Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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PSYCHOTRAUMATISMES : ATTENTATS DE BRUXELLES, UN AN APRES : BILAN ET PERSPECTIVES

Photo de C. Damiani

Compte-rendu des séances plénières du Congrès organisé par l’Association de Langue Française pour l’Etude du Stress et du Trauma (ALFEST ), les 23 et 24 mars 2017 à Bruxelles.

par

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite à l’UHA – CERDACC

Administrateur de l’ALFEST (http://www.alfest-trauma.com)

Un an après les attentats à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Maelbeek, le colloque de l’ALFEST a réuni 200 participants particulièrement intéressés et réactifs, dans la grande salle de Notre Dame du Chant d’Oiseau à Bruxelles (Woluwé Saint-Pierre). La veille, des ateliers pré-congrès avaient été proposés sur les thèmes de la « Prise en charge immédiate et post-immédiate des victimes d’attentats » et de la « Prise en charge des traumas avec deuil, dans un contexte terroriste : introduction au carnet de deuil ».

Lors de l’allocation d’ouverture, Monsieur Olivier Maingain, Bourgmestre de Woluwé Saint-Pierre et Député Fédéral, rappelle les circonstances tragiques ayant endeuillé Bruxelles il y a un an, Londres hier et la France à plusieurs reprises. Il évoque les traumatismes psychiques et constate qu’il n’existe pas en Belgique des structures de cellules d’urgence médico-psychologique comme en France. Une réflexion s’impose pour savoir comment fonder un droit des victimes.

Le Congrès est ouvert par le professeur Humbert Boisseaux, psychiatre, Professeur du Val de Grâce, et Président de l’ALFEST (Paris) qui présente cet organisme et constate que, souvent, c’est sous le poids de la réalité qu’on peut avancer, mais que pour cela il faut des bases conceptuelles. Il insiste sur la nécessité de rendre la parole au sujet. Le trauma psychique est certes affaire de spécialistes mais le trauma est d’un autre ordre que le stress, s’interroger sur sa spécificité est le travail de l’ALFEST depuis 25 ans.

La première intervention de la journée consacrée aux « Dispositifs d’interventions en immédiat et post-immédiat », est celle d’Etienne Vermeiren, psychologue clinicien, responsable du Centre de Référence pour le Traumatisme aux Cliniques Universitaires Saint-Luc (UCL) et Vice-Président de l’ALFEST (Bruxelles). Elle est relative aux « dispositifs d’accueil et de suivi des victimes de terrorisme et impliqués et à l’intérêt d’une filière de soins ». Etienne Vermeiren rappelle d’abord que cette rencontre a été organisée à Bruxelles, et non à Paris, afin de commémorer les attentats de l’an dernier. Il décrit la journée du 22 mars vécue aux Cliniques Universitaires Saint-Luc et le travail qui y a été réalisé. Il regrette de devoir faire le constat que tous les dispositifs n’ont pas été efficients car il a découvert par la suite des personnes qui n’avaient pas eu accès immédiatement à des soins psychologiques alors même qu’elles avaient été soignées dans des cliniques et des hôpitaux. Il convient dès lors d’avoir une démarche prospective pour améliorer le dispositif et les pratiques. Il en est ainsi du recensement des impliqués et des proches. Même sans arriver à reproduire le modèle français des CUMPs, il y a moyen de construire quelque chose. Il existe bien en Belgique un plan d’urgence et d’intervention lors des situations d’urgence collective. Ce plan, qui se décline en trois phases – communale, provinciale, puis fédérale- comprend un plan d’intervention psychologique qui déploie un certain nombre de missions. Cependant, il faut encore définir plus clairement les tâches de chacune. Se pose encore la question de la manière de répertorier l’ensemble des impliqués. S’impose également l’établissement de la liste des acteurs à mobiliser : services d’urgence, pompiers, policiers, juristes… généralistes, médias.

Les CUMPs sont présentées par le docteur François Ducrocq, psychiatre, chef de service des urgences psychiatriques au CHRU de Lille, coordinateur de la CUMP Zone Nord dans son intervention « 1995-2015 : 20 ans de Cellules d’Urgences Médico-Psychologiques ». 1995 est l’année de la prise de conscience de la médecine d’urgence des répercussions psychiatriques, depuis le système a évolué. Le docteur Ducrocq revient sur les attentats du 13 novembre 2015 et sur ceux de Nice pour souligner la difficulté des équipes primo-intervenantes de travailler dans la peur d’une autre attaque. Par ailleurs, la longueur de la durée de l’exposition au risque doit maintenant être prise en considération. Un autre constat, relayé par les associations de victimes, est la différence des soins prodigués par les différents intervenants. Le spécialiste insiste sur la constitution de réseaux préalables pour les soins immédiats et différés.

