Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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IRMA : L’EAU ET LE VENT, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach
Professeur émérite de droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

Les ravages occasionnés par le cyclone Irma ont été largement médiatisés et, comme toujours en cas d’événement exceptionnel d’origine naturelle, une des réactions du gouvernement français a été la publication rapide d’un arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Signé le 8 septembre pour des événements qui se sont déroulés du 5 au 7 septembre, l’arrêté a été publié le 9 septembre au Journal officiel (NOR : INTE1725480A), et annoncé le même jour sur le compte Tweeter du ministre de l’Intérieur. Outre l’immédiateté de la signature de cet arrêté, qui est un des aménagements de la procédure d’indemnisation en cas d’événement exceptionnel (II), il importe de rappeler que le régime des catastrophes naturelles dans les départements d’Outre-mer a été progressivement adapté par le législateur (I).

I.L’indemnisation des effets du vent : une adaptation progressive aux départements d’outre-mer

L’arrêté du 8 septembre détaille les événements concernés : « Inondations et choc mécanique lié à l’action des vagues », « Inondations et coulées de boue », « Vents cycloniques ». Les deux premières catégories, liées à l’eau, sont classiquement des catastrophes naturelles, il n’en est pas de même de la dernière, le vent tenant une place à part parmi les événements naturels. La prise en compte des vents cycloniques au titre de la garantie des effets des catastrophes naturelles (articles L. 125-1 et s. C. assur.) est le résultat d’une évolution législative du régime de l’indemnisation par l’assurance.

Initialement, la loi n° 82-600 du 13 juillet 1982, dont l’originalité réside dans un caractère hybride, liant solidarité nationale et assurance, ne s’appliquait qu’en France métropolitaine, les habitants des départements d’outre-mer ne pouvant en bénéficier. Quelques années plus tard, loi n° 90-509 du 25 juin 1990 a étendu aux DOM le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles tout en instaurant un régime particulier pour les effets du vent dus aux tempêtes, ouragans, cyclones. Le législateur avait ensuite clairement spécifié par une loi du n° 92-665 du 16 juillet 1992 que la garantie des effets du vent dus aux tempêtes, ouragans et cyclones ne relevait pas du régime des catastrophes naturelles.

Ainsi, alors que le régime des catastrophes naturelles était étendu aux DOM, les effets du vent en étaient exclus. Ils peuvent cependant être garanties mais sont soumis à un régime à dominante contractuelle, nul besoin d’un arrêté pour le déclencher, il suffit de démontrer que la vitesse du vent était supérieure à celle précisée dans le contrat. La franchise et la prime sont également contractuelles alors qu’elles sont fixées par les pouvoirs publics pour l’assurance des catastrophes naturelles. Autre différence non négligeable : alors que la garantie des catastrophes naturelles est greffée sur tout contrat de dommage, celle des effets du vent était – jusqu’à une loi du 13 décembre 2000 – greffée uniquement sur la garantie « incendie », sachant que si les assureurs sont contraints à proposer un contrat de dommages aux biens afin que chacun bénéficie de la garantie des catastrophes naturelles, rien ne les obligeait à délivrer une couverture « incendie ».

Rien d’étonnant à ce qu’ait été constaté un net désengagement des assureurs dans les DOM s’agissant de la garantie « incendie ». Il semblerait également que, par quelques errements administratifs, des cyclones aient fait l’objet d’arrêtés de catastrophes naturelles et aient été indemnisés comme tels.

Finalement, adaptant la législation à la réalité, la loi n° 2000-1207 d’orientation pour l’Outre-mer du 13 décembre 2000 a modifié le régime d’indemnisation des dommages dus aux effets du vent. Au-delà d’une certaine puissance, ils sont maintenant réparés au titre du régime des catastrophes naturelles. Aux termes de l’article L. 122-7 du code des assurances, dans sa rédaction actuelle « les effets du vent dû à un événement cyclonique pour lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minutes ou 215 km/h en rafales, (…) relèvent des dispositions des articles L. 125-1 et suivants du présent code », c’est-à-dire de celles des catastrophes naturelles.

