Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DROIT DU DOMMAGE CORPOREL, Cl.Lienhard et C. Szwarc

Claude Lienhard, Professeur des Universités, avocat et Catherine Szwarc, avocate

Libre chronique, Avril 2017

I. Victime indirecte et réparation des préjudices découlant d’un dommage psychique :

Quelle que soit la méthode la réparation doit être intégrale.

Tel est le constat fait à la lecture de deux décisions importantes concernant la réparation des préjudices découlant du dommage psychique subi par la victime indirecte qui devient alors nécessairement une victime directe.

Bien qu’il existe un courant jurisprudentiel fort et affirmé distinguant clairement la réparation du préjudice d’affection et celle des autres préjudices découlant des dommages psychiques subis par la victime indirecte, (Ordonnance TGI Strasbourg, 18 janvier 2005, RG n°05/0013, Walter ; Ordonnance TGI Paris, 3 octobre 2005, RG n°05/57326, de Kontostlavos c./ Axa ; Ordonnance CIVI Nanterre, 7 novembre 2007, RG n°06/00205, Fadoul ; CA Paris 17ème Chambre, Section A, 3 juillet 2006, RG n°04/21875, M. c./ Proteus et Axa; Cass. Crim. 16 novembre 2010, JurisData n° 2010-023205; arrêt de principe de la Cour d’Appel de Paris, 13 octobre 2015, 14/07850 ; jugement de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales de Strasbourg, à propos d’un accident en Pologne, du 20 mai 2015, CI n°09/00004 ; jugement du TGI de Saint Malo du 15 décembre ; décision de la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions pénales de Rouen du 28 novembre 2014, CI n° 13/00220 ; arrêt de Cour d’Appel de Rouen 14 octobre 2015, 14/05942), on constate néanmoins l’existence de forts îlots de résistance de la part de certains assureurs et du Fonds de Garantie qui entraînent les victimes dans un parcours judiciaire qui vient accroître, de fait, leur préjudice.

Il est donc pertinent que la Cour de Cassation par un arrêt du 23 mars 2017 (pourvoi n°S 16-13.350 ; arrêt n°400 F-P+B CASS 23 mars 2017) soit venue clairement rappeler dans une formulation qui ne prête à aucune interprétation que « Parfois les préjudices subis par les proches d’une victime peuvent être de deux ordres : les uns subis dans leur propre corps, les autres résultant du rapport à l’autre, le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées relevant du premier ordre, le préjudice d’affection du second. »

On ne peut être plus clair et pédagogique.

En l’occurrence, une veuve après avoir perdu son mari, victime d’un assassinat le 4 septembre 2007, avait saisi la Commission d’indemnisation des victimes pour obtenir réparation de ses préjudices résultant d’une part du chagrin que lui causait la disparition de son conjoint et d’autre part de l’atteinte à sa propre intégrité psychique.

Cette atteinte à l’intégrité psychique avait été constatée de façon contradictoire et scientifiquement par une expertise médico-légale.

Le Fonds de Garantie classiquement estimait, à l’opposé de la tendance jurisprudentielle précitée, que la Cour d’Appel en acceptant d’indemniser d’une part le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées liées à la dépression réactionnelle suite au décès du mari et d’autre part le préjudice d’affection aurait réparé deux fois la douleur morale.

Ce que consacre cet arrêt de la Cour de Cassation, c’est la possibilité, si des éléments médico-légaux l’ont mis en évidence, d’indemniser classiquement le préjudice d’affection résultant de la douleur d’avoir perdu un être proche, ici son conjoint, mais aussi de d’indemniser des préjudices résultant de l’atteinte à l’intégrité psychique consécutive à ce décès, ces préjudices étant ici réparés au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent mais qui pourraient aussi avoir des conséquences patrimoniales comme cela a déjà été admis par la Cour de Cassation (Cass. Crim. 16 novembre 2010, JurisData n° 2010-023205).

L‘arrêt de la Cour de Cassation du 23 mars 2017 vient faire écho à un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 30 mars 2017 (n° 156/2017, n° rôle 16/03474 CA Aix en provence). Là encore c’est le Fonds de Garantie qui était à l’origine d’un appel.