Une analyse fine des « dispositifs d’aide aux victimes de terrorisme en France, de l’urgence au suivi » est menée par Carole Damiani, docteur en psychologie, directrice de Paris Aide aux Victimes et Secrétaire générale de l’ALFEST. Elle commence par rappeler la différence entre les associations d’aide aux victimes et les associations de défense avant de poser le cadre légal d’intervention, notamment celui fixé par la récente circulaire interministérielle relative à la prise en charge des victimes du terrorisme en date du 12 novembre 2015. Carole Damiani décline les acteurs du dispositif général. La gestion de crise est assurée par la CIAV (cellule interministérielle d’aide aux victimes), placée sous l’autorité du Premier ministre et chargée de centraliser les informations concernant les victimes, afin de permettre l’établissement de la liste unique des victimes (LUV). Pour la phase judicaire, la compétence revient au Parquet de Paris qui va désigner un « référent victimes » qui établira la LUV. Carole Damiani attire l’attention sur le fait que le terme « victime » est judiciaire alors que le terme « impliqué » est clinique, d’où parfois des difficultés de compréhension ; pour exemple, des personnes qui ont spontanément porté secours sont impliquées sans être nécessairement victimes au sens judiciaire. Ainsi, lors de l’attentat de Nice, une même famille pouvait comprendre des victimes et des personnes considérées « seulement » comme impliquées. Les textes demandent maintenant aux CUMPs d’établir un certificat médical initial avec notamment la localisation de la personne concernée, ce qui n’est pas neutre pour son statut. Est ensuite abordée la question de l’annonce des décès aux familles, qui ne doit plus se faire téléphoniquement, ainsi que celle de la présentation des corps.

Dans le post-immédiat, il y a la mise en place d’un espace d’information et d’accompagnement des familles. Il est prévu une labellisation des personnes pouvant intervenir dans cet espace dédié, dans les lieux de soins psychiques, de même que dans l’urgence. Par ailleurs, des conventions ont été conclues notamment avec le barreau et des services hospitaliers.

Est ensuite abordée la question des droits des victimes, l’intervenante souligne la différence des méthodes d’indemnisation entre la France et la Belgique ainsi que la difficulté d’évaluer le préjudice moral des proches. S’agissant des préjudices d’angoisse et d’inquiétude, il faut bien penser à l’aspect psychique dans le champ médico-légal.

Carole Damiani conclut par le constat que les victimes ont maintenant une place qu’elles n’ont jamais eue auparavant.

« Stupeur et tremblements : à propos de la dissociation post-traumatique », c’est avec une référence à Amélie Nothomb que le docteur Serge Goffinet, psychiatre, psychothérapeute à Bruxelles, introduit son propos. Il part d’un champ clinique pour aller vers des questions inspirées des patients en souhaitant nuancer les évidences. Pour ce qui est de la phénoménologie, dans l’immédiat de l’attentat vient de suite la crainte d’une nouvelle attaque. L’effroi, le stress aigu, la dissociation péri-traumatique doivent être distingués de la détresse post-traumatique. La réaction d’effroi dure quelques secondes. Le psychiatre définit les différentes réactions immédiates : effroi, stress, dissociation et en décrit les aspects cliniques de manière très précise. Il indique que des études ont été menées sur le lien entre l’effroi et la détresse post-traumatique mais qu’elles sont assez contradictoires. Il cherche à établir des corrélations entre les réactions immédiates et les troubles post-traumatiques et s’intéresse aux liens entre la dissociation post-traumatique et la dépression. Est ensuite abordée la question de la honte, réaction émotionnelle commune après un trauma, elle joue un rôle fondamental dans le maintien de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Serge Goffinet constate que la différence entre les catastrophes naturelles et les autres événements n’est pas majeure quant aux symptômes post-traumatiques.

Guy Haarscher, philosophe, professeur émérite à l’ULB et au Collège d’Europe à Bruges, pose la question de savoir si « la liberté d’expression et l’état de droit survivront au terrorisme ?». Il donne une définition de travail du terrorisme : le terroriste est celui qui veut arriver à un résultat politique en faisant très peur ; il utilise la fragilité et la vulnérabilité des individus. Pour Guy Haarscher, lorsque le terroriste a pour cible la personne qu’il considère comme responsable de sa situation ou de celle de son groupe, il est à la fois le législateur, le juge et le bourreau. Aujourd’hui, un pas de plus est fait car le terrorisme ne se concentre plus sur une seule personne mais attaque n’importe qui, ce qui est encore moralement plus grave mais aussi plus efficace car la peur gagne tout le monde. Le conférencier aborde ensuite les réactions après les attentats de janvier 2015 en France. Lors des hommages, certains écoliers des quartiers ne voulaient pas faire la minute de silence, soit parce que les dessinateurs de Charlie Hebdo se moquaient du prophète – et là, il y avait moyen de discuter avec eux, d’argumenter – soit en raison de la méfiance envers les médias officiels en contradiction avec certains sites qui présentaient les choses différemment – et dans ce cas la discussion n’était plus possible.

Parmi l’accompagnement des personnes impliquées dans un attentat, il importe de ne pas oublier celui « des intervenants de l’urgence (pompiers, ambulanciers…) ». La manière dont cet accompagnement s’est effectué à Bruxelles est relatée par Frédéric Daubechies, docteur en psychologie et directeur de l’APPIH (Jurbise) et Erik De Soir, docteur en psychologie, de l’Institut Royal Supérieur pour le Défense (Bruxelles). C’est le réseau informel qui a permis de faire face affirment-ils en trouvant anormal de devoir de nos jours compter sur un « réseau  amical ».

69 intervenants étaient impliqués pour Zaventem et 54 pour Maelbeek. Dès le départ, il a été proposé une prise en charge sur le long terme. Il a fallu donner à chacun la possibilité de s’exprimer malgré le nombre d’intervenants et le problème de la langue. La fatigue était un élément dont il fallait tenir compte, certains sauveteurs ne se souvenaient plus du nombre de victimes qu’ils avaient transportées.

Un mois après les événements, c’est à la caserne que le travail du suivi psychologique s’est poursuivi. Des propositions ont également été faites pour la prise en charge des commémorations.

Les deux psychologues exposent ensuite le modèle qu’ils ont conçu pour catégoriser les intervenants afin de constituer des groupes différents en fonction du type d’exposition.

La seconde journée du Congrès, intitulée « Les victimes un an après, parcours médico-judiciaire » débute par l’intervention de Paul D’Hayer, juge d’instruction spécialisé en matière de terrorisme (Charleroi) et assistant en droit pénal à l’Université Saint-Louis (Bruxelles), sur «La victime face à l’enquête suite à une attaque terroriste : aspects légaux et criminologues ». Il parle à un double titre : juge d’instruction en matière de terrorisme et criminologue. Il interroge sur l’utilité de l’enquête pénale quant à la victimologie. La loi a en effet des exigences opposées à celle des psychologues intervenants. Le droit est une science humaine qui agit dans un cadre légal strict. La notion d’infraction terroriste est récente, c’est une infraction dont la finalité est de renverser un régime ou une institution. La victime n’intervient qu’au second plan. L’infraction terroriste constitue une circonstance aggravante à la qualification pénale de meurtre ou d’enlèvement. Il existe aussi une infraction plus générale, la participation à l’organisation d’activités terroristes, qui permet d’aller jusqu’au bout de l’enquête, notamment lorsque l’action est celle d’un « loup solitaire ».

Cette infraction générale permet de savoir qui a incité l’auteur.

Le juge d’instruction est saisi de faits précis, l’objectif de l’instruction est la recherche de la vérité. Le juge n’est pas un aidant, une assistante sociale. La réparation du préjudice n’est qu’un corollaire de l’enquête pénale laquelle n’a pas de portée victimologique. Le juge doit demeurer impartial, il n’est ni à côté de l’auteur, ni à côté de la victime. Il doit toujours rester neutre même s’il connaît la victime. Il doit faire preuve de professionnalisme mais non de froideur par rapport à la victime.

Paul D’Hayer explique qu’il y a une différence entre l’attente de la victime et l’objectif de l’enquête. Alors que la victime attend une solution rapide, l’enquête prend du temps notamment en raison de sa dimension internationale, or le temps est un facteur de clivage entre la victime et la justice. Par ailleurs, le secret de l’enquête pénale s’oppose au besoin d’information de la victime.

Monsieur D’Hayer aborde ensuite la position de la victime au cours de l’enquête. Récemment un article a été inscrit au code de procédure pénale pour que la victime soit prise en compte.

Les actes d’enquête peuvent se révéler traumatisants. La descente sur les lieux suppose l’établissement d’un périmètre d’exclusion, elle n’est pas contradictoire, les avocats des victimes et leurs proches ne peuvent donc pas être présents.

A quel moment donner accès au dossier à la victime ? Monsieur Paul D’Hayer estime que du moment où les auteurs y ont accès, il doit en être de même pour la victime.

