Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RISQUES ET TRANSPORTS : VINGT ANNEES D’UNE RELATION IMBRIQUEE, E. Desfougères

 Éric Desfougères,

Maître de Conférences HDR à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

 

 

Dans une période aussi troublée que la nôtre, la célébration d’anniversaires « ronds » constituent autant de repères fortuitement rassurants. Nous nous étions d’ailleurs déjà livrés à l’exercice de la rétrospective, lors du numéro 100 du présent journal (« Retour sur une décennie de droit des accidents de transport en pleine mutation » JAC n° 100 – janvier 2010). Puis, nous avions retracé la remarquable épopée de l’obligation de sécurité, née 100 ans plus tôt (« L’obligation de sécurité : une centenaire bon pied, bon œil ! » JAC n° 118 – novembre 2011). Enfin, la célébration des quinze ans du CERDACC, lors d’un colloque à Colmar, en 2011, nous avait offert l’opportunité de mettre en perspective les liens susceptibles d’être établis entre transport et catastrophes (« Le droit des transports à l’épreuve des catastrophes » (Intervention lors du Colloque « Les sciences juridiques à l’épreuve des catastrophes et des accidents collectifs : retour sur 15 ans d’expérience, d’expertise et de réflexions organisé par le CERDACC à Colmar les 31 mars et 1er avril 2011) RISEO n° spécial 2011-3 pp. 91/103).  L’entrée dans la troisième décennie du JAC nous permet de poursuivre cette œuvre d’introspection en tentant de démêler, cette fois, de manière nécessairement synthétique, néanmoins étayée de maintes références, les liens entre les activités de déplacement et la dernière thématique force intégré dans l’acronyme de notre centre.

Toute opération d’acheminement expose, en effet, inévitablement, à une probabilité de dommage à la personne ou à la marchandise transportée. On ne saurait, à l’évidence, dans ce cadre restreint, s’attarder en détail sur les aléas propres à chacun des modes de locomotion. Ainsi, la mer, particulièrement, continue de recéler, encore de nos jours, de multiples dangers intrinsèques (naufrage, tempête, collision, pirates…) encore accrus par la taille toujours plus imposante des navires (Awa SAM-LEFEBVRE « Le gigantisme naval à l’épreuve de la sécurité dans le transport maritime de passagers » : DMF n° 735 avril 2012 pp. 338/344). De même, le transport aérien est spécifiquement confronté au risque aviaire au point qu’existe un service de prévention des dommages causés aux aéronefs en cas de collision avec des oiseaux effectuant des rondes et diffusant des avis. A noter, que fréquemment cette mission est déléguée à des sociétés privées avec in fine la question de la répartition des responsabilités (CE 7 mars 2018 Sté Aéroport de Toulouse-Blagnac, n° 2018-003829, note Xavier DOMINO « Dommages causés à un avion par un oiseau : à qui la faute ? » : Énergie – Environnement – Infrastructures n° 7 juil. 2018 comm. 42). Confrontés à la menace de prononcé de dommages et intérêts punitifs, en particulier aux États-Unis, plusieurs constructeurs aéronautiques et compagnies aériennes ont émis le souhait d’une protection spéciale (Vanessa CHISS et Christelle LE GALL-CRISSIN « Les dommages et intérêts punitifs en matière d’assurance aéronautique » : RCA mai 2005 pp. 7/13). Le transport de matières radioactives, tel que le plutonium, peut se trouver confronter à un risque d’entrave suite à des actions d’associations anti-nucléaire (CA Caen 18 octobre 2011, n° 08-01608, note Luc BRIAND « Transport maritime de plutonium, le juge des référés en renfort au préfet maritime » : DMF n° 732, janv. 2012, pp. 46/51). Plus globalement, toutes les opérations de transport, telles que les remontées mécaniques, sont concernées par la prévention des risques (Séverine TRESALLET et Sébastien MARCIALI « Mineurs et remontées mécaniques » : Gaz. Pal. 19 février 2020 p. 21/28).

