Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE PILOTE D’ESSAI N’EST PAS LE REPRÉSENTANT DE LA SOCIÉTÉ EXPLOITANTE DE L’AÉRONEF, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Observations sous :

Cass. Crim., 6 décembre 2022, n° 21-87.526, JurisData n° 2022-020875

En confirmant le non-lieu rendu suite à un accident d’hélicoptère la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 6 décembre 2002, apporte une précision importante en matière de crash aérien : le pilote n’étant pas un représentant de son employeur, une faute éventuelle de pilotage n’est pas de nature à engager la responsabilité pénale de la société qui l’emploie.

Mots-clés : crash aérien ­–hélicoptère – homicide involontaire – article 121-2 du code pénal – article L. 6522-2 du code des transports

Le 25 juillet 2012, à 13h 38 sur la commune de La Palud-sur-Verdon, au lieu-dit La Maline dans les Gorges du Verdon, un hélicoptère Cougar s’est écrasé causant le décès de ses six occupants, pilotes et ingénieurs d’essai de l’entreprise Eurocopter pour laquelle ils effectuaient un vol de contrôle avant livraison de l’appareil à son propriétaire. L’appareil a heurté un câble électrique non balisé mais visible traversant les Gorges du Verdon à une hauteur d’environ 120 mètres par rapport au fond des Gorges, il s’est écrasé et a pris feu. Plusieurs personnes ont été témoins du crash. Bien que l’entreprise soit une société civile l’appareil était un aéronef militaire, l’enquête de sécurité a dès lors été confiée au Bureau Enquête et Accident Défense (BEAD) avec l’accord du BEA. Le rapport conclut à différentes causes possibles :  un défaut de respect de la hauteur de survol, l’absence de signalisation du câble, une manœuvre inappropriée d’évitement du câble, un défaut de supervision.

Au terme de l’information judiciaire, les juges d’instruction, ne suivant pas la piste du défaut de supervision, ont rendu une ordonnance de non-lieu qui a été confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt en date du 19 octobre 2021.

Dans son arrêt du 6 décembre 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois de parties civiles (J.-H. Robert, « Le commandant d’aéronef, prince du ciel » : Dr. pén. 2 fév. 2023, p. 24) et nous retiendrons plus particulièrement, dans sa motivation, la réponse suivante :

« 34. Les juges relèvent que [F] [T], à l’encontre duquel l’action publique est éteinte, ne disposait d’aucune prérogative d’autorité ou de direction au sein de la société [4], qu’il n’agissait en aucun cas en tant qu’organe ou représentant de celle-ci et qu’il disposait, en application de l’article L. 6522-2 du code des transports, d’une totale autonomie dans la conduite de l’appareil. »

Selon l’article L. 6522-2 du code des transports « Le commandant de bord assure le commandement de l’aéronef pendant toute la durée de la mission et est responsable de l’exécution de cette dernière. Dans les limites définies par les règlements et par les instructions de l’autorité administrative et de l’exploitant, il choisit l’itinéraire, l’altitude de vol et détermine la répartition du chargement de l’aéronef. Il peut différer ou suspendre le départ et, en cours de vol, changer éventuellement de destination chaque fois qu’il l’estime indispensable à la sécurité et sous réserve d’en rendre compte en fournissant les motifs de sa décision. ».

Paradoxalement, cet argument de l’autonomie du pilote dans la conduite de l’appareil, pertinent pour restreindre le champ de la responsabilité pénale de la société pour des fautes qu’elle aurait commises (I) est avancé pour justifier que le pilote ne peut être considéré comme un représentant de celle-ci (II). 

I.  L’autonomie du commandant de bord et l’absence de faute de l’entreprise

Il est avéré que l’accident est dû au heurt de l’hélicoptère avec un câble électrique situé à une hauteur de 120 mètres alors que la hauteur minimale réglementaire est de 150 mètres avec une dérogation possible à 300 mètres pour des motifs particuliers. Le commandant de bord étant décédé, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait estimé qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis l’infraction d’homicide involontaire. Au soutien de leur pourvoi les parties civiles tentent en vain d’établir l’existence de manquements de la société ayant contribué à la survenance de l’accident : non communication à l’équipage d’une carte signalant les zones dangereuses, non entraînement des pilotes au vol à très basse altitude et à la procédure d’évitement des câbles, non définition d’un plan sur l’exécution des missions, absence de contrôle en amont et tout le long du vol, non exigence d’un plan de vol préalable de l’équipage…

La chambre criminelle approuve pleinement le raisonnement de la cour d’appel qui avait confirmé l’ordonnance de non-lieu. Sans revenir sur les différents moyens invoqués par les parties civiles, il apparaît clairement que ceux-ci ne pouvaient prospérer en raison des qualités et compétences du commandant, ancien pilote de l’aviation légère de l’armée de terre spécialement formé à la détection d’obstacle et au franchissement des lignes électriques, connaissant par ailleurs parfaitement les lieux. Il pouvait donc agir en toute autonomie conformément aux dispositions de l’article L. 6522-2 du code des transports et sa prise volontaire de risques n’est pas révélatrice de fautes d’imprudence ou de négligence qui auraient été commises pour le compte de la société qui l’employait.

