Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU COLLOQUE « L’ENTREPRISE ELARGIE-CONTRIBUTION DE LA RSE A LA CONSTRUCTION D’UN CONCEPT », LA FONDERIE MULHOUSE, 25 OCTOBRE 2018, 1ère partie

COMPTE-RENDU DU COLLOQUE « L’ENTREPRISE ELARGIE-CONTRIBUTION DE LA RSE A LA CONSTRUCTION D’UN CONCEPT », LA FONDERIE MULHOUSE, 25 OCTOBRE 2018, 1ère partie

Ce compte-rendu, coordonné par Nathalie Arbousset, ingénieur d’études au CERDACC, a été réalisé par les étudiants des Master 2 de l’Université de Haute-Alsace en :

– Droit de la prévention des risques et responsabilité : Julian Marbach, Mariama Bah, Floriane Gicquel, Floria Martinez, Romane Montarlier, Ruth Moungueingui, Andréa Parietti,

– Droit de l’Entreprise : Mégane Jelsperger, Mathilde Kammener,

– Droit social et ressources humaines : Kenny Boulaire, Annaëlle Buchel, Cécilia Crescence, Déborah Schlachter

Blandine Rolland, Professeur des Universités et membre du CERDACC, a organisé au sein de la Faculté des Sciences économiques, sociales et juridiques de Mulhouse, un colloque ayant pour thème « l’entreprise élargie ». Organisé en deux temps, la première partie portait sur la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et la définition de l’ « entreprise élargie » tandis que la seconde était dédiée à la RSE et aux obligations de l’ « entreprise élargie ». Cette seconde partie sera présentée dans le prochain numéro du JAC. L’intégralité des actes de ce colloque seront publiés au cours de l’année 2019.

En premier lieu, Blandine Rolland a remercié l’ensemble des intervenants qui ont accepté de venir parler d’un sujet technique et complexe qu’est « L’entreprise élargie ». Les conférenciers et le public ont été accueillis par Jean-Luc Bischoff, vice-président de la recherche et des formations doctorales de l’Université de Haute-Alsace, qui a mis en lumière tant l’implantation territoriale que le passé historique de cette université.

Dans la continuité de ces propos, Hocine Sadok, Doyen de la Faculté des Sciences économiques, sociales et juridiques de Mulhouse, a relevé que le thème de « l’entreprise élargie » a incontestablement le mérite de la nouveauté en tant que cadre conceptuel, venant ainsi s’ajouter aux thèmes déjà connus de « l’entreprise étendue » ou encore de « l’entreprise libérée » qui se veulent être, quant à ces derniers, plus axés sur le management et les sciences de la gestion. Soucieuse des enjeux liés au développement durable, l’entreprise s’est ainsi vue prendre un certain nombre d’initiatives afin de faire transparaître sa responsabilité vis-à-vis de ses contraintes sociales et environnementales collectives, marquant dès lors les contours de la RSE.

Enfin, Hervé Arbousset, maître de conférences et co-directeur du CERDACC, a souligné l’origine, pour majeure partie doctrinale, de la notion d’«entreprise élargie», cette dernière interpellant bon nombre de matières liées au droit, notamment le droit social, fiscal, pénal mais soulevant également un certain nombre de questions ayant trait à la responsabilité civile.

La présidence de la première partie, consacrée à la RSE et la définition de l’entreprise élargie, était assurée par Mme Marie-Pierre Camproux, qui a relevé l’importance d’un tel sujet, ce dernier tendant à s’inscrire au-delà de la conception classique de la RSE afin de mieux intégrer l’entreprise dans la transition écologique.

Ce colloque s’est ouvert par l’exposé introductif sur « Qu’est-ce que l’«entreprise élargie » ? » délivré par François-Guy Trébulle, professeur à l’Université de Paris 1.

Dès son introduction, le professeur a montré qu’il s’agit là d’un sujet largement ignoré. En effet, la notion d’« entreprise élargie » est émergente, c’est d’ailleurs un de ses attraits. L’expression même d’ »entreprise » est difficile à appréhender par les juristes car elle relève d’un cadre conceptuel très largement impensé. Quant à la formule « élargie », il n’est pas évident d’en donner une signification.

A l’évidence, cette expression invite à se placer dans une perspective renouvelée, celle de la mondialisation. Nous sommes confrontés à une évolution de l’entreprise, peut être à la nécessité d’avoir une approche plus ouverte, répondre à un certain nombre de défis qui n’avaient pas encore été identifiés : comme le coût du prix, le coût social, le coût environnemental et notamment la RSE dont l’avènement est lié à la nécessité de promouvoir une vision globale. Le périmètre juridique ne coïncide plus aux besoins sociétal et environnemental.

L’ « entreprise élargie » a fait apparaitre de nouvelles limites qui n’ont pas encore été appréhendées par les juristes. Il n’y a pas de dimensions répressive ou négative de l’ « entreprise élargie » mais une réalité rendue observable dans le temps présent, réalité aussi positive en ce qu’elle ouvre la voie à une prise au sérieux de ce changement, de l‘avènement d’une économie collaborative.