Doit encore être relevée, la potentialité d’atteinte à l’environnement, également inhérentes aux différents vecteurs de transport. Le risque environnemental se trouve désormais mentionné dans certaines clauses des chartes-parties relatives aux contrats d’affrètement de navires à temps et au voyage avec indication des obligations pesant sur le fréteur et l’affréteur en matière de réduction de la pollution (Olivier CACHARD « Les chartes-parties, vecteurs de la contractualisation du risque environnemental dans le transport maritime » : DMF n° 823 du 1er avril 2020 p. 291-301). Le Code polaire, adopté en 2014 n’a toutefois pas été, comme le réclamaient certains, jusqu’à réglementer l’utilisation du fioul lourd par les navires en Arctique pour éviter le risque de déversement (Mathilde JACQUOT « L’impact du développement du transport maritime sur l’environnement arctique » intervention lors du Colloque sur le transport maritime face aux changements climatiques à Brest le 7 déc. 2018 op. cit. pp. 640-648). Et ce alors même que parallèlement les risques de mer restent souvent tributaires des conditions climatiques (V. Parmi beaucoup d’autres le colloque organisé à Brest le 7 décembre 2018 avec présentation Gaël PIETTE « Les défis posés au droit maritime par les changements climatiques » in DMF n° 815 juil. 2019 pp. 600-606).

L’objet de notre contribution a, dès lors, plutôt été de mettre en exergue la place, sans cesse prépondérante, qu’a pu revêtir, depuis vingt ans, l’appréhension de l’éventualité d’un péril pour mieux déterminer ceux qui seront tenus de réparer les préjudices causés (I). Sans oublier de démontrer que la même notion permet également aussi bien de fixer les contours de cette implication que de dégager des moyens pour l’empêcher (II).

I – Le risque : concept permettant de mieux cerner la personne assumant l’indemnisation en d’accidents de transport

Nous avons assisté, sur la période concernée, à une double évolution réglementaire redéfinissant largement à la fois les mécanismes de garantie (A) et de répartition de la charge finale de l’indemnisation (B).

A – La confortation du rôle du risque servant de fondement aux assurances-transport

C’est précisément pour se protéger des risques et les mutualiser lors de l’acheminent de personnes ou de marchandises que se sont développés, dès l’Antiquité, des systèmes d’assurances qui n’ont eu de cesse depuis de se perfectionner (Pour une rétrospective V. « Le risque suscité par le navire » Stéphane PIEDELIEVRE et Dominique GENCY-TANDONET Droit des transports Paris : LexisNexis coll. Manuel, 2ème éd. 2019, § 352 et ss., pour un comparatif Yves TASSEL « Les systèmes français et anglais de détermination des risques couverts par l’assurance maritime » : DMF n° 602 mars 2000 pp. 195/204, pour une présentation plus détaillée des assurances Pierre BONASSIES et Chistian SCAPEL Traité de Droit Maritime, Paris : LGDJ 2ème éd. 2010, § 1280 et ss.). Une des dernières étapes résulte d’une ordonnance du 15 juillet 2011 (Ordonnance n° 2011-839 JO 16 juillet 2011, commentaire Xavier DELPECH « Assurance-transport : modernisation de la réglementation » : D. 2011 p. 1964 et Pierre-Yves NICOLAS « De la fortune de mer au risque maritime et transport » : DMF n° 729 du 1er octobre 2011 pp. 783/794 –Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance in Revue Française de Droit Aérien juillet 2011 pp. 242/244). Ce texte est venu moderniser l’assurance-transport, en mettant un terme à la segmentation par modes et en rajoutant deux nouveaux chapitres au code des assurances, consacrés aux risques aériens et aéronautiques. Lors d’un colloque organisé à Brest, les 16 et 17 octobre 2008 et intitulé « Mer et responsabilité » (V. le compte-rendu de Géraldine FONZALEZ et Diane VERNIZEAU « Mer et responsabilité » : DMF décembre 2008 pp. 1050/1059), le Professeur émérite Yves TASSEL a néanmoins, fort judicieusement, souligné l’antinomie initiale des notions de risques et de responsabilité avant d’assister, selon son expression, à une explosion de la responsabilité du risque (V. déjà également sur ce thème Cyril BOURAYNE « Les accidents aériens et maritimes. Vers une responsabilité désincarnée ? » : DMF n° 576 novembre 1997 pp. 963/969).

