Martin FROMAGEAT, Zoé PERIN, Amélie URBANCIC
Etudiants en Master 2 Droit – Professions juridiques et judiciaires à l’Université de Haute-Alsace
Le 5 novembre 2025, Denis Salas honorait l’Université de Haute-Alsace de sa présence dans le cadre des « Rencontres PJJ » organisées pour la quatrième fois par Juliette Dugne, codirectrice du Master Droit, parcours Professions juridiques et judiciaires (https://www.jac.cerdacc.uha.fr/event/rencontres-pjj-conference-de-denis-salas/).
Denis Salas est magistrat et actuel président de l’Association Française pour l’Histoire de la Justice (AFAJ) fondée par Robert Badinter. A ce titre, il a été chargé de travailler sur la scénarisation de la panthéonisation de Robert Badinter. En tant qu’auteur d’un essai sur Badinter, il retrace pour les nombreux participants à sa conférence, le parcours de celui qu’il décrit comme un libéral viscéralement attaché aux libertés individuelles.
I.- Les grandes étapes de la vie et de la carrière de Robert Badinter
Né en 1928 en Bessarabie, une province juive de l’ancien Empire russe, Robert Badinter arrive en France après que ses parents aient fui les pogroms. C’est l’école républicaine qui le formera et l’influera.
Devenu avocat en 1951, il obtient l’agrégation de droit en 1965. Son vécu d’avocat influencera profondément la série de réformes qu’il accomplira plus tard. En 1973, il publie L’Exécution, ouvrage né du traumatisme provoqué par la mise à mort de l’un de ses clients.
En 1981, il devient Garde des Sceaux, non à l’issue d’une carrière politique, mais grâce à son amitié ancienne et forte avec François Mitterrand.
De 1986 à 1995, il préside le Conseil constitutionnel, où il défend une conception libérale de la Ve République, attachée à l’équilibre des pouvoirs.
Enfin, comme sénateur pendant neuf ans, il s’oppose sans succès à la création des peines de perpétuité incompressibles, qu’il considérait comme une « peine de mort blanche ».
II.- Les fondements intellectuels et personnels du combat pour l’abolition
La réflexion de Robert Badinter sur la peine de mort n’est pas purement politique ; elle est nourrie par des penseurs et des expériences marquantes.
Le premier est Cesare Beccaria qui a renversé la vision de la peine en la définissant par son utilité sociale. Il estimait la peine de mort inacceptable dans un régime républicain, car elle prive excessivement la société de liberté et concède à l’État une part démesurée de nos libertés individuelles. Badinter fut également fortement influencé par Victor Hugo, témoin des exécutions, qui écrivait dans Le dernier jour d’un condamné que « l’exécution est le crime de la loi ». Enfin, Albert Camus a également joué un rôle important dans sa formation intellectuelle à travers la présence de la peine capitale dans ses romans.
Le conférencier rappelle que Robert Badinter n’était initialement pas un avocat pénaliste, mais qu’il est attiré vers ce type de contentieux par son confrère Philippe Lemaire. C’est en 1977 que ce dernier lui demande de l’aide dans l’affaire Buffet-Bontemps, où les accusés risquent la peine capitale pour le meurtre d’une infirmière. La condamnation à mort de Roger Bontemps pour complicité, son échec à le sauver et le fait d’assister à son exécution constituent un moment initiatique : Badinter passe alors de militant à acteur de l’abolition.
Dans ses plaidoiries, sa stratégie de défense consistait à éviter l’abstrait et être le plus concret possible, à réveiller constamment l’attention des jurés et à les culpabiliser individuellement pour éviter une condamnation à mort. Il évitera ainsi la mort à cinq personnes.
III.- De l’avocat au Garde des Sceaux : la victoire politique
Une amitié avec François Mitterrand le mène à devenir Garde des Sceaux en 1981. Dès sa prise de fonction, Mitterrand lui demande de faire voter l’abolition dès la première législature. Le contexte est alors celui d’un « populisme pénal », la droite arguant qu’il est impossible d’abolir la peine capitale sans prévoir une peine de remplacement. Badinter, lui, est partisan d’une abolition pure, simple et définitive.
Pour convaincre, il joue sur plusieurs registres devant les parlementaires, les appelant à écrire une page d’histoire en se montrant à la hauteur de ceux qui ont voté la Déclaration des Droits de l’Homme et de leurs prédécesseurs qui avaient déjà tenté d’abolir la peine capitale. Son angoisse à l’époque était qu’un fait divers ne vienne faire basculer l’opinion publique et le débat en faveur de la peine de mort. Il y avait en effet déjà eu un précédent lors de la Troisième République avec l’affaire Soleilland en 1908 qui avait mis fin aux discussions sur l’abolition.
L’abolition de fait était déjà en marche, les cours d’assises ne prononçant plus la peine capitale de manière régulière, ce qui constituait une première victoire.
IV.- Un combat permanent pour l’État de droit
Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995, Robert Badinter a mené un long combat pour la défense de l’État de droit. Décrit comme un « libéral inquiet », il était conscient de la tension entre la nécessité d’un exécutif fort et le besoin de préserver les libertés, une articulation qui fut son principal défi intellectuel. Il s’est ainsi opposé à la rétention de sûreté sous la présidence de Nicolas Sarkozy et le terrorisme fut une de ses préoccupations majeures depuis les années 1980. Le message porté par sa panthéonisation se veut avant tout un message adressé aux jeunes générations.
La panthéonisation de Robert Badinter a été pensée comme un acte de transmission. L’image finale de jeunes avocats et magistrats réunis autour de ses textes symbolise le passage de relais. Selon Denis Salas, le message ultime de Badinter reste celui de la vigilance et celui de demeurer fidèle à l’État de droit.