La demanderesse était une mère dont le fils est décédé dans un accident d’hélicoptère survenu en Sierra Leone et qui avait saisi la Commission d’indemnisation des victimes du Tribunal de Grande Instance d’Aix en Provence (Commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales d’Aix-en-Provence, 22 février 2016, 24CIVI/2016 ).

La CIVI d’Aix en Provence par une décision du 22 février 2016 avait d’une part indemnisé le préjudice d’affection pour la perte d’un être cher à hauteur de 30 000 € et fixé à 13 828,56 € le préjudice psychique évaluant le déficit fonctionnel temporaire à 328,50 €, les souffrances endurées à 7 500 € et le déficit fonctionnel permanent à 6 000 € le tout sur la base d’une expertise médico-légale contradictoire.

La CIVI avait estimé qu’il peut exister un préjudice psychique distinct du préjudice d’affection dès lors que son existence est en lien certain avec l’accident et qu’il s’agit de prendre en compte des répercussions psychiques démontrées par une symptomatologie et un état pathologique organisé justifiant l’identification de préjudices corporels.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence d’un point de vue des qualifications n’adopte pas le même raisonnement que la Cour de Cassation mais arrive exactement, en termes indemnitaires, aux mêmes conséquences que la CIVI.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence reconnait l’existence des préjudices suivant

–    le préjudice d’affection au regard des constatations médico-légales : elle retient donc comme constitutive de ce préjudice d’affection un déficit fonctionnel temporaire incluant la perte de la qualité de vie et des joies usuelles de l’existence et le préjudice d’agrément ainsi que le préjudice sexuel pendant la période d’incapacité temporaire chiffré à 328,50 € ;

–    les souffrances endurées prenant en considération les douleurs de la mère due à la perte de son fils ainsi que les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés qu’elle a supporté en lien avec le deuil pathologique évaluées à 3,5/7 et justifiant une indemnité de 37 500 € ;

– un déficit fonctionnel permanent visant à indemniser la réduction définitive du potentiel physique psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte anatomo-physiologique à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales).

Il est ainsi caractérisé une anxiété et un état dépressif côté par l’expert à 5 % et justifiant une indemnité de 6 000 € pour une femme âgée de 56 ans à la consolidation.

A choisir entre la position de la Cour de Cassation et la position de la Cour d’Appel d’Aix en Provence, nous préférons la claire distinction de la Cour de Cassation plutôt qu’un démembrement du préjudice d’affection qui arrive à une même fixation de la créance indemnitaire.

II° – L’indemnisation de la perte de vie :

Voilà encore une question controversée et un débat qui n’est pas clos comme en témoigne la décision du Tribunal de Grande Instance de Caen du 13 mars 2017(jugement 17/35 rg12/03260TGI ).

On rappellera l’état des lieux.

Une décision du Tribunal de Grande Instance des Sables d’Olonne du 9 juin 2011 (Tribunal de Grande Instance des Sables-d’Olonne, 9 juin 2011, jugement correctionnel sur intérêts civils, minute n° 516/2011 ; n° Parquet 09000003444), et d’autre part une position apparemment négativement rigoureuse et ferme de la Cour de Cassation (arrêt de la Chambre criminelle du 26 mars 2013 (n° 12-82.600, n° 17-66 P+ B)).

Les faits et demandes soumis au Tribunal de Grande Instance de Caen s’inscrivaient dans les suites d’un accident de la circulation.

L’accident avait eu lieu le 19 septembre 2008 et la victime était décédée en cours de procédure le 17 octobre 2012.

Une transaction était intervenue et les demandeurs en qualité d’ayants droits sollicitaient l’indemnisation des préjudices non encore indemnisés sans que puisse leur être opposée l’autorité de la chose jugée.

Il était notamment réclamé un montant de 154 818 € pour l’indemnisation du préjudice de vie perdue.