Tout ce mécanisme assurantiel repose notamment sur le principe suivant lequel les assureurs déterminent librement ce qu’ils acceptent de couvrir avec pour conséquence que certains risques dits exceptionnels (guerre, terrorisme, grève, lock-out…) peuvent être exclus (Blandine GRUAU « Le point sur… l’assurance risque de guerre » : Bulletin du Transport et de la Logistique n° 3480 du 11 novembre 2013 et pour le cas spécifique du transport de voyageurs Geneviève THOMAS-CIORA « Le transport de passagers par voie maritime » : DMF n° 676 décembre 2006 p. 977/984) – (Franck TURGNE « Un nouveau cadre proposé par le marché français pour l’assurance risque de guerre des marchandises transportées » : DMF décembre 2008 pp. 981 /990). On peut encore noter que selon les nouvelles polices d’assurance maritime ICC 2009 (Jean-Paul THOMAS « Modification de la police française d’assurance maritime sur facultés » : DMF n° 706 du 1er septembre 2009 pp. 675/680), le commencement de la couverture est avancé dès l’instant où la marchandise est déplacée dans les magasins en vue de son chargement immédiat dans le véhicule pour le commencement du voyage. La marchandise est garantie jusqu’au complet déchargement du moyen de transport dans l’entrepôt ou au lieu de stockage. Cela consacre, au passage, la disparition de la notion juridique de livraison. Pour améliorer la prise en charge, la loi du 30 juillet 2003 (JO 31 juillet 2003 p. 13021) a étendu l’état de catastrophe technologique aux dommages dus aux transports industriels de matières dangereuses (Cyril GORI « La loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels à la réparation des dommages » : Gaz. Pal. 3 octobre 2003 p. 3/12).

Simultanément, la jurisprudence a, fort opportunément, complété ces nouvelles dispositions à travers des décisions mettant en œuvre ces principes. Elle s’est notamment efforcée de bien distinguer les assurances transport de celles garantissant du vol dans les entrepôts (Cass. civ. 2ème 20 octobre 2005, n° 04-16.958, note Sabine ABRAVANEL-JOLY « Assurances cumulatives » RGDA janv. 2006 p. 55/59). Par ailleurs, a pu être jugé que le renversement accidentel d’une thermoformeuse pouvait être couvert par une assurance garantie « tous risques » (Cass. civ. 2ème 16 novembre 2006, n° 04-10894, note Franck TURGNE « Assurance de risques divers » : RGDA janvier 2007 p. 197/201). En revanche, les assureurs transport excluent de la garantie de base les « denrées périssables » et le risque « influence de la température » (Cass. civ. 2ème 26 octobre 2006, n° 05-12308, note Franck TURGNE Ibid. p. 189/192). Il en va de même des pertes de poids ou de quantité subies par les marchandises sous température dirigée s’ils sont la conséquence d’une variation de température (Cass. Com. 23 octobre 2019, n° 18-14.140 note Jacques BONNAUD « Dans la garantie tous risques, l’exclusion étant l’exception, il appartient à l’assureur de la prouver » : DMF n° 820 janvier 2020 p. 19-24). En cas de risque connu d’auto-combustion de la cargaison à bord, la responsabilité du marinier et de l’entrepreneur de manutention pourra être retenue (CA Aix-en-Provence 10 avril 2006, n° 2006/248, note Yves TASSEL « Nature juridique du chargement d’un chaland et responsabilité tenant au risque d’auto-combustion de la cargaison mise à bord » : DMF n° 674 octobre 2006 p. 819/827). Un commissionnaire de transport commet une faute personnelle en n’informant pas son commettant du fait que le dépôt s’effectuant « aux risques et périls du propriétaire », il aurait dû prendre une assurance (CA Paris 25 juin 2008, observations Isabelle BON-GARCIN « Responsabilité personnelle du commissionnaire de transport pour défaut d’information et de conseil à l’égard de son commettant » : JCP E 2008 comm. 221). Le commissionnaire reste responsable même si un règlement portuaire fait peser les risques sur le chargeur (Cass. com. 17 septembre 2002, n° 00-14-207, note Yves TASSEL « Nature et portée de la responsabilité du commissionnaire de transport en l’absence de poursuite de l’intermédiaire substitué face à un règlement portuaire plaçant les risques sur la tête du chargeur » : DMF février 2003 pp. 151/156).  La garantie tous risques peut couvrir les dommages et pertes matérielles, notamment issues de vol de marchandises lors d’une traversée (Cass. Com. 22 septembre 2009 (2 espèces), n° 08-17.554 et 08-17.555, note « Assurance maritime et vols de marchandises en cours de manutention » : Revue de droit des transports novembre 2009 comm. 215 au sujet de vol de produits pharmaceutiques entre Marseille et la Réunion). Par contre, en cas de transport maritime de marchandises dangereuses, le risque n’est pas couvert par la police responsabilité en cas de non-respect du Code IMDG (International Maritime Dangerous Goods) prévoyant l’interdiction d’escaler (CA Aix-en-Provence 21 juin 2007, n° 05-19953, observations Philippe BOISSON « Sur les obligations de l’armateur transportant des marchandises dangereuses » : DMF 1er septembre 2008 pp. 741/747).

