Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

MEDIATOR : LA RESPONSABILITE DES LABORATOIRES SERVIER CONFIRMEE PAR LA COUR DE CASSATION, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach
Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’UHA
Directeur honoraire du CERDACC

 

Commentaire de Civ. 1ère, 20 septembre 2017, n° 16-19.643 (pour lire l’arrêt)

 

L’arrêt rendu le 20 septembre 2017, rejetant le pourvoi des Laboratoires Servier à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, en date du 14 avril 2016 (RG n° 15/08232), est riche d’enseignements quant à la responsabilité du fait des produits défectueux en matière de santé. Il fixe la date de la mise en circulation des produits fabriqués en série.

 Mots clés :

Articles 1386-1 et s. anciens devenus 1245 et s. du code civil – Date de mise en circulation – Indemnisation – Imputabilité – Lien de causalité – Mediator – Médicament – Produit défectueux – Responsabilité civile

Deux décisions du tribunal de grande instance de Nanterre avaient constitué une étape importante dans le contentieux civil relatif au Mediator par la reconnaissance de la défectuosité de ce médicament dont le principe actif est le benfluorex (TGI Nanterre, 22 octobre 2015, n° 12/07723 et n° 13/06176, M.-F. Steinlé-Feuerbach « La défectuosité du Mediator judiciairement reconnue », JAC n° 158, nov. 2015). Dans la première de ces affaires, les troubles du demandeur n’avaient été imputés que pour moitié au Mediator alors que dans la seconde affaire, l’insuffisance aortique affectant la patiente, Mme Esther X., était considérée comme entièrement imputable à la prise du médicament entre le 9 février 2006 et le 17 octobre 2009. Le tribunal concluait à l’engagement de la responsabilité de la société Les Laboratoires Servier en raison de la défectuosité du Mediator pendant la période d’administration du médicament.

La cour d’appel de Versailles avait approuvé la décision des premiers juges concernant Mme Esther X., tant sur les aspects procéduraux que sur le fond du litige. Par le présent arrêt, la première Chambre civile rejette tous les moyens du pourvoi introduit par le producteur.

Dans son premier moyen, le producteur tente, pour la troisième fois, de justifier un sursis à statuer en raison des poursuites pénales en cours à son encontre, Mme Esther X. étant partie civile à l’une des instances. La Cour de cassation considère qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de sursoir à statuer car l’action de la patiente n’est pas exercée en réparation du dommage causé par l’infraction (art. 4 al. 3 CPP, cf. « Affaire du Mediator : sursis à statuer et mise en oeuvre de la responsabilité », D. 2017, p. 1834).

Nous nous intéresserons plus particulièrement aux deux autres aux moyens lesquels concernent l’imputabilité de la pathologie de la patiente au Mediator (I) et le refus de l’exonération pour risques de développement (II).

I) L’imputabilité : de l’intérêt de l’avis du collège d’experts de l’ONIAM

 Il est ne fait actuellement plus de doute qu’en l’absence de certitude scientifique, l’établissement du lien de causalité entre le défaut d’un médicament et un dommage peut résulter d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Vaccin contre l’hépatite B et sclérose en plaques : La CJUE admet la preuve par faisceau d’indices (CJUE (2ème ch.), 21 juin 2017, aff. C-621/15 N.W e.a./ Sanofi Pasteur MSD e.a) », JAC n° 168, juin 2017). Ainsi, la vraisemblance scientifique de la causalité, confortée par l’absence d’autres causes d’apparition de la pathologie, peut conduire à l’admission du lien de causalité.

Le deuxième moyen du pourvoi de la société se fonde sur l’absence de preuve de l’imputabilité du dommage à l’administration du produit, les présomptions ne pouvant être réunies qu’à la condition que le produit incriminé puisse être une cause génératrice du dommage. Sans nous livrer ici à une discussion sur les concepts de causalité, d’implication et d’imputabilité, il est possible de considérer que l’imputabilité s’analyse comme une probabilité médicale, composante de la présomption de causalité juridique.

Cette probabilité médicale, à défaut de certitude, relève nécessairement de l’expertise médicale. Dans le cas de Mme Esther X. l’expert judiciaire avait conclu à une causalité seulement plausible, ce qui affaiblissait l’établissement de l’imputabilité. Les premiers juges ne se sont pas contentés de l’expertise judiciaire et ont pris en compte également l’avis ultérieur du collège d’experts de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Mme Esther X. avait en effet introduit une demande d’indemnisation après de cet organisme, la loi du 29 juillet 2011 offrant à « toute personne s’estimant victime d’un déficit fonctionnel imputable au benfluorex » la possibilité de saisir l’ONIAM (H. Arbousset, « Mediator et indemnisation des victimes : retour sur une affaire d’Etat », JCP A 2011, 2390).

Le tribunal de grande instance de Nanterre avait justifié la prise en compte du rapport du collège d’experts de la manière suivante, qui mérite d’être citée  : « Bien que ce rapport ne peut avoir la même portée que celui de l’expert judiciaire dans la présence instance, il résulte néanmoins des missions confiées au collège d’experts placé auprès de l’ONIAM par la loi du 29 juillet 2011 qu’ayant vocation à constater le déficit fonctionnel imputable au benfluorex et à évaluer l’étendue des dommages, ce collège doit procéder aux investigations dans le respect du principe du contradictoire.

