LES DEBUTS D’UNE RÉFLEXION SUR LA RECONVERSION D’UN TERRITOIRE NUCLÉAIRE À L’AUNE DU PROJET D’AVENIR DU TERRITOIRE DE FESSENHEIM, V. Bour et V. Erné-Heintz

Valentine Bour

Etudiante en Master 2 de Psychologie Sociale du Travail et des Organisations, Université de Strasbourg

et

Valentine Erné-Heintz

Maître de conférences en sciences économiques,
Habilitée à Diriger des Recherches en Aménagement de l’espace et Urbanisme, ancienne élève de l’ENS Cachan, Université de Haute-Alsace, CERDACC (UR 3992), Mulhouse, France.
Anciennement Experte et présidente du groupe de travail « Sciences Humaines et Sociales » entre 2012 et 2015, Unité Risques et Société à l’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Paris, France.

 

Mise en service en 1977, la centrale nucléaire de Fessenheim (Figure 1) fut longtemps la doyenne des centrales en activité en France. Initialement prévue fin 2016, sa fermeture a été reportée à plusieurs reprises pour finalement être réalisée en 2020 après 43 ans d’exploitation (décret n° 2020-129 publié au Journal officiel du 19 février 2020). La centrale appartient à un parc électronucléaire standardisé dit de deuxième génération, comme l’ensemble des 58 réacteurs exploités en France. Ces réacteurs à eau pressurisée (REP) sont d’une conception différente de ceux mis en service entre 1958 et 1966 (filière dite de première génération) aujourd’hui tous arrêtés (comme Chooz A). La centrale est située à 1,5 km du lit du Rhin, à la frontière entre la France et l’Allemagne et à 40 km de la Suisse.

Figure 1 : La centrale de Fessenheim

L’arrêt d’une centrale s’effectue en plusieurs étapes : le démantèlement consiste à démonter l’installation ; la déconstruction regroupe plusieurs phases dont le démantèlement des matériels, l’assainissement des locaux et des sols et le déclassement du site. Le déclassement de l’installation nucléaire signale qu’elle n’est plus soumise à la réglementation en vigueur pour ce type d’installation. Le Centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim est actuellement dans une phase dite de prédémantèlement. Les deux réacteurs ont été respectivement arrêtés les 22/02/2020 et 29/06/2020. D’ici 2023, les travaux visent à éliminer 99,9% de la radioactivité présente sur le site, l’objectif étant l’entrée dans la phase de démantèlement en 2025. Entre 2025 et 2040, le démantèlement et la démolition des bâtiments ambitionnent de réhabiliter le site afin de le retirer de la liste des centrales nucléaires. Le site sera alors ouvert à toute autre utilisation industrielle non pas sans poser la question de la mémoire qui sera transmise aux générations futures (Lahorgue, 2019).

Le processus de reconversion se fait à l’aune des expériences des autres centrales comme celle de Brennilis, dans le Finistère, et de Chooz A, dans les Ardennes. Mise en service en 1967, la centrale de Brennilis s’est arrêtée le 31 juillet 1985 après une mise à l’arrêt décidée en mai 1984 ; elle est en cours de déconstruction depuis 1997. EDF est toujours en attente du décret de démantèlement complet. Le projet de territoire s’est construit autour de la valorisation d’un patrimoine culturel, économique et récréatif lié aux aménités offertes par le lieu. La centrale Chooz A a été mise en service en 1967 et arrêtée en 1991. Son démantèlement est en cours depuis 2007. La déconstruction est prévue pour 2024. Jusqu’en 2047, EDF continuera de surveiller le site. Pour déconstruire la centrale de Fessenheim (Figure 2), EDF se base sur le plan de démantèlement de Chooz A. Les durées prévisionnelles sont de 5 ans pour la préparation au démantèlement (durée estimée pour l’obtention et la mise en application du décret de démantèlement à compter du dépôt du dossier) et quinze ans pour le démantèlement. A ce titre, la France suit les recommandations de l’AIEA en optant pour le démantèlement immédiat : « L’exploitant procède à son démantèlement dans un délai aussi court que possible » (article 127 du la loi n° 2015-992 du 17 août 2015). L’horizon prévu est 2040, date à laquelle le site devrait être retiré de la liste des centrales nucléaires et aura vocation, lui aussi, à accueillir d’autres activités. Ce temps long interroge la capacité à compenser des activités nucléaires (Meyer, 2017) et à dépasser la nucléarité d’un territoire (Erné-Heintz, 2019).

