JAC n°119/ Décembre 2011

DES POLES SPECIALISES POUR LES ACCIDENTS COLLECTIFS

(Loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles)

Caroline LACROIX

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

 

Les catastrophes se caractérisent souvent par une causalité difficile à établir et une identification complexe des auteurs. Il convient dès lors d’envisager de proportionner les procédures d’enquête, d’instruction ou de jugement à l’importance des investigations à effectuer et à la situation de catastrophes. C’est dorénavant chose faite avec le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles adopté définitivement par les députés le 16 novembre 2011 qui crée des pôles spécialisés pour les accidents collectifs (art. 23).

Jusqu’à lors, les autorités judiciaires utilisaient opportunément une solution existante dans le Code de procédure pénale consistant à mettre en place une « instruction collective » lors de catastrophes afin de permettre de mener à leurs termes, dans le respect du délai raisonnable, les dossiers à dimension collective dans lesquels les investigations ne sont pas à la même échelle. Ainsi, si en principe le dossier d’une affaire n’est confié qu’à un seul magistrat, le législateur a institué une dérogation à cette règle : la possibilité de désigner des juges d’instruction adjoints, soit lors de l’ouverture de l’information, soit au cours de celle-ci, sur la demande du juge d’instruction désigné à titre principal lorsqu’une affaire est grave ou complexe. La complexité de l’affaire pouvait notamment être invoquée dans certains dossiers à caractère particulièrement technique ou dans les affaires où sont impliquées un grand nombre de personnes, ce qui renvoie indifféremment à la pluralité d’auteurs ou de victimes. La catastrophe était susceptible de rassembler l’ensemble de ces critères. Par exemple, dans le cadre de l’information judiciaire ouverte suite à l’explosion de l’usine AZF où environ 140 parties civiles ont été recensées, deux magistrats instructeurs ont été désignés. C’est encore le nombre des victimes et l’aspect international des faits qui a conduit à renforcer l’instruction ouverte au tribunal d’Evry suite au naufrage du Joola, en nommant deux juges d’instruction.

La création de juridictions pénales spécialisées en cas de catastrophes a été proposée par la commission Guinchard, qui a remis le 30 juin 2008 au garde des Sceaux son rapport sur la répartition des contentieux et la réorganisation judiciaire (L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, La documentation française, juin 2008, p. 279-283). Il soumettait l’idée d’une création par cour d’appel d’un pôle « grandes catastrophes en matière de transport ou grandes catastrophes liées à un risque technologique ». Le traitement des procédures en matière de catastrophes serait ainsi amélioré, notamment grâce à la constitution d’un corps de magistrats expérimentés et spécialisés dans ce domaine, à l’instar du pôle financier (articles 704 à 706-1-1 du C. pr. Pén) et de ceux créés en matière de risque sanitaire (articles 706-2 à 706-2-1 du C. pr. pén.) ou en matière de pollution des eaux maritimes par rejets des navires (articles 706-107 à 706-111 du C. pr. Pén.).

Une telle idée avait par le passé déjà donné lieu à une proposition de loi relative au renforcement des moyens de la justice en cas de catastrophe humaine liée au transport déposée à l’Assemblée nationale le 28 juin 2006 par Jean-Pierre Blazy visant à la création d’un pôle spécialisé au sein du TGI de Paris (Conférence de presse du 27 juin 2006 à l’Assemblée Nationale. JAC n° 66).

En introduisant un titre XXXIII intitulé « DE LA PROCÉDURE APPLICABLE
EN CAS D’ACCIDENT COLLECTIF » (articles 706-176 et s.), le législateur organise une mobilisation accrue du système judiciaire. On en présentera successivement la compétence et la composition.

