LA DIFFICILE ASSURABILITÉ DES COMMUNES DANS UN CONTEXTE D’INTENSIFICATION ET DE MULTIPLICATION DES PHÉNOMÈNES NATURELS : UN ENJEU MAJEUR, A. Lemble-Jehli, T. Lailly-Dorpe, J. Neveu

Alexis LEMBLE-JEHLI, Tristan LAILLY-DORPE, Jules NEVEU

Étudiants en M2 Droit – Métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace

 

Les risques naturels, de plus en plus fréquents et intenses, mettent à l’épreuve la résilience des communes françaises. Pluies diluviennes, inondations, tempêtes, glissements de terrain, séismes et incendies de forêt sont autant de menaces pouvant causer des dégâts considérables aux infrastructures publiques. Face à ces phénomènes naturels, les assurances des collectivités territoriales se retrouvent constamment mises en œuvre. Le foisonnement de ces événements rend l’aléa de moins en moins incertain, rendant les sinistres de plus en plus prévisibles et, de ce fait, n’étant plus couverts par les assurances. Dès lors que les élus locaux cherchent à souscrire une assurance afin de couvrir les risques et sinistres de leur collectivité, ces derniers font face à des blocages : soit les prestataires d’assurances ne répondent pas aux appels d’offres publics, soit les tarifs proposés sont en hausse et ne peuvent être supportés. Tandis que lorsque les communes parviennent à contractualiser avec les compagnies d’assurance, il n’est pas rare qu’une demande d’avenant, tenant à une augmentation souvent vertigineuse des cotisations et des franchises avec une baisse des montants indemnisés, survienne en cours d’exécution du contrat. De même, certains organismes assurantiels viennent rompre de manière unilatérale les contrats conclus avec les communes, les obligeant à s’assurer elle-même dans un contexte économique où le budget est extrêmement contraint et limité. Or, les communes, de part leur qualité, sont des assurées particulières en ce qu’elles ont la charge des missions de service public indispensables au bon fonctionnement de notre société.

Dans ce contexte, une mission sur l’assurabilité des collectivités territoriales a été lancée en décembre 2023 à l’initiative de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, de Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ainsi que de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité (Communiqué de presse du 25 octobre 2023 n° 1271 : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/lancement-de-mission-sur-lassurabilite-des-collectivites). Confiée à Alain Chrétien, maire de Vesoul, et Jean-Yves Dagès, exploitant agricole et ancien président de la fédération nationale Groupama, cette mission a pour objectif d’étudier la problématique de l’assurabilité des collectivités territoriales en vue de proposer des solutions pérennes. Parallèlement, une mission d’information relative aux problèmes assurantiels des collectivités territoriales, lancée par la commission des finances, a été lancée le 30 janvier 2024, visant à identifier les problématiques rencontrées et dresser une typologie des collectivités concernées afin de proposer des solutions adéquates. À l’issue de ladite consultation, un rapport d’information a été déposé le 27 mars 2024 (Rapport d’information n° 474 2023-2024 : https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Finances/2023-2024/Controles/Rapport_MI_assurances_colter.pdf). Parmi les 713 collectivités ayant répondu à cette consultation en ligne, il en ressort que 60 % des collectivités déclarent faire face à des difficultés dans leur relation avec leur compagnie d’assurance, ce taux s’élevant jusqu’à 90 % pour les collectivités de plus de 10 000 habitants. À ce titre, 24% des collectivités ayant lancé un appel d’offres à partir du 1er janvier 2023 n’ont obtenu aucune candidature de la part des assureurs. De même, 29% des collectivités répondantes ont vu leur contrat d’assurance faire l’objet d’un avenant en cours d’exécution avec pour conséquence une hausse de la cotisation et du montant des franchises. Enfin, 20% d’entre-elles ont subies une résiliation unilatérale de leur contrat, avec des préavis le plus souvent incompatibles avec le lancement d’un nouvel appel d’offres, laissant les collectivités dans une situation d’impasse. Les conclusions de cette enquête permettent également de constater que les difficultés assurantielles concernent l’ensemble des communes, aussi bien urbaines que rurales, indifféremment de si ces dernières ont été touchées par des émeutes urbaines ou des catastrophes naturelles. Toutefois, une corrélation demeure entre la taille de la collectivité et la dégradation de la relation avec l’assurance. Les municipalités les plus peuplées, principalement celles de plus 5 000 habitants, semblent souffrir davantage de difficultés assurantielles.

