JAC n°13/Avril 2001

FAUTE CIVILE ET FAUTE PENALE, LES COMPLEMENTS APPORTES PAR LA COUR DE CASSATION A LA LOI DU 10 JUILLET 2000

 

 

Marie-France STEINLE-FEUERBACH

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre fondateur du CERDACC (UR 3992)

 

 

Commentaire de l’arrêt rendu le 30 janvier 2001 par la première Chambre civile de la Cour de cassation

 

Cet arrêt illustre la distinction introduite par la loi du 10 juillet 2000 entre la faute civile et la faute pénale en matière d’infractions involontaires. Alors qu’une jurisprudence constante depuis 1912 affirmait l’équivalence de ces deux fautes, la loi du 10 juillet a introduit dans le Code de procédure pénale un article 4-1 aux termes duquel :

« L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile est établie… ».

Une première application de cette distinction avait été faite par le tribunal correctionnel de la Rochelle dans une décision en date du 7 septembre 2000. Le tribunal, tout en prononçant la relaxe d’un maire poursuivi pour homicide involontaire après le décès d’un adolescent écrasé par une cage de football avait néanmoins retenu sa responsabilité civile et l’avait condamné au paiement de dommages et intérêts (Voir notre commentaire dans le JAC n° 8).

L’arrêt que nous présentons aujourd’hui est particulièrement intéressant dans son second moyen puisque la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes rendu le 24 septembre 1997 lequel, conformément à la jurisprudence en vigueur à cette époque, avait refusé de retenir la responsabilité civile du défendeur relaxé au pénal.

Les faits sont les suivants : en juillet 1994 lors d’une manifestation nautique Monsieur J., gérant d’une société, avait pris à bord de l’hélicoptère qu’il pilotait Monsieur B., organisateur de la manifestation, et deux techniciens chargés du reportage aérien de la manifestation. Le reportage étant achevé, les techniciens débarquèrent à Noirmoutier et pour le voyage du retour vers La Baule, l’hélicoptère pris à son bord deux nouveaux passagers qui profitèrent de ce moyen de transport pour rentrer plus rapidement. Lors de ce voyage de retour, le pilote, voulant s’approcher d’un voilier, a sectionné un hauban de celui-ci avec les pales de l’hélicoptère lequel, déséquilibré, s’est écrasé en mer causant la mort des deux passagers et occasionnant des blessures à M. B.

La Cour d’appel de Rennes avait estimé qu’aucune faute constitutive du délit d’homicide involontaire et de blessures involontaires n’était établie à l’encontre de M.J. lequel fut par conséquent relaxé des fins de poursuites. M.B. avait assigné M.J. devant les juridictions civiles et il avait été débouté par la Cour d’appel de Rennes.

 M.B. reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir décidé que l’accident dont il avait été victime était survenu lors d’un contrat de transport gratuit ce qui l’obligeait à établir une faute du transporteur pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée (art. L. 322-3 du Code de l’aviation civile). M. B. soutenait qu’aucun contrat ne le liait à M.J. et que par conséquent il convenait de se placer sur le terrain de la responsabilité délictuelle ce qui lui permettait d’invoquer l’article 1384 du Code civil relatif à la responsabilité du fait des choses, responsabilité objective ne demandant pas la démonstration d’une faute. Sur ce point la Cour de cassation réfute les arguments du demandeur et confirme l’existence d’un contrat de transport gratuit.

La Cour se place donc sur le terrain de la responsabilité contractuelle donnant ainsi tort à M. B. sur ce moyen mais ne lui ôte pas pour autant toute possibilité d’être indemnisé.

La Cour d’appel de Rennes, appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal déduit de l’article 1351 C.C. avait refusé de reconnaître l’existence d’une faute civile suite à la relaxe dont avait bénéficié M.J. La responsabilité contractuelle de M.J. ne pouvait donc pas être engagée puisqu’aucune faute civile contractuelle ne pouvait être retenue du fait de l’absence prononcée d’une faute pénale.

La Cour de cassation, par une interprétation large mais parfaitement logique de la loi du 10 juillet 2000, casse la décision de la Cour d’appel de Rennes offrant ainsi au demandeur la possibilité d’une réparation civile.

La Cour de cassation généralise la rupture entre la faute civile et pénale : dépassant le seul article 1383 C.C., elle vise également les articles 1351 et 1147 C.C.

S’agissant du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil il est clair que celui-ci est battu en brèche, du moins en ce qui concerne les actions menées sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l’article 1383 C.C. Désormais la faute civile et la faute pénale d’imprudence ne sont plus liées et il aurait donc été heureux que le législateur de juillet 2000 ajoute une dérogation légale supplémentaire à celles existant déjà au principe posé par l’article 1351 C.C. Jouant son rôle supplétif par rapport à la loi, la Cour de cassation vient donc fort justement de pallier ce manquement.

Elle est allée encore plus loin. En effet, la loi de juillet 2000 n’envisageait dans l’article 4-1 que la faute civile d’imprudence délictuelle de l’article 1383 C.C. et celle de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale relative à la faute inexcusable de l’employeur. Les fautes contractuelles, notamment l’inexécution de l’obligation telle qu’elle est sanctionnée par l’article 1147 C.C.,  n’étaient donc absolument pas concernées par la rédaction de la loi de 2000.

La Cour de cassation, ici encore, complète les dispositions législatives par une phrase lapidaire :

«Vu l’article 1351 du Code civil, ensemble les articles 1147 et 1383 du même Code ;

Attendu que la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne la faute civile d’imprudence ou de négligence ; »

 

Par conséquent, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’être restée fidèle au principe de l’autorité de la chose jugée :

« Attendu que pour écarter la responsabilité de M.J. au sens de l’article 1383 du Code civil, l’arrêt attaqué retient que la faute civile imputée à M.J. est de nature identique à la faute pénale qui sous-tend la prévention sous laquelle il a comparu a été relaxé, et que le juge civil est tenu de respecter l’autorité de la chose jugée au pénal ; Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

Ainsi, par une sorte de contagion, la faute contractuelle d’imprudence profite de l’article 4-1 nouveau du code de procédure pénale relatif à la faute délictuelle d’imprudence. On ne peut qu’approuver cette décision de la première Chambre civile de la Cour de cassation. Les hypothèses dans lesquelles les victimes sont soumises à un traitement différent selon qu’elles sont liées ou non par un contrat à l’auteur du dommage sont encore trop nombreuses. Le législateur a unifié les responsabilités en matière d’accident de la circulation ( loi du 5 juillet 1985) et en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (loi du 13 mai 1996), par cet arrêt la Cour de cassation a évité que ne s’instaure une autre inégalité. Reste à préciser les contours de la faute contractuelle d’imprudence ou de négligence, la Cour d’appel d’Angers, Cour de renvoi, saura peut-être nous éclairer.

 

 

 

 

 

 

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