Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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EXCLUSION DE LA LOI BADINTER POUR UN ACCIDENT CAUSÉ PAR UNE MOISSONNEUSE-BATTEUSE SANS DÉPLACEMENT NI FAUCHAGE, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé de l’Université de Haute-Alsace, Membre du Cerdacc

 

Commentaire de Cass. 2e civ., 9 décembre 2021, n° 20-14.254

L’accident visé dans cette affaire ne relève pas de la loi Badinter n° 85-677 du 5 juillet 1985 car il ne s’agit pas d’un accident de la circulation. En effet, la moissonneuse-batteuse à l’origine du dommage subi par la victime n’était pas en train de faucher lors de l’accident et elle ne circulait pas mais elle se trouvait en position de maintenance.

Mots clef : véhicule terrestre à moteur – accident causé par une moissonneuse-batteuse – engin en situation de maintenance – victime – préjudice corporel – absence de fauchage et de mise en circulation – exclusion de la notion d’accident de la circulation – inapplicabilité du régime de faveur au bénéfice des victimes issu de la Loi Badinter

Pour se repérer

Une personne est victime d’un accident corporel causé par une moissonneuse-batteuse le 14 septembre 2010. En l’espèce, un exploitant agricole avait demandé à une société de moissonner son champ de tournesols. Pendant l’opération, un bourrage s’est produit dans la trémie de l’engin et le propriétaire du champ est monté sur l’engin pour tenter de procéder au déblocage. Il est descendu dans la trémie afin de casser avec un bâton les amas de grains agglomérés par l’humidité, lesquels empêchaient ainsi la vis sans fin de remplir son office. Son pied ayant alors glissé, sa jambe gauche a malheureusement été happée par la vis se trouvant au fond de la trémie et elle a été arrachée. Il a dès lors mis en œuvre une procédure pour obtenir réparation de ses préjudices. Toutefois, il ressort de l’audition du conducteur de l’engin et d’un témoin que la moissonneuse-batteuse était à l’arrêt total au moment des faits. On en déduit donc que l’accident subi par la victime était exclusivement en lien avec la fonction d’outil de cet engin qui ne circulait pas au moment des faits et ne procédait à aucune coupe, mais était en position de maintenance, raison pour laquelle le moteur était bien en marche.

En l’espèce, toute la question est de savoir si on peut évoquer la fonction de circulation de la moissonneuse-batteuse pour pouvoir prétendre à un accident de la circulation et ainsi mettre en œuvre la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Au vu des faits, le 17 décembre 2019, la cour d’appel de Dijon a écarté la notion d’accident de la circulation et partant la loi Badinter. Cette loi protégeant mieux les victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, la victime se pourvoit en cassation en espérant que le fait dommageable soit analysé différemment par la Cour de cassation.

Pour aller à l’essentiel

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite Loi Badinter (JO du 6 juillet 1985), a instauré pour elles un régime spécifique d’indemnisation. Elle pourrait être mise en œuvre pour un accident causé par une moissonneuse-batteuse s’il s’agissait d’un accident de fauchage, ce qui voudrait dire qu’elle circulait effectivement. Cet engin entre bien dans la catégorie des véhicules terrestres à moteur mais, pour que la loi s’applique, encore faut-il qu’il soit en circulation.

Tel n’est pas le cas en l’espèce car, au moment des faits, la moissonneuse-batteuse n’est pas considérée comme un moyen de déplacement mais elle remplit uniquement sa fonction d’outil et se trouve en position de maintenance. Dès lors pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, les juges du fond, appréciant souverainement les éléments de fait du dossier, ont considéré à juste titre que l’accident causé n’est pas un accident de la circulation.

En conséquence, la loi Badinter est inapplicable à cette affaire car, au moment du drame, la moissonneuse-batteuse n’était pas en train de circuler et de faucher. En l’espèce, les juges relèvent que l’accident survenu est uniquement causé par « la fonction d’outils de la moissonneuse-batteuse » et qu’il n’est pas en rapport avec la fonction de circulation de cet engin, même si le moteur était en marche. Ils en déduisent que la moissonneuse était en position de maintenance de l’un de ses outils (problème de vis) et non plus en train de fauchage, si bien qu’il est impossible d’évoquer un accident de la circulation et donc de se référer à la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

L’accident n’ayant pas été causé par un véhicule terrestre à moteur qui circulait au moment des faits, la victime ne peut pas bénéficier du régime prévu par la loi Badinter : « la fonction de déplacement de l’engin était totalement étrangère à la survenue de l’accident », quand bien même le fonctionnement du moteur n’est effectivement pas contesté.

Pour aller plus loin

La loi Badinter prévoit un régime de faveur pour les victimes et il importe de vérifier pour tout accident si ce texte peut être mis en œuvre. Dérogatoire au droit commun, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 a érigé un système spécifique d’indemnisation au profit des victimes d’un accident de la circulation (C. Larroumet, L’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation : L’amalgame de la responsabilité civile et de l’indemnisation automatique (à propos de la loi no 85-677 du 5 juillet 1985), D. 1985. chron. 237 ; G. Wiederkehr, De la loi du 5 juillet 1985 et de son caractère autonome, D. 1986, chron. 255), notamment en ce qu’il prévoit que seul le comportement fautif de ces dernières entraîne l’exclusion du bénéfice de la loi.