« Quelle indemnisation pour les victimes du terrorisme ? », la réponse à cette question n’est pas la même en France et en Belgique. Jean-Luc Fagnart, avocat et professeur émérite à l’ULB, à Paris XII et à l’Université internationale du Luxembourg (Bruxelles), résume, non sans humour la situation en Belgique en parodiant un chanteur célèbre : « Noir, c’est noir » ! Le droit de l’indemnisation y est particulièrement complexe et en contraste avec le système français fondé sur la solidarité. En France, la victime n’a qu’un seul débiteur, le FGTI, dont la mission est l’indemnisation intégrale. Les citoyens français, victimes en Belgique, ont la possibilité de s’adresser au FGTI. D’autres pays connaissent aussi un système inspiré de celui de la France mais les victimes belges n’ont pas cette chance et doivent recourir au droit de la responsabilité et à celui des assurances. Or, le droit de la responsabilité ne sert à rien face aux terroristes. La question de le responsabilité de l’Etat peut se poser en raison des informations non transmises ou non traitées, mais comment établir le lien de causalité ? La responsabilité pour faute aboutit dans une impasse. La responsabilité sans faute peut-elle être envisagée ? Mais dans tous les cas, l’attentat est un cas de force majeure exonératoire. On pourrait songer, pour l’attentat du métro à la loi du 22 mars 2016, inspirée de la loi Badinter, mais un véhicule ferroviaire peut-il être impliqué ? Maître Fagnart explore encore la piste de la loi du 30 juillet 1979 qui s’applique notamment aux aéroports. La responsabilité sans faute pourrait fonctionner mais pour l’indemnisation, le plafond est insuffisant.

Il existe aussi un fonds d’aide aux victimes, mais il ne s’agit là que d’une aide financière avec une limite légale de 62 000 euros par victime.

Du côté des assurances, il y a une loi de 2007 relative à l’assurance contre le terrorisme mais les assureurs pourraient vite être ruinés. Ils ont créé un pool et l’Etat intervient lorsque la part de celui-ci est épuisée. La victime peut donc s’adresser à son assureur, dans la limite d’un certain plafond. Il faut également préciser qu’il y a une hiérarchisation des dommages : aux personnes, matériels, moraux.

Cependant, des progrès ont été réalisés : guichet unique, augmentation du plafond du fonds d’aide et de celui du pool en ce qui concerne les dommages corporels. Par ailleurs, les victimes sont dispensées de se porter parties civiles. Un projet de loi a été déposé en mars.

Donc, au final, l’intervenant nuance ses propos initiaux : « Gris, c’est gris ! ».

Claude Moniquet, expert en contre-terrorisme (Bruxelles), directeur de l’ESISC, se livre ensuite à l’analyse de « la société, la police et la justice face au phénomène terroriste en Belgique et en France ». Il rappelle les manifestations récentes du djihadismes en Belgique et en France. La majorité de ces actes a été revendiquée par Daesh mais il ne faut pas oublier Al-Qaïda qui continue à vouloir frapper l’Occident. Les attentats peuvent être très sophistiqués ou encore commis par des « loups solitaires », lesquels sont également entourés même s’ils sont seuls pour commettre leurs actes. Monsieur Moniquet explique la différence opérationnelle entre Al-Qaïda et Daesh, le premier recherchant des cibles symboliques, le second davantage des cibles civiles, militaires et policières, avec parfois des cibles symboliques comme Londres, symbole de la démocratie parlementaire. Daesh a trois types d’opérateurs : des agents entraînés en Syrie ou en Irak (Bruxelles, 22 mars 2016 et Paris, 13 novembre 2015), des sympathisants implantés et doués (San Bernardino, 2 décembre 2015 et Londres, 22 mars 2017), et des loups solitaires (Magnanville, 13 juin 2016, Nice, 14 juillet 2016 et Saint-Etienne de Rouvray, 26 juillet 2016).

Pour les attentats du 13 novembre à Paris, dix opérateurs ont été très entraînés pendant un an, alors que pour celui de Nice, il s’agit d’un opérateur non entraîné, qui n’a rien coûté.

Bruxelles a été une cible par défaut car les terroristes, qui visaient la France, se sont retrouvés cernés en Belgique. La France est une cible privilégiée car elle est laïque et qu’elle intervient au Sahel. La deuxième cible est l’Angleterre, puis l’Allemagne. L’Italie est une cible secondaire en raison de la présence du Vatican. La Belgique est une cible opportuniste en raison du nombre de djihadistes présents sur son territoire.