 En conclusion, M. le professeur Trébulle considère qu’il nous appartient de redessiner ensemble le cadre conceptuel de cette histoire.

C’est ensuite Mme le professeur Frédérique Berrod qui a pris la parole s’interrogeant sur la contribution notionnelle du droit de l’Union européenne.

L’Union européenne ne connait la notion de société que par renvoi aux droits nationaux qui sont très divergents sur ce point, bien qu’à première vue elle paraisse très simple. La notion d’entreprise doit donc être appréhender par le droit. C’est dans cette logique-là, que le droit de la concurrence est venu appréhender cette réalité. Réfléchir à la notion d’ « entreprise élargie » peut être fait au travers de plusieurs concepts du droit de l’Union européenne.

Tout d’abord, l’Union européenne appréhende l’entreprise comme un objet de droit. Elle a une perspective qui peut paraitre curieuse. Elle donne des éléments de définition autonome des droits nationaux. La notion d’entreprise est alors perçue comme une unité de capitale, de production, de travailleurs qui exerce une activité économique. C’est sur ce dernier critère que l’Union européenne va construire sa notion d’entreprise. C’est donc son approche sur le marché qui prime.

Ensuite, l’entreprise, perçue comme une unité de production, a des responsabilités sociales et environnementales. Dès lors qu’elle a des droits fondamentaux, on peut lier à ces droits une responsabilité. D’abord une responsabilité générale. Puis une responsabilité juridique comme on le voit, petit à petit, apparaitre dans les différentes jurisprudences nationales. Le fait d’attribuer à l’entreprise des droits fondamentaux va aussi permettre une appréhension de l’entreprise dans sa dimension transnationale.

En dernier lieu, le professeur Berrod a expliqué que l’Union européenne insiste sur la gouvernance par ce type d’entreprises pour qu’elles puissent fonctionner dans un contexte de marché.

Autrement dit, l’Union européenne insiste sur la diversité des approches. Il est parfaitement possible d‘intégrer des objets sociaux dans l’objet social de l’entreprise. L’entreprise est là pour exerce une activité économique. Si elle a d’autres objectifs qu’elle souhaite faire vivre, il faut alors que l’Etat crée un écosystème juridique qui lui permette de travailler à égalité avec les autres entreprises. L’avantage de cette approche fonctionnaliste est de permettre d’imposer aux entreprises dans leur gouvernance, non seulement des droits fondamentaux mais aussi des obligations fondamentales.

Par ailleurs, l’Union européenne a très vite développé une logique de compliance qui permet de considérer que les entreprises sont effectivement des unités qui exercent une activité économique, mais elles sont aussi promotrices de valeurs. Pour ce faire, elle énonce des lignes directrices pour développer un écosystème normatif favorable à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. L’un des éléments clé consiste à passer par les droits nationaux. L’Union européenne peut aussi demander à mettre en place, en matière de responsabilité sociale et environnementale, un modèle reposant sur une approche internationale, en particulier sur les principes directeurs de l’OCDE. Elle élabore également des modèles que les Etats peuvent utiliser. En conclusion, l’Union européenne permet ainsi à l’entreprise sociale de se développer.

L’étude du sujet imposait nécessairement de s’interroger sur une redéfinition de l’intérêt social dans « l’entreprise élargie ». C’est M. Favario, maîre de conférences à Lyon 3 qui s’est attelé à cette tâche.

Monsieur Thierry Favario a abordé les contours de l’intérêt social au regard de son introduction à l’article 1833 du code civil. A cet égard, il a examiné cette notion selon deux points de vue : une dimension conceptuelle et une dimension fonctionnelle.

Pour ce qui est de son aspect conceptuel, l’intérêt social doit agir comme une boussole pour la société, et principalement pour les dirigeants de ces sociétés.

Bien que le principe de la liberté de gestion des dirigeants perdure, dorénavant, on trouve une orientation à donner à la finalité de la société. A cet effet, M. Favario propose des mesures pour inciter les sociétés afin qu’elles appréhendent au mieux cette nouvelle notion d’intérêt social. Par exemple, il soumet l’idée de modifier la fiscalité des sociétés, ou encore de repenser les modes de rémunérations des dirigeants en incluant des critères extra financiers.

Dans le cadre de son aspect fonctionnel, en se demandant si ce nouveau texte va donner lieu à de nouvelles obligations, notre intervenant lui prête une fonction de diapason.

Il est possible d’estimer qu’il s’agit là d’un outil qui va permettre de faire réfléchir les sociétés, en interne, aux considérations environnementales. Ce sera l’occasion pour  plusieurs acteurs d’intervenir : par exemple des agences de notation extra financière pour évaluer l’entreprise ou encore les associés/actionnaