Hervé ARBOUSSET
Maître de conférences en droit public (H.D.R.) à l’Université de Haute-Alsace
Directeur du Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (EA3992)
La France a connu en 2015 et 2016 une série d’attentats meurtriers soulignant que les démocraties restent des géants aux pieds d’argile et qu’il est indispensable d’adapter constamment leurs règles juridiques sans toutefois, cela reste délicat, bafouer les valeurs de la démocratie au nom d’une logique sécuritaire qui pourrait y attenter.
Le terrorisme (objet des articles 421-1 et suivants du code pénal) quelles que soient ces formes (terrorisme d’Etat, de minorités ou de groupes, religieux…) a pour finalité de générer la terreur (« Le terrorisme représente de façon croissante une grave menace pour la sécurité de la population et pour notre démocratie », P. Masson rapport au nom de la commission des lois constitutionnelles sur le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, Sénat, 16 juillet 1986, p.3). Il s’agit ainsi pour ces initiateurs et (ou) ceux qui passent à l’acte de déstabiliser un Etat en s’en prenant souvent à ses populations civiles. Cela provoque un effet de sidération, décuplé par l’offre médiatique et par les réseaux sociaux, sans que les criminels aient besoin d’une logistique et de moyens matériels et humains très importants puisque les civils victimes, le plus souvent, ne sont pas préparés à de tels événements.
Si les pouvoirs publics doivent assurer un retour d’expérience, reste aussi et peut-être surtout pour l’Etat, au-delà de la prise en charge des victimes, à leur apporter, ainsi qu’à leurs ayants droit, des réponses sur les responsables et les responsabilités pouvant exister. L’Etat peut, d’ailleurs, voir sa responsabilité engagée pour faute (T.A. de Nîmes, 12 juillet 2006, n°1400420, 1500005 : « au vu de l’ensemble des circonstances rappelées ci-dessus et malgré la difficulté des tâches qui leur sont imparties, une faute commise par les services de renseignement dans l’exercice de leur mission de prévention des actions terroristes et de surveillance des individus radicaux, ce qu’a d’ailleurs reconnu publiquement le ministre de l’intérieur au début de l’année 2013 ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de l’Etat »). Néanmoins, la reconnaissance de sa responsabilité est peu fréquente même si la cour administrative d’appel de Paris a substitué à l’exigence de la démonstration d’une faute lourde, très contraignante, la nécessité, qui l’est moins, d’« une faute de nature à » (C.A.A. Paris, 24 janvier 2011, n°09PA03966).
Au-delà des questions de responsabilités (administrative mais aussi civile et pénale), l’Etat agit aussi grâce à un outil, très original au regard des pratiques suivies par d’autres Etats, mis en place par la loi du 9 septembre 1986 (loi n°86-1020 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sureté de l’Etat, J.O.R.F., 10 septembre 1986, p. 10956 et s.), dénommé depuis 1990 (loi n°90-589 du 6 juillet 1990 modifiant le code de procédure pénale et le code des assurances et relative aux victimes d’infractions, J.O.R.F., 11 juillet 1990, p. 8175 et s.), fonds de garantie des victimes du terrorisme et d’autres infractions (FGTI). S’inscrivant dans une logique de solidarité, il permet l’indemnisation intégrale des actes de terrorisme survenus en France, pour toutes les victimes, et hors de France, pour les victimes de nationalité française et des ayants droit français de la victime décédée quelle que soit sa nationalité (la cour de cassation a précisé que le lieu de commission de l’attentat est celui où l’atteinte à l’intégrité de la victime est survenue sans que puisse être retenu le fait que l’attaque ait été préparée en partie en France : Cass. civ. 2ème, 24 mars 2016 n°15-13737). Au fil des années, alimenté par le versement d’un pourcentage issu des contrats d’assurance de biens, le FGTI a su mener son action sous l’œil vigilant des juridictions judiciaires. Mais, le terrorisme qui s’est abattu sur la France depuis 2015, caractérisé par la multiplication des actions et par le nombre très important de victimes directes et indirectes a, hélas, remis sur le devant de la scène ce fonds de garantie.
Nous voudrions aborder deux points. Tout d’abord, les victimes disposent d’un interlocuteur de nature politique à l’avenir incertain : le secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes (I). Ensuite, les victimes du terrorisme ont à leur disposition un autre interlocuteur non politique, afin d’assurer leur indemnisation, mettant en œuvre une procédure non juridictionnelle dont la nature juridique pourrait peut-être évoluer : le FGTI (II).