Figure 2 : Le calendrier de la déconstruction de la centrale de Fessenheim

Source : EDF (2019), p.2

Le Projet d’Avenir du Territoire de Fessenheim (Le document ainsi que l’historique de celui-ci est disponible sur le site du département du Haut-Rhin : https://www.haut-rhin.gouv.fr/.) (PATF) a été signé le 1er février 2019 par 13 signataires (représentants de l’État, d’EDF ainsi que des collectivités locales) dont cinq allemands. Ce projet aspire à structurer l’avenir d’une zone et affiche une volonté d’aller plus loin qu’une simple reconversion autour de la transition énergétique en devenant une référence européenne dans la décarbonation à l’horizon 2050. Il se structure autour de quatre axes : le développement économique, les mobilités transfrontalières, la transition énergétique et l’innovation. Ce texte délimite, par ailleurs, trois échelles d’action (Figure 3) considérées comme pertinentes – des périmètres d’impacts – pour recevoir les projets (axes) de reconversion : en premier, la commune de Fessenheim et les communes voisines regroupées dans la communauté de communes Pays Rhin-Brisach (CCPRB) ; en second, le triangle Colmar-Mulhouse-Fribourg et enfin, en troisième, le département du Haut-Rhin avec la région Grand Est.

Figure 3 : Les trois échelles d’action qui structurent le PATF

Source : Retour sur la 1ère année du PATF, 2020, p. 12-13.

Cet article est le premier résultat d’un programme de recherche collectif NuclearScale, Echelle(s) des territoire(s) nucléaire(s) liant à la fois le Centre de Recherches sur les Économies, les Sociétés, les Arts et les Techniques (CRESAT), ainsi que le Centre Européen de Recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (CERDACC) de l’Université de Haute-Alsace (Mulhouse). Il est financé par le programme NEEDS (Nucléaire – Energie – Environnement – Déchets – Société) du CNRS. L’analyse ambitionne de relater la perception des échelles mises en place dans le PATF et de comprendre comment la situation de reconversion est vécue au sein même du territoire.

Sur le plan méthodologique, des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de différents acteurs rencontrés au printemps 2021. Le guide d’entretien suit un cheminement en trois temps reprenant la temporalité de l’événement : le premier comprend la trajectoire de l’interviewé et son lien au PATF ce qui permet de revenir sur des éléments historiques replaçant le projet dans son contexte, le second se rapporte aux représentations des enjeux soulevés par le démantèlement d’après l’enquêté et le dernier s’attache aux projections sur l’avenir à donner au site et plus largement au territoire. L’approche semi-directive se complète d’une méthode d’associations libres (Abric, 2003 ; Abric 2001) où l’enquêteur énonce un mot (« centrale de Fessenheim ») et note tous les mots ou expressions qui viennent spontanément à l’esprit de l’enquêté. Ce dernier explique ensuite les raisons pour lesquelles il pense que ces termes lui sont apparus. Cette approche regroupe en différentes thématiques les éléments que ces acteurs associent à l’objet durant cette période de changement pour le territoire qu’occasionne le PATF.

Nous vous livrons ici les premiers résultats de ces entretiens en cliquant sur le lien suivant :

Bibliographie

Abric, J.-C., 2001, L’approche structurale des représentations sociales : développements récents. Psychologie et Société, 4(2), pp. 81–104.

Abric, J.-C., 2003, Méthodes d’étude des représentations sociales, Erès.

EDF, 2019, Plan de démantèlement. INB 75 : Fessenheim, EDF Direction du Parc Nucléaire et Thermique, Direction des Projets Déconstruction et Déchets EDF.

Erné-Heintz, V., 2019, Démanteler un site nucléaire ou comment réconcilier des histoires industrielle et environnementale, Risques, Etudes et Observations, http://www.riseo.cerdacc.uha.fr/, 1, pp. 40-56.

Lahorgue M.-B., 2019, La mémoire industrielle, facteur de prévention du risque : le cas du démanteler, Risques, Etudes et Observations, http://www.riseo.cerdacc.uha.fr/, 1, pp. 4-6.

Meyer, T., 2017, « Le nucléaire et le territoire : regards sur l’intégration spatiale des centrales en France », Géoconfluence.

 

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