LE PROJET DE LOI OLYMPIQUE POUR 2030 ET LES RISQUES FACE AUX LIBERTES FONDAMENTALES : AVIS FAVORABLE DU CONSEIL D’ETAT POUR LE RENOUVELLEMENT DE L’EXPERIMENTATION DE L’USAGE DES CAMERAS AUGMENTEES, S. Moutou

Serge MOUTOU

Docteur en Droit, enseignant-chercheur en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Mots-clés : caméras augmentées – libertés fondamentales – risque – sport

 

Le Conseil d’Etat donne un avis favorable (Conseil d’Etat, Assemblée générale, Commission permanente, Séance du mercredi 7 et du mardi 13 mai 2025, n° 409 542, Point 25) sur le projet de loi du Gouvernement consacré à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030 et pérennisant certains dispositifs institués lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Les dispositifs visés en l’espèce concernent essentiellement les caméras augmentées. Ces dernières, au sens du Gouvernement, doivent faire l’objet d’une nouvelle expérimentation avant de voir l’opportunité de recourir à leur utilisation durant les Jeux Olympiques et Paralympiques devant se dérouler en 2030 dans les Alpes françaises.

Les caméras augmentées, les caméras intelligentes, la vidéosurveillance automatisée ou la vidéoprotection algorithmique – il faut prendre ces expressions pour synonymes –  ne sont autres que des outils vidéo innovants et de protection assistés par l’intelligence artificielle (IA). Leur particularité réside dans le fait qu’on puisse leur adjoindre des traitements algorithmiques d’analyse automatisée d’images. Le dispositif est si caractéristique qu’il est susceptible de « conduire à un traitement massif de données personnelles, potentiellement à l’insu des personnes du fait du caractère invisible des logiciels intégrés aux caméras ». (CNIL, Les caméras augmentées ou algorithmiques dans l’espace public, voir Affiche du 18 novembre 2024, en ligne sur  https://www.cnil.fr/fr/cameras-augmentees-espaces-publics).

On se souviendra qu’en amont des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, le Gouvernement avait initié un autre projet de loi visant, entre autres, à expérimenter les caméras augmentées (en ce sens, voir notre article, Moutou (S.), « La loi relative aux Jeux Olympiques et Paralympique (JOP) de Paris 2024 : un pari risqué pour concilier la sécurité et la garantie des libertés fondamentales à travers l’usage des caméras augmentées ? » JAC, n° 234, févr. 2024). L’expérimentation de l’usage desdites caméras était prévue à l’article 10 du projet de loi. En dépit de nombreuses garanties apportées par les pouvoirs publics, le projet de la mise en œuvre de la vidéosurveillance algorithmique lors des JOP 2024, loin de rassurer, avait suscité des inquiétudes. Et pour cause, des voix s’étaient élevées pour décrier notamment la nature intrusive de cette technique, mettant ainsi en garde contre des risques liés aux violations des droits et libertés individuels, tels que le droit à l’image, la protection des données personnelles, le droit au respect de la vie privée, le droit de propriété des personnes soumises à la procédure d’autorisation d’accès, la liberté de se réunir, la liberté d’expression, la liberté d’aller et de venir, voire les risques d’excès de pouvoir (Dupré de Boulois (X.) « Droits fondamentaux et Jeux olympiques » (intervention lors du colloque organisé à la Sorbonne le 15 décembre 2023) : RFDA 2024 p. 446 ; Jeux olympiques et paralympiques de 2024 : la vidéosurveillance automatisée dans la ligne de mire des avocats » : JCP G 2023 comm. 226 (13/02/2023) p. 360 ; Honorat (E.) « Restrictions d’accès lors de la cérémonie d’ouverture des JO » (obs. sous CE 1er juill. 2024) : Jurisport févr. 2025 p. 30 ; Bouleau (M.) « Sécurité publique. Pragmatisme ou complaisance » : D. 2024 p. 1784).

Le projet de loi fut adopté par l’Assemblée Nationale et par le Sénat après un avis plutôt favorable du Conseil constitutionnel. Promulguée le 19 mai 2023, la loi fut publiée le lendemain au Journal officiel (Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, JORF n° 0116, 20 mai 2023). Cette loi à caractère expérimental était applicable jusqu’au 31 mars 2025 (Galibert (G.) « Le droit très spécial des mesures de sécurité des Jeux Olympiques » : Droit Administratif nov. 2024 comm. 38). A ce jour, cette loi ne serait plus en vigueur.

Dans la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030 dans les Alpes françaises, et guidé par le souci de mieux garantir la sécurité des personnes et des biens dans les espaces publics, le gouvernement français, sous l’initiative de Madame Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative, a, une fois de plus, élaboré un projet de loi relatif à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 et pérennisant certains dispositifs institués lors des Jeux Olympique et paralympiques de 2024. Le projet contient 37 articles répartis en 6 chapitres et au nombre desquels figure celui consacré aux « Dispositions pérennisant certains dispositifs institués lors des Jeux Olympiques de 2024 ».