Le Tribunal relève qu’il s’agit d’évaluer le préjudice particulier résultant de l’accident au regard des perspectives normales d’évolution de vie que pouvait espérer la victime compte-tenu de son âge, de sa santé avant l’accident, de son dynamisme et de ses activités.

Le Tribunal relève que la victime au moment de l’accident, âgée de 58 ans, menait une vie professionnelle et personnelle épanouie et dynamique, elle n’avait pas d’antécédents susceptibles de constituer des facteurs de risques particuliers et particulièrement. Elle était sans aucun antécédent cardiologique.

Le Tribunal relève que le décès dû à un arrêt cardio-respiratoire constaté par l’urgentiste du Centre Hospitalier de Vire le 17 octobre 2012 peut être mis en lien et sans excès d’imputabilité juridique avec l’accident qui a entraîné différents traumatismes relevés par le rapport d’expertise amiable du 30 juin 2011 chez la victime alors en bonne santé sans antécédents.

Le Tribunal estime que l’accident a donc entraîné chez la victime sans antécédents cardiologiques et sans facteurs de risques particuliers un état pathologique qui a contribué à son décès et que ce préjudice devait être indemnisé par GROUPAMA.

Pour procéder à l’évaluation de la chance de vie perdue le Tribunal a considéré que l’espérance de vie probable de la victime affectée d’un montant annuel l’euro de rente masculin viagère de 62 ans (âge de la victime au jour du décès) était une méthode acceptable d’évaluation

Le Tribunal a estimé aussi que le montant annuel adopté ne pouvait être celui adopté pour le calcul du déficit fonctionnel temporaire et a ramené en l’espèce à la somme de 200 € par mois soit 2 400 € x 17,202 soit un montant de 41 284 € arrondi à 41 285 € après capitalisation.

III° – Regard sur le guide pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme :

Le FGTI a publié au mois d’avril 2017 un guide qui a pour objectif d’apporter des éclairages sur la procédure et les modalités d’indemnisation (Le guide).

Ce guide a le mérite d’exister.

Il rappelle que le Fonds de Garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions FGTI) est un opérateur de services public doté de la personnalité civile, financé par un prélèvement obligatoire sur les contrats d’assurances de biens et dont la mission est définie par la loi.

Respect, impartialité, solidarité, réactivité, professionnalisme et engagement sont les valeurs qui animent les équipes du FGTI est-il rappelé.

Le guide a une vocation pédagogique.

Le FGTI rappelle tout d’abord les modalités de prise de contact et l’envoi de la demande d’indemnisation puis le mécanisme de versement de provisions qui sont versées dans le mois suivant la réception du dossier complet dès lors que la victime remplie les critères de recevabilité.

Sont ensuite décrits le processus d’expertise médicale, l’offre d’indemnisation avec les délais, les modalités de versement puis s’en suit une description des postes de préjudices des victimes directes et des victimes indirectes.

Le guide comprend également des tableaux dont il est indiqué qu’ils constituent des référentiels sur les souffrances endurées, sur le déficit fonctionnel permanent, le préjudice esthétique permanent.

Il est procédé de la même manière pour le préjudice d’affection.

Le guide se réfère à la notion de préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme mais n’aborde pas à les nouveaux préjudices spécifiques (Cf. Chronique Droit du dommage corporel, mars 2017).

On regrettera qu’à l’occasion de la rédaction de ce guide il n’ait pas été possible d’acter un certain nombre d’avancées indispensables concernant la nécessité d’une expertise amiable contradictoire conjointe avec rapport commun qui est pourtant aujourd’hui le pivot de la crédibilité du processus médico-légal.

De même, il est tout à fait regrettable que le rôle des médecins conseils et des avocats des victimes soit, au mieux minoré, au pire passé sous silence, car le Fonds de Garantie, s’il remplit certes une mission particulière, n’en reste pas moins d’un point de vue juridique un débiteur indemnitaire saisi d’une créance indemnitaire par la victime directe ou indirecte, de plus dans des circonstances très particulières ici liées au terrorisme.

Il y a manifestement un mode d’emploi complémentaire du Fonds de Garantie qui est à élaborer et à écrire.