Cette loi est applicable à tout véhicule qui est destiné au transport de personnes mais aussi de choses (comportant, deux, quatre roues ou plus) et les engins agricoles tels que les moissonneuses-batteuses entrent bien dans ce cadre légal (Cass. 2e civ., 10 mai 1991, n° 90-11.377). La loi Badinter n’ayant pas défini la notion de véhicule terrestre à moteur, c’est la jurisprudence qui a déterminé les contours de cette notion.

Néanmoins, pour l’essentiel, il doit être question d’un accident de la circulation causé par un véhicule terrestre à moteur et il ne suffit pas que ledit véhicule soit impliqué dans le drame survenu. Pour que la loi Badinter soit applicable, il faut que le véhicule soit impliqué dans un fait de circulation et donc qu’il soit en mouvement au moment où survient l’accident.

Il est dès lors impossible d’invoquer un accident de la circulation pour un accident en lien avec la fonction d’outil d’une moissonneuse batteuse, quand celle-ci est à l’arrêt, raison pour laquelle la loi Badinter ne peut pas s’appliquer en ce cas, même si le moteur était en marche. S’il est vrai que la jurisprudence considère que l’arrêt et le stationnement du véhicule peuvent être compris dans le fait de circulation car ils ne sont que temporaires, il en va autrement quand l’engin remplit une autre fonction qui n’a rien à voir avec le déplacement du véhicule (accident causé par un chariot élévateur : Cass. 2e civ., 18 mai 2017, n° 16-18.421), à savoir quand il s’agit d’un véhicule outil. Lorsqu’il n’est pas impliqué dans sa fonction de déplacement au moment où survient l’accident, le système de droit à indemnisation mis en place pour les victimes d’accidents de la circulation par la loi Badinter ne s’applique pas et il convient de mettre alors en œuvre le droit commun de la responsabilité.

En l’espèce, les juges ont considéré que, lors du drame, la moissonneuse-batteuse était en position de maintenance. En effet, au moment des faits, cet engin n’était pas en position de déplacement et si son moteur fonctionnait bien, c’était uniquement pour permettre l’usage d’une autre fonction, à savoir faire fonctionner la vis qui a été à l’origine du drame vécu par l’exploitant agricole. Au moment des faits, il est impossible d’évoquer un accident de la circulation car ledit véhicule ne circulait pas et ne fauchait pas non plus : il « ne se trouvait manifestement plus en action de fauchage, mais en position de maintenance de l’un de ses outils et […] la fonction de déplacement de l’engin était totalement étrangère à la survenue de l’accident, peu important à cet égard que le moteur ait été en fonctionnement ou que le conducteur ait été présent sur son siège ».

L’accident n’ayant aucun rapport avec la fonction de circulation attribuée d’autres fois à une moissonneuse-batteuse quand son moteur est en marche pour lui permettre de se déplacer, les juges de la cour d’appel de Dijon ont fait une bonne application de la loi Badinter. Il est effectivement impossible de voir dans cette affaire un accident de la circulation.

S’il est vrai que cette réforme très importante de 1985 (qui continue d’ouvrir des débats : P. Brun, Loi du 5 juillet 1985 : les acquis, les écueils, les remises en cause du droit à réparation, Gaz. Pal. 2015, n° 364, p. 7 et Les trente ans de la loi Badinter : entre maturité et perfectibilité, RLDC juin 2015, n° 129 p. 21 ; S. Hocquet-Berg, Les inégalités entre les victimes, RCA, sept. 2015, n°9, p. 17 ; J.-M. Sarafian, Les trente ans de la loi Badinter : bilan et perspective. Table ronde des praticiens, RCA sept. 2015, n° 9, p. 55) vise les victimes « d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres », cela peut viser des engins agricoles. Encore faut-il vérifier à quoi est dû précisément en l’espèce l’accident qui a conduit à amputer la victime.

Cette affaire donne l’occasion à la Cour de cassation de rappeler que, pour que le fait dommageable puisse conduire à la qualification d’accident de la circulation, il doit être en lien avec la fonction de déplacement de l’engin, et ne pas résulter de la seule mise en œuvre de sa fonction d’outil. C’est précisément pour cette raison que la notion d’accident de la circulation doit être écartée en l’espèce, les juges de la cour d’appel de Dijon ayant souverainement apprécié les faits de l’espèce pour montrer que, même si le moteur était en marche, cela n’était ni pour déplacer l’engin qui était à l’arrêt, ni pour démarrer une opération de fauchage. Ils analysent les faits en faisant mention d’une moissonneuse-batteuse en position de maintenance avec un problème de vis et leur raisonnement est bien validé par la Cour de cassation car le drame survenu dans cette affaire ne constitue pas un accident de la circulation au sens de la loi Badinter.