséquences d’un point de vue indemnitaire de la qualification d’« accident collectif ». L’accident collectif, défini comme un évènement funeste, brutal, instantané et ponctuel, à l’origine d’une discussion humaine ou matérielle concernant un certain nombre de victimes dans un même temps et un même lieu, nécessitant par son ampleur ou son impact la mise en œuvre de moyens spécifiques, a bien, également un retentissement indemnitaire tout aussi spécifique.
Rarement une décision judiciaire aura aussi justement et finement mis en évidence le basculement qu’engendre l’implication pour tous et donc aussi pour les victimes dans un accident à dimension collective.
A. Le collectif et l’ordre indemnitaire
Une fois encore, c’est la confrontation directe à l’audience dans le sanctuaire du prétoire avec le vécu et la parole des victimes, telle qu’elle s’exprime et qu’elle peut être perçue dans l’enceinte judiciaire, qui permet une appréciation in concreto du ressenti exprimé par les victimes (p. 139 / 256). Loin de toute barèmisation permettant au juge de poser l’acte fondateur de la justice indemnitaire « attribuer à chacun ce qui lui revient » (suum cuique tribuere).
Le collectif bouleverse l’ordonnancement normal. Ainsi, à juste titre, est-il relevé que certaines victimes directes deviennent juridiquement des victimes par ricochet du préjudice subi par d’autres, en l’espèce, du décès de leurs camarades ou élèves (tableau, spécifique à un accident collectif, du préjudice des victimes retenu par le jugement de l’accident de l’effondrement de la passerelle du Mary II : cf. C. Lienhard, « Effondrement de la passerelle du Queen Mary II : les spécificités du traitement judiciaire d’un accident collectif (comm. de la décision du tribunal correctionnel de Saint-Nazaire, 11 février 2008) », JAC n° 88, nov. 88), et de relever qu’au cas d’espèce, est au moins aussi marquante pour des pré-adolescents, la perte de sept jeunes vies au sein d’un même groupe scolaire avec ses amitiés de classe ou sa simple appartenance à une même génération scolaire.
Toujours dans une démarche très pédagogique, le tribunal rappelle que les principes d’indemnisation des préjudices doivent être adapté in concreto. L’imbrication du collectif fait que les parties civiles exercent l’action en réparation du dommage qui leur appartient soit en tant que victimes directes ayant subi des blessures du fait de l’accident, soit en tant que victimes dites par ricochet pour l’indemnisation des préjudices supportés en raison des atteintes physiques et psychologiques subies par leurs proches ou le décès de ceux-ci, et, en ce cas au titre de leur préjudice propre, mais aussi pour les parents des enfants décédés au titre de l’action successorale pour les préjudices subis par les victimes qui est née dans leur patrimoine avant leur décès et par suite transmissible.
Le tribunal rappelle que les demandes d’indemnisation sont appréciées en fonction de la nomenclature indicative dite Dintilhac recensant les différents postes de préjudice sans exclure les préjudices exceptionnels, conformément à cette même nomenclature et à l’office souverain du juge, pour la qualification des préjudices et leur appréciation en fonction de la situation de chaque victime dans le respect des principes concurrents de la réparation intégrale du dommage et de prohibition d’une double indemnisation d’un même préjudice.
Il est ainsi fait un lieu clair et pertinent entre l’exceptionnel et le collectif qui en deviendrait une catégorie mais sans absorber la notion car on peut rencontrer des situations indemnitaires combinant l’exceptionnel et l’individuel.
Ce postulat posé, le tribunal prend le soin de définir clairement le préjudice spécifique d’angoisse qui concerne les seules victimes directes. Il s’agit d’un préjudice autonome exceptionnel, inhérent à une souffrance supplémentaire distincte et résultant pour les victimes décédées de la conscience d’une mort imminente et de l’angoisse existentielle y afférent, et pour les victimes rescapées ou blessées, de la même angoisse d’une crainte pour son existence qui, dans ce cas, se poursuit après la survenance du dommage et qui est la conséquence du retentissement sur les victimes concernées de l’aspect collectif du dommage quant à sa propre existence ou celles des autres victimes directes qui l’accompagnaient. Le tribunal correctionnel indique in concreto les souffrances incluses dans la réparation du préjudice spécifique d’angoisse (p. 142). On y retrouve décrit avec force détails l’état d’affolement et de panique qui s’est emparé de chacune des victimes, la très grande détresse de ceux qui, n’ayant pas perdu conscience, ou ayant repris leurs esprits, se sont trouvés confrontés à la réalité catastrophique (p. 142), le désarroi, l’angoisse intense, l’incertitude et l’inquiétude extrêmes quand on sort des camarades professeurs ou élèves (p. 143).
Le tribunal de rajouter que le préjudice spécifique inhérent aux victimes d’accidents collectifs est d’autant plus caractérisé au cas d’espèce qu’il a frappé non des passagers transportés sans lien entre eux mais les membres d’une même communauté scolaire. Et de rajouter encore l’impact du retentissement médiatique puis la durée de l’information judiciaire, puis l’approche du procès et le procès lui-même. Ce préjudice ne concerne que les victimes directes, soit celles qui sont décédées ou qui ont acquis la probabilité ou la certitude de leur mort imminente durant une à trois secondes, et dont ce préjudice spécifique inhérent à une anxiété de nature existentielle est né dans leur patrimoine et donc transmissible. Pour les victimes blessées ayant survécu, on retrouve la même anxiété existentielle, également caractérisée in concreto.
