LA LOI « INDUSTRIE VERTE » ET LES PROCÉDURES DE TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS DES ENTREPRISES, B. Rolland
Blandine Rolland
Professeur de Droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Directrice du CERDACC (UR 3992)
La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, relative à l’industrie verte réforme le droit des risques industriels (Voir not. R. BONNEFONT, « Loi « Industrie verte » : l’Etat creuse le sillon » : Energie – Environnement – Infrastructures 2023, n° 12, p. 14. – M. RAGOT et V. LEHMANN, « La loi Industrie verte : une alchimie difficile » : JCP E 2023, 1031. – J.-C. ZARKA, « La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte » : LPA 2023, n° 12, p. 23). À cette occasion, son article 14-II précise un point très sensible. C’est celui du droit des entreprises en difficulté confrontées aux problématiques environnementales. Il s’agit spécialement du cas d’un exploitant d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) qui est placé en procédure de liquidation judiciaire (pour une étude d’ensemble : B. Rolland, « Environnement et procédures collectives » : Juris-classeur Environnement, Fasc. 5100, 4/2018).
Le jugement de liquidation judiciaire prononce en général la cessation immédiate de l’activité de l’entreprise. Cela se traduit en droit de l’environnement par la mise à l’arrêt définitif de l’installation qui entraîne trois obligations pour l’exploitant (selon la typologie dans la nomenclature des ICPE, voir : C. env., art. L. 512-6-1, L. 512-7-6 ou L. 512-12-1). L’exploitant doit notifier à la préfecture la cessation d’activité ; mettre le site en sécurité et pour cela adresser un mémoire de mise en sécurité à la préfecture pour obtenir l’accord du préfet sur les mesures proposées ; le remettre en état en fonction de son usage futur et pour cela adresser dans un second temps au préfet un mémoire de réhabilitation et obtenir son aval. En raison de l’état dégradé de l’entreprise en liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire ès-qualités accomplit ces démarches selon les préconisations d’un Guide qui précise les obligations en la matière (https://ssp-infoterre.brgm.fr/fr/guide/administrateurs-mandataires-judiciaires-icpe).
Ces démarches vont donner naissance à des créances.
D’abord, l’exploitant de l’ICPE doit se conformer à la législation, procéder ou faire procéder aux travaux ou aux mesures imparties par le préfet, mettre le site en sécurité lors de la cessation de son activité. Plus tard, il conviendra de procéder aux éventuels travaux de remise en état ou réhabilitation du site. Ces mesures donnent lieu à des travaux commandés à des entreprises prestataires qu’il convient donc de rémunérer.
En parallèle, une créance administrative découle de l’application du droit de l’environnement (C. env., art. L. 171-8). Le préfet peut prendre à l’encontre de l’exploitant d’une ICPE, un arrêté complémentaire de mise en demeure d’effectuer certaines mesures, certains travaux ou démarches. Cet arrêté traduit une obligation de faire à la charge de l’exploitant. Si l’exploitant ne s’exécute pas, le préfet peut alors prendre un arrêté de consignation des sommes correspondantes aux travaux à effectuer par l’exploitant. Cet arrêté débouche sur un avis à tiers détenteur et une saisie des sommes visées. Mais l’exploitant conserve l’obligation de procéder aux travaux prescrits.
C’est sur cette question des créances que la loi dite Industrie verte est venue donner une solution légale dans le maquis des interprétations et des pratiques qui avaient cours. Elle a suivi deux pistes.
I- Abandon du système d’externalisation de la charge financière
La loi Industrie verte abandonne la première piste qui existait, à savoir l’externalisation de la charge environnementale pesant sur l’exploitant d’une ICPE. Elle supprime en effet les garanties financières des ICPE qui y étaient soumises depuis 2016 (Loi 23 oct. 2023, art. 14 I 1°). Elle laisse subsister seulement les garanties financières spécifiques, par exemple celles des installations Seveso, des carrières ou installations de stockage de déchets et celles constituées en cours d’exploitation en cas d’impossibilité d’effectuer les travaux demandés par le préfet. Par conséquent, hors les cas précédents, il n’est plus possible d’espérer financer la mise en sécurité des sites ICPE en cessation d’activité, par des garanties financières qui pouvaient être données par des établissements bancaires.
