PRÉCISIONS SUR LA NOTION D’EXTENSION D’UNE CONSTRUCTION EXISTANTE DANS LE CADRE D’UN PLAN DE PRÉVENTION DES RISQUES NATURELS, V. Doebelin
Vincent DOEBELIN
Docteur en droit public et enseignant-chercheur contractuel à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)
CE, 18 juillet 2025, n° 492241 A LIRE ICI
Mots-clés : Construction – Droit de l’Urbanisme – Extension (notion) –Permis de construire – Prévention des risques naturels
Depuis quelques décennies, le législateur a largement fait évoluer le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement en s’appuyant notamment sur les conséquences et les retours d’expériences de catastrophes naturelles passées (V. Doebelin, « Une évolution du droit de l’urbanisme au gré des catastrophes ! » : RISEO, 2022-1, p. 90 https://www.calameo.com/read/005049066252458c83da7 ). Le dérèglement climatique, marqué par une multiplication d’évènements météorologiques extrêmes, y compris dans des pays tempérés comme la France, n’y est pas totalement étranger. Les politiques d’aménagements et d’urbanisme ont dû progressivement intégrer cette problématique parmi les enjeux considérables qu’elles recouvrent aujourd’hui. Les objectifs généraux du droit de l’urbanisme incluent d’ailleurs tant « la sécurité et la salubrité publiques », que « la prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature » (C. urb., art. L. 101-2 4° et 5°). La loi « Barnier » (L. n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, JORF, 3 février 1995), qui a créé les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), a accéléré cette appréhension de façon considérable. L’objectif initial se poursuit près de trente ans plus tard, à savoir permettre une meilleure protection des populations et une réelle intégration des risques naturels dans la mise en œuvre concrète des politiques d’aménagement. Un PPRNP peut être édicté localement par les services de l’État, avec pour objet de délimiter des zones de dangers sur une ou plusieurs communes concernées. Dans les zones les plus dangereuses, les constructions sont alors strictement interdites. Dans les zones dites « de précaution », certes moins concernées, d’autres mesures d’interdiction ou des prescriptions à réaliser peuvent être prévues compte tenu de l’aggravation des risques que les projets de construction pourraient engendrer (C. envir., art. L. 562-1 et s.). Ces plans, une fois approuvés, valent servitude d’utilité publique : ils sont ainsi opposables aux demandes d’autorisations d’urbanisme et doivent être annexés aux documents d’urbanisme concernés tels que les plans locaux d’urbanisme (PLU) dans un délai de trois mois (C. envir., art. L. 562-4 ; C. urb., art. L. 153-60).
Dans un arrêt du 18 juillet 2025, le Conseil d’État a été amené à se prononcer en vue d’apporter des précisions sur l’application des dispositions du règlement d’un plan de prévention des risques, dans son volet concernant le phénomène d’inondation (Plan de prévention des risques d’inondation – PPRI). Dans cette affaire, le maire de la commune de Croissy-sur-Seine (Yvelines) avait accordé un permis de construire pour des travaux de conservation, de rénovation, d’extension et de surélévation d’un pavillon existant. Sollicité par des voisins, le maire a refusé de faire droit à leurs demandes tendant à l’établissement d’un procès-verbal de constat d’infraction aux règles d’urbanisme et à l’édiction d’un arrêté interruptif de travaux. Le premier magistrat considérait que les travaux étaient réalisés conformément au permis de construire qu’il avait délivré. Le terrain d’assiette du projet demeurait toutefois classé en zone « rouge clair » par le règlement du PPRI de la Vallée de la Seine et de l’Oise. Dans ces zones très exposées, le règlement interdit en principe les constructions nouvelles, mais il prévoit des exceptions pour l’extension des constructions existantes. Si le règlement précise qu’une extension ne doit pas dépasser 30 m² d’emprise au sol pour chaque construction, il n’apporte guère d’autres précisions. Le tribunal administratif de Versailles, saisi par les voisins réclamant l’annulation de l’ensemble des décisions du maire, a finalement annulé le permis de construire et enjoint à ce dernier de dresser un procès-verbal d’infraction. Les requérants contestaient notamment le fait que le projet autorisé d’extension présentait une surface de plancher supérieure à la construction initiale, un argument retenu par le juge administratif dès la première instance. Le maire et la bénéficiaire du permis de construire se sont évidemment pourvus en cassation, arguant notamment du respect de la limitation de 30 m² d’emprise au sol supplémentaire. Le Conseil d’État a considéré qu’il y avait lieu de confirmer le jugement du tribunal administratif et de rejeter leurs demandes. La surface de plancher du projet d’extension autorisé dépassait bien celle de la construction initiale, ce qui pour le Conseil d’État fait du projet une « construction nouvelle » et non plus une simple extension. Les constructions nouvelles étant interdites dans de telles zones à risques, le juge ne pouvait que confirmer l’illégalité du permis de construire qui avait été délivré.
