LES CONSEQUENCES SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES DES ESSAIS NUCLEAIRES FRANÇAIS TOUJOURS AU CŒUR DES PREOCCUPATIONS DE L’ASSEMBLEE NATIONALE, H. Arbousset
Hervé ARBOUSSET
Professeur de droit public à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)
Cela fait un peu plus de 15 ans que la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été promulguée (Loi du 5 janvier 2010 n°2010-2, JORF 6 janvier 2010). Dans le dernier rapport du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) pour 2023, le bilan nécessairement provisoire qu’il dresse, présente un certain nombre d’éléments intéressants. Depuis janvier 2015, 2846 dossiers ont été déposés, 52% des demandes provenant de métropole (52%), 46% de Polynésie française, la majorité étant issue de militaires (1315). Depuis que le CIVEN statue sur les demandes en lieu et place du ministre de la Défense (2015), le taux d’acceptation est en moyenne de 45% alors qu’il s’établit à 48% pour l’année 2023 (https://www.info.gouv.fr/organisation/comite-d-indemnisation-des-victimes-des-essais-nucleaires-civen/rapports-d-activite). En dépit des modifications apportées par le législateur au fil des ans afin d’améliorer le dispositif, le nombre d’indemnisation, tout en étant en progrès, n’atteint pas un niveau très élevé.
Afin de faire le point, notamment, sur le mécanisme d’indemnisation, l’Assemblée nationale avait décidé, en 2024, de créer une commission d’enquête relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française, à la reconnaissance, à la prise en charge et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, ainsi qu’à la reconnaissance des dommages environnementaux et à leur réparation. Ses travaux ont été interrompus à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par le Président de la République le 9 juin 2024. Une nouvelle commission d’enquête ayant le même objet que la précédente a été mise en place le 14 janvier 2025.
Ses travaux ont débuté le 21 janvier 2025 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16052145?timeCode=940) par l’audition de MM. Sébastien Philippe et Tomas Statius, auteurs de l’enquête « Toxique – Enquête sur les essais nucléaires en Polynésie » (PUF, 2021) puis par celle des représentants de l’Association 193 (ce nombre correspondant aux 193 tirs réalisés en Polynésie française). Ensuite, une table ronde a été organisée avec les associations de victimes et des victimes des essais nucléaires. (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16072682?timeCode=1121). Ont été, par la suite, entendus MM. Gilles Andréani (Président de la Commission du secret de la défense nationale), Bruno Ricard (directeur des Archives nationales), Evence Richard (directeur de la mémoire, de la culture et des archives du ministère des Armées), Laurent Veyssiere (directeur de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense), le Général de brigade Gilles Haberey (chef du Service historique de la Défense par intérim), Nadine Marienstras (cheffe du service historique de la Défense), Sylvie Le Clech (directrice adjointe des archives diplomatiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères), Marion Veyssiere (directrice adjointe du Musée national de la Marine, ancienne conseillère chargée des archives auprès de Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants), puis de Patricia Miralles, (Secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire) (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16107277?timeCode=470).
C’est le 29 janvier 2025 qu’ont été auditionnés M. Gilles Hermitte, Président du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), Mmes Laurence Lebaron-Jacobs, Vice-présidente du CIVEN et Monia Naouar, directrice du CIVEN (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16127314?timeCode=961). Ils ont été interrogés sur le fonctionnement de celui-ci. C’est de manière détaillée qu’a été décrite l’organisation et défini la procédure débutant par le dépôt du dossier jusqu’à la décision du CIVEN. M. Hermitte a bien insisté sur l’apport du changement de statut du CIVEN, devenu une autorité administrative indépendante, qui a permis de renforcer son autorité et sur la transparence qui guide sa mission. En effet, en 2020 a été publiée au Journal officiel sa méthodologie « elle se présente sous la forme d’un document d’une vingtaine de pages détaillant de manière extrêmement précise la prise en charge des dossiers, leur mise en état, leur instruction et les modalités de décision du comité. Je suis tenté de dire que les organismes qui exposent publiquement la manière dont ils prennent en charge et étudient les dossiers qui leur sont soumis ne sont pas si nombreux ». Les questions ont porté également sur le critère de localisation et sur les difficultés, cinquante ans après les essais nucléaires, d’apporter la preuve de sa présence sur site le jour des essais. Le Président du CIVEN a répondu aux critiques portant sur les convocations tardives des personnes auditionnées. Il a indiqué qu’en 2023, les horaires ont été changés pour permettre aux membres du collèges et aux demandeurs de pouvoir être présents. Au-delà, la directrice du CIVEN a précisé que le site internet du comité (en ligne depuis quelques jours) permettait d’accéder aux formulaires en langue arabe et en langue polynésienne alors que jusque-là les informations étaient disponibles sur le site du Gouvernement sans que le CIVEN n’ait la main et alors qu’une perte de données avait été constatée.
Ont également été auditionnés des représentants du Service de santé des armées (SSA) : MM. Jean-Ulrich Mullot, pharmacien en chef (DCSSA/division stratégie santé de défense), Jean-Christophe Amabile, médecin chef des services de classe normale, directeur du Service de protection radiologique des armées, Gabriel Bédubourg, médecin chef, délégué de l’Observatoire de la santé des militaires et des vétérans, Laurent Géraut, médecin chef, coordonnateur national de la médecine de prévention.
Le 4 février 2025 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16154631?timeCode=553) a été entendu le président de l’Association Tamarii Moruroa puis le 5 février (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16167005?timeCode=965) des chercheurs spécialistes des questions nucléaires lesquels ont abordé la question essentielle de savoir comment faire pour disposer d’une évaluation impartiale sur les essais nucléaires et leurs conséquences tant pour la santé humaine que pour l’environnement. Denis Pelopidas (fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires, membre du CERI Sciences Po) estime d’abord qu’il faut disposer d’évaluations issues de personnes ni hostiles aux essais nucléaires ni favorables à ceux-ci (par le biais d’une médiation par la science s’appuyant sur un financement évitant les conflits d’intérêts) puis qu’il est indispensable que l’entité chargée de dire à quelles informations on peut avoir accès ne soit pas juge et partie et enfin que les réflexions doivent porter non pas sur les intentions des initiateurs des essais nucléaires mais sur les effets de ceux-ci.
Depuis, ont été interrogés un historien afin qu’il éclaire la Commission d’enquête sur ce que les politiques savaient à propos des effets néfastes des essais (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16202671?timeCode=759) puis le directeur de l’Observatoire des armements et des représentants de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. L’étude des conséquence sanitaires des essais nucléaires (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16221084?timeCode=1099) et de ses effets environnementaux a donné lieu à deux tables rondes (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/videos/CRVANR5L17S2025IDV16255046?timeCode=648).
Il est ainsi important que la représentation nationale se tourne une fois encore vers le passé et les choix politiques qui furent alors adoptés afin d’assurer l’indépendance de la France par la détention de l’arme nucléaire. Il s’agit de comprendre ceux-ci, d’appréhender l’ensemble des conséquences tant sanitaires qu’environnementales des essais réalisés et d’apprécier sereinement le dispositif législatif d’indemnisation des victimes et de leurs ayants droit pour, peut-être, le faire évoluer.