Un phénomène similaire de refondation semble en passe de toucher la question récurrente de la détermination de qui doit assumer les hypothèses de pertes ou d’avaries, tout particulièrement en cas de franchissement de frontières.

B – La réflexion sur le transfert du risque se réalisant lors d’opérations de transport

Le transfert de propriété s’effectue normalement dès la conclusion du contrat de vente et, suivant les dispositions de l’ex article 1138 du code civil, le transfert des risques l’accompagne (« L’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. Elle rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite, à moins que le débiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier. Autrement sauf clause de réserve de propriété le reportant au moment de la chose voyage bien aux risques de l’acheteur ») repris au nouvel article 1196 (Sur l’origine du principe V. Jean-Pascal CHAZAL et Serge VICENTE « Le transfert de propriété par l’effet des obligations dans le Code civil » : RTDciv. Juillet 2000 pp. 477/506). Dans les situations spécifiques de vente avec transport (Christophe PAULIN Les contrats logistiques. Transport, distribution, stockage Paris : LGDJ, coll. Les intégrales, 2020, § 313), ces dispositions sont encore reprises et complétées par celles du code de commerce et plus particulièrement l’article L. 132-7 (ex. article 100) (« La marchandise sortie du magasin du vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et périls de celui à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et le voiturier chargés du transport. »). Le vendeur engage donc sa responsabilité et assume les risques s’il a commis une faute, notamment dans le conditionnement de la chose.

Un projet de règlement relatif à un droit commun européen de la vente a prévu d’encadrer le transfert des risques en envisageant de faire supporter sur l’acheteur les dommages qui résulteraient des opérations de chargement (Elsa BURDIN « Le transfert des risques dans la proposition de règlement » : LPA n° 256 du 24 déc. 2013 pp. 45/47). Toute modification ne pouvant inévitablement que s’inscrire dans une perspective internationale. (V. pour une approche comparée Roch ADIDO « Réflexion sur le transfert de propriété des marchandises vendues dans l’espace francophone O.H.A.D.A. à la lumière du droit français » : Revue trimestrielle de droit africain (Penant) octobre 2003 pp. 464/482).

C’est là que peuvent intervenir les « Incoterms » (« INternational COmmercial TERMS ») qui sont des usages commerciaux reconnus et définis par la Chambre de commerce internationale et qui précisent les obligations fondamentales de chacune des parties à une vente internationale et surtout déterminent le moment du transfert des risques. Ainsi en cas de vente internationale avec code EXV (ex-works) (CA Paris 1er mars 2018, n° 15/24990, note Laurent FEDI « De l’imputation des risques et coûts dans une vente internationale » : DMF n° 803 du 1er juin 2018 pp. 528/535 à propos d’un tracteur emporté dans un conteneur ouvert endommagé lors de son déchargement au port de Marseille ou Cass. com. 16 juin 2009, n° 07-16.840, observations Isabelle BON-GARCIN « Les conditions du recours de l’assureur marchandises » : JCP E 2009 comm. 1949 au sujet d’articles de maroquinerie de luxe volés) ou d’une « vente au départ » « FCA » (CA Douai 17 mars 2016, n° 14/06075 note Christian SCAPEL « Rupture d’emballage au déchargement sans dommage à la marchandise : application de la Convention de Vienne » : DMF n° 780 mai 2016 pp. 442/449), le risque pèse sur l’acquéreur dès lors que le sinistre est intervenu après mise à disposition de la marchandise au transporteur par le vendeur. Alors que dans le cadre d’une vente « CPT » avec « Incoterm » FOB, il s’agit du vendeur jusqu’à la mise à bord (CA Lyon 15 sept. 2016, n° 15/02547 note Maryse FOLLIN « Ne pas oublier la force probante du connaissement dans une vente internationale » : DMF n° 787 janv. 2017 pp. 49/54 à propos des caisses d’ail frais volées avant l’embarquement à Valparaiso, au Chili). Toutefois, comme le rappelle parfaitement le Professeur Laurent FEDI, les « Incoterms » ne traitent pas directement des questions de responsabilités, puisqu’assumer les risques du transit, du transport ou de la manutention ne signifie pas de jure être responsable de ces risques lorsqu’ils se produisent (Laurent FEDI Op. cit.).