 

I.- La compétence des juridictions spécialisées en cas d’accident collectif

A.- Définition de la compétence des juridictions spécialisées

Compétence « ratione materiae » des juridictions spécialisées-.  La compétence matérielle est déterminée par « les affaires qui comportent une pluralité de victimes et sont ou apparaîtraient d’une grande complexité » et pour les infractions déterminées limitativement par la loi (art. 706-176). Il s’agit des délits non intentionnels prévus aux articles 221-6, 221-6-1, 222-19, 222-19-1, 222-20 et 222-20-1 du code pénal et s’étend aux infractions connexes. Ces mêmes infractions qui ne sont pas d’une grande complexité restent de la compétence des juridictions ordinaires. On notera que la compétence de cette juridiction sera concurrente de celles des juridictions de droit commun et cela sur toute l’étendue de son ressort.

Le législateur ne définit pas la notion d’« accident collectif », déjà connue du code de procédure pénale. En effet, L’article 2-15 du Code de procédure pénale permet aux associations de défense des victimes d’accidents collectifs de se constituer partie civile (C.LIENHARD, « Le droit pour les associations de défense des victimes d’accidents collectifs de se porter partie civile », D. 1996, chron., p.312). Sont appréhendés dans ce cadre : les accidents collectifs et, plus précisément, ceux survenus dans les transports collectifs, dans un lieu ou local ouvert au public, ainsi que dans une propriété privée à usage d’habitation ou à usage professionnel. De manière similaire, plusieurs types de catastrophes permettront la mise en œuvre de la compétence des juridictions spécialisées: les accidents de transports collectifs, les catastrophes industrielles ou encore les catastrophes intervenant au sein de structures accueillant du public.

Compétence « ratione loci » des juridictions spécialisées-. La commission Guinchard avait initialement proposé une juridiction spécialisée par cour d’appel. Finalement, l’article 706-176 du Code de procédure pénale permet d’étendre la compétence d’un tribunal de grande instance pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement à une ou plusieurs cours d’appel.  L’extension géographique des ressorts des parquets, des juridictions d’instruction et de jugement spécialisés devra être fixée par décret. Le député E. Straumann milite depuis 2010 pour que Colmar accueille une juridiction compétente en matière de droit des accidents collectifs et des catastrophes arguant que le chef lieu du département du Haut-Rhin accueille le Centre Européen de Recherche sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes et une Cour d’appel possédant tous deux une expérience incontestable dans ce domaine.

Enfin, selon l’article 706-178, ces juridictions spécialisées exercent une compétence concurrente à celle définie par les articles 43, 52, 382 et 706-42 du Code de procédure pénale. En conséquence, il s’agit d’une compétence complémentaire et subsidiaire.

 

B.- Procédures de dessaisissement de la juridiction de droit commun

Si une procédure d’instruction de droit commun révèle que les faits poursuivis s’inscrivent dans le cadre des articles 706-176, le procureur de la République du tribunal de grande instance de droit commun « peut » requérir le dessaisissement du juge d’instruction désigné au profit de la juridiction d’instruction spécialisée (art. 706-179).

Dans ce cas, les parties sont préalablement avisées et invitées à faire connaître leurs observations par le juge d’instruction, qui doit rendre une ordonnance dans un délai huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de cet avis.

Les parties disposent ensuite, avec le parquet, d’un délai de cinq jours pour faire appel de l’ordonnance de dessaisissement ou de refus de dessaisissement, avec pour conséquence immédiate de laisser compétent le juge d’instruction initialement saisi jusqu’à ce que l’arrêt de la chambre de l’instruction passé en force de chose jugée ou de la chambre criminelle de la Cour de cassation soit porté à sa connaissance.

Selon l’article 706-180 du Code de procédure pénale, l’ordonnance rendue dans ce cas par le juge d’instruction peut être déférée dans les cinq jours à la requête du ministère public ou des parties selon deux hypothèses. Si la juridiction spécialisée se trouve dans le ressort de la cour d’appel dans lequel se situe la juridiction initialement saisie, l’ordonnance de dessaisissement ou de refus sera déférée à la chambre de l’instruction. Si, à l’inverse, la juridiction spécialisée se trouve en dehors du ressort de la cour d’appel dans lequel se situe la juridiction initialement saisie, l’ordonnance sera déférée à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Ces juridictions d’appel disposent d’un délai de huit jours suivant la réception du dossier pour désigner le juge d’instruction chargé de poursuivre la procédure d’information judiciaire.