La généralisation de la difficile assurabilité des communes a été accentuée par les catastrophes naturelles et les émeutes urbaines ayant eu lieu au cours de l’année 2023. Ces évènements ont été des révélateurs d’une situation préexistante, la tension du marché de l’assurance des collectivités territoriales étant le résultat de dysfonctionnements structurels, renforcés par la hausse de la sinistralité des collectivités et de leur exposition aux risques. Les défis posés par les risques naturels ne se limitent pas à l’obtention d’une couverture adéquate. La variabilité et l’incertitude associées à ces événements rendent difficile l’évaluation précise des risques et des coûts potentiels. Les communes doivent investir dans des études approfondies pour comprendre leur exposition aux risques, représentant un coût supplémentaire et requérant une expertise spécialisée. Il s’agit actuellement d’un enjeu majeur, en témoigne le récent colloque de l’Observatoire SMACL (https://www.smacl.fr/collobs) intitulé « Les collectivités territoriales face aux enjeux assurantiels et de gestion des risques : constats, perspectives et solutions » qui s’est tenu le 6 novembre 2024.

Pour faire face à ces défis, les communes se trouvent dans l’obligation d’adopter des stratégies proactives de gestion des risques (II) visant à améliorer leur assurabilité. Toutefois, afin que ces stratégies répondent au plus près de leurs besoins, un état des lieux de leur assurabilité des face aux risques naturels doit être dressé (I).

 

I.État des lieux de l’assurabilité des communes face aux risques naturels

 Le cadre réglementaire encadrant l’assurabilité des communes françaises limite leur capacité à obtenir une couverture adéquate face aux risques naturels. Ce cadre impose des obligations légales pour la souscription de diverses assurances, (A). Cependant, les contraintes budgétaires croissantes et l’augmentation des primes d’assurance dans les zones à haut risque compliquent davantage la situation des communes (B).

 

A. Cadre législatif et obligations assurantielles des communes

Dans le cadre de leur gestion des risques et de leurs responsabilités envers le public et leur personnel, les collectivités sont tenues de souscrire à certaines polices d’assurance, rendues obligatoires par la loi. Tel est le cas de l’assurance dite « responsabilité civile automobile » (Code des assurances., art. L. 211-1) ou encore de l’assurance des centres de vacances et de loisirs dont elles ont la gestion (Code de l’action sociale et des familles, art. L. 227-5).

En application de l’article L. 242-1 du Code des assurances : « Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage […] doit souscrire […] pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil. ».

Les articles du Code civil vers lesquels l’article L. 242-1 renvoie, limitent l’assurance aux dommages « même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. ».

Toutefois, ce même article L. 242-1 du Code des assurances, ne rend pas une telle police d’assurance obligatoire pour les personnes morales de droit public lorsqu’elles font réaliser pour leur compte des travaux de construction pour un usage autre que l’habitation (C. assur., art. L. 242-1, al. 2).

Dès lors, les constructions dont la collectivité est propriétaire sont exposées si ladite collectivité n’a pas souscrit à une assurance dommage aux biens, faute de ne pas être obligatoire. C’est en ce sens que les communes et autres collectivités sont amenées à contracter volontairement des polices d’assurances couvrant les dommages subis par les ouvrages dont elles sont propriétaires, même si elles ont la possibilité de s’auto-assurer. Selon un rapport du Sénat (Rapport d’information n° 474 2023-2024) cela concerne essentiellement le patrimoine immobilier, les ouvrages nécessaires aux réseaux d’eau et d’assainissement, le mobilier urbain, l’éclairage public, etc. Comme pour toute assurance, la couverture de la police peut varier et n’englober que certains sinistres. Globalement, elles couvrent les incendies, les actes de vandalisme, les dégâts des eaux, etc.