Outre le fait de favoriser l’identification de celui qui devra verser des dommages et intérêts, le même facteur lié au danger pourra également intervenir dans la gestion d’imprévu lors d’un déplacement.

II – Le risque : concept permettant de limiter la responsabilité ou de prévenir la survenance d’accidents de transports

Il s’agira, cette fois, de préciser comment la même appréhension de la probabilité du dommage pourra servir à moduler l’intensité de la réparation (A), voire même en empêcher la réalisation du sinistre (B).

A – La consécration de l’exposition au risque justifiant exonération ou limitation de responsabilité de l’opérateur de transport

La limitation de responsabilité du transporteur maritime a très longtemps été présentée comme une contrepartie des risques de mer, même si cela est aujourd’hui, en partie, remis en cause (Arnaud MONTAS « Les ardeurs de la limitation de responsabilité en droit maritime » : chron. JCP E 2019 com. 1163). Encore de nos jours, le transport de conteneurs en pontée (arrimées sur le pont et non dans les cales), en accord avec le chargeur, leur fait courir un risque plus important de nature à limiter la responsabilité du transporteur maritime (Wim FRANSEN et Alexis VAN CUTSEM « Le cas des conteneurs chargés en pontée » : DMF n° 749 juil. 2013 pp. 658 /663).

Plus globalement, suivant la théorie des risques, admettre l’existence d’un cas de force majeure exonérant le débiteur et en particulier le transporteur, c’est finalement répartir le risque (Cass. civ. 1ère 23 juin 2011, n° 10-15.811 à propos d’un voyageur poignardé par un autre sans titre de transport, note Olivier DESHAYES « La force majeure en matière contractuelle (retour sur la condition d’imprévisibilité) : Revue des contrats oct. 2011 pp. 1183/1189 se référant à P.-H. ANTONMATTEI Contribution à l’étude de la force majeure : Paris LGDJ, 1992, n° 57 et ss. et à la thèse de J. RADOUANT Du cas fortuit et de la force majeure Paris : Librairie A. Rousseau, 1920 pp. 2245). Le risque de grève peut être considéré comme un cas de force majeure exonérant le commissionnaire de transport sans que sa responsabilité puisse non plus être engagée pour manquement à son devoir de conseil concernant l’assurance contre ce risque (CA Aix-en-Provence 23 avril 2015, n°13/04114, note Claire HUMANN « Exonération du commissionnaire pour cause de grève et absence de responsabilité pour défaut d’assurance contre le risque de grève » : DMF n° 773 oct. 2015 pp. 791/797 à propos de conteneurs de pommes bloqués lors de mouvement de grève au port de Marseille-Fos en janvier 2011). En revanche, Le fait pour un transporteur ferroviaire de laisser sans surveillance des marchandises exposées à un risque important de vol constitue une faute lourde équipollente au dol (CA Paris 29 septembre 1999, note Henri VRAY « Une clause limitative de sa responsabilité ne peut être invoquée par le transporteur terrestre qui a commis une faute lourde équipollente au dol en laissant les marchandises exposées à un risque important de vol » : Gaz. Pal. 26 janv. 2000 pp. 26/27).