Par ailleurs, si le juge d’instruction n’a pas rendu l’ordonnance dans le délai d’un mois, la chambre de l’instruction ou la chambre criminelle de la Cour de cassation peut être saisie directement par le procureur de la République.  La décision finale (L’arrêt de la chambre de l’instruction ou de la chambre criminelle) est alors portée à la connaissance du juge d’instruction et du procureur de la République et elle est notifiée aux parties.

L’article 706-179 du Code de procédure pénale indique, in fine, qu’il s’applique également devant la chambre de l’instruction.

 

II.- Composition des juridictions spécialisées en cas d’accidents collectifs

Désignation des magistrats (CPP, art. 706-177)-. Après avis du procureur de la République et du président du tribunal de grande instance « spécialisé », le procureur général et le premier président de la cour d’appel désignent les magistrats du parquet juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’enquête, de la poursuite, de l’instruction et du jugement juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’enquête, de la poursuite, de l’instruction et du jugement.

Ils désignent également les magistrats de la cour d’appel chargés du jugement de ces infractions (CPP, art. 706-177 alinéa 2).

Assistants spécialisés (CPP, art. 706-181) -. L’article 706-181 du Code de procédure pénale prévoit que « les magistrats spécialisés et le procureur général près la cour d’appel compétente peuvent demander à des assistants spécialisés (…) de participer, aux procédures concernant les délits entrant dans le champ d’application de l’article 706-176 ».

Ces assistants doivent être désignés, précise le texte, conformément à l’article 706 du Code de procédure pénale.

Les assistants spécialisés accomplissent, toujours selon l’article 706 du Code de procédure pénale, « toutes les tâches qui leur sont confiées par les magistrats » et notamment :

1° Assister les juges d’instruction dans tous les actes d’information ;

2° Assister les magistrats du ministère public dans l’exercice de l’action publique ;

3° Assister les officiers de police judiciaire agissant sur délégation des magistrats ;

4° Remettre aux magistrats des documents de synthèse ou d’analyse qui peuvent être versés au dossier de la procédure ;

5° Mettre en oeuvre le droit de communication reconnu aux magistrats en application de l’article 132-22 du Code pénal.

Le procureur général peut leur demander d’assister le ministère public devant la juridiction d’appel.

 

Conclusion :

Si l’on ne peut que saluer cette adaptation de la procédure pénale face aux spécificités des catastrophes, l’on regrettera que le législateur n’ait pas retenu une des propositions de la commission Guinchard consistant à prévoir que ces juridictions seraient dotées de manière pérenne d’une salle d’audience de taille importante dans laquelle se dérouleraient les procès liés aux catastrophes avec un nombre important de victimes. En effet, la question de la localisation de tels procès, de leur organisation, est source de difficultés matérielles et organisationnelles pour les juridictions pénales. Le nombre élevé des acteurs, prévenus et victimes, et la médiatisation très importante sont les principaux critères de tels procès et la source de ces difficultés. Jusqu’à lors, plusieurs solutions ont été envisagées : soit réaliser des aménagements au sein même de la juridiction, soit délocaliser le procès à l’extérieur de la juridiction. Quelle que soit la solution retenue, la tenue de tels procès suppose une mobilisation de toute l’institution judiciaire. Un mémento pratique à l’usage des magistrats en charge de procès hors norme a d’ailleurs été élaboré (Caroline Lacroix, ORGANISATION D’UN PROCES SENSIBLE : UN GUIDE METHODOLOGIQUE, JAC 112).

 

 

 

 

 

 

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