II. L’autonomie du commandant de bord et l’absence de représentation

Pour engager la responsabilité pénale d’une personne morale, l’article 121-2 du code pénal exige l’identification d’un organe ou d’un représentant ayant agi pour le compte de la personne morale. Une telle identification n’est pas toujours aisée (J. Lasserre Capdeville, « La notion d’organe ou de représentant de la personne morale » : AJ Pénal 2018, p. 550) et la Chambre criminelle, tout en exigeant toujours cette identification semble afficher actuellement une certaine souplesse (E. Dreyer, « Quasi-présomption d’intervention de l’organe ou du représentant (Crim. 15 fév. 2022, n° 21-82.165) » : Gaz. Pal. 10 mai 2022 p. 36). En cas d’accident aérien, la responsabilité pénale de l’employeur, qu’il s’agisse d’un constructeur ou d’une compagnie, peut ainsi être engagée si une faute a été commise par une personne ayant un pouvoir de gestion et de décision à un niveau hiérarchique suffisant au sein de l’entreprise. Il en a été ainsi pour le crash des Comores (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Crash des Comores : condamnation de la compagnie Yemenia Airways » (TJ de Paris 31e ch. corr. 14 sept. 2022) : JAC n° 219, juill. 2922) et pour celui d’un appareil de la compagnie Air Moorea au cours duquel le pilote et les dix-neuf passagers avaient trouvé la mort, la chambre criminelle (Crim. 22 fév. 2022, n° 20-84.351) confirmant que directeur général, nonobstant l’absence de délégation en matière de sécurité, était bien un représentant de la société Air Moorea, agissant pour le compte de celle-ci.

Dans la présente affaire, les parties civiles soutiennent que le commandant de bord décédé était un représentant de la société dès lors qu’il avait reçu par délégation verbale les prérogatives du responsable de la production/essai et notamment celle de désigner l’équipage. C’est à notre connaissance la première fois qu’un tel argument est avancé et il est heureux que la chambre criminelle n’ait pas suivi les parties civiles dans cette voie. Il est évident qu’un commandant de bord ne figure pas dans l’organigramme décisionnel d’un constructeur d’aéronef ou d’une compagnie aérienne. Reste à clarifier la référence à l’article L. 6522-2 du code des transports faite par la chambre criminelle pour rejeter sur ce point le pourvoi des parties civiles.

Selon Jacques-Henri Robert, « l’explication de la solution de l’arrêt doit être recherchée dans une comparaison entre la situation du commandant de bord et celle du capitaine d’un navire » (J.-H. Robert, « Le commandant d’aéronef, prince du ciel », loc. cit.). Les articles L. 5412-2 à L. 5412-15 avaient fondé la condamnation du capitaine d’un navire et de la société propriétaire de celui-ci pour un rejet de substance polluante en mer territoriale, la chambre criminelle ayant décidé que le capitaine était le représentant de la société (Crim. 2 mai 2018, n° 17-82.97, Dr. pén. 2018, comm. 124, obs. P. Conte ; E. Monteiro, « Chronique de jurisprudence » : RSC avril-juin 2019, p. 365). Critiquant l’arrêt, Philippe Conte avait souligné que le capitaine ne tenait pas ses pouvoirs de son contrat de travail mais de la loi. Ultérieurement, pour un autre délit de pollution, seul le capitaine fut poursuivi et non l’armateur (Crim. 24 nov. 2020, n° 19-87.651, J.-H. Robert,« Seul maître à bord après l’armateur » : Dr. pén janv. 2021, comm. 13 ; Rennes, 6 oct. 2021, RG n° 21/02290, X. Delpech, « Pollution maritime : la cour d’appel de renvoi retient la responsabilité pénale du capitaine » : Juris tourisme 2022, n°256, p. 10).

L’article L. 6522-2 ne permet aucunement de supposer que le commandant d’un aéronef serait titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de sécurité.

Au-delà de la discussion à propos de la place de l’article du code des transports cité dans la motivation de l’arrêt du 6 décembre 2022, l’enseignement principal à retenir est que le commandant de bord d’un aéronef n’est pas le représentant de son employeur au sens de l’article 121-2 du code pénal.