1. La nécessité de pérenniser le secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes
Un décret du 3 mars 2016 (décret n° 2016-241 du 3 mars 2016 relatif aux attributions déléguées à la secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, J.O.R.F., 4 mars 2016) a donné naissance au secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes, dirigé par Madame Juliette Méadel, et placé sous l’autorité directe du Premier ministre. Si celle-ci a de nombreuses missions qu’elle exerce auprès de toutes les victimes quel que soit l’événement à l’origine du drame, dans le domaine du terrorisme, la secrétaire d’Etat endosse un rôle important car elle est chargée de coordonner « pour le compte du Premier ministre les positions prises par les représentants de l’Etat au sein du conseil d’administration du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions ». Au-delà, elle peut aussi faire appel à ce dernier. En pratique, l’action de la secrétaire d’Etat est réelle en direction des victimes d’attentats et de leurs ayants droit (organisation de tables rondes, entrevues avec des victimes et des associations de victimes, organisation d’une conférence internationale pour l’aide aux victimes le 9 janvier 2017, constitution d’un groupe de travail sur le traitement des préjudices d’angoisse et d’attente…). Sans toutefois que les autres victimes soient oubliées (participation à la cérémonie en hommage aux victimes de l’accident d’un TGV à Eckwersheim, lutte contre les violences faites aux femmes, prise en charge des victimes d’accidents collectifs et de catastrophes…).
La création d’un secrétariat d’Etat aux victimes souligne la prise en compte (même mesurée puisqu’un ministère des victimes n’a pas été créé) des intérêts des victimes et de leurs ayants droit et l’attachement de l’Etat à mettre en place une structure dédiée au quotidien à leur écoute et à la concrétisation de certaines de leurs demandes. Il constitue ainsi la lumière d’un phare qui doit guider les victimes et leurs ayants droit qui sont en pleine tempête. Or, rien n’assure qu’à la suite des élections présidentielles et législatives du printemps 2017, le nouveau Président de la République, sur proposition du 1er ministre, décidera de conserver un secrétariat d’Etat en charge de l’aide aux victimes. Rappelons, en effet, qu’un poste de secrétaire d’Etat aux droits des victimes avait été créé par décret du Président de la République en avril 2004, au sein du Gouvernement dirigé alors par Jean-Pierre Raffarin (Décret n° 2004-378 du 29 avril 2004 relatif aux attributions déléguées à la secrétaire d’Etat aux droits des victimes). Il fut supprimé en 2005 sans que le Président de la République qui avait pourtant accepté sa création en 2004, ne s’oppose à sa suppression…
La commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 a formulé le souhait que le secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes soit pérennisé (proposition n°12). Un décret du 8 février 2017 porte justement création d’un comité interministériel de l’aide aux victimes, présidé par le 1er ministre et associant les ministres concernés, chargé de « définir les orientations de la politique interministérielle de l’aide aux victimes » (décret n°2017-143 décret portant création du comité interministériel de l’aide aux victimes et du secrétariat général à l’aide aux victimes, JORF, 9 février 2017). Cela constitue une avancée notable par sa nouveauté et le souci de tendre vers une synergie des acteurs au plus haut niveau grâce à une structure pérenne. Néanmoins, encore faudra-t-il une volonté politique de réunir ce comité, donc de le faire fonctionner et éviter de mettre en place une structure s’ajoutant à l’existant, de nature à rigidifier un dispositif devant être caractérisé par sa souplesse. Ce même décret porte création aussi d’un secrétariat général à l’aide aux victimes, ce qui avait également été suggéré par la commission d’enquête. Constitue-t-elle une opportune solution ? A nos yeux, cela paraît risquer, là encore, d’ajouter une structure supplémentaire au secrétariat d’Etat existant (à moins qu’il ne soit pas reconduit à la suite des élections de 2017), ce qui n’est guère satisfaisant, d’autant que le décret du 3 mars 2016 portant création du poste de secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes indique qu’elle « prépare, anime et coordonne le travail gouvernemental en cette matière ». In fine, cette double création permet d’anticiper ce qui pourrait arriver au lendemain des élections du printemps (l’absence de pérennisation du secrétariat d’Etat) et démontre aussi que la place des victimes et de leurs ayants droit, quelle que soit l’acte ou le fait à l’origine de leurs malheurs, n’est pas stabilisée sinon définitivement reconnue par le personnel politique.
Même si le secrétariat d’Etat a été créé, agit au quotidien dans l’intérêt de toutes les victimes, comme il est peut-être en sursis, nous croyons opportun de proposer une solution encore plus remarquable. Parce que, malheureusement, il y aura toujours des victimes ne serait-il pas opportun de constitutionnaliser la fonction d’aide aux victimes ? Même si cela apparaitrait constituer un symbole, certains restent les marqueurs d’une société attentive à la détresse. On entend déjà une voix dissonante considérant cette proposition comme inutile sinon irréalisable. Or, au contraire, son utilité est évidente. Au-delà de la symbolique, une telle constitutionnalisation aurait une finalité majeure : sanctuariser cette fonction et donner ainsi un statut immuable (même si une révision constitutionnelle ultérieure pourrait remettre en cause ce dispositif, la rigidité constitutionnelle, qui participe à l’autorité juridique supérieure de la Constitution, serait un moyen de protéger l’existant) à une entité en charge de toutes les victimes alors que les victimes du terrorisme sont déjà reconnues par le législateur lui-même. Certains argueront que l’alinéa 12 du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel : « La nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales » suffit en lui-même car il a permis, au législateur, de créer des mécanismes d’indemnisation des victimes. Sauf que la fonction d’aide aux victimes ne concerne pas l’indemnisation des préjudices subis mais plus largement l’aide aux victimes sous toutes ses formes. Serait-il alors concevable de constitutionnaliser la fonction d’aide aux victimes ? Une première solution consisterait à ce que la Constitution mentionne l’existence d’un secrétariat d’Etat en charge de l’aide aux victimes. Cela semble difficile, d’une part, parce que la Constitution ne mentionne pas ce titre en toute lettre contrairement à celui de « ministre » (néanmoins, l’article 8 alinéa 2 précise que le Président de la République nomme, sur proposition du 1er ministre, les membres du Gouvernement, formule générique accueillant naturellement la fonction de secrétaire d’Etat) et, d’autre part, parce qu’apparue dans la pratique de la 5ème République, le secrétaire d’Etat ne dispose d’aucune administration placée sous son autorité ni d’aucun budget propre sauf, hypothèse très rare, d’un secrétaire d’Etat autonome car placé à la tête d’un département ministériel et disposant d’un budget propre. Dès lors, il paraît difficile de constitutionnaliser une fonction à l’autonomie juridique et financière, en principe, inexistante. La seconde solution prendrait la forme d’une mention dans la Constitution d’un ministère en charge des victimes, solution à nos yeux préférable. A notre sens, une telle réforme serait tout à fait réalisable si une réelle volonté des élus de la Nation, au premier chef du Président de la République nouvellement élu, en prenaient l’initiative tant, une Constitution doit s’adapter aux circonstances et répondre aux attentes de ceux au service desquels elle a été promulguée.
2.L’intérêt d’une réflexion sur la nature juridique à donner au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions
Le FGTI intéresse le juriste puisqu’il constitue une réponse juridique et politique aux drames rencontrés par les victimes. Conscient de l’extrême détresse des victimes blessées et des ayants droit et parfois sujet à de sévères critiques, il n’hésite pas à communiquer grâce à différents supports. D’abord, par le biais d’un livret sur « L’indemnisation des victimes des actes de terrorisme » publié à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016 et même d’un tutoriel. Ensuite, le FGTI a publié, sur son site internet, différents communiqués de presse destinés parfois à contester des critiques tenant à son fonctionnement (9 septembre 2016, 22 septembre 2016) ou à faire le point sur son activité (12 avril 2016, 15 décembre 2016). Les critiques doivent être l’occasion pour lui d’améliorer ses pratiques, notamment au plan relationnel, sachant qu’il reste au service des victimes dans le respect de ses règles constitutives et des principes juridiques tel celui du respect du contradictoire.
Que penser alors de la nature juridique du FGTI ? Le législateur l’a doté de la personnalité civile, sans toutefois, comme il le fera plus tard avec le FGAO (qui est une personne morale de droit privé) mais aussi le FIVA et l’ONIAM (qui sont des établissements publics administratifs), préciser sa nature juridique. Or, l’imprécision n’est pas satisfaisante car l’autorité du droit peut être atténuée alors que le risque de malentendus est grand.
Dès lors, le FGTI entre-t-il dans la catégorie des personnes morales de droit public ou constitue-t-il une personne morale de droit privé ? La nature publique devrait s’imposer au regard des critères énoncés par la jurisprudence administrative pour identifier ou non une personne publique dans le silence de son texte fondateur. En effet, le FGTI a été créé par la loi, il satisfait l’intérêt général, dispose de prérogatives de puissance publique et fait l’objet d’un contrôle. Néanmoins, la jurisprudence et la doctrine restent divisées. Si les uns qualifient le FGTI de personne morale de droit privé, d’autres y voient une personne morale de droit public ou souhaiterait que le législateur retienne cette solution en érigeant le FGTI en établissement public (T. Leleu, Clarifier le statut du FGTI, il y a urgence, Gazette du Palais, 13 septembre 2016). Le FGTI serait alors un établissement public de nature administrative puisqu’il gère une mission de service public administratif, ce qui impliquerait une soumission de principe au droit public au regard des solutions jurisprudentielles existantes. Cette nature juridique aboutirait notamment à la soumission du personnel au droit public et à la mise en œuvre des règles contraignantes de la comptabilité publique rendant impossible, sinon très difficile, le maintien de la gestion de ce fonds par le FGAO (si le FIVA, de 2002 à 2004, a été aidé dans la gestion des dossiers et la préparation des indemnisations par le FGAO, cela posait des difficultés liées aux règles financières de droit public appliquées). On le voit, cette clarification de nature juridique dans le sens d’une publicisation du FGTI, ne serait pas neutre. Elle entraînerait également un transfert du contentieux vers le juge administratif à moins que le législateur en décide autrement (cf. FIVA dont le contentieux relève des cours d’appel), ce qui en termes de lisibilité et d’intelligibilité du droit ne serait pas une bonne solution. La compétence du juge administratif serait-elle d’ailleurs bienvenue ? Sont souvent reprochés au juge administratif un manque de rapidité et un trop grand souci de protéger les deniers publics. Ces arguments doivent être écartés parce que le juge administratif agit plus rapidement qu’hier (Cf. Conseil d’Etat et justice administrative, bilan d’activité 2015 : délai prévisible moyen de jugement : 6 mois et 23 jours devant le Conseil d’Etat, 10 mois et 25 jours devant les cours administratives d’appel et 10 mois et 9 jours devant les tribunaux administratifs/ 402 jours de délai de jugement au civil soit plus de 13 mois), mais aussi parce qu’il n’hésite pas à assurer la réparation de tous les dommages comme le préjudice d’anxiété (C.E., 27 mai 2015, n°371697, « la conscience d’être atteint d’une maladie grave… du fait de sa contamination par le virus de l’hépatite C et des conséquences graves qui pouvaient en résulter » ouvre droit à réparation, C.E., 9 novembre 2016, n°393108, n°393902, n°393926, n°393904 : « préjudice moral résultant de l’anxiété qu’elle indique éprouver face au risque de développer une hypertension artérielle pulmonaire à la suite de la prise du Mediator ») même s’il tient toujours compte des spécificités des missions dévolues aux autorités administratives. Devenu établissement public administratif, le FGTI, tout en conservant sa personnalité juridique, serait placé, comme le FIVA et l’ONIAM, sous la tutelle de l’Etat (actuellement l’Etat est représenté au sein du conseil d’administration, composé de 9 personnalités, par quatre personnes nommées respectivement par quatre ministres et il « est soumis au contrôle du ministre chargé des assurances qui nomme un commissaire du Gouvernement pour exercer en son nom un contrôle sur l’ensemble de la gestion du fonds » (article R. 422-3 du code des assurances) impliquant la faculté pour l’autorité de tutelle d’autoriser, d’annuler, d’approuver ses actes sans toutefois qu’il puisse faire l’objet, au moins en théorie, d’instructions de la part de l’Etat, ni d’une réformation de ses décisions puisque l’autorité de tutelle n’est pas le supérieur hiérarchique du fonds. Il disposerait ainsi d’une autonomie de gestion et de décision qui ne serait toutefois pas totale car le ministère de rattachement exercerait un contrôle étroit. Or, le rapport 2017 de la Cour des comptes épingle sévèrement le fonctionnement d’un autre établissement public : l’ONIAM (L’indemnisation amiable des victimes d’accidents médicaux : une mise en œuvre dévoyée, une remise en ordre impérative). Cela doit-il aboutir à stigmatiser les établissements publics en charge d’une mission d’indemnisation ? Ce serait rapide et simpliste car la lecture du rapport de la Cour des comptes révèle des dysfonctionnements internes ne permettant pas d’affirmer que ce soit la forme juridique de l’ONIAM qui soit en cause (délai de décision trop long, trop faible nombre de démarches auprès des assureurs, sous-exécution du budget, absence d’assistance aux victimes tout au long de la procédure, remise en cause trop fréquente des avis des CRCI…).