D’une manière plus explicite, les transporteurs routiers ou ferroviaires de marchandises sont déchargés de leur responsabilité lorsque la perte ou l’avarie résulte d’un certain nombre de risques particuliers mentionnées dans les grandes conventions internationales (6 à l’article 17-4 de la CMR (Barthélémy MERCADAL Droit des transports terrestres et aériens Paris : Dalloz, coll. Précis, 1996 § 232/233 – Christophe PAULIN, op. cit. § 275) ou 9 à l’article 36-3 des RU-CIM (Ibid. § 395).  Qu’il s’agisse du transport en véhicules découvert avec l’accord de l’expéditeur, de l’absence ou du défaut d’emballage, du chargement ou déchargement effectué par l’expéditeur ou le destinataire, de la nature de certaines marchandises exposées à une perte totale ou partielle (par exemple du fait du bris ou de la rouille) ou du transport d’animaux vivants. Ce régime – sans équivalent en droit interne – leur octroie alors une véritable présomption d’irresponsabilité à condition de prouver l’existence de l’une de ces causes privilégiées. La victime conserve toujours la possibilité de renverser la charge de la preuve en établissant que le dommage ne résulte pas totalement ou partiellement du risque, ce qui revient finalement à lui demander de démontrer une faute du transporteur. Ce mécanisme annihile ainsi tout le bénéfice du renversement de la charge de la preuve résultant de l’obligation de sécurité-résultat. On retrouve ce concept de risques particuliers concernant le personnel naviguant en transport aérien ayant entraîné la création d’un régime spécial de prévoyance (CE 22 février 2008, JurisData n° 2008-073156, note Chloé SCHNEIDER « Une notion stricte de l’accident aérien » : Revue de droit des transports octobre 2008 pp. 47/48 suite à l’affection d’un naviguant résultant d’un attentat à Colombo au Sri Lanka).

Un lien peut être aussi établi entre la fréquence de l’exposition au risque et l’exonération de responsabilité du transporteur aérien pour circonstances exceptionnelles prévu à l’article 7 du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol (Cass. civ. 1ère 12 sept. 2018, n° 17-11.361 note Laurent SIGUOIRT « L’exonération du transporteur aérien en cas d’annulation justifiée par des circonstances extraordinaires » : JCP E 2018 com. 1580 à propos d’un couple réclamant réparation d’un retard de trois heures sur un vol Bordeaux/Nice après que l’avion qu’il devait prendre ait été foudroyé à l’aéroport).

Sous l’égide de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) a été adoptée, le 2 mai 2009, une convention internationale sur les risques généraux (C.R.G.) et signée initialement par neuf États. Ce texte consacre une indemnisation intégrale et rapide des tiers victimes de dommages au sol en cas d’accidents d’aviation (Loïc GRARD « L’évolution de la norme dans le transport aérien » in Le droit des transports dans tous ses états : réalités, enjeux et perspectives nationales, internationales et européennes (Actes du colloque organisé du 16 au 18 mars 2011 à Lille sous la direction de Laurence PERU-PIROTTE, Bénédicte DUPONT-LEGRAND et Christie LANDSWWERDT, Paris : Larcier, 2012, p. 57).

Dans l’acheminement de personnes, on peut rencontrer des cas de risque-agression inclus dans l’obligation de sécurité dont le caractère irrésistible   pourra être discuté (Cass. civ. 1ère 3 juillet 2002, n° 99-20.217, note Jean-Pierre GRIDEL « Transport ferroviaire de voyageurs. De l’accident à l’agression : l’extension réaffirmée de l’obligation de sécurité du transporteur » : D. 2002 pp. 2631/2635). Le droit de retrait s’appréciera également au regard du risque que fait courir l’exercice normal du travail les conducteurs de bus (Cass. soc. 24 sept. 2013, n° 12-11.532, note Laurence PERU-PIROTTE « Exercice du droit de retrait dans le service public terrestre de transport de voyageurs » : chron. in JCP E 2014 comm. 1493) ou contrôleurs de train qui pourront, pour l’invoquer, se fonder sur l’article L. 4131-1 du code du travail. Ce qui peut renvoyer à des questions de préparation au danger.

B – La consolidation de la prévention des risques visant les infrastructures de transport

Les procès devant le juge pénal des grandes catastrophes maritimes en particulier celles relatives aux marées noires ont pris en compte le défaut d’anticipation (Evelyne MONTERO « L’anticipation des risques à l’épreuve du droit pénal » : Revue Lamy droit des affaires n° 91 mars 2014 – Martine REMOND-GOUILLOUD « Pollution accidentelle et responsabilité » : DMF n° 717 du 1er septembre 2010 pp. 663/668). Depuis la loi du 5 juillet 1983, il est possible, d’immobiliser, en France, les navires étrangers présentant des risques particuliers (Pour un exemple d’application V. CE 10 avril 2009, JurisData n° 2009-075404, observations Martin NDENDE). Un décret du 6 février 2004 et une ordonnance du 12 juillet 2004 ont encore renforcé le rôle du préfet maritime en la matière (Gabriel NAKHLEH et Mikaël QUIMBERT « Le préfet maritime et la protection de l’environnement marin : de la gestion de crises à la gestion de sites » : DMF n° 667 février 2006 p. 178/188).