II- Consolidation de la portée interne de la charge financière
Le législateur choisi une autre piste, celle de la « réinternalisation » de la charge de la mise en sécurité des ICPE en cessation d’activité. Pour consolider cette charge en interne, il lui accorde un nouveau privilège dans le cadre de la liquidation judiciaire (O. BUISINE, « Projet de loi Industrie verte : la consécration d’un privilège environnemental » : LPA 2023, n° 6, p. 22). L’article L. 641-13 I du code de commerce définit le critère de fond auxquelles doivent répondre les « créances postérieures privilégiées ». Il est complété d’un nouveau 3ème alinéa. Les créances postérieures (parce que nées après le jugement d’ouverture de la procédure collective) sont privilégiées « si elles sont nées pour assurer la mise en sécurité des ICPE en application des articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 ou L. 512-12-1 du code de l’environnement ». Ce privilège est défini avec beaucoup de précision. Il vise la mise en sécurité du site lors de la cessation d’activité en cas de liquidation judiciaire de l’exploitant (Voir les articles R. 512-39-1 pour les ICPE soumises à autorisation, R. 512-46-25 pour les ICPE soumises à enregistrement, et R. 512-66-1 pour ICPE soumises à déclaration). La mise en sécurité couvre les mesures tendant à l’évacuation des produits dangereux présents sur le site, les interdictions ou limitations d’accès au site, la suppression des risques d’incendie et d’explosion et la surveillance des effets de l’installation sur son environnement, tenant compte d’un diagnostic proportionné aux enjeux (C. env., art. R. 512-75-1 IV).
Telles qu’identifiées, ces créances disposent désormais des prérogatives accordées aux créances postérieures privilégiées. Les créanciers qui en sont titulaires bénéficient du payement comptant, ils peuvent pratiquer des saisies, et à défaut de payement, ils ont droit à un classement préférentiel.
S’agissant d’abord du payement comptant, il faut s’inscrire dans les solutions fixées récemment par la Cour de cassation. En effet, le payement comptant a lieu en fonction des fonds disponibles. Or l’Association de Garantie des Salaires est subrogée dans le « superprivilège » des salaires correspondant aux 60 derniers jours impayés avant le jugement d’ouverture de la procédure. À ce titre elle doit être réglée sur les premières rentrées de fonds dans la procédure (C. cass., ch. com., 17 janv. 2024, n° 23-12.283, F-B-R et n° 22-19.451, FS-B-R). Les créances correspondant aux frais de mise en sécurité doivent s’articuler dans le cadre des fonds considérés comme disponibles.
S’agissant ensuite du classement en cas de non payement comptant, la loi Industrie verte intervient en modifiant également l’article L. 643-8 du code de commerce et en créant un nouveau privilège. Ce privilège prend le cinquième rang dans le classement des créances postérieures privilégiées, hors subsides versés au chef d’entreprise, donc après le superprivilège des salaires, les frais de justice, le privilège des produits agricoles, le privilège de conciliation. Il passe donc avant les sûretés immobilières, le privilège simple des salaires, le privilège de new money et enfin les autres créances postérieures restées impayées. L’arrêté préfectoral de consignation en bénéficie ainsi que les éventuelles factures restant dues aux entreprises ayant assuré la mise en sécurité du site.
Sur ce point, la loi Industrie verte est applicable immédiatement aux procédures de liquidation judiciaire ouvertes ou prononcées après sa promulgation, soit le 23 octobre 2023 (L. 23 oct. 2023, art. 14, III).