LE CERDACC, 30 ANS APRES : RISQUES ET TERRITOIRES, ENTRE RESILIENCE ET INNOVATION, B. Rolland
Blandine ROLLAND
Professeur de droit privé
Directrice du CERDACC (UR 3992)
Dès 9 heures du matin en ce 24 avril 2025, Blandine ROLLAND (Professeur des Universités à l’UHA et Directrice du CERDACC, UR 3992) accueille la soixantaine de participants, venus au Campus de la Fonderie à Mulhouse, pour assister au colloque intitulé « Le CERDACC, 30 ans après : Risques et territoires, entre résilience et innovation », mais également présents en ligne.
Recherches multi, pluri, transdisciplinaires : un compagnonnage de 30 ans, par Jean-François BRILHAC, (Professeur de chimie à l’UHA, Vice-Président recherche de l’UHA).
Le Professeur BRILHAC retrace un compagnonnage de 30 ans avec le CERDACC. A l’époque, le CERDACC et le LGRE travaillaient chacun sur les risques. Ils ont commencé à développer une approche multidisciplinaire avec d’abord une invitation croisée dans leurs formations réciproques et la mise en place de « projets interdisciplinaires collectifs » pour les étudiants des différents masters. Puis, acte 2, commence un travail interdisciplinaire qui se concrétise par quatre colloques intitulés « Regards croisés Droit et Science », sur l’accident du Mont Blanc (2006), l’expertise, la planification et enfin la gestion des risques industriels (2012). Ensuite, les deux laboratoires développent une approche transdisciplinaire par l’application à un cas donné et la réflexion sur la construction d’une méthodologie commune. Ils parviennent à développer une « Méthode globale d’analyse des risques sur un territoire ». Evidemment, ce compagnonnage va se poursuivre car il y a de nouveaux enjeux, de nouveaux champs disciplinaires à poursuivre !
Une jeunesse renouvelée, par Blandine ROLLAND (Professeur de droit privé à l’UHA, Directrice du CERDACC, UR 3992).
Blandine ROLLAND pose trois questions. « D’où venons-nous ? » lui permet d’évoquer la fondation du CERDACC il y a 30 ans à la suite de l’accident du Mont Sainte Odile (le 20 janvier 1992) et de remercier les fondateurs dont deux sont présents : Marie-France STEINLE-FEUERBACH et Claude LIENHARD (Professeurs émérites de l’UHA). Elle remercie aussi les membres du CERDACC qui sont (re)partis sous d’autres cieux et les « compagnons de route ». La question « 30 ans après : Où en sommes-nous ? » lui permet de dresser la liste des différents thèmes de recherche du CERDACC et de remercier tous les membres actuels du Centre. Elle relève que, 30 ans après, le CERDACC est toujours là, qu’il s’adapte pour survivre et qu’il répond aux commandes sociales et aux injonctions parfois contradictoires de ses évaluateurs. Elle en profite pour remercier tous les partenaires du CERDACC (Université, composantes de l’UHA, autres laboratoires, ainsi qu’à l’extérieur, notamment le monde judiciaire local). Enfin, à la question « Où allons-nous ? », elle donne quelques pistes de projets et parmi ceux-ci, les thèmes du présent colloque qui suggèrent un vaste champ de recherche. Bref, pour le CERDACC, 30 ans, c’est une jeunesse d’esprit, une jeunesse de ses membres et un renouvellement de ses thèmes !
Rapport introductif, par Olivier BECHT (Ancien ministre, professeur de droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Olivier BECHT prononce avec brio, sans notes, un rapport introductif présentant les grands enjeux du risque et du territoire. Selon lui, nous sommes protégés face aux risques industriels, avec la mise en place d’une planification et l’adoption de normes précises. Cependant, nous sommes vulnérables et exposés face aux risques majeurs comme le risque climatique ou les risques technologiques majeurs. On ne peut plus appréhender le risque exclusivement à travers la norme. Les collectivités et l’Etat doivent se doter de moyens d’agir. Gouverner c’est prévoir. Noé a construit son arche avant le Déluge. Il faut rebâtir des arches si l’on veut protéger son territoire !
