Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

CERDACC – COMPTE-RENDU DE LA TABLE RONDE « NUCLEAIRE ET SOCIETE, D’ABORD UNE QUESTION D’ETHIQUE. ET SI LA SEULE QUESTION QUI VAILLE ETAIT POURQUOI ? », COLMAR IUT – Campus du Grillenbreit – 23 NOVEMBRE 2017, N. Arbousset

Nathalie Arbousset
Ingénieur d’études au CERDACC

 

Cette table ronde a été organisée en partenariat avec l’association Women In Nuclear (WiN) France, la Société Française d’Energie Nucléaire et la Faculté de physique et d’ingénierie de l’Université de Strasbourg. Hervé Arbousset, Maître de conférences en droit public – HDR et co-directeur du CERDACC a tout d’abord excusé l’absence de Bernard Fabre, Directeur de l’IUT, retenu par ses obligations professionnelles et a ensuite remercié la Présidente de l’UHA, Mme Christine Gangloff-Ziegler, d’ouvrir les travaux des participants. Cette dernière a salué la richesse de la recherche menée par le CERDACC qui s’inscrit dans une démarche d’interdisciplinarité qui est le maître-mot de la recherche aujourd’hui. La parole a ensuite été donnée à Dominique Mouillot, présidente de WiN France, qui a souligné l’importance pour les praticiens d’être en contact avec le monde universitaire. Elle a rappelé que WiN France est une association qui existe depuis 25 ans et regroupe 109 pays, 30 000 professionnels et experts. Elle a, par ailleurs, insisté sur l’originalité du thème d’étude, car il n’est pas habituel d’étudier le nucléaire sous toutes ses formes à l’aune de l’éthique. Or précisément, selon la présidente de Win France, le nucléaire ne doit pas reposer uniquement sur des conditions techniques mais aussi sur une éthique. Ainsi l’Homme doit être au centre du débat, il ne doit pas mettre en danger l’avenir, il doit faire des choix basés sur le besoin, sur la solidarité. C’est ensuite Christelle Roy, vice-présidente Stratégies et développementsà l’UNISTRA qui a pris la parole. Diplômée d’un doctorat de physique nucléaire, elle se dit sensible à la façon de communiquer au grand public et aux étudiants autour du nucléaire. Elle a évoqué les nouveaux emplois qui émergeront grâce au démantèlement des centrales nucléaires et le rôle majeur que peuvent jouer les centres de recherche comme le CRESAT, le MIPS et, bien sûr, le CERDACC.

 

Cette table ronde s’est inscrite dans le cadre des ateliers « Risque et innovations » dont la vocation est d’associer des universitaires et des professionnels afin qu’ils échangent sur le risque. Les interventions publiées dans un numéro de Riséo en 2018, seront enrichies par d’autres contributions qui feront l’objet d’un appel à contributions début 2018 (www.riseo.cerdacc.uha.fr). Cet événement a par ailleurs donné lieu à l’annonce officielle du lancement des « Entretiens Annuels du Grillenbreit »consacrés au nucléaire. Ils auront lieu à la même période tous les ans, soit à la fin du mois de novembre. Ainsi, les Entretiens du Grillenbreit 2018 auront lieu le vendredi 23 novembre sur le thème suivant : « La mémoire industrielle, facteur de prévention du risque. Le cas du démantèlement ».

Les travaux ont été ouverts par l’intervention de Marie-Béatrice Lahorgue, Maître de conférences à l’UHA, HDR, sur le thème « De l’éthique à l’éthique appliquée ».

L’intervenante a mis en exergue un phénomène constaté dans la seconde moitié du 20ème siècle à savoir la transition de l’éthique à une/des éthiques appliquées. Les penseurs, les philosophes se sont intéressés à l’éthique, et ce depuis la nuit des temps. Ainsi, Aristote et son éthique de la vertu. Cependant, dans la seconde moitié du 20ème siècle, l’approche analytique des grands problèmes contemporains sociétaux a engendré un important renouveau du discours éthique (éthique des affaires, bioéthique, éthique et environnement) et ce concomitamment à l’émergence des premières démarches RSE. Le recours à l’éthique est pour ainsi dire devenu un mode de régulation et de promotion de certains secteurs d’activités mais à ce titre, l’éthique est souvent confondue, réduite à la déontologie, à la transparence, aux bonnes pratiques.

Après une présentation de la définition générale de l’éthique, démarche d’origine philosophique fondée sur la réflexion, questionnement sans cesse renouvelé à la recherche de la justification de nos actions ou de nos décisions, Mme Lahorgue s’est interrogée sur les origines du droit nucléaire dans la perspective d’une dialectique constructive entre l’éthique et l’atome. L’intérêt du droit nucléaire est en effet qu’il a été élaboré au fur et à mesure de l’évolution de la technique nucléaire et de son essor. C’est un droit avant tout pragmatique. L’énergie nucléaire est un exemple unique au 20ème siècle où l’élaboration du droit a reposé sur un questionnement éthique, a anticipé les applications ind

ustrielles de la technique considérée et leurs dangers éventuels.

