MINEUR AUTEUR D’UN INCENDIE ET RESPONSABILITÉ PARENTALE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Commentaire de C. cass., Ass. plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760

Mots-clés : Cohabitation – Coparentalité – Divorce et résidence habituelle de l’enfant chez sa mère – Incendie causé par un mineur – Réparation des dommages causés aux victimes – Responsabilité civile parentale

L’arrêt de la Cour de cassation rendu par l’assemblée plénière le 28 juin 2024 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000049857511?init=true&page=1&query=22-84.760&searchField=ALL&tab_selection=all) était attendu parce qu’il était difficilement compréhensible qu’un parent encore titulaire de l’autorité parentale, même s’il ne vit plus au quotidien avec son enfant, ne soit pas jugé responsable de l’incendie que le mineur avait causé.

Pour se repérer

Par principe, lorsqu’un mineur non émancipé est l’auteur de dommages, c’est la responsabilité de ses parents qui est engagée sur le fondement de l’article 1242, alinéa 4 du Code civil (F. Boulanger, « Autorité parentale et responsabilité des père et mère des faits dommageables de l’enfant mineur », D. 2005, chron. 2245). Le texte relève que « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». Pour les juges, la notion de cohabitation s’avère délicate à retenir lorsque le couple parental vit séparément, notamment lors d’un divorce. Ils ont précédemment pu considérer que seul le parent qui continue de cohabiter avec son enfant doit être jugé responsable (Cass. 2e civ., 20 janvier 2000, n° 98-14.479, Bull. 2000, II, n° 14 ; Crim. 6 novembre 2012, n° 11-86.857, Bull. crim. 2012, n° 241). Effectivement, bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement alors que l’autre parent vit quotidiennement avec leur enfant ne permet pas de constituer une cohabitation. Selon cette interprétation, ce parent n’était pas visé par la mise en œuvre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’affaire jugée par la Cour de cassation, Assemblée plénière. En l’espèce, un mineur avait provoqué une série d’incendies ayant causé de très lourds dommages, cet acte commis par lui étant bien la cause directe du dommage subi par les victimes, propriétaires des lieux.

En première instance, les parents avaient été jugés tous deux responsables par le tribunal judiciaire. Le père avait interjeté appel précisant que la résidence de l’auteur de ces faits était fixée chez sa mère et donc qu’il ne cohabitait pas avec lui, n’ayant droit qu’à des temps de présence ponctuels liés au droit de visite et d’hébergement. Validant l’argumentaire, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (17 juin 2022, n° 21/06391) avait fait droit à sa demande, estimant que seule la mère devait être responsable puisque le père n’avait pas commis de faute personnelle qui aurait conduit à l’engagement de sa responsabilité. Dès lors, sa mère avait été la seule à être reconnue responsable par les juges de la cour d’appel car c’est avec elle que vivait l’enfant. Cette affaire soulevait des discussions car son père ne s’était pas vu retirer l’autorité parentale et il bénéficiait d’un droit de visite et d’hébergement (I. Corpart, « Vives discussions sur la cohabitation », LPA, 31 mai 2023, p. 28, n° LPA202h6), raison pour laquelle la mère, le mineur et des parties civiles ont formé des pourvois en cassation. Ils ont également déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), estimant que les textes juridiques applicables portaient une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie familiale normale et à l’égalité entre parents. La chambre criminelle de la Cour de cassation a bien entendu leurs critiques (Cass. crim. QPC, 14 février 2023, n° 22-84.760) et a décidé de renvoyer leur QPC au Conseil constitutionnel le 14 février 2023. Néanmoins le Conseil constitutionnel n’a pas partagé ce point de vue dans sa décision rendue en avril 2023 (Cons. const., 21 avr. 2023, n° 2023-1045 QPC), les membres du Conseil ayant estimé que la mesure critiquée par la mère de l’enfant auteur d’un incendie est parfaitement conforme à la Constitution, raison pour laquelle l’affaire a continué, l’arrêt de la Cour de cassation, Assemblée plénière étant en attente.

 

Pour aller à l’essentiel

Ce sont les titulaires de l’autorité parentale qui sont responsables des dommages causés par leur enfant mineur, mais par principe la coparentalité est maintenue quand les parents divorcent, raison pour laquelle un revirement était attendu en faveur de la responsabilité parentale des père et mère séparés, sachant que la résidence habituelle de l’enfant était fixée au domicile maternel.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a effectivement mis en place la résidence parentale solidaire le 28 juin 2024 quand la coparentalité est maintenue. Puisqu’il y avait encore deux titulaires de l’autorité parentale, la Cour de cassation a estimé que les juges de la cour d’appel avaient violé les articles 1242 du Code civil et 18.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, texte qui impose aux États d’assurer la reconnaissance du principe de la coparentalité dont le but est de bien élever son enfant et d’assurer son développement. Cela permet de rappeler que le père et la mère, auxquels est confiée l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. En outre, les juges rappellent qu’il n’est pas nécessaire que l’enfant ait commis une faute, mais qu’il suffit pour que la responsabilité parentale soit engagée que le dommage soit directement causé par l’attitude même non fautive du mineur.

 

Pour aller plus loin,

Tant que l’enfant n’a pas atteint l’âge de la majorité ou qu’il n’a pas été émancipé, les faits dommageables qu’il commet sont de la responsabilité de ses parents, puisque ces derniers ont pour mission d’élever leur enfant mineur et de le prendre en charge, raison pour laquelle si celui-ci cause des préjudices à autrui, ils sont civilement responsables. Lorsque le couple parental se sépare, conformément à l’article 373-2-9 du Code civil, la résidence peut être fixée de manière alternée au domicile des père et mère, mais sinon au domicile de l’un d’eux. En l’espèce, elle avait été fixée au domicile maternel, raison pour laquelle, les juges n’avaient retenu que la responsabilité de la mère chez laquelle l’enfant auteur du dommage résidait habituellement.

Il fallait que la notion de cohabitation soit revue car l’article 373-2, alinéa 2 du Code civil mis en place par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 (JO du 5 mars 2002) indique que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». Il est vrai que considérer que la cohabitation doit être retenue comme condition de mise en œuvre de la responsabilité parentale ouvrait des discussions (L. Perdrix, Coparentalité et responsabilité du mineur : l’embarrassant critère de la cohabitation, note sous Cass. crim., 29 avr. 2014, n° 13-84.207,  D. 2014, p. 1620 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Responsabilité des parents : le glas de la cohabitation », JCP G, 13 avril 2005, n° 15, p. 737). On doit désormais parler de cohabitation quand il s’agit d’une résidence alternée mais aussi lorsque la résidence habituelle est chez la mère sachant que le père bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement, puisqu’il est toujours titulaire de l’autorité parentale.

Il en va toutefois autrement lorsqu’au moment du divorce, une mesure de retrait de l’autorité parentale a été prise car le maintien de la coparentalité n’aurait pas été conforme à l’intérêt de l’enfant, notamment quand un mineur est victime de maltraitance ou quand il est victime indirecte des violences conjugales subies par un parent. La notion de cohabitation est donc désormais en lien avec l’exercice de l’autorité parentale, si bien qu’elle est considérée comme remplie même lorsque l’enfant ne réside quotidiennement que chez l’un de ses parents car le couple parental ne vit plus ensemble.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation est important car les parents même séparés sont tous les deux responsables des dommages causés par leur enfant, même quand le mineur ne réside que chez l’un de ses parents, puisque reconnaître une responsabilité parentale solidaire nonobstant la séparation leur permet d’agir contre l’un ou l’autre des parents.