S’agissant spécifiquement des catastrophes naturelles, plusieurs textes sont à étudier. D’une part, l’article 1er de la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, qui dispose que : « Les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’État et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles sur les biens faisant l’objet de tels contrats. ».

Il est à noter que cet article exclut expressément l’État, ce dernier étant son propre assureur. D’autre part, l’article L. 125-1 du Code des assurances, qui reprend à l’identique l’article 1er précité, poursuit et étend la couverture des assurances des risques de catastrophes naturelles aux « affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l’objet de tels contrats. ».

L’article 1er de la loi du 13 juillet 1982 précise en son alinéa 3 les conditions nécessaires à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle : « Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens de la présente loi, les dommages matériels directs ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises. ». Enfin, il impose une constatation de l’état de catastrophe naturelle par arrêté interministériel pour pouvoir faire jouer cette assurance.

L’article L. 125-1 du Code des assurances a complété ces deux points, largement insuffisants. Il vient notamment, depuis le 1er janvier 2024, prendre en compte les « mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, la succession anormale d’événements de sécheresse d’ampleur significative ». Il étend également la couverture de l’assurance aux « frais de relogement d’urgence des personnes sinistrées dont la résidence principale est rendue impropre à l’habitation pour des raisons de sécurité, de salubrité ou d’hygiène », lesquels sont pris en charge par le régime de garantie associé lorsqu’ils résultent de ces mêmes dommages matériels directs qualifiés d’effets de catastrophe naturelle.

Cependant, comme dit précédemment, pour pouvoir bénéficier du régime spécifique des effets de catastrophes naturelles, il est nécessaire que cet état soit constaté par arrêté interministériel. Cet arrêté « détermine les zones et les périodes où s’est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie […]. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, la décision des ministres, qui est motivée de façon claire, détaillée et compréhensible et mentionne les voies et délais de recours ainsi que les règles de communication des documents administratifs, notamment des rapports d’expertise ayant fondé cette décision, dans des conditions fixées par décret. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l’État dans le département, en précisant les conditions de communication des rapports d’expertise. […] ». (C. assur., art. L. 125-1, al. 4).

De tels contrats d’assurance spécifiques ne sont pas rendus obligatoires par la loi pour les collectivités territoriales, mais lorsque les communes souscrivent à des contrats d’assurance des biens, des clauses liées aux catastrophes naturelles sont nécessairement insérées. C’est pourquoi les collectivités ont souvent recours à des contrats dits « multirisques », adaptés à la taille de la collectivité (aussi bien en termes d’habitants que de superficie), au parc immobilier et aux usages faits des différents ouvrages.

 