Claude Moniquet développe ensuite l’historique et l’organisation de Daesh, celle-ci étant hautement centralisée, la plupart des chefs étant liés depuis la guerre en Irak. Tous les volontaires subissent un entraînement de haut niveau. La sécurité des opérateurs, l’usage des téléphones et le cloisonnement des réseaux démontrent le professionnalisme.

Pour Claude Moniquet, la menace demeure extrêmement sérieuse.

Retour aux victimes avec l’intervention du docteur Gilbert Vila, pédopsychiatre, Vice-Président de l’ALFEST, qui développe un cas clinique pour illustrer son intervention, « Attentats : les enfants face au monstre ». Le docteur Vila a eu à connaître du cas d’Eurydice, élève de seconde, passionnée de musique qui a été victime d’un attentat dans une salle de spectacle où elle est restée allongée avec, sur elle, le sang d’un homme mort. L’événement vécu est traumatique car elle a eu conscience de la menace qui pesait sur sa vie. Dans le cas d’Eurydice, l’attentat a également provoqué des réminiscences d’une agression vécue à l’âge de neuf ans. Sa présentation clinique est proche de celle d’un adulte. Victime d’attentat, on devient héros malgré soi, la chose singulière est confisquée par la chose publique, mais dans le trauma face au monstre, on reste seul.

L’adolescence est une période où les relations avec les parents sont souvent compliquées, l’attentat peut alors conduire à une régression. L’approche parentale est indispensable. Les jeunes présentent une sémiologie particulière du trauma, les adolescents sont beaucoup dans l’évitement et il faut prendre en compte cette singularité.

Sébastien De Clercq, psychologue, psychothérapeute, travaille depuis dix ans en tant que clinicien à la clinique Erasme de Bruxelles. Il souhaite partager son expérience sur le « Suivi au long-cours des victimes d’attentats terroristes ». Le 22 mars, il a été choqué comme tout le monde, puis il a voulu apporter son aide. En arrivant à la clinique, il a eu une grande impression de confusion, seulement trois psychologues ont été mis à contribution. La prise en charge des victimes s’est faite dans les semaines qui ont suivi et l’orateur a pu suivre une dizaine de personnes, il choisit d’en exposer un cas, celui de Mme V., commerçante de 33 ans, qui se rend à son travail en métro. Un homme lui propose de prendre sa place, elle décline cette offre… Ensuite, elle se réveille dans un état grave mais n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé et découvre ce qu’elle a vécu dans les films que les médias diffusent et où elle se trouve. Les journalistes continuent à la suivre, ils lui apprennent que l’homme qui lui avait offert sa place est mort. Elle veut participer à un reportage six mois après les faits.

Mme V. n’a été reçue que 13 jours après l’attentat à la consultation psychologique de la clinique sans avoir été vue par un « psy » auparavant ; ultérieurement elle « dénie » ses souffrances psychiques et arrête le soutien psychologique alors qu’elle ne va pas mieux. Ce cas pose beaucoup de questions à Sébastien De Clercq : Mme V. aurait-elle due être suivie plus rapidement ? Comment arriver à gérer les symptômes alors que les médias continuent à diffuser les images des événements ?

Jacques De Mol, docteur en psychologie et professeur à l’ULB (Bruxelles) revient sur les attentats de Bruxelles dans son intervention sur l’« Expertise des victimes des attentats terroristes du 22 mars ». Il a examiné des patients des deux attentats de Bruxelles à la demande de compagnies d’assurance. Ces patients étaient soit au travail soit sur le chemin du travail. Il convenait d’expertiser les dommages physiques et psychiques, d’examiner les séquelles psychologiques, leur intensité et leurs caractéristiques. Sur 141 dossiers ouverts, 136 ont été retenus. Jacques De Mol décrit les méthodes d’évaluation, celle-ci comprenant notamment la narration de l’événement traumatique et des moments qui ont suivi.

Il a pu constater que les symptômes d’évitement étaient présents chez quasiment toutes les personnes. Il a également relevé des troubles du sommeil, une modification du caractère, des difficultés de concentration, ainsi que des répercussions dépressives. Finalement, il n’a pas constaté de différence notable entre le groupe homogène des travailleurs de l’aéroport et celui des victimes du métro.

S’agissant de la reprise d’activité, se pose la question de la consolidation, laquelle ne peut guère intervenir avant deux ans.

La synthèse de cette journée est réalisée par Jacques Roisin, docteur en psychologie UCL, Administrateur de l’ALFEST (Charleroi), qui souligne que les intervenants ne peuvent être des automates de la santé mentale et qu’il leur faut arriver à une justesse émotionnelle.

En conclusion, il est primordial de retrouver le lien avec l’humanité.