Le traumatisme arrête le temps et fige le mouvement, laissant le sujet saisi dans l’anomie de l’effroi. Mais cette suspension apparente s’accompagne d’une pulsatilité nouvelle : la réapparition de l’image térébrante au rythme du syndrome de répétition scande désormais la vie du sujet. Ce qui revient n’a pas la consistance d’un souvenir que l’on pourrait intégrer à un récit ; il s’agit plutôt de la fixité d’un corps étranger, d’une image pétrifiée qui impose un arrêt dans la chaîne signifiante. Le réel insiste, à la manière d’un disque rayé, autant trace du trauma qu’obstacle à toute transformation.
De cette tension entre fixité et retour du même, surgit la fascination : non pas une curiosité tournée vers l’extérieur, mais une capture qui méduse, cloue le regard et interdit l’élaboration, tout en exerçant une force paradoxale d’attraction. Dans la clinique, elle se présente comme un contrepoint à l’angoisse, produisant un attachement au trauma qui complique singulièrement le travail thérapeutique. C’est pourquoi François Lebigot insiste sur l’importance d’une prise en charge précoce, avant que cet attachement ne se consolide.
Les soignants ne sont pas exempts d’être eux-mêmes saisis. Dans l’urgence, il arrive qu’ils soient happés par une proximité trop immédiate avec l’horreur, ou séduits malgré eux par ce qu’elle donne à voir : pris dans l’image, captés plus qu’ils ne choisissent, ils cessent alors d’occuper leur place et partagent les rets qu’ils voulaient desserrer. À ces dérives s’ajoutent d’autres obstacles, qui viennent entraver l’action des professionnels autant que le parcours des sujets traumatisés. Certains sont intimes : la honte, par exemple, où le sujet se découvre assigné par le regard de l’Autre, arrêté dans une image insoutenable de lui-même, réduit au silence. La collectivisation du traumatisme pourrait sembler offrir une issue, mais l’appartenance à un groupe – qu’il s’agisse d’associations ou d’autres formes du collectif – si elle permet initialement de stabiliser une identité mise à mal, peut aussi contribuer à réduire l’individu à une identité partagée. Ce qui se donne comme reconnaissance peut alors se payer d’une dilution du sujet dans son symptôme, qui, là encore, ne favorise pas l’émergence d’une parole singulière.
D’autres difficultés tiennent aux dispositifs mêmes qui encadrent la prise en charge : procédures médico-légales, temporalités administratives ou judiciaires, dispositifs de reconnaissance. Tous imposent leur rythme et leur logique, au risque de contrarier le temps psychique : parfois en venant faire répétition, comme lors des expertises ; parfois en étirant leur résolution sur un temps long qui interdit au sujet tout mouvement préalable ; parfois aussi en manquant leur fonction symbolique de reconnaissance et en ouvrant la voie à la quérulence, où le sujet se perd en multipliant les griefs dans une parole sans appel. Enfin, la technique psychothérapeutique elle-même, fascinante par sa promesse de maîtrise toute scientifique, peut renforcer ce danger : réduire l’expérience à une donnée, à une mesure, là où il s’agirait plutôt d’accompagner un travail singulier.
Finalement, explorer la fascination et ses obstacles, c’est interroger ce qui, dans le traumatisme, empêche le mouvement autant qu’il l’oriente. C’est reconnaître la puissance d’arrêt du trauma, mais aussi penser comment, à partir de ce point de butée, il est possible d’ouvrir un passage. Car si le traumatisme ne s’efface pas, le repérage de la fascination, au lieu de condamner à la fixité, peut alors devenir le lieu d’une transformation.
C’est cette tension que cette journée voudrait explorer : comment entendre et reconnaître la fascination sans s’y laisser prendre, comment repérer les obstacles qu’elle dresse sur le chemin du soin, et comment, malgré eux, penser les conditions d’une déprise et d’une réparation.
Emeric SAGUIN