Afin d’autonomiser beaucoup plus la structure d’indemnisation, une autre solution, qui a nos faveurs, consisterait à ériger le FGTI en autorité publique indépendante. Depuis des décennies, une nouvelle catégorie d’organismes étatiques est apparue, les autorités administratives indépendantes, dont le nombre et la variété d’attributions n’ont cessé de croître. L’un des objectifs recherchés est d’« offrir à l’opinion une garantie renforcée d’impartialité des interventions de l’État » (Conseil d’Etat, Rapport public 2001, p.275) puisque la tutelle n’existe pas, ce qui constitue un avantage par rapport à l’établissement public. Cela peut, en théorie, rassurer les victimes d’autant que le législateur en 2013 a érigé le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) en autorité administrative indépendante en lui donnant compétence pour assurer l’indemnisation (Loi du 18 décembre 2013 de programmation militaire pour la période 2014-2019, article 53, J.O.R.F. n°0294 du 19 décembre 2013, p. 20570 et s.). Cependant, les autorités administratives indépendantes n’ont pas de personnalité juridique. Dès lors, parce qu’il est indispensable que le FGTI soit toujours doté de celle-ci, sinon cela constituerait une régression par rapport à la situation actuelle, il faudrait l’ériger en autorité publique indépendante, catégorie apparue en 2013 (Loi n° 2003-706 du 1er août 2013 de sécurité financière).
Il est reproché à cette solution qu’elle aboutirait à ce que ce ne soit pas l’Etat qui assure indirectement l’indemnisation des victimes. Il est exact que dotée de la personnalité juridique, l’autorité devrait répondre de ses actes et voir éventuellement sa responsabilité recherchée. Ne pourrait-on pas opposer néanmoins que dans cette hypothèse, c’est l’Etat, toujours indirectement, qui participerait à l’indemnisation puisqu’il serait à l’origine de la mise en place de cette structure et aussi de ses modalités de financement ? Il nous semble concevable, ce qui au demeurant permettrait d’asseoir l’autorité et l’indépendance de la structure, de réserver la charge de l’indemnisation à cette dernière, agissant au nom de la solidarité nationale, à l’initiative du seul Parlement fixant « les règles relatives à la composition et aux attributions ainsi que les principes fondamentaux relatifs à l’organisation et au fonctionnement » (loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes, JORF n°0018 du 21 janvier 2017) des autorités indépendantes et sous le contrôle de celui-ci mais aussi du Gouvernement (la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes impose qu’elles élaborent et transmettent chaque année, avant le 1er juin, au Gouvernement et au Parlement un rapport d’activité rendant compte de l’exercice de ses missions et de ses moyens, rapport public), de la Cour des comptes et naturellement du juge administratif.
L’attention des pouvoirs publics à l’égard des victimes, notamment d’attentats, est ainsi réelle. Elle présente, il est vrai, un danger car elle rend possible l’octroi « d’un statut social, si ce n’est légitimer, l’action terroriste » (L’indemnisation publique des victimes d’attentats, T. Renoux, Economica, PUAM, 1988, p. 182.), puisque l’attention légitime portée aux victimes peut encourager les actes terroristes. Elle permet, surtout, de donner un véritable statut juridique aux victimes et de les accompagner dans le long chemin de reconstruction qui les attend. C’est aussi l’honneur de la République de prendre à bras le corps cet enjeu de société car la stabilité d’un Etat passe non seulement par la force de ses institutions mais aussi par le vouloir vivre collectif dont les moments terribles vécus lors d’attentats réactivent l’importance et le nécessaire besoin d’en assurer l’adaptation.