Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

PRÉCISIONS AUTOUR DE LA RESPONSABILITÉ DE L’ÉTAT DU FAIT DE LA DÉSCOLARISATION D’UN ENFANT HANDICAPÉ, A. Tardif

Anthony Tardif,

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

Résumé de la décision A LIRE ICI

Dans un arrêt du 19 juillet 2022, le Conseil d’État vient préciser le sens de son arrêt Laruelle en indiquant que le manquement à l’obligation de scolarisation incombant à l’État  éducateur peut engager la responsabilité de la puissance publique. La faute des parents demandeurs ou des services d’accueil de l’enfant peut toutefois minorer ou supprimer cette obligation au stade de la contribution à la dette.

Contenu de la décision

L’évolution des pratiques d’accompagnement et de scolarisation des enfants handicapés a conduit à un infléchissement des conditions d’engagement de la responsabilité de l’Etat éducateur. Dans un arrêt du 19 juillet 2022 (CE, 19 juill. 2022, req. n°428311 ; RDSS 2022, p. 1139, note Ph. Lohéac-Derboulle ; JCP A 2022, 2355, note H. Pauliat ; AJDA 2022, p. 1478, obs. D. Necib), le Conseil d’État poursuit ainsi le mouvement qu’il a lui-même initié dix ans auparavant dans son arrêt Laruelle (CE 8 avr. 2009, M. et Mme Laruelle, n° 311434).

Les faits de l’espèce étaient néanmoins légèrement différents puisqu’ils ne résultaient pas d’un refus de prise en charge pour défaut de places suffisantes mais d’un refus justifié par la nature du handicap de l’enfant. Suite à une décision de réorientation de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) du 9 septembre 2011, les parents de cet enfant handicapé se sont dirigés vers deux établissements d’accueil. Tandis que l’un de ces deux établissements a opposé un refus à l’accueil du jeune enfant, l’autre n’a pas assuré une scolarisation régulière.

Cette suite d’événements a conduit les représentants légaux de l’enfant à exercer un recours indemnitaire à l’encontre de l’État. Le tribunal administratif de Lyon (TALyon, 13 juill. 2016, n°1306250)  et la cour administrative d’appel de Lyon (CAA  Lyon, 8 nov. 2018, n°16LY04217) rejetèrent successivement ce recours. Face au pourvoi formé par les parents, le Conseil d’État devait donc s’interroger sur la possibilité d’engager la responsabilité de l’État à raison de dysfonctionnements de prise en charge d’un enfant handicapé par un établissement médico-social.

Le Conseil d’État commence, tout d’abord, par rappeler les dispositions législatives instituant une véritable obligation de scolarisation à la charge de la puissance publique. Ensuite, il précise dans son considérant de principe l’articulation des responsabilités en présence : « la carence de l’Etat à assurer effectivement le droit à l’éducation des enfants soumis à l’obligation scolaire est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité. La responsabilité de l’Etat doit toutefois être appréciée en tenant compte, s’il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l’enfant, lequel est susceptible de l’exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. En outre, lorsque sa responsabilité est engagée à ce titre, l’Etat dispose, le cas échéant, d’une action récursoire contre un établissement social et médico-social auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d’accueillir un enfant orienté par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées ». Enfin, le Conseil d’État évalue directement le montant du préjudice de déscolarisation de l’enfant. L’attendu de principe ici reproduit nous renseigne sur les deux caractères de la responsabilité de l’État éducateur : son automaticité (I) et son caractère temporaire (II).

Commentaire de la décision

I/La responsabilité automatique de l’État

Cet arrêt est tout d’abord intéressant en ce qu’il rappelle l’ensemble des dispositions du Code de l’éducation assurant un droit à l’éducation de l’enfant en situation de handicap.

Par rapport à l’arrêt Laruelle, on a pu noter pertinemment un glissement vers une véritable obligation de résultat mise à la charge de l’État éducateur (P. Lohéac-Derboulle, note préc. ss CE, 19 juill. 2022). Dans cette affaire, le refus de scolarisation avait en effet été prononcé pour manque de places disponibles. Or, le refus de scolarisation a été, en l’espèce, reconnu en raison de la nature du handicap à accompagner. Désormais, l’Etat ne peut échapper à son obligation en invoquant son manque de crédits budgétaires. Pouvait-on aller plus loin dans l’intensité de cette obligation mise à la charge du service public de l’éducation nationale ?

Le rapporteur public soulignait le caractère « insatisfaisant » du recours classique à la responsabilité pour faute prouvée. La proposition était alors de consacrer en ce domaine la responsabilité de l’État, quitte, pour celui-ci, à se retourner contre les établissements auteurs des refus qui pourraient être injustifiés ou constitutifs de fautes. La responsabilité pour faute présumée aurait néanmoins facilité le travail probatoire des victimes. Le rapporteur public évoquait ainsi une « faute présumée de l’Etat ». Introduire un tel système pourrait néanmoins paraître anachronique dans la mesure où le mécanisme de la présomption de faute est traditionnellement perçu en droit administratif comme la transition d’une responsabilité pour faute à une responsabilité sans faute (A. Tardif, « Les présomptions de faute dans les droits privé et public de la responsabilité », RLDC, janv. 2022). Cette théorie n’est aujourd’hui pas consacrée par les juges. La cour d’appel a ainsi souhaité introduire une autre position.

L’arrêt censuré de la cour d’appel avait ainsi inversé l’ordre des raisonnements en examinant d’abord les erreurs des parents pour ensuite écarter toute responsabilité de la puissance publique. C’était oublier que la responsabilité de l’État doit être examinée prioritairement avant les éventuels recours récursoires de l’administration.

II/La responsabilité provisoire de l’État

Nous mettrons à l’écart l’hypothèse du comportement des parents. S’il est vrai qu’un tel comportement est susceptible d’atténuer la responsabilité de l’Etat s’il est fautif, on relèvera en l’espèce la diligence des parents dans l’accompagnement de leur enfant. Si les parents n’ont pas immédiatement contacté, après chacune des décisions de la CDAPH, l’ensemble des structures susceptibles d’accueillir leur enfant, tous les établissements ont bien été saisis. De plus, les deux parents ont signalé par de multiples courriers aux services compétents qu’il y avait urgence à scolariser leur enfant. S’agissant du stade de la contribution à la dette, on relèvera que le refus fautif de l’établissement d’accueillir l’enfant, constitutif d’une faute, ne peut être invoqué par l’État, aux fins de se décharger de sa responsabilité au stade de l’obligation à la dette. Dit autrement, cette faute d’un autre service n’est pas exonératoire : seule l’action récursoire est possible. En application du droit commun de la responsabilité administrative, une telle action devrait logiquement relever soit des juridictions administratives, soit des juridictions judiciaires, selon la nature publique ou privée de l’établissement d’accueil.