B. La présence d’importantes contraintes exercées sur les marchés d’assurance

Les communes françaises font face à une diversité de risques naturels, chacun présentant des caractéristiques spécifiques en termes de fréquence, de durée et de gravité. Par exemple, les inondations figurent parmi les catastrophes les plus fréquentes en France. En 2016, les inondations de la Seine et de la Loire ont causé des dommages estimés à plus d’un milliard d’euros, affectant gravement les infrastructures et les habitations dans plusieurs communes (Rapport CGEDD n° 010743-01 et IGA n° 16080-R) : https://portail.documentation.developpement-durable.gouv.fr/exl-php/cadcgp.php?CMD=CHERCHE&MODELE=vues/mte_recherche_avancee/tpl-r.html&WHERE_IS_DOC_REF_LIT=CGEOUV00243323&&TABLE=PUB_DOC). Ces inondations résultent généralement de précipitations intenses, de crues de rivières ou de débordements de cours d’eau, touchant particulièrement les zones situées dans les bassins fluviaux ou près des côtes. Les séismes, bien que moins fréquents que les inondations, représentent un risque significatif dans certaines régions. À titre d’exemple, le séisme de magnitude 5,2 survenu en novembre 2019 à Teil en Ardèche, a causé des dégradations importantes sur la commune, venant détériorer des centaines de logements, plusieurs écoles, ainsi qu’un centre socioculturel. Les communes du sud-est de la France, plus particulièrement, doivent tenir compte de ce risque dans leur planification urbaine et leurs constructions. Les tempêtes et les vents violents constituant également des menaces notables. La tempête Xynthia en 2010, a causé la mort de 47 personnes et des dommages matériels considérables, principalement dans les zones côtières de la Vendée et de la Charente-Maritime. Les tempêtes peuvent entraîner des dégâts importants aux toitures, abattre des arbres et provoquer l’interruption du fonctionnement des services publics, augmentant ainsi les coûts de réparation et de récupération pour les communes. Les glissements de terrain représentent également un risque important, en particulier dans les régions montagneuses et les zones avec des sols instables. En 2014, le glissement de terrain à La Roque-Gageac en Dordogne a détruit plusieurs maisons et infrastructures, illustrant la gravité de ce risque. Ces événements nécessitent des mesures de prévention et de gestion des sols appropriées. Enfin, les incendies de forêt, fréquents dans les régions méditerranéennes et les zones boisées, sont particulièrement destructeurs en période de sécheresse. À titre d’exemple, la base de données sur les incendies de forêts en France (BDIFF) indique que ces phénomènes ont conduit à la destruction de 4 071,11 ha de forêt dans le département du Var (sur 4 188, 81 ha de surface totale parcourue par l’incendie). Pour l’aire méditerranéenne dans son ensemble, ce chiffre s’élève à 17 894,15 hectares de forêt (sur 19 691,94 hectares de surface totale parcourue).

Cette exposition des collectivités à ces différents risques, engendre des difficultés significatives pour la passation et l’exécution des marchés publics. La première difficulté, tendant à l’absence de candidats aux marchés entraînant une procédure infructueuse, est issue de la forte concentration du marché d’assurance des collectivités autour de deux acteurs : la société Groupama et la SMACL. Cette dernière société compte 16 000 collectivités parmi ses clients (Rapport annuel de 2023 : https://www.smacl.fr/rapport-obssmacl) et a accusé une dégradation significative de sa solvabilité jusqu’à atteindre un ratio de 140% en raison de l’importance des catastrophes naturelles qui ont impacté ses clients. Ce type de situation pousse alors les acteurs à élever les primes d’assurance ou à quitter le marché. Pour la SMACL, la dernière solution n’est pas envisageable car ce marché représente la raison de son existence, la SMACL ayant été fondée par des élus locaux en 1974.

La seconde difficulté tenant à une hausse des primes d’assurance durant l’exécution du marché est liée au fait que de nombreux autres assureurs sont, compte tenu du marché, tentés d’augmenter les primes d’assurances via le système de clause de réexamen prévu par l’article R. 2194-1 du code de la commande publique. Ce risque ne peut évidemment être limité dès lors que la clause de réexamen est correctement rédigée et évite un calcul menant à une hausse exagérée, mais en cas de réitération importante de catastrophes naturelles, les prix grimperont de manière inévitable.

