Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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EDITO : PENSER LA CATASTROPHE, C. Lienhard

Claude Lienhard
Professeur de droit privé à l’UHA, avocat, ancien directeur du CERDACC

 

Penser la catastrophe

Nous avons toujours estimé et professé que la catastrophe survenue doit être porteuse de leçon forte à hauteur des drames et malheurs.

Le cyclone Irma nous a rappelé ce constat.

Le préfet Philippe GUSTIN a été nommé, le 14 septembre, délégué interministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin et placé auprès d’Annick GIRARDIN, ministre des Outre-mer. Son rôle est de concevoir et coordonner, en lien étroit avec les deux collectivités, les politiques publiques nécessaires au développement de ces territoires et à leur résilience face aux risques naturels et au changement climatique.

Pertinemment intitulé  « Repenser les Iles du Nord pour une reconstruction durable » le rapport qu’il a rédigé et qui vient d’être  rendu public doit être lu et  son avant-propos mérité d’être connu :

« Les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont été dévastées par le passage du cyclone IRMA les 6 et 7 septembre derniers. Ce cyclone de catégorie 5, le plus fort jamais recensé dans la région avec des vents soufflant à plus de 370 km/h, a causé des dommages considérables et bouleversé totalement le destin des deux îles. Onze personnes ont perdu la vie à la suite de cette catastrophe, 95 % du bâti a été endommagé et plus de 7000 personnes sont parties en Guadeloupe, en Martinique et en métropole.

L’Etat a su répondre à la crise. Dès le début du cyclone, un pont aérien et maritime d’une ampleur exceptionnelle a été mis en place pour permettre aux populations de ces deux territoires, et en particulier celle de Saint-Martin, de disposer du minimum vital : de l’eau a été acheminée en grande quantité (deux millions de bouteilles et des unités mobiles de production), ainsi que de la nourriture (plus de 200 tonnes de denrées alimentaires) et du matériel pour les réparations d’urgence (bâches, outillage etc.). Par ailleurs, un déploiement inédit de forces de sécurité a été organisé pour rétablir l’ordre public à la suite des pillages qui ont eu lieu dans les jours qui ont suivi le passage du cyclone. Ainsi, plus de 600 sapeurs-pompiers et militaires de la sécurité civile, 750 gendarmes, 140 policiers, 960 militaires, sans compter les experts envoyés par divers organismes publics, ont été dépêchés sur les deux îles. Au plus fort de la crise, plus de 3 000 fonctionnaires et bénévoles étaient sur place, représentant près d’un habitant sur 10 à Saint-Martin.

Après la gestion de l’urgence, s’est engagée la phase de retour à la vie normale, en répondant à trois impératifs : le rétablissement des réseaux, l’organisation de l’accès aux soins et le redémarrage de la scolarité.

Le retour à la vie quotidienne a été extrêmement dépendant du rétablissement des réseaux. Le retour de l’électricité pour tous les usagers des deux îles a été réalisé à 100 % en moins de cinq semaines. Les réseaux de télécommunication ont également connu une remise en route rapide, même si le téléphone fixe n’est pas encore totalement rétabli à ce jour. Le trafic commercial maritime a pu reprendre pour les deux îles très vite après la catastrophe, permettant d’approvisionner les commerces, qui ont rouvert progressivement malgré les conditions spartiates de leurs installations. En revanche, l’accès à l’eau à Saint-Martin reste à ce jour un vrai point de préoccupation après les dégâts importants subis par les réseaux de distribution de l’île, particulièrement vétustes. Une partie de la population est ainsi toujours dépendante des flux de bouteilles d’eau et des fontaines publiques ont été mises en place. Par ailleurs, les liaisons commerciales aériennes n’ont pas encore pu être rétablies de manière pleinement satisfaisante, en particulier au départ de Paris à destination de l’aéroport international de Juliana (partie néerlandaise de Saint-Martin).

S’agissant de la santé, les centres hospitaliers ont pu fonctionner immédiatement et plusieurs dispensaires ont été installés grâce à des tentes. L’envoi sur place du BPC Tonnerre pendant plusieurs jours a également permis d’offrir aux habitants tous les soins médicaux nécessaires.

Les établissements scolaires, enfin, ont pu rouvrir progressivement, malgré la destruction totale de trois écoles et un collège à Saint-Martin. A ce jour, l’offre éducative des deux îles est complète et tous les élèves ont pu reprendre le chemin des cours à compter du 6 novembre.

Le 14 septembre 2017 a été décidée la création de la délégation interministérielle pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Cette délégation, qui a la charge de coordonner l’action des ministères et d’être force de propositions pour l’action de l’Etat, a pu participer à l’organisation de trois comités interministériels sous l’égide du Premier ministre, dédiés à la gestion de la situation de crise sur place.

La phase d’urgence est en grande partie derrière nous et que s’ouvre désormais une période transitoire qui conduira à la reconstruction des îles du Nord. L’objet de ce rapport est de faire état des analyses, nourries par les nombreux acteurs rencontrés sur place, et de formuler des propositions pour l’avenir des deux îles.

Il est toutefois nécessaire de rappeler à titre préliminaire quelques éléments factuels relatifs à Saint- Martin et Saint-Barthélemy. Les spécificités politiques, territoriales, culturelles et administratives de ces îles présentent un caractère si particulier qu’elles auront nécessairement un impact sur les ambitions portées pour leur reconstruction. »

Tout comme doit être connue la conclusion :

« Le passage du cyclone IRMA sur les îles du Nord relève d’une catastrophe naturelle exceptionnelle. Le risque est avéré que, dans la précipitation, aucune leçon ne soit tirée de cet événement. Ces îles ont de tout temps constitué des espaces vulnérables et les dérèglements climatiques laissent présager de nouveaux cyclones du même type qu’IRMA dans un avenir proche.

Les îles du Nord cumulent les spécificités : un statut accordant une large autonomie aux collectivités concernées avec des compétences propres dans des domaines cruciaux comme l’environnement ou l’urbanisme, une imbrication très forte entre les deux collectivités et la partie néerlandaise de l’île saint-martinoise, un héritage pesant de ces deux ex-communes de Guadeloupe, devenues en peu de temps des collectivités dotées de compétences élargies sans avoir les moyens de les exercer pleinement, une mono-industrie touristique déjà fragilisée avant IRMA dans un contexte concurrentiel fort et une volatilité extrême des attentes des clients.

Ces différents handicaps pourraient conduire à croire impossible une reconstruction de ces deux îles sur une base plus résiliente et plus respectueuse des aléas et de l’environnement. La tâche est certes ardue mais, curieusement, Irma a surtout été un révélateur de dysfonctionnements préexistants. Une opportunité unique pour repenser ces territoires autrement s’ouvre à nous. J’ose espérer que chacun des acteurs de la reconstruction, qu’ils soient institutionnels ou privés, saura saisir la balle au bond pour que chacun, dans le respect de son domaine de compétences, contribue à (re)construire les îles du Nord de demain. »

Le message que délivre ce rapport est qu’une fois de plus c’est la catastrophe qui amène la prise de conscience et qu’il est du rôle impératif de l’Etat d’être présent et garant dans la durée de l’après. Il faudra être attentif à la mise en oeuvre de cet après. Un protocole d’accord pour une reconstruction « durable » de Saint-Martin a été́ signé mardi 21 novembre à Matignon entre l’Etat et la collectivité́. C’est un bon signe !

Rapport « Repenser les iles du nord pour une reconstruction durable »