1ère table ronde présidée par Hervé ARBOUSSET (Professeur de droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992) : Quel territoire pertinent face aux risques ?
La territorialisation du risque numérique, par Karine FAVRO (Professeure de Droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992, Vice-Présidente en charge de la cohésion stratégique et du rayonnement de l’Université).
Le risque numérique donne lieu à une approche par les risques mais sur un territoire donné. En l’occurrence, l’Union européenne veut construire un marché unique du numérique. On assiste à un « constitutionnalisme numérique » à l’échelle européenne avec la consécration de la citoyenneté numérique, la définition d’un pouvoir de commandement et la séparation des pouvoirs avec la co-construction et la co-régulation des modes de décision en la matière. Le risque numérique est en train de trouver une issue dans son acceptabilité à l’échelle européenne.
La territorialité du droit pénal face aux risques environnementaux, par Madeleine LOBE-LOBAS et Sophie HILDENBRAND (Maître de conférences en droit pénal à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Comment le droit pénal, qui par essence est limité à un territoire, peut-il s’appliquer aux questions environnementales qui par hypothèse ignorent le territoire ? Madeleine LOBE-LOBAS et Sophie HILDENBRAND proposent de répondre à cette question par l’application du droit pénal dans l’espace, vu sous l’angle du droit interne. Ensuite, elles développent l’apport du droit comparé et international dans la répression des infractions environnementales.
Résilience des territoires et innovations face au risque de déserts médicaux, par Juliette DUGNE (Maître de conférences en droit privé à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Juliette DUGNE présente l’existence des déserts médicaux en France comme un risque collectif et sanitaire. Ce sont 30 ans d’échecs des politiques publiques. Cette notion découle de zonages dressés par l’ARS et d’une cartographie. Une résilience est nécessaire face à ce risque. Elle évoque la remise en cause du numerus clausus des médecins, les dispositifs limités pour inciter les médecins à s’installer en zone de tension, le conventionnement sélectif … Mais elle salue ensuite les innovations salutaires avec le renouveau des pratiques médicales et les expérimentations des territoires pour attirer de nouveaux praticiens.
2ème table ronde présidée par Claude LIENHARD (Professeur émérite de l’UHA, Co-fondateur du CERDACC, UR 3992) : Territoires et responsabilités.
Les territoires abolis : la faute civile et la critique des produits sur internet, par Anthony TARDIF (Maître de conférences en droit privé à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Anthony TARDIF s’attache à présenter le régime juridique de la responsabilité applicable aux « avis en ligne » qui donnent lieu à la critique de produits ou de services sur internet. Il expose les liens entre l’article 1240 du Code civil et la liberté d’expression : de l’exclusivisme à l’exclusion. Des obstacles processuels se dressent et surtout des obstacles substantiels qui empêchent la réparation des atteintes à la réputation commerciale sur internet.
Les risques liés aux mobilités du futur dans l’espace trinational, par Eric DESFOUGERES, (Maître de conférences en droit à l’UHA, CERDACC, UR 3992) et Thorsten VOGL, (Rechtassessor, Institut de recherche sur le droit routier, Zurich).
Ils traitent des mobilités dans l’espace du Rhin supérieur (France, Suisse, Allemagne) et notamment la question de la circulation des véhicules autonomes. En France, depuis une ordonnance de 2016, l’expérimentation des véhicules autonomes sur des circuits identifiés est autorisée. Mais le conducteur doit pouvoir à tout moment reprendre le volant. En Suisse l’utilisation de ces véhicules est possible sur les autoroutes sur homologation mais personne n’a encore demandé cette homologation. En Allemagne, cette utilisation est également possible sur toutes les routes. En revanche, la conduite entièrement autonome sans reprise en main n’est prévue qu’à titre expérimental pour les bus à Francfort ou pour le transport des marchandises. Une loi suisse autorise aussi de garer une voiture de manière autonome sans conducteur dans un parking (mais il n’y a pas de parking équipé ni de voitures adaptées !). Ils exposent ensuite les questions non résolues relatives à la mise en jeu de la responsabilité civile et pénale.