Eu égard à son caractère contradictoire et à l’autorité de ses auteurs tant pour déterminer le lien de causalité avec le benfluorex que pour évaluer les préjudices imputables, le rapport du collège benfluorex constitue un élément d’appréciation particulièrement pertinent dans le cadre de l’instance civile, d’autant qu’ayant été émis en février 2015, il tient compte des travaux et publications les plus récentes. » Ainsi, le caractère contradictoire des débats au sein du collège d’experts et l’actualisation des connaissances médicales ont permis au tribunal de s’estimer suffisamment éclairé. La cour d’appel de Versailles constate une convergence des appréciations de l’expert judiciaire et de l’avis du collège d’experts, d’autant que les deux expertises ont été effectuées à trois ans d’intervalle.

La Cour de cassation, en validant le raisonnement des premiers juges pour admettre qu’il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir que la pathologie est imputable au Mediator, confère un rôle important au collège des experts de l’ONIAM dédié au benfluorex. Rappelons que l’ONIAM est également chargée de l’indemnisation des victimes du valproate de sodium (loi du 29 décembre 2016), la composition et le fonctionnement du collège d’experts, ainsi que ceux du comité d’indemnisation, ayant été précisés par décret du 5 mai 2017.

II. L’exonération pour risques de développement : de l’importance de la date de mise en circulation

 S’il était permis de supposer qu’un des moyens du pourvoi aurait trait à la reconnaissance de la défectuosité du produit, la stratégie des Laboratoires Servier a été de viser directement la possibilité de l’exonération pour risques de développement offerte au producteur par le 4° de l’article 1386-11 du code civil, devenu article 1245-10, s’il arrive à prouver « Que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ». La date de mise en circulation a un rôle central, non seulement, comme dans cette affaire, pour apprécier l’état des connaissances à cette date, mais également pour trois autres causes d’exonération prévues à l’article 1245-10 du code civil et, plus largement, pour déterminer le champ d’application dans le temps du régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux ainsi que pour fixer le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation de l’article 1386-16 du code civil devenu 1245-15. Les enjeux de la date de la mise en circulation sont donc multiples (A. Guegan, « La mise en circulation – rapport français) », in GRERCA, La responsabilité du fait des produits défectueux, IRJS Editions, juill. 2013, p. 287 et s. ; O. Sabard, « La mise en circulation et ses effets », RCA janv. 2016, p. 31) d’autant que le produit ne peut faire l’objet que d’une seule mise en circulation. Selon l’article 1386-5 devenu 1245-4, « Le produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement ». Pour la Cour de justice des communautés européennes, un produit doit être considéré comme ayant été mis en circulation « lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en oeuvre par le producteur et qu’il est entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé » (CJCE, 9 février 2006, Aff. Declean O’Byrne c/Sanofi Pasteur MSD Ltd et Sanofi Pasteur SA, n° C-127/04, JCP G 2006, II, 10083, note J.-C. Zarka ; D. 2006, pan. 1937, obs. Ph. Brun ; RTDciv. 2006, p. 331, obs. P. Jourdain). Cette définition n’est pas totalement éclairante et ne résout pas, notamment, le problème des produits fabriqués en série tels que les médicaments. Comme l’énonce Anne Guegan « on se demande s’il faut considérer la mise en circulation du premier exemplaire ou de celui-là même qui a causé le dommage. Sauf à mettre en avant l’idée d’un vice de conception plutôt que de fabrication, il semblerait cependant logique de considérer qu’il faut prendre en compte la mise en circulation du produit ayant causé le dommage puisque le point de départ du délai butoir de 10 ans est précisément défini ainsi » (A. Guegan, « La mise en circulation », préc.).

Récemment, dans une affaire concernant un herbicide, la Chambre mixte de la Cour de cassation avait écarté la possibilité de retenir la date de l’autorisation de mise sur le marché (Ch. mixte, 7 juill. 2017, n° 15-25651, Gaz. Pal. 10 oct. 2017, p. 30, obs. N. Blanc). Allant plus loin, la première Chambre civile définit clairement cet élément en précisant « que la date de mise en circulation du produit qui a causé le dommage s’entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il faisait partie ». Il convient de saluer cette position judicieuse de la Cour qui devrait clore les discussions pour la date de mise en circulation des médicaments et, au-delà, pour tous les produits fabriqués en série.

La Cour réfute la thèse de la société selon laquelle les connaissances scientifiques et techniques en 1997 ne permettaient que d’établir la cardiotoxicité de substances voisines et non celle du Mediator. Elle estime que la parenté chimique de celui-ci avec des médicaments jugés dangereux en 1997 aurait dû conduire la société à procéder à des investigations sur la réalité du risque signalé et à en informer les médecins et les patients. Par ailleurs, dès 1998 des études internationales avaient conduit au retrait du médicament en Suisse, puis ultérieurement en Italie et en Espagne. Par conséquent, l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation des produits administrés à la patiente entre 2006 et 2009 permettait bien de déceler l’existence du défaut du Mediator.

Important sur le plan du droit de la responsabilité des produits défectueux cet arrêt apportera à Mme Esther X. la satisfaction de voir confirmée la condamnation de la société Les Laboratoires Servier en réparation des préjudices subis mais ne lui permet pas d’obtenir une augmentation de la réparation de son déficit fonctionnel fixé à 3300 euros par la cour de Versailles alors que le tribunal de Nanterre lui avait accordé 5400 euros.

 

 

 

 

 

,