Boris Le Ngoc, directeur de la communication et des relations institutionnelles à la SFEN, s’est  ensuite interrogé sur « L’énergie nucléaire : un choix de société ? ». Il a présenté le nucléaire comme une énergie durable, une énergie propre au regard des émissions de CO2. L’industrie du nucléaire développe un savoir-faire du démantèlement et a pris « à bras le corps » la gestion des déchets. Il a ajouté que l’urgence aujourd’hui est de développer l’énergie nucléaire pour qu’elle se substitue au charbon (1er matière utilisée dans le monde).  En effet, les centrales à charbon dans le monde produisent un tiers des émissions de CO2. Par ailleurs, l’industrie nucléaire poursuit un but d’intérêt général qui est de fournir de l’énergie à tous, au même prix. L’énergie nucléaire traduit une conception particulière de l’énergie, c’est un bien public et non une commodité individuelle. Ce point de vue a donné lieu à un débat respectueux des opinions de chacun.

Jean-Luc Hiebel, professeur émérite de théologie à la Faculté de théologie de l’Université de Strasbourg nous a présenté une « Petite théologie du risque ». L’intervenant nous a exposé le risque et la catastrophe dans la pensée mythique du Proche-Orient à partir de quelques passages de la Genèse. Tout d’abord, le déluge, où se joue tout de suite le risque. Noé, héros, va conjurer le risque en construisant une arche alors que Dieu veut faire disparaître tout ce qui est sur terre. Noé sauve le monde. C’est alors la création d’une nouvelle alliance entre Dieu et les Hommes, et finalement ce qui se joue dans la catastrophe, c’est le lien entre Dieu et les Hommes. Autre exemple, la Tour de Babel, les Hommes construisent cette haute tour pour se rapprocher du ciel. Dieu est jaloux. Il les punit en les « confondant » à travers leur moyen d’expression : la langue.Ainsi, à partir de plusieurs exemples le professeur Hiebel a montré que la catastrophe est inscrite dans un scénario, elle est conçue comme une punition, un châtiment. En conséquence, à partir d’une notion de la catastrophe-châtiment, on projette une idée de péché, c’est l’une des idées importantes de la religion. Finalement, c’est l’idée que l’Homme est responsable face à des choix. La première réaction se traduit par des textes de sagesse. La sagesse salutaire face au risque de péché. Ainsi Noé doit s’investir dans une action qui passe par une réaction. De manière plus générale, l’Homme n’est pas exonéré de sa responsabilité dans l’évolution de la société. La catastrophe serait ainsi inscrite dans la mémoire ancestrale de l’Humanité.

Absente en raison de difficultés de santé, Fanny Bazile était absente mais on retrouvera néanmoins sa contribution sur le regard de la philosophe lors de la publication du numéro de Riséo.

Marie Kirchner, présidente de WiN Normandie, a ensuite présenté « Le choix d’un nucléaire éthique et responsable ». Elle montré que le thème du nucléaire est vaste, il est aussi bien utilisé pour dater des objets d’art que dans la médecine. Marie Kirchner a défini WiN France comme un réseau engagé dans la société civile. Ainsi, il participe à des Forum métiers, et réfléchit avec les jeunes à l’idée d’un métier (un métier pour quoi faire ?). Il remet un prix Fem’ Energia pour encourager et soutenir financièrement des femmes passionnées par le secteur du nucléaire. Il organise des conférences, des visites techniques avec des vidéos diffusées sur You Tube, des débats publics, reçoit des jeunes en recherche d’emploi ou des stagiaires, participe aux jurys de recrutement des ingénieurs, à des événements locaux, nationaux, internationaux. A titre personnel, Marie Kirchner fait un cours sur l’éthique et le nucléaire. WiN France va aussi à la rencontre des anti-nucléaires et notamment de France nature. Participe au débat sur l’environnement à travers les MOOC. En bref, WiN France conçoit le nucléaire comme un nucléaire responsable, conscient des problèmes liés au choix des énergies, aux accidents nucléaires, le réseau WiN est constitué de femmes et d’hommes qui donnent du sens à des actions concrètes et raisonnées.

C’est Isabelle Rossini qui a clôturé cet après-midi de travail en rappelant la richesse des interventions  et des échanges fructueux avec le public venu nombreux.

En conclusion, nous pouvons dire que l’éthique est donc le chemin à emprunter vers un assentiment sur un projet. C’est ce chemin qu’a emprunté la centaine de participants réunie à Colmar dans le respect et la richesse des divergences d’opinions sur un sujet aussi sensible que celui du nucléaire, même si  les travaux ne recouvraient pas uniquement la question de l’énergie mais aussi celle de la médecine, la recherche….