Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU PROJET FYDO « LES CHIENS D’ASSISTANCE JUDICIAIRE, NOUVEAU MÉCANISME D’AIDE ET D’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES D’ACTES CRIMINELS », A-F Mbarga Nguele

Albert-Franck Mbarga Nguele

Doctorant à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Compte-rendu de la conférence qui s’est déroulée le 18 octobre 2022 à Bruxelles (Belgique) https://victim-support.eu

La victime est selon l’expression de Gérard LOPEZ la « valeur fondatrice de la société occidentale », à ce titre la prise en compte de sa souffrance et le plaidoyer pour une meilleure prise en charge des conséquences liées à la victimisation sont devenus un besoin fondamental pour les victimes.

Or la procédure pénale peut s’avérer très violente pour elles, ce qui augmente considérablement les risques de subir une victimisation secondaire, entendue comme conséquences négatives sur la victime du traitement inapproprié et non respectueux de son état dont elle fait l’objet.

La recherche montre que la présence d’animaux est un élément incontournable susceptible de réduire le rythme cardiaque et la pression artérielle d’une personne et d’améliorer sa réaction au stress et à son bien être en général.

Plusieurs projets dans le monde entier, y compris des projets pilotes en Europe démontrent que la présence des ‘’chiens d’assistance’’ produit un effet d’apaisement auprès des victimes d’actes criminels et leur permet de mieux s’exprimer lorsqu’elles se retrouvent confrontées à la machine judiciaire.  

C’est dans cette optique que fut organisée le mardi 18 octobre dernier à Bruxelles la conférence finale sanctionnant un projet innovant et de haute envergure menée par plusieurs associations d’aides aux victimes dont VICTIM SUPPORT EUROPE et leurs partenaires.

Axiome de la mise en exergue de l’assistance silencieuse et incontournable des chiens d’assistance judiciaire auprès des victimes, cette conférence a également été l’occasion de faire un état des lieux d’un projet de haute envergure (III), mais aussi et surtout de mettre en lumière l’inestimable assistance des chiens judiciaires auprès des victimes d’infractions (II), tout en mettant un point d’honneur sur le lien qui peut exister entre l’homme et l’animal (I).

I. Le lien entre l’animal et l’homme

Selon Jacques DERRIDA, les construits culturels et intellectuels que sont l’Homme et l’animal sont indissociables. Pour ce philosophe du 20è siècle, le rapport à l’animal est une condition irréfragable de la pensée occidentale. La définition de l’Homme en tant que personne humaine trouverait sa source dans la différenciation que l’on pose par rapport à l’animal.

Pourtant, les animaux ont, de tout temps, été exclus du champ de compassion et de l’empathie par l’homme. En effet, l’on remarque une certaine cécité de l’homme à admettre, nommer et à reconnaitre au travers d’un statut potentiel de victime, la terrifiante souffrance animale.

Les fondements d’une telle volonté d’exclusion remontent à la culture occidentale et à la construction de ce qui fait traditionnellement le propre de l’homme, de ce qui renvoie à la « sacro-sainte humanité ». En effet, l’on remarque que les construits culturels et intellectuels de l’homme vis-à-vis de l’animal s’emploient à relayer ce dernier au rang inférieur.

Qu’il s’agisse de la victime sacrificielle, de ce qui relève de la notion de spécisme[1] ou encore dans un but symbolique visant à garantir la différence entre l’homme et l’animal, tout est fait pour marquer la rupture entre l’homme et l’espèce animale.

Par ailleurs, l’homme tarde à reconnaitre un véritable statut juridique à l’animal. Jadis réduit à la catégorie de bien meuble sur le plan juridique, la loi du 17 février 2015 est venue modernisée le statut juridique de l’animal. Désormais, l’article 515-14 du code civil le considère comme un être vivant doué de sensibilité.

Pourtant, bien que la présence prépondérante de l’animal dans la vie de l’homme et son influence pour son plein épanouissement ont acquis leurs lettres de noblesse, l’homme tarde toujours à ériger l’animal à un statut honorable, digne de l’influence qu’il joue pour son bien-être.  

L’animal est incontestablement un allier majeur de l’épanouissement humain. Or celui-ci n’a de cesse tenter de le maintenir à l’extérieur de ce qui touche à l’humanité et par ricochet à lui reconnaitre un statut à la hauteur de son aide au bien-être général de l’homme.

Cependant, la vérité est sans appel, les animaux sont des êtres sensibles, doués d’émotions et capables de ressentir la douleur qui non seulement peut leur être infligée par l’homme, mais également toute forme de douleur et mal-être qui gravite autour d’eux.

Il convient dès lors de reconnaitre avec Elizabeth FONTENAY la nécessité d’émettre une critique fondamentale de la tradition éthique occidentale, de la déconstruire afin que soit revalorisé le statut juridique des animaux car rappelle-t-elle, il n’y a pas deux éthiques, l’une animale l’autre humaine, il y a éthique ou il n’y a pas d’éthique.

Aussi, serait-t-il judicieux de faire honneur à l’espèce animale, eu égard au rôle qu’elle joue, pour le bien-être de l’homme sinon nous ne prendrions pas conscience de l’indispensable solidarité qui le lie aux humains. Et comme le disait Lamartine : « On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme et l’autre pour l’animal… on a du cœur ou on n’en a pas ».  