Enfin, la troisième difficulté tenant à une résiliation du contrat est tirée de l’article L. 113-12 du Code des assurances, lequel permet à l’assureur de résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’une année, à la condition d’envoyer une lettre recommandée à l’assuré au moins deux mois avant la date d’échéance du contrat. L’application de cet article avait fait l’objet de débats, le Conseil d’État ayant donné un premier indice dans un arrêt du 28 avril 2003 (Conseil d’Etat, 7ème et 5ème sous-sections réunies, n°233343, mentionné aux tables du recueil Lebon). En effet, le juge administratif a considéré que les dispositions d’ordre public, notamment de l’article L. 113-12 de ce code, n’étaient pas violées par celles du décret du 7 mars 2001 portant code des marchés publics, et a ainsi confirmé leur compatibilité et, par conséquent, leur potentielle applicabilité aux marchés publics. Cette position a été pleinement confirmée par la même juridiction dans l’arrêt Grand Port maritime de Marseille du 12 juillet 2023 (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, n°469319). Cette application ne doit toutefois pas être vue comme un risque pour la collectivité de ne plus avoir de contrat d’assurance. D’une part, l’article L. 113-12 prévoit lui-même une possibilité de déroger contractuellement à la limite de deux mois de préavis « pour les contrats individuels d’assurance maladie et pour la couverture des risques autres que ceux des particuliers ». Il est clair que les marchés publics d’assurance entrent dans cette deuxième hypothèse, permettant dès lors à la collectivité concernée de prendre les mesures de protection face à une résiliation qui risquerait d’être abusive, notamment en allongeant le délai (CE, 12 juillet 2023, Grand Port maritime de Marseille, 7ème – 2ème chambres réunies, n°469319). La Cour de cassation reconnaît, de son côté, la possibilité de déroger à la périodicité, plutôt que le préavis, de sorte que le marché puisse prévoir un droit à résiliation tous les deux ans au lieu de toutes les années (Cass. 2e civ., 10 décembre 2015, n° 14-14.512 : JurisData n° 2015-027605 ; Resp. civ. et assur. 2016, comm. 96 ; RGDA 2016, p. 131, note J. Kullmann).

Outre ces solutions face à un risque de perdre le contrat, le Conseil d’État en ouvre une autre, qui semble suivre celle du célèbre arrêt Béziers II (Conseil d’État, Section, 21/03/2011, n°304806, Publié au recueil Lebon). En effet, le Conseil d’État reconnaît, dans sa décision Grand Port maritime de Marseille, à la personne publique le pouvoir de s’opposer et imposer la poursuite de l’exécution du contrat pendant une durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d’un nouveau marché public d’assurance lorsqu’il existe un « motif d’intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge ». Cette limitation au droit de l’assureur de résilier le contrat revêt un intérêt pour la personne publique qui n’aurait pas pensé à augmenter suffisamment le délai de préavis pour prendre en compte la procédure de passation du marché public de remplacement. Le Conseil d’État a confirmé cette solution dans un arrêt du 4 avril 2024 (Conseil d’État, 7ème chambre, n°491068, Inédit au recueil Lebon) et est venu l’étendre aux assurances facultatives. Ce pouvoir est doublement limité dans la durée : la contrainte de poursuivre l’exécution des obligations contractuelles ne peut excéder la durée strictement nécessaire à la passation d’un nouveau marché, sans excéder non plus 12 mois.  Il ressort de ces dispositions que la personne publique concernée disposera toujours d’un moyen de replis. Mais comme expliqué précédemment, cette analyse n’est valable qu’en ignorant la part de marchés infructueux. En effet, le maintien du marché d’assurance n’est pas une finalité et elle mènera vers une nouvelle procédure de passation qui peut s’avérer elle-même infructueuse, auquel cas la première difficulté exposée précédemment réapparaît. En outre, le Conseil d’État, toujours dans son arrêt Grand Port maritime de Marseille, a expressément exclu la possibilité de maintenir un contrat d’assurance au-delà de 12 mois après la résiliation en raison d’une procédure de passation infructueuse pour le marché de remplacement. Il y a, ainsi, une répétition cyclique des difficultés pour les communes les plus touchées, avec un risque de ne disposer de plus aucun soumissionnaire.