Pour les parents, dits victimes par ricochet, si ceux-ci ont pu constater ou ressentir ce préjudice spécifique subi par leurs enfants, le tribunal estime qu’ils n’ont pas pu eux-mêmes subir directement un préjudice de même nature.
Par contre, les victimes dites par ricochet peuvent se prévaloir d’un préjudice moral d’affection tenant à l’atteinte physique et psychique causée à leurs enfants et en ce cas, les victimes dites par ricochet mais aussi victimes médiates d’un préjudice qui leur est propre en ce que bien que victimes indirectes, elles subissent un préjudice directement lié aux circonstances postérieures à l’accident, certes de la catégorie des préjudices moraux mais qui, sans se confondre avec le préjudice moral d’affection, est à l’évidence distinct et propre au tableau des accidents collectifs. Nonobstant la qualification donnée par les parties civiles, ce poste de préjudice est retenu et réparé pour les victimes indirectes sous la dénomination de préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude. La sémantique utilisée n’est pas neutre, l’inquiétude étant différente de l’angoisse. Là encore, tout est décrit in concreto (pp. 144-145). Le préjudice moral et affectif des proches et leur préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude sont alors indemnisés en prenant en compte, pour le premier, de la perte irréparable et par conséquent seulement indemnisable par une consolation extra-patrimoniale et forfaitaire aussi dérisoire que constitue la seule forme de reconnaissance existante de la perte de sept jeunes enfants pour chacun de leurs parents, duquel doit être distingué pour s’y ajouter sans s’y confondre le préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude, là encore abondamment décrit (p. 145). Le tribunal a donc accueilli les demandes au titre du préjudice successoral. Le tribunal décrit (pp. 146-147) ce qu’il en a été de ce laps de temps d’effroi, pendant une à trois secondes, des derniers instants.
Le tribunal réserve le préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude aux seuls parents, à l’exclusion des frères et sœurs pour lesquels l’indemnisation de leur préjudice moral a cependant tenu compte là encore des circonstances propres à un accident collectif.
B. Le collectif et le quantum indemnitaire
Pour ce qui est du quantum, pour les blessés du car qui, avec ou sans incapacité, ont tous partagé le même préjudice spécifique d’angoisse, et ont tous fait état d’un choc ou d’un stress post-traumatique, de troubles du sommeil, de réminiscences, de cauchemars ou de crises d’angoisse, le quantum du préjudice spécifique d’angoisse est fixé à 50 000 euros, à l’exclusion de Valérie S.
Le tribunal alloue au titre du préjudice d’affection pour la perte d’un enfant à chacun des parents 50 000 euros, 10 000 euros au titre du préjudice spécifique d’attente et d’inquiétude, ainsi qu’à chacun des frères et sœurs des enfants décédés la somme de 25 000 euros.
L’association « Sourires des Anges » se voit allouer payer la somme de 22.836,42 euros au titre du coût du monument du souvenir et la somme de 18.000 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. La FENVAC se voit allouer la somme de 15.000 euros au titre de l’atteinte à̀ son objet statutaire, la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice matériel et la somme de 12.000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Ces condamnations confirment la pertinence de la présence associative au regard de l’article 2-15 CPP. Même si sans doute l’approche évolutive des juridictions pénales reste à parfaire pour apprécier au mieux la densité de l’atteinte et par ailleurs permettre une véritable égalité des armes au long cours.
Au-delà respectant le principe fondamental d’individualisation de la réparation intégrale, le tribunal examine chacune des demandes de chacune des parties civiles, ne manquant pas de marquer in concreto la reconnaissance judiciaire par une description fine de la situation personnelle et de l’histoire de chaque victime, de sa famille et de son entourage, créant « in texto » ainsi un mémoriel judiciaire. Toujours in concreto, le tribunal a ordonné pour certaines victimes des expertises médico-légales et psychologiques (p. 198 et p. 223 du dispositif) ce qui consacre une fois encore la distinction entre les préjudices, qu’ils soient exceptionnels ou non, et qui relèvent de l’appréciation du juge, et les dommages qui doivent être constaté médico-légalement avant que puissent être fixés les préjudices de toutes natures en découlant.
On relèvera également le cas spécifique d’une infirmière contractuelle à l’hôpital Cochin, réquisitionnée par le conducteur et le contrôleur du train pour intervenir sur les lieux de l’accident. Cette professionnelle impliquée a invoqué un stress post-traumatique et un choc psychologique ayant entraîné un arrêt prolongé de travail (pp. 211 et s.) et avec l’imbrication d’une procédure en cours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Encore un exemple de ce que peut être la complexité indemnitaire. La victime d’un accident de travail-trajet qui est aussi un accident de la circulation pour impliquer un véhicule terrestre à moteur est fondée, tout comme les victimes passagères du car, à se prévaloir, à l’encontre de la SAS P. TRANSPORTS et de son assureur, de sa qualité, non de passagère transportée, mais de victime indirecte d’un accident de la circulation.
Cette action donne compétence au tribunal correctionnel, en présence d’un accident de travail-trajet qui constitue aussi un accident de la circulation, pour statuer sur l’action civile qu’elle a introduite devant la juridiction répressive avant toute demande au fond devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Elle dispose en outre à l’encontre de la SNCF, à laquelle elle est liée contractuellement, d’une action fondée sur l’article 1147 du Code civil au titre du manquement de cette dernière à son obligation de sécurité résultat et à l’encontre de RFF d’une action pour faute d’imprudence sur le fondement de l’article 1383 du code civil.