La Haute-juridiction apporte, en réalité, une clarification nécessaire sur la notion d’extension de construction existante, en l’absence de définition très précise dans le plan de prévention des risques (I). Ces précisions apparaissent bénéfiques, car elles permettent en pratique de poursuivre une protection certaine des objectifs d’un tel outil de planification des risques, tout en invitant les auteurs de tels plans à un travail minutieux de définition des notions employées (II).
I.- La notion d’extension d’une construction en l’absence de définition dans un plan de prévention des risques : une volonté de clarification du juge administratif
Le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion d’exprimer un raisonnement juridique analogue dans sa jurisprudence du 9 novembre 2023 (CE, 9 novembre 2023, M. et Mme Rouvillois, n° 469300, Lebon T), alors largement commentée par la doctrine (v. notamment : P. Soler-Couteaux, « Sur la notion d’extension d’une construction existante » : RDI 2024, p. 102 ; v. Également les conclusions du rapporteur public T. Janicot : JCP A 2024, 2020). Dans cette affaire, le juge administratif avait consacré le principe selon lequel « lorsque le règlement d’un plan local d’urbanisme ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’il s’y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d’une telle extension, celle-ci doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ». Il reprenait, en fait, la définition contenue dans le Lexique national de l’urbanisme précisant que « l’extension consiste en un agrandissement de la construction existante présentant des dimensions inférieures à celle-ci. L’extension peut être horizontale ou verticale (par surélévation, excavation ou agrandissement), et doit présenter un lien physique et fonctionnel avec la construction existante » (sur cette notion et les apports nombreux de la jurisprudence en la matière, v. Également : O. Le Bot, Droit de l’urbanisme, 2e Ed., Dalloz Action, 2025, p. 611 et s.).
Dans l’arrêt du 18 juillet dernier, le juge administratif reprend la solution qu’il avait retenue précédemment en l’appliquant cette fois au règlement d’un plan de prévention des risques : « Lorsque le règlement d’un plan de prévention des risques d’inondation ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’il s’y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d’une telle extension, celle-ci doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci », précise-t-il. En l’espèce, le projet autorisé par le maire de Croissy-sur-Seine présentait une augmentation de la surface de plancher initiale de 100%. Après les travaux et d’après les pièces du dossier, cette surface devait effectivement passer de 54 m² à 126 m². Pour le juge administratif, il est clair que « l’agrandissement projeté présentait des dimensions supérieures à la construction existante et devait, en conséquence, être regardé comme constituant une construction nouvelle, et non une extension d’une construction existante ». Le raisonnement s’applique même lorsque le projet ne dépasse pas l’emprise au sol maximale de 30m² tel que cela est autorisé dans le plan de prévention des risques. Il faut rappeler que la surface de plancher se distingue de l’emprise au sol, notamment par le fait que la première prend en compte l’ensemble des surfaces de tous les niveaux construits dont la hauteur sous plafond est supérieure à 1,80m. Dès lors que l’agrandissement projeté présente des dimensions supérieures à la construction existante, et sans entrer en détail ici dans les caractéristiques techniques, il n’y a plus lieu de le considérer comme une simple extension, mais, en réalité, comme une construction nouvelle. L’arrêt confirme une ligne jurisprudentielle exigeante qui, au gré d’une meilleure clarté notionnelle, permet de préserver l’efficacité et l’effectivité des plans de prévention.
