Chrystelle Lecoeur,
Maître de conférences UHA, CERDACC
Le dispositif de prévention des risques professionnels vient d’être révisé par l’ordonnance n°2017-1389 du 22 septembre 2017 relative « à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention ». Ce texte, qui a vocation à simplifier les dispositions existantes, s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes visant à instituer des mécanismes de prévention et de compensation de la pénibilité au travail. La première loi adoptée en la matière fut la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites qui instaura une nouvelle obligation de négocier sur la prévention de la pénibilité, elle créa également la fiche individuelle de suivi et mis en place un régime de départs anticipés à la retraite. La loi n°2014-40 du 20 janvier 2014 viendra renforcer les dispositions relatives à la prévention de la pénibilité en créant un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), destiné à comptabiliser des points en fonction de l’exposition du salarié à des facteurs de pénibilité. Ces points pouvaient être mobilisés par le salarié au cours de sa vie professionnelle afin soit de financer une formation professionnelle en vue d’accéder à un emploi moins exposé à des facteurs de pénibilité, soit d’obtenir une réduction du temps de travail tout en bénéficiant d’un complément de rémunération ou encore de solliciter un abaissement de l’âge de départ à la retraite.
Face aux réserves émises à l’égard des modalités d’évaluation et de déclaration des facteurs de pénibilité, ces textes furent rapidement aménagés. En ce sens, la loi n°2015-994 du 17 août 2015 supprima l’obligation de rédiger une fiche de prévention des expositions au profit d’une simple déclaration à la sécurité sociale des expositions subies. Ces aménagements ne suffiront pas à faire taire les critiques émanant principalement des organisations patronales. L’ordonnance répond en partie aux revendications exprimées puisqu’elle modifie l’esprit initial du C3P dont l’intitulé change (compte professionnel de prévention, C2P), en sortant certains facteurs de risques du compte pénibilité (1) qui seront traités dans le cadre du dispositif de retraite anticipée (2). Enfin, l’ordonnance a pour objet d’étendre le champ de la négociation obligatoire sur la pénibilité (3).
- La réduction des facteurs de risques professionnels
L’ordonnance s’appuie sur le dispositif existant en reprenant la liste des dix facteurs de risques professionnels instituée par le décret n°2014-1159 du 9 octobre 2014. La répartition s’opère en trois catégories.
- Les facteurs liés aux contraintes physiques marquées : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et les vibrations mécaniques.
- Les facteurs liés à un environnement physique agressif : les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit.
- Les facteurs liés à certains rythmes de travail : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.
Dans le cadre du C3P, l’employeur avait l’obligation de déclarer l’exposition de ses salariés à ces dix facteurs de risque. Depuis le 1er octobre, il doit uniquement déclarer les six facteurs suivants : le travail de nuit, le travail répétitif, celui en équipes successives alternantes, les activités exercées en milieu hyperbare et celles exercées sous des températures extrêmes. Ces facteurs permettront aux salariés d’acquérir des droits au titre du compte professionnel de prévention dans la limite de certains seuils d’exposition qui seront très prochainement fixés par décret (art. L. 4163-1 C. trav.).
Les salariés qui auront été exposés aux quatre facteurs de risques sortis du C2P (à savoir les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux) bénéficieront quant à eux du dispositif de retraite anticipée pour incapacité permanente mis en place par la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010.
- Le départ à la retraite anticipée pour les salariés exposés aux facteurs exclus du C2P
Depuis le 1er octobre, le départ à la retraite anticipée est désormais facilité pour les salariés qui justifient d’une incapacité permanente au moins égale à un taux qui sera déterminé par décret, lorsque cette incapacité est reconnue au titre d’une maladie professionnelle (dont la liste sera fixée par arrêté) consécutive à l’exposition à un ou plusieurs facteurs de risque exclus du C2P.