La transition écologique : un risque pour le droit à la terre en République démocratique du Congo, par Justin MALUNDAMA MBONGO (Doctorant au CERDACC, UR 3992).
Justin MALUNDAMA MBONGO évoque la dépossession des autochtones de leur terres par la cession forcée au profit d’entreprises multinationales. Au nom de la transition écologique, des atteintes graves sont portées à l’exercice du droit à la terre que ce soit en matière de production d’hydrocarbures ou d’énergie renouvelable. Des atteintes sont aussi portées à la jouissance du droit à la terre par la destruction et l’exploitation des ressources terrestres et aquatiques liées à l’exploitation des minerais. La mise en place des énergies renouvelables risque aussi de priver les autochtones du droit de jouissance sur les énergies fossiles.
3ème table ronde présidée par Blandine ROLLAND (Professeur de droit privé à l’UHA, Directrice du CERDACC, UR 3992) : Risques industriels et territoires.
L’extraterritorialité du devoir de vigilance par Nicolas IDA (Professeur de droit privé à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Cette intervention est placée sous le rappel du funeste anniversaire du 24 avril 2013 (catastrophe du « Rana Plaza ») qui a justement entraîné l’adoption de la loi française sur le devoir de vigilance. Nicolas IDA propose à cet égard une plongée dans le droit international privé et invite à réfléchir sur la possibilité pour ces victimes de préjudices au Bangladesh d’être indemnisées. Quelle est la loi applicable ? La loi française n’a pas une portée internationale. Mais la directive européenne a opté quant à elle pour la qualification de loi de police afin d’avoir plus d’efficacité. Cependant le législateur européen est en train de reculer avec la directive Omnibus qui « détricote » la directive CSRD d’une part, mais aussi la directive CS3D. On en revient donc à la case départ ! S’agissant ensuite du tribunal compétent, les plus grandes difficultés se rencontrent si la société mère ou donneuse d’ordre a son siège hors d’Europe ou si la filiale est établie dans un pays tiers. En conclusion, les questions de droit international privé sont un angle mort de la réflexion sur le devoir de vigilance.
La RSE dans les multinationales comme dépassement face à la territorialisation des risques, par Imane MOHAMED (Docteur en droit, CERDACC, UR 3992).
La territorialisation des risques dans les multinationales rejoint la territorialisation des responsabilités dans le cadre de chaque filiale du groupe. Mais ces échappatoires peuvent être remises en cause par l’adoption d’une politique de Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) au sein du groupe. La RSE est entendue comme un comportement volontaire qu’une société mère s’impose et impose à ses filiales. L’expression RSE renvoie d’abord au terme de responsibility entendu comme une responsabilité au sens philosophique, puis au terme de liability, la responsabilité au sens juridique, et enfin au terme d’accountability, qui est le devoir de rendre des comptes. Mais, sous l’impulsion du Parlement européen, une nouvelle approche est admise qui met en avant un encadrement de la RSE et se traduit par les obligations de vigilance, de reporting, … Un encadrement international découlant de la codification internationale de la RSE est proposé, notamment à travers un projet de convention internationale en matière de RSE.
Catastrophes industrielles et résilience juridique, par David DEHARBE (Avocat associé, ancien Maître de conférences en droit public)
David DEHARBE s’interroge sur la qualification juridique de la « catastrophe ». Il constate que le droit de l’UE relativise l’ampleur des effets de la catastrophe pour la qualifier de « risque majeur » ou de « risque technologique ». Mais le risque est parfois même exclu puisqu’on assiste à une requalification des pollutions diffuses au sein des catastrophes. Il évoque la question des terrils qui peuvent être classés comme « paysage à protéger ». Il aborde ensuite rapidement le régime juridique de la catastrophe industrielle et présente l’affaire Metaleurop dans laquelle l’Etat a été condamné pour son défaut de surveillance de l’exploitant.
Démantèlement et réutilisation d’un site nucléaire. L’innovation technologique au service de la résilience du territoire de Fessenheim ? par Thomas SCHELLENBERGER (Maître de conférences en droit public à l’UHA, CERDACC, UR 3992).