II.- Des précisions notionnelles visant à protéger concrètement les objectifs des plans de prévention des risques et à améliorer leur rédaction
La qualification de construction nouvelle du projet d’extension, à travers les précisions apportées par le juge administratif, vient finalement sécuriser l’instruction des autorisations d’urbanisme dans les zones touchées par les risques naturels. La délivrance d’une autorisation peut ainsi être refusée par l’autorité lorsque le projet présenté comme une extension est plus important que la construction initiale à laquelle il se rattache. Dans une telle hypothèse, l’autorité est fondée à considérer que le projet cherche à contourner les restrictions prévues par le document de prévention. La jurisprudence administrative porte dans son raisonnement un véritable effet de régulation qui permet de garantir, y compris dans ces circonstances complexes, une réelle prise en compte du plan de prévention des risques. L’objectif principal est fidèle aux dispositions du Code de l’environnement qui visent à éviter notamment de multiplier les risques, mais aussi d’accroitre l’exposition des personnes aux risques (C. envir., art. L. 562-1 II°).
Le règlement du PPRI de la Vallée de la Seine et de l’Oise rappelait aussi que dans la zone rouge clair où le projet est situé, l’objet du document de planification demeurait avant tout « d’arrêter les nouvelles urbanisations tout en permettant un renouvellement urbain de zones exposées au risque d’inondation ». Pour des questions de sécurité et de prévention donc, les dispositions réglementaires du plan visent à éviter toute augmentation importante de l’urbanisation. Seules les évolutions légères de l’existant apparaissent alors logiquement acceptables, pour ne pas figer inutilement l’ensemble des constructions. C’est précisément ce que le juge administratif est amené à consacrer ici lorsqu’une définition claire de la notion d’extension n’est pas présentée dans le règlement d’un plan de prévention des risques. Un raisonnement non négligeable quand on sait que les risques naturels vont probablement encore être amenés à progresser dans les années à venir et que la responsabilité des collectivités territoriales en matière d’instruction des autorisations d’urbanisme dans ces zones reste un sujet sensible (V. par exemple, sur le sujet, le contentieux autour de l’affaire Xynthia).
Comme le rappelait le Professeur Pierre Soler-Couteaux en ce qui concerne la notion d’extension dans le cadre d’un PLU, « la solution [retenue dans l’arrêt du 9 novembre 2023] paraît au demeurant relever du bon sens dès lors que l’enjeu, sur le plan de la sécurité juridique, est de marquer une frontière entre l’extension d’une construction existante et une construction nouvelle permettant de discriminer les règles qui s’appliquent à l’une et l’autre situation. Et de ce point de vue, ne pas encadrer une extension dans son ampleur serait ouvrir la porte à tous les abus, le constructeur pouvant présenter comme une extension un projet dont les dimensions seraient disproportionnées par rapport à l’existant à seule fin de bénéficier de règles plus favorables » (P. Soler-Couteaux : Op. cit.). On ne peut que souscrire également à cette remarque, puis l’étendre au cadre des plans de prévention des risques et à la solution présentée dans l’arrêt du 18 juillet dernier. Il serait utile que cette tendance jurisprudentielle pousse les auteurs de ces documents à mieux intégrer une telle définition, de même que les limites logiques auxquelles tout projet d’extension doit se heurter pour demeurer une dérogation acceptable.