Il ne sera plus nécessaire de justifier d’une durée d’exposition aux facteurs de risques (17 ans aux termes du dispositif issu de la loi de 2010) dès lors que le taux d’incapacité sera compris entre 10 et 19 %, ni d’établir que l’incapacité du salarié est directement liée à l’exposition à ces facteurs.
Par ailleurs, l’ordonnance prévoit que la personne atteinte d’une incapacité permanente supérieure ou égale à un taux déterminé par décret pourra bénéficier, au titre de sa reconversion professionnelle, d’un abondement de son C2P (ce dispositif dont les modalités sont soumises à décret entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2019).
Comme l’a relevé un auteur ce dispositif diffère du premier, « il ne s’agit plus de prévention et d’incitation des entreprises à améliorer les conditions de travail mais de simple réparation d’une maladie déjà intervenue » (M. Véricel, La quasi-disparition du compte de prévention de la pénibilité, RDT 2017, p. 649).
- Le renforcement de l’obligation de négocier sur la prévention de la pénibilité
L’obligation de négocier un accord en faveur de la prévention de la pénibilité, renommé par l’ordonnance « accord en faveur de la prévention des effets de l’exposition à certains risques professionnels » (art. L. 4162-1 C. trav.) a été doublement élargie.
D’une part, si les entreprises d’au moins 50 salariés ou appartenant à un groupe d’au moins 50 salariés devront toujours être couvertes par un accord ou, à défaut, un plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité lorsqu’elles emploient une proportion minimale de salariés déclarés exposés aux facteurs de risques, cette proportion diminue de 50 % (jusqu’au 31 décembre 2017) à 25 % à compter du 1er janvier 2018. D’autre part, l’ordonnance étend aux entreprises d’au moins 50 salariés ou appartenant à un groupe d’au moins 50 salariés l’obligation de négocier à celles dont la sinistralité au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT/MP) sera supérieure à un seuil qui sera fixé par décret (art. L. 4162-1 C. trav.). Dans les deux hypothèses, l’obligation de négocier portera sur les dix facteurs de risques et non pas uniquement sur les six facteurs entrant dans le C2P (art. L. 4162-1 C. trav.).
Seules les entreprises d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ou appartenant à un groupe de moins de 300 salariés n’auront pas l’obligation de conclure un accord ou un plan d’action, à condition qu’elles soient déjà couvertes par un accord de branche étendu portant sur les thèmes obligatoires qui seront fixés par décret (art. L. 4162-1, II C. trav.).
Il est à noter que les dispositions applicables à défaut d’accord (procès-verbal de désaccord, élaboration d’un plan d’action après avis du comité social et économique), ainsi que la pénalité imputable à l’employeur en l’absence d’accord ou de mise en place d’un plan d’action (pénalité qui ne peut excéder 1 % des rémunérations versées aux travailleurs visés) demeurent en vigueur.
Si l’ordonnance relative « à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au C2P » réserve d’autres nouveautés – évolution du mode de financement du C2P ou changement de l’organisme en charge de sa gestion – elle impactera également les modalités de suivi individuel de l’état de santé des salariés (en ce sens V. et P. Pradel, Prévention des risques professionnels et compte professionnel de prévention, JCP S. 10 oct. 2017, n. 40, p. 1315).
Cette réforme qui avait pour ambition de simplifier le dispositif existant tout en pérennisant le principe de la prise en considération de la pénibilité au travail (courrier adressé aux partenaires sociaux le 8 juillet 2017 par le Premier ministre Monsieur Édouard Philippe) a sans doute atteint son objectif. Néanmoins, on peut légitimement s’interroger : à trop vouloir « simplifier » le risque n’est-il pas de perdre en efficacité ? Il conviendra de suivre la mise en œuvre progressive de cette réforme afin d’y apporter une réponse. On peut toutefois regretter que le gouvernement persiste dans une vision fataliste de la pénibilité, perçue aujourd’hui encore comme une réalité inévitable qu’il convient de compenser, alors que la prévention doit se trouver au centre du questionnement.