En application de l’article L. 113-4 du Code des assurances, les assureurs peuvent également ajuster les primes d’assurance au nouveau niveau de risque auquel une commune est exposée et peuvent même aller jusqu’à la résiliation du contrat. Par exemple, à la suite des émeutes survenues à l’été 2023, le maire de Montargis a reçu de son assureur un avenant par lequel la franchise de son contrat est multipliée par plus de 266, passant de 7 500 € à 2 000 000 €. Le maire reconnait à ce titre que « si de nouvelles émeutes devaient survenir, je devrais faire payer ces 2 millions d’euros au contribuable, en faisant un emprunt » (Journal La Croix, Les communes s’inquiètent de la hausse des tarifs d’assurance, 28 mai 2024 : https://www.la-croix.com/economie/les-communes-s-inquietent-de-la-hausse-des-tarifs-dassurance-20240528). Situation identique pour le maire d’Arcueil dans le Val de Marne où sa franchise est passée de 1 500 € à 2 000 000 € en cas d’émeutes et où le plafond par sinistre a été ramené à 2 000 000 € et 3 000 000 € par an. De plus, certains risques naturels peuvent être exclus des polices d’assurance standards ou couverts uniquement avec des limitations spécifiques. C’est le cas pour les émeutes précédemment citées en exemple, qui où des plafonds de couverture sont appliqués, venant ainsi limiter la protection financière des communes. La variabilité et l’incertitude associées aux risques naturels rendent également leur évaluation précise difficile. Les communes se retrouvent obligées d’investir dans des études et des analyses détaillées pour comprendre leur exposition aux risques, comme l’ont fait les communes du Var après les incendies de 2017, ce qui représente évidemment un coût supplémentaire tant ces études exigent un niveau d’expertise élevé. En cas de catastrophe naturelle, les communes doivent non seulement gérer l’impact immédiat sur leurs infrastructures et leurs habitants, mais aussi naviguer dans les processus complexes de réclamation d’assurance. Les délais et les défis administratifs peuvent retarder les indemnisations nécessaires pour la reconstruction et la récupération, comme l’ont montré les difficultés rencontrées par les communes sinistrées après la tempête Xynthia. Pour faire face à ces défis, les communes doivent adopter une approche proactive et stratégique de la gestion des risques et de l’assurance. Elles doivent investir dans des infrastructures résilientes et des mesures de prévention. Par exemple, la ville de Nice a mis en place un système de gestion des eaux pluviales pour réduire le risque d’inondation, tandis que Grenoble a renforcé les documents d’urbanisme pour rentrer les nouvelles constructions plus résistantes aux séismes.  La mise en œuvre de telles mesures permet de réduire la fréquence et la gravité des sinistres, influençant positivement les primes d’assurance. Il est également crucial pour les communes d’élaborer des plans de continuité des opérations et de gestion de crise pour assurer la résilience et la rapidité de récupération après une catastrophe. Ces plans doivent inclure des protocoles de communication clairs, des rôles et responsabilités définis, et des ressources allouées pour la réponse immédiate. Par exemple, la commune de Lourdes a élaboré un tel plan après les inondations de 2013, ce qui a permis une meilleure gestion des crises ultérieures. En outre, les communes doivent travailler en étroite collaboration avec les assureurs pour concevoir des polices d’assurance adaptées à leurs besoins spécifiques, notamment par un dialogue plus clair et plus complet dans le processus d’achat. Cette collaboration peut inclure la participation à des programmes de mutualisation des risques, des évaluations régulières des risques et l’ajustement des couvertures en fonction des changements de l’exposition aux risques. La Ville de Marseille, par exemple, a collaboré avec ses assureurs pour développer des polices d’assurance spécifiques aux risques sismiques et d’inondation (Ville de Marseille « Gestion des risques majeurs » : https://www.marseille.fr/environnement/gestion-des-risques/risques-majeurs/l%C3%A9tat-de-catastrophe-naturelle).

 

II. Stratégies d’amélioration de l’assurabilité et de gestion des risques

Les stratégies d’amélioration de l’assurabilité et de gestion des risques des communes passent par le renforcement de la connaissance du patrimoine et des risques auxquels elles sont exposées. Cela implique un inventaire détaillé des biens communaux et la mise en œuvre de systèmes d’information géographique pour évaluer précisément les risques (A). De plus, la collaboration étroite avec les assureurs et la mise en place de politiques de prévention efficaces sont essentielles pour réduire l’impact des catastrophes naturelles et optimiser les contrats d’assurance (B).

