IGNORANCE SCIENTIFIQUE ET INACTION PUBLIQUE. LES POLITIQUES DE SANTE AU TRAVAIL, E. HENRY
Editions SciencesPo Les Presses
2017
Par Valentine Erné-Heintz, Maître de conférences en sciences économiques, CERDACC
Ce livre place au cœur du débat la question de la connaissance disponible et de l’expertise dans la prise de conscience d’un risque. L’ignorance scientifique peut-elle expliquer voire justifier l’inaction publique ? A ce titre, E. Henry insiste sur la relative visibilité ou invisibilité sociale d’un risque en évoquant le rôle que peuvent jouer les médias dans la construction d’un risque. Il fait le choix de se placer spécifiquement dans le cadre des risques professionnels en posant la question de la sécurité – de la santé – au travail. Mais plus précisément, il insiste sur le cadre particulier de ces derniers par rapport à des risques de santé publique puisque « la santé au travail et les questions qui s’y rattachent sont aujourd’hui durablement extraites du débat public et gérées sur un mode technique et expert, entre spécialistes du problème » (page 6). Avant d’ajouter que « l’accord relevant du fait que les effets du travail sur la santé sont essentiellement un problème d’ordre économique relevant de la négociation entre partenaires sociaux. Ce cadrage qui réduit le problème à un taux de cotisation patronale ou à des coûts supportés par l’employeur » (page 9) ou alors favoriser une forme « d’institutionnalisation de l’ignorance » (page 88).
C’est ainsi que dans sa première partie, l’auteur s’attache à mettre en exergue les raisons pour lesquelles ces risques professionnels ne font pas l’objet d’un débat public voire se traduisent par « une inertie des pouvoirs publics ». Il s’inscrit dans la tradition de François Ewald en analysant comment l’histoire industrielle et le droit du travail accompagnent simultanément l’avènement de la société assurantielle. L’option choisie traduit une volonté de réintroduire la question du pouvoir des acteurs dans une controverse et comment, en définissant les contours d’une maladie professionnelle et/ou le montant des indemnisations (page 47), ces rapports de force peuvent consolider des inégalités ou des vulnérabilités au lieu de les réduire (p. 83-87). La seconde partie s’attarde sur l’articulation entre science et action publique en montrant que la définition d’une valeur limite d’exposition est tout autant affaire de science, d’expertise que politique en raison des enjeux économiques en présence. Il est ici question d’expérimentation et des difficultés à réglementer des activités dangereuses pour la santé des travailleurs. L’auteur ouvre le débat en s’interrogeant sur l’opportunité de rendre les normes « plus scientifiques et donc plus protectrices » (page 158) tout en soulevant le risque de « piège pour les experts » (page 172). Avec ce problème temporel entre le temps court de la décision et le temps long de la production de connaissance pour conclure que « le temps joue en faveur de l’industrie » (page 182).
Ce livre, richement documenté, mérite que l’on s’y plonge avec intérêt. Il se construit aux interfaces de la sociologie des sciences et de la sociologie de l‘action publique. Un livre que l’on ne pose que lorsque la dernière page glisse entre les doigts.