II. L’importance des chiens d’assistance judiciaire pour la restauration des victimes d’infractions

Qu’appelle-t-on alors chiens d’assistance judiciaire ?

Ce sont des chiens qui sont spécialement dressés par les professionnels de l’éducation canine pour assister les justiciables dans leur procédure devant la justice.

L’origine de ces chiens voit le jour dans la pratique judiciaire usitée aux États-Unis.

La première expérience Européenne de chien d’assistance judiciaire a, quant à elle vu le jour en France en mars 2019 avec LOL, un Labrador noir, premier chien d’assistance sur le sol européen, sous l’impulsion de la Fondation Adrienne et Pierre SOMMER, et du procureur de la République près du Tribunal de Grande Instance de Cahors, Frédéric ALMENDROS.  

L’initiative des chiens d’assistance judiciaire auprès des victimes d’actes criminels vient concrétiser la volonté de bâtir une stratégie qui traite en profondeur la souffrance endurée par elles et issue des effets néfastes des actes criminels, afin de concourir à leur pleine restauration.

Ce faisant, ce nouveau mécanisme d’aide aux victimes s’impose comme une évidence car à travers elles, les personnes victimisées peuvent voir leur souffrance atténuée tout au long de la procédure pénale : lors de l’audition de la victime au commissariat, devant le juge d’instruction ou encore lors de son intervention au cour d’un procès.

En effet, l’un des avantages des chiens d’assistance judiciaire est d’apporter aux victimes d’actes criminels l’apaisement, le réconfort et la confiance dont elles ont besoin pour faire face à la procédure pénale, jugulant par-là, la violence induite par la barbarie de l’acte infractionnel.

Aussi, convient-t-il de reconnaitre que les chiens d’assistance judiciaire sont d’une aide inestimable auprès des victimes et qu’il apparait judicieux que leur présence en tant que dispositif d’aide aux victimes soit légalement consacrée.

III. Le projet FYDO (Facility Dog in Europe)

Les actes criminels ont de lourdes conséquences sur les victimes dont les stigmates se traduisent par une extrême vulnérabilité.

Dans ce contexte, certaines victimes trouvent de l’assistance et du réconfort auprès de leur famille ou dans leur cercle social et professionnel, pendant que d’autres sont laissées aux abois, seules face à leur souffrance et éloignées de toute perspective de restauration.  

Dans ce contexte, l’assistance judiciaire des chiens apparait incontournable afin de redonner à ces victimes une lueur d’espoir par un accompagnement spécifique tout au long de leur parcours judiciaire. 

Depuis le début de l’année 2021, Victim Support Europe (Belgique), Dog4life (Italie), Viaduq67 (France), Canisha (Belgique), Hachiko (Belgique), et l’Université College Cork (Irlande) mènent un projet unique financé par le programme européen pour la justice, qui vise à former et à placer des chiens d’assistance judiciaire au cœur du parcours de restauration des victimes d’actes criminels : Facility Dog in Europe (FYDO).

Durant cette période, plusieurs chiens d’assistance judiciaire ont été déployés dans trois pays européen ; Floff en Belgique, Orphée en France, placée sous l’égide de l’association d’aide aux victimes VIaduq67 et Love en Italie placé au sein de l’association Dog for live.

Ce projet s’inscrit dans la stratégie générale de l’association Victim Support Europe qui consiste en l’élaboration de politiques européennes destinées à l’accompagnement des victimes d’actes criminels, en vue de renforcer leurs droits ainsi que la protection des personnes victimisées au sein de l’espace européen.

Le projet FYDO a connu au sein de ces pays un écho retentissant et les résultats de cette expérimentation sont tangibles et font l’unanimité au sein des parties prenantes.

Cette initiative tombe à point nommé au moment où le parlement Européen réfléchit sur la réforme de la Directive n° 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil. Le temps idéal pour formuler toutes recommandations nécessaires en vue de renforcer les droits des victimes dans les pays membres de l’Union européenne.

Sources :

Wemmers, J. (2003). Introduction à la victimologie. Les presses de l’Université de Montréal.

Derrida, J. (2008). The animal that therefore i am. Fordham Unive Press.

Singer, P., de Fondenay, E., Cyrulnik, B. (2013). Les animaux aussi ont des droits. Média diffusion. De waal, F. (2015). Primates et philosophes. Le Pommier

Lopez G. (2014). La victimologie 2è édition. Dalloz.

Caron, A. (2016). Antispéciste. Réconcilier l’humain, l’animal, la nature : Réconcilier l’humain, l’animal, la nature. Média diffusion.

Barrau, A., Schweitzer, L. (2019). Pourquoi accorder des droits aux animaux.

Llored, P. (2021). Une éthique animale pour le XXIe siècle. Questions éthiques.

Ribeyre, C. (2022) La victime de l’infraction pénale. Editions Dalloz


[1] Concept initié en 1970 par le psychologue Richard Ryder et repris quelques années plus tard par le philosophe Peter Singer qui désigne toute attitude de discrimination envers un animal en raison de son appartenance à une espèce donnée.