 

A. Le renforcement de la connaissance du patrimoine mobilier et immobilier des communes par le biais d’un inventaire exhaustif

En amont du lancement du marché public tenant à la souscription d’une assurance couvrant les risques et les sinistres, les collectivités territoriales se doivent de procéder à une évaluation de leur patrimoine comprenant les biens mobiliers et immobiliers, afin de distinguer les biens devant être prioritairement couverts par une assurance et ceux pouvant être auto-assurés. Parmi les 713 collectivités ayant répondues à la consultation en ligne lancée par commission des finances, 30% d’entre-elles déclarent ne pas disposer d’un inventaire précis de leur patrimoine. Or, une bonne connaissance du patrimoine permettrait une meilleure gestion du risque. Cet inventaire exhaustif du patrimoine mobilier et immobilier doit permettre aux communes de définir le montant prévisionnel du marché au plus près des besoins assurantiels, notamment en repérant les éléments les plus vulnérables nécessitant une protection spécifique. Un exemple de l’importance de cet inventaire peut être observé dans la Ville de Paris, où la municipalité a réalisé une cartographie détaillée des bâtiments et infrastructures vulnérables aux inondations. Cette cartographie inclut des informations sur les matériaux de construction, l’âge des bâtiments, et leur état actuel, ce qui permet une évaluation plus précise des risques et des coûts potentiels en cas de sinistre. Grâce à ces informations, Paris peut prioriser les investissements en renforcement et en rénovation pour les zones les plus vulnérables. En outre, les communes doivent identifier et évaluer les risques qui ne sont pas couverts par les documents obligatoires tels que les Plans Communaux de Sauvegarde (PCS). Ces plans, bien que essentiels, peuvent ne pas couvrir tous les risques spécifiques à chaque commune. Par exemple, la Ville de Cannes a complété son PCS par des études spécifiques sur les risques liés aux tsunamis, compte tenu de sa situation géographique en bord de mer et l’histoire des tsunamis méditerranéens. Ces études permettent de mieux comprendre les risques spécifiques et d’élaborer des plans de prévention et de réaction adaptés. Le système d’information géographique (SIG) est également un outil précieux pour les communes. Ce système permet de collecter, de stocker, de manipuler et d’analyser des données spatiales et géographiques. Par exemple, la Ville de Grenoble utilise un SIG pour gérer les informations sur les risques naturels, en intégrant des données sur les inondations, les glissements de terrain et les avalanches. Ce système aide à visualiser les zones à risque, à planifier les interventions et à communiquer efficacement avec les résidents et les parties prenantes. La collaboration avec des experts et des institutions spécialisées est une autre stratégie essentielle. Les communes peuvent s’associer avec des universités, des laboratoires de recherche et des bureaux d’études pour bénéficier de leur expertise. La Ville de Strasbourg, quant à elle, a collaboré avec l’Université de Strasbourg pour développer un modèle prédictif des inondations basé sur des données historiques et des simulations climatiques. Cette collaboration a permis de créer des outils de prévision plus précis et d’élaborer des plans de gestion des risques plus efficaces. En renforçant leur connaissance du patrimoine et des risques, les communes peuvent non seulement mieux protéger leurs biens et leurs infrastructures, mais aussi négocier des polices d’assurance plus adaptées et potentiellement moins coûteuses. Une connaissance approfondie des risques permet de démontrer aux assureurs que la commune prend des mesures proactives pour réduire les sinistres, ce qui peut se traduire par des primes d’assurance plus basses et des conditions de couverture plus favorables. Ainsi, l’inventaire détaillé du patrimoine, l’identification et l’évaluation des risques spécifiques, l’utilisation des technologies de l’information géographique et la collaboration avec des experts constituent des étapes fondamentales pour une gestion prudente et efficace des risques naturels. Ces stratégies permettent non seulement de protéger les actifs communaux, mais aussi d’améliorer leur résilience face aux catastrophes naturelles, garantissant ainsi une meilleure sécurité et une stabilité financière accrue pour les collectivités territoriales.