Le recours à la technologie des caméras augmentées paraît ainsi essentiel aux yeux du Gouvernement, en ce qu’il permet de lutter contre la délinquance ainsi que d’autres risques particuliers de sécurité. Or sur l’utilisation de cette vidéoprotection algorithmique, la loi est encore peu diserte (Conseil d’Etat, section de l’intérieur, Avis relatif à l’usage des dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques, Séance du mardi 20 septembre 2020, n° 401 214, en ligne sur https://conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-relatif-a-l-usage-de-dispositifs-aeroportes-de-captation-d-i). Ceci suscite des inquiétudes et non des moindres quant à la garantie des libertés fondamentales.

Face à ces inquiétudes grandissantes, le Gouvernement rassure une nouvelle fois en publiant l’avis favorable du Conseil d’Etat sur le nouveau projet de loi.

Le Conseil d’Etat se prononce pour le renouvellement de l’expérimentation de l’usage des caméras intelligentes en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030.

Après avoir été saisi du projet de loi par le Gouvernement en date du 17 avril 2025, le Conseil d’Etat a, à ce titre, donné un avis favorable (Conseil d’Etat, Assemblée générale, Commission permanente, Séance du mercredi 7 et du mardi 13 mai 2025, préc.). Le Conseil d’Etat s’est en effet appuyé sur le rapport produit en janvier 2025 par le comité chargé d’évaluer l’expérimentation de l’utilisation des caméras augmentées durant les JOP de Paris 2024.

Dans ce rapport, le comité pointe, certes, un intérêt opérationnel encore disproportionné du dispositif ; ceci dans la mesure où certains événements prédéterminés n’ont pas été exploités utilement alors que dans d’autres cas une réelle plus-value est tangible. Il n’en reste pas moins qu’aux yeux du comité, le dispositif déployé lors des JOP de Paris 2024 est apparu, « comme ne portant atteinte à aucune liberté publique ni dans sa conception ni dans sa mise en œuvre » (voir en ce sens, Conseil d’Etat, Assemblée générale, Commission permanente, Séance du mercredi 7 et du mardi 13 mai 2025, préc.). Le comité préconise néanmoins d’opérer quelques évolutions juridiques afin de renforcer l’efficacité en la matière, particulièrement dans les domaines réglementaires et opérationnels.

C’est d’ailleurs suite à ce rapport, pour le moins composite, que le Gouvernement a proposé, au moyen de son projet de loi, de renouveler l’expérimentation de l’usage des caméras intelligentes jusqu’au 31 décembre 2027, un nouveau rapport devant être déposé au plus tard le 27 septembre de la même année. Cette expérimentation donnera l’opportunité de statuer sur l’abandon ou sur la mise en œuvre des caméras intelligentes lors des JOP d’hiver de 2030.

Fort de ce constat et dans le processus conduisant à l’adaptation du dispositif technique aux libertés publiques, le Conseil d’Etat a, pour sa part, donné un avis favorable au projet de loi du Gouvernement visant, entre autres, à poursuivre l’expérimentation de l’usage de caméras augmentées. Selon le Conseil d’Etat en effet, « la reconduction pure et simple du dispositif, contraignant mais protecteur, auquel il a déjà donné un avis favorable […] et que le Conseil constitutionnel a expressément reconnu comme conforme à la constitution par sa décision n° 2023-850 DC du 17 mai 2023 […], répond de manière adéquate au bilan de l’évaluation et permettra, au terme de cette période, de décider de l’abandon ou de la pérennisation de la technique. […]. Le Conseil d’Etat a estimé à juste titre que la durée d’expérimentation proposée par le Gouvernement semblait répondre aux besoins identifiés par l’évaluation.

Le parcours du projet de loi du Gouvernement est loin d’être terminé. Le texte doit encore être examiné par le Sénat à partir du 24 juin 2025, puis par l’Assemblée nationale au retour des vacances d’été. Mais, il semble évident que les décisions de ces deux organes iront dans le même sens que l’avis du Conseil d’Etat. Bien plus, il n’est pas illusoire de s’attendre à la mise en place, au-delà des JOP d’hiver de 2030, d’une loi autorisant in fine l’usage des caméras augmentées dans les espaces publics lors des grands événements sportifs, récréatifs et culturels. En dit long, le bilan plutôt positif à propos de l’expérimentation des caméras intelligentes lors des Jeux Olympiques et Paralympique de Paris 2024 (Ducluseau (É.) « Les Jeux Olympiques 2024 ont assuré un succès sécuritaire » : AJDA 31 mars 2025 p. 586). D’ailleurs, l’avis du Conseil d’Etat paraît encore édifiant lorsqu’il souligne à juste titre que le dispositif est « contraignant mais protecteur » (Conseil d’Etat, Assemblée générale, Commission permanente, Séance du mercredi 7 et du mardi 13 mai 2025, préc.).

Il est patent sous cet angle que loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions a apporté des garanties suffisantes à la protection des libertés publiques, de sorte à considérer les caméras augmentées comme un levier majeur pour garantir la sécurité. Il ne faut pas pour autant occulter les craintes, somme toute légitimes, subsistantes à cet égard. La conciliation de la sécurité et la garantie des libertés civiles à travers l’usage des caméras augmentées semble loin d’être effective.

 

 

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