JAC n°85/Juin 2008

ACTION DIRECTE D’UNE VICTIME QUI N’A PAS DÉCLARÉ SA CRÉANCE A LA FAILLITE DU RESPONSABLE

Blandine ROLLAND

Maître de conférences

Membre du CERDACC

 

Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation, 2ème chambre civile, 15 mai 2008

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, 2ème chambre civile, le 15 mai 2008 (pourvoi n° 06-19.737, F-D, reproduit ci-dessous) se situe aux confins du droit des assurances, du droit des procédures de traitement des difficultés des entreprises, et de la procédure civile. Mais puisqu’il met en cause une victime, il peut intéresser les lecteurs du JAC.

Tout commence par une banale histoire de responsabilité entre deux entreprises. Mais le responsable tombe en redressement judiciaire, et après avoir bénéficié d’un plan de continuation, est placé finalement en liquidation judiciaire, avant le 1er janvier 2006. L’entreprise victime ne procède pas dans les délais à la déclaration de sa créance dans la liquidation judiciaire du responsable, et est donc jugée forclose. Avait-elle perdu pour autant tout espoir d’être indemnisée ? La cour d’appel fait jouer l’extinction de la créance. L’entreprise victime forme un pourvoi en cassation. La victime doit-elle procéder à une déclaration de créance au passif du responsable pour sauvegarder son droit à indemnité à l’égard de l’assureur du responsable ? La Cour de cassation dans cette affaire rappelle que la victime d’un dommage a un droit exclusif sur l’indemnité due par l’assureur de l’auteur responsable du dommage. Elle n’est donc pas tenue de déclarer sa créance et de se soumettre à la procédure de vérification des créances pour faire reconnaître dans son principe et son étendue la responsabilité de l’assuré en redressement ou en liquidation judiciaire. La Cour en déduit que la victime conserve toujours le droit demander paiement à l’assureur par voie d’action directe, nonobstant la forclusion de sa déclaration de créance. Il en découle que l’appel en garantie de l’assureur est bien fondé. Cet arrêt invite à revenir sur ces deux techniques procédurales utilisées en matière d’assurance, l’action directe et l’appel en garantie.

 

I/ Sur l’action directe de la victime

En droit des assurances, il est admis que par une « action directe », la victime peut agir directement contre l’assureur du responsable (C. assur., art. L. 124-3). La recevabilité de cette action directe n’est même pas subordonnée à la mise en cause de l’assuré (C. cass., civ. 1e, 7 nov. 2000, pourvoi n° 97-22582 : Bull., n° 274 ; JCP G 2001, II, 10456 ; J. Bigot, Assurances de responsabilité. Action directe : feu la mise en cause de l’assuré : JCP G 2001, actualités 113). C’est pourquoi en l’espèce, au visa des articles L. 124-3 du code des assurances et L. 621-82 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la réforme du 26 juillet 2005, la Cour de cassation permet à l’action directe de jouer malgré la forclusion de la déclaration de créance. La déclaration de créance qui vise à faire valoir son droit de créance dans la procédure collective du débiteur peut être assimilée ici à la mise en cause de l’assuré, qui n’est pas nécessaire dans le cadre de l’action directe.

Rappelons pour être précis, qu’avant la réforme de la procédure de sauvegarde, les créanciers d’une entreprise placée initialement en redressement judiciaire, et qui a bénéficié d’un plan de continuation qui fait ensuite l’objet d’une résolution, doivent déclarer une nouvelle fois leur créance à la liquidation subséquente de leur débiteur (C. com., anc. art. L. 621-82, al. 3). Cette obligation a été supprimée par la réforme de la Loi du 26 juillet 2005 applicable aux procédures ouvertes depuis le 1er janvier 2006 (C. com., art. L. 626-27 III). De plus, la sanction de l’extinction de la créance non régulièrement déclarée a aussi disparu, le créancier est seulement écarté des répartitions (C. com., art. L. 622-26).