La loi du 24 avril 2013 (L. n° 2013-343, JO 25 avril 2013), désormais intégrée à l’article L. 6421-2-1 du code des transports, a créé une obligation contractuelle d’information renforcée des passagers pesant sur les professionnels du voyage qui commercialisent des vols sur des compagnies aériennes figurant sur la liste européenne des compagnies à risques (Xavier DELPECH « Transport aérien : information des passagers des compagnies à risques » : D. 2013 p. 1126 et « Une meilleure information pour les passagers des compagnies aériennes à risques » : Juristourisme 2013, n° 154 p. 6) instituée par un règlement du 14 décembre 2005 (Régl. n° 2111/2005, JOUE n° L du 27 décembre 2005). Dans une optique assez similaire, certains auteurs souhaiteraient que les transporteurs se voient tenus d’informer préventivement les voyageurs des risques auxquels les expose une éventuelle sensibilité, comme par exemple en cas de douleurs aux oreilles suite à un vol (Cass. civ. 1ère 15 janv. 2014, n° 11-21.394, note Jean-Jacques BARBIERI « De l’accident en droit des transports aériens » : JCP G 2014 comm. 264).

Les infrastructures de transport et les canalisations à risques de transport de gaz, d’hydrocarbures et de produis chimiques font l’objet d’une réglementation désormais regroupée au chapitre V du titre V du livre V du code de l’environnement (Résultant notamment de l’ordonnance n° 2016-282 du 10 mars 2016 relative à la sécurité des ouvrages de transport et de distribution commentée par Pierre SABLIERE « La réglementation des canalisations à risques » in Energie – Environnement – Infrastructures n° 5 mai 2016 comm. 35). La prévention du risque accidentel se retrouve encore dans la nouvelle réglementation des escortes en cas de transport exceptionnel issu du décret du 28 mars 2011 (Décret n° 2011-335, JO 30 mars 2011, commentaire Grégoire MARCHAC « Transport exceptionnels : difficile privatisation des escortes » : Revue de droit des transports juillet 2011 p. 3).

Les nouvelles technologies font pareillement l’objet de précautions. C’est, par exemple, sur le fondement du délit de risque causé à autrui défini à l’article 223-1 du code pénal qu’a pu, dans une des toutes premières affaires en la matière, être condamnée une personne ayant filmé l’esplanade d’une ville, en l’occurrence la place Stanislas à Nancy, par un drone (TGI Nancy 20 mai 2014, note Agathe LEPAGE « Première rencontre du droit pénal avec un drone » : Communication – Commerce électronique n° 7 et 8 juil. 2014 comm. 65). Tandis que le risque cyber est désormais un enjeu de sécurité en transport aérien et maritime (Sébastien LOOTGIETER « Les risques cybernétiques dans le domaine des transports » (allocution prononcée dans le cadre du programme du XXIIème colloque de la « Journée Ripert » organisé par l’Association Française du Droit Maritime (AFDM) à Paris le 29 juin 2015 in DMF n° 775 déc. 2015 pp. 976/ 983)), il est prévu de l’intégrer en 2021 dans le code ISM (Stéphane MIRIBEL « Droit et sécurité dans les transports aériens et maritimes » intervention lors de la journée d’études Air et Mer du 15 janv. 2019 à la Sorbonne in DMF n°810 fév. 2019 pp. 166-172).

La plupart des auteurs s’accordant sur le fait que le risque zéro n’existe pas, l’émergence de véhicules autonomes (V. le numéro spécial 2018-1 de RISEO, www.riseo.cerdacc.uha.fr), sur lesquels nous travaillons actuellement et qui devraient réduire le nombre et la gravité des accidents, nécessitera assez inévitablement une profonde remise en question d’un système d’assurances (Iolande VINGIANO-VIRICEL « Le modèle assurantiel à l’épreuve des données » : RGDA oct. 2017 pp. 507 /517). Lequel demeure, pour l’heure, essentiellement fondé sur la mutualisation en fonction de la fréquence de réalisation. Ce qui ne manquera pas de susciter de nouvelles interventions, entre autres au JAC, de notre part.