Hormis cette exception, importante pour les départements d’Outre-mer, les effets du vent restent soumis à la garantie contractuelle précédemment décrite, avec cependant une nuance puisqu’elle est maintenant acquise à tout assuré ayant conclu un contrat dommages, qu’il s’agisse ou non d’un contrat « incendie ».

Pris dans l’urgence, l’arrêté du 8 septembre 2017 déclenche l’indemnisation, par l’assureur, des dommages aux biens au titre des catastrophes naturelles.

II.Un événement d’ampleur exceptionnelle : une procédure d’indemnisation adaptée

 La mise en oeuvre de la garantie est déclenchée par la publication au journal officiel d’un arrêté interministériel reconnaissant l’état de catastrophe naturelle. En principe, la demande de reconnaissance doit être formulée par les maires des communes concernées qui la transmettent au préfet. Celui-ci dispose alors d’un mois pour constituer un dossier avec le concours des services de défense de protection civile, ce dossier est destiné à être examiné par une commission interministérielle laquelle émet un avis.

Devant l’ampleur de la catastrophe, cette procédure relativement longue n’a pas été suivie, l’arrêté est paru avec une remarquable célérité en « brûlant » les étapes. Cette initiative doit être approuvée d’autant qu’il n’y avait pas lieu de recenser les zones touchées, l’intégralité des deux îles ayant subi les furies d’Irma.

Du 18 au 19 septembre, Saint-Barthélemy et Saint-Martin furent à nouveau touchées par un ouragan baptisé Maria. Si, là encore, l’arrêté a été pris dans l’urgence, il n’a en revanche pas concerné l’intégralité des deux îles, la vitesse du vent mesurée n’étant pas considérée suffisante à certains endroits pour permettre l’application de l’article L. 122-7 du code des assurances. Cette décision est contestée, les habitants mettant principalement en avant les dommages subis par les bananeraies ; cependant, ces dernières étant des cultures non engrangées ne sont pas couvertes ni par la garantie des catastrophes naturelles (art. L. 125-5 c. assur.), ni par celle des effets du vent (art. L. 122-7 al. 2 c. assur) car elles relèvent, en principe, du régime des calamités agricoles.

Les assureurs ont, comme par le passé lors de situations catastrophiques, largement assoupli les règles de l’indemnisation des dommages causés par Irma. S’agissant des déclarations de sinistre, la Fédération Française de l’Assurance (https://www.ffa-assurance.fr) annonçait dès le 8 septembre que ses membres allongeaient le délai de déclaration de 10 jours, autorisaient les déclarations par tous moyens, et seraient compréhensifs quant aux moyens d’attester les dommages. Cet assouplissement des règles sera également appliqué aux suites du passage de l’ouragan Maria (communiqué FFA du 22 septembre).

Le 13 septembre, la FFA communiquait sur l’extension de ces mesures exceptionnelles, s’engageant notamment au versement d’avances d’urgence.

Bien qu’assoupli ce régime d’indemnisation ne profitera qu’aux personnes assurées. A défaut d’assurance, les sinistrés pourront solliciter des aides auprès du Fonds de secours pour l’Outre-mer. Lors de son déplacement dans les Antilles françaises le 13 septembre, le président de la République a annoncé la mise en place rapide de fonds spéciaux d’urgence.

On notera, que fidèlement à la tradition, tous les efforts convergent vers la réparation des dommages matériels, il n’existe pas de dispositif spécifique à l’indemnisation des préjudices corporels en cas de catastrophe naturelle. Cela pose à l’évidence question, tout comme le stress post-traumatique qui doit être traité, les médias l’ont montré à foison. Des dispositifs ont été mis en place coordonnés, entre autres, par France-Victimes (www.france-victimes.fr/ ).