Le cadre juridique du démantèlement d’une centrale nucléaire, comme celle de Fessenheim est présenté. L’usage futur a une incidence sur le niveau de réhabilitation. En France, il n’y a pas de radioactivité acceptable. Il n’y a pas de « seuils de libération » pour les bâtiments libérés et qui ne seront pas détruits mais qui doivent donc être décontaminés à un prix élevé. Il n’y en a pas non plus pour les déchets faiblement radioactifs. Or une expérimentation aura lieu avec le Technocentre de Fessenheim qui pourrait être le premier site français de recyclage des déchets « très faiblement radioactifs ». Il s’agit de déchets dont le niveau de radioactivité est proche de celui qui est naturel en France. Le Conseil d’Etat a ainsi validé le 27 mars 2023 deux décrets encadrant cette pratique et leur donnant un régime juridique.
4ème table ronde présidée par Marie-France STEINLE-FEUERBACH (Professeur émérite de l’UHA, Co-fondatrice du CERDACC, UR 3992) : Risques naturels et territoires.
Résilience des territoires littoraux face aux risques d’érosion et de submersion, par Raphaël RENEAU (Maître de conférences en droit public, Université de Bretagne-Sud, Lab-Lex, UR 7480).
Raphaël RENEAU rappelle que le niveau de la mer n’est pas statique au fil des années et des millénaires. L’augmentation de la hauteur de la mer entraîne un risque de submersion, de la houle, des vagues, des dépôts sédimentaires, une érosion du trait de côte et des plages. Il évoque un rapport de la Cour des comptes de 2024 qui propose une nouvelle gestion du trait de côte face aux incidents climatiques. Il se demande ce qu’est une stratégie résiliente en la matière et présente les outils juridiques et les questions de relocalisation des populations. Mais ne faut-il pas privilégier une transformation résiliente ? Ainsi, il conviendrait de laisser faire la nature et d’abandonner le littoral aux jeux de la mer.
L’impact d’une expansion des phénomènes climatiques sur l’assurabilité des collectivités territoriales, par Vincent DOEBELIN (Docteur en droit, CERDACC, UR 3992).
Vincent DOEBELIN entend traiter cette question très prégnante actuellement pour les collectivités territoriales, celle de la difficulté de s’assurer face aux phénomènes climatiques. Il expose l’émergence des difficultés nouvelles en matière d’assurabilité des collectivités territoriales. On assiste à une hausse vertigineuse des primes d’assurance et à la difficulté de trouver un assureur qui accepte d’assurer les collectivités. Il propose donc des solutions aux collectivités territoriales.
La restauration de la nature entre résilience écosystémique et résilience territoriale, par Marthe LUCAS (Maîtresse de conférences de droit public, Avignon Université, IMBE UMR Université Aix Marseille / CNRS 7263 / IRD 237).
La notion de résilience écologique est apparue récemment. C’est la capacité d’un système à retrouver sa structure primitive après avoir subi une perturbation. Cependant, il existe un point critique où le système s’écroule et c’est irréversible. En droit, on retrouve le terme de restauration dans plusieurs codes, avec des obligations variées. Mais c’est avant tout la prévention qui doit primer. En effet, les écologues sont incapables de restaurer un écosystème qui a été détruit.
Rapport de synthèse, par Bruno TRESCHER (Professeur de droit public à l’Unistra, Directeur de la Fédération de recherches « L’Europe en mutation » FRU 6703).
A 18 heures, il revient à Bruno TRESCHER de conclure ce riche colloque. En tant que fiscaliste, il indique d’abord qu’il a beaucoup appris des différentes interventions. Risque et territoire, c’est un enjeu à l’époque de la mondialisation. A ce titre, l’innovation, aussi bien juridique que technologique, est un moyen de favoriser la résilience. Il reprend donc les différentes interventions et les reclasse à travers trois approches : le cadre transnational et l’extra-territorialité en matière d’intelligence artificielle, de droit pénal, d’obligation de vigilance … ; le cadre national s’agissant des véhicules autonomes, de l’assurance, de l’accaparement des terres, des déserts médicaux et de la télémédecine ; enfin le cadre infra-national pour la gestion des sols pollués, de la biodiversité et des territoires littoraux …