Quoi qu’il en soit, la victime – dans l’ancien régime comme dans le nouveau – n’a pas à se soucier des règles de la procédure collective puisqu’elle dispose de cette action directe contre l’assureur de l’auteur du dommage. Elle sera sûre d’être payée par l’assureur, tiers à la procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire. Et cette solution peut être appliquée à toute victime (entreprise, particulier, association de défense) qui se trouve confrontée à un responsable placé en procédure collective.

 

II/ Sur l’appel en garantie de l’assureur

Par un appel en garantie, l’assureur d’un responsable peut appeler un autre auteur, coresponsable de l’accident. Il n’est même pas nécessaire qu’il justifie avoir déjà réglé ces sommes à la victime (C. cass., civ. 1e, 21 janv. 1997 : Bull., n° 24 ; Resp. civ. et assur. 1997, Etude 4, H. Groutel ; RGDA 1997, p. 542, note L. Mayaux. – C. cass., civ. 3e, 9 déc. 1998, pourvoi n° 97-13550 : D. 1999, somm. comm. p. 228, obs. H. Groutel. – C. cass., ch. com., 2 fév. 1999 : Bull., n° 32 ; RGDA 1999, p. 677, note P. Rémy).

En l’espèce, l’assureur avait formé un appel en garantie, sans doute contre un coresponsable. Cet appel en garantie avait été déclaré sans objet par la cour d’appel puisqu’elle déboutait la victime dans son action contre l’assureur. La Cour de cassation fait application de la règle de la cassation par voie de conséquence, au visa de l’article 625 du CPC. La cassation entraîne l’annulation par voie de conséquence de tout chef du dispositif qui est la suite de celui qui est censuré. Un appel en garantie de la part de l’assureur pourra donc être valablement formé devant la cour d’appel de renvoi.

 

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Cour de cassation, 2ème chambre civile 15 mai 2008

Pourvoi n° 06-19.737, F-D.

 

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 124-3 du code des assurances et l’article L. 621-82 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société Port pétrolier de Givors, devenue la société Total ADS (Total) a engagé, les 27 et 28 novembre 2001, une action en responsabilité et indemnisation contre la société Romatech, alors en redressement judiciaire, et M. X…, représentant des créanciers, et contre la société Les Mutuelles du Mans assurances, assureur de la société Romatech ; que la liquidation judiciaire de la société Romatech a été prononcée le 2 novembre 2004 à la suite de la résolution du plan de continuation ;

Attendu que pour débouter la société Total de sa demande formée à l’encontre de la société Les Mutuelles du Mans assurances, l’arrêt retient que la liquidation judiciaire de la société Romatech ayant été prononcée le 2 novembre 2004, la société Total devait à nouveau déclarer sa créance à M. X…, liquidateur judiciaire de la société Romatech, que la déclaration avait été effectuée le 13 mars 2006, plus d’un an après le jugement de liquidation judiciaire, que la société Total était forclose et ne pouvait être relevée de la forclusion, que sa créance était donc éteinte ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la victime d’un dommage a un droit exclusif sur l’indemnité due par l’assureur de l’auteur responsable du dommage et n’est pas tenue, dès lors, de se soumettre à la procédure de vérification de sa créance pour faire reconnaître dans son principe et dans son étendue la responsabilité de l’assuré en redressement ou en liquidation judiciaire et demander paiement à l’assureur par voie d’action directe, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l’article 625 du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation du chef du dispositif déboutant la société Total de ses demandes à l’encontre de la société Les Mutuelles du Mans assurances entraîne par voie de conséquence celle du chef de dispositif par lequel l’arrêt a déclaré sans objet l’appel en garantie formé par la société Les Mutuelles du Mans assurances contre la société Genoyer ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a constaté l’extinction de la créance de la société Total ADS sur la société Romactech, l’arrêt rendu le 16 juin 2006, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ; (…).