 

B. La mise en œuvre de moyens préventifs en collaboration avec les assureurs

 Pour renforcer l’assurabilité des communes face aux risques naturels et sociaux, il est essentiel de mettre en œuvre des politiques de prévention solides et de favoriser une communication claire et transparente avec les assureurs pour démontrer l’existence ou non de certains risques. Ces stratégies permettent non seulement de réduire l’impact des catastrophes, mais aussi d’optimiser les contrats d’assurance et de minimiser les coûts associés. Le développement des actions de prévention des risques doit être systématique et bien planifié. Cela commence par l’adoption de mesures structurales visant à atténuer l’impact des catastrophes naturelles et sociales. Par exemple, des communes comme Nîmes, régulièrement touchées par des inondations, ont investi dans des digues et des bassins de rétention pour mieux gérer les crues. De même, dans les zones sismiques ou sujettes à des violences urbaines, il est impératif de construire des bâtiments selon des normes strictes de résistance. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur a ainsi mis en place des règlements de construction rigoureux pour améliorer la résistance des structures.

En parallèle, des mesures non-structurales doivent être adoptées. Les communes doivent élaborer et mettre à jour des plans d’occupation des sols qui tiennent compte des zones à risque. Par exemple, la ville de Grenoble a interdit la construction dans certaines zones inondables pour minimiser les risques. La mise en place de systèmes d’alerte précoce est également cruciale. La Ville de Paris utilise un système sophistiqué de surveillance de la Seine pour alerter en cas de crue, permettant de prévenir les habitants.

En outre, il est essentiel de développer une culture du risque en formant les habitants et les personnels municipaux aux mesures à adopter en cas de catastrophe. La commune de Lourdes, par exemple, organise des exercices de simulation d’inondation pour préparer les résidents et les services de secours.

Une collaboration active avec les assureurs est essentielle pour adapter les polices d’assurance aux besoins spécifiques des communes et pour bénéficier de leur expertise en gestion des risques. Les communes doivent établir des partenariats solides avec les assureurs, en tenant des consultations régulières pour discuter des risques et des mesures de prévention. Par exemple, la Ville de Marseille organise des réunions annuelles avec ses assureurs pour évaluer les risques sismiques et ajuster les polices d’assurance en conséquence. La participation à des programmes de mutualisation des risques, où les risques sont partagés entre plusieurs entités, peut également réduire l’impact financier sur chacune d’elles. Le Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM), ou Fonds Barnier, est un exemple de programme français qui aide à financer les mesures de prévention des risques naturels. En développant une culture du risque au sein des collectivités et en encourageant la formation continue sur la gestion des risques, les communes peuvent améliorer leur capacité à répondre aux catastrophes. Les communes doivent organiser des formations régulières pour les élus, les employés municipaux et les citoyens afin de les sensibiliser aux risques naturels et aux comportements à adopter en cas de catastrophe. Une communication claire et efficace entre les collectivités et les assureurs est nécessaire pour assurer une compréhension mutuelle des risques et des couvertures d’assurance. Les communes doivent fournir des informations détaillées sur les risques et les mesures de prévention mises en place, ce qui peut aider à négocier des contrats d’assurance plus avantageux.

Les communes peuvent également bénéficier de divers fonds d’investissement dédiés à la prévention des risques naturels. Elles doivent explorer les opportunités de financement offertes par les fonds nationaux et européens pour des projets de prévention des risques. Par exemple, les fonds européens FEDER (Fonds européen de développement régional) peuvent être utilisés pour financer des infrastructures de prévention des inondations. Les partenariats public-privé peuvent également être une source de financement pour les projets de prévention. Les communes peuvent collaborer avec des entreprises privées pour financer et mettre en œuvre des mesures de prévention, comme la construction de systèmes de drainage avancés ou la plantation de forêts pare-feu. Face aux défis de l’assurabilité des collectivités territoriales, le gouvernement a pris des mesures immédiates et prévoit des actions à plus long terme. Depuis le 1er octobre 2023, le Médiateur de l’assurance est habilité à traiter les différends entre les assureurs et les collectivités territoriales, visant à résoudre les litiges de manière plus efficace et à offrir une protection accrue aux collectivités. Par ailleurs, la mission sur l’assurabilité des collectivités semble offrir des solutions pérennes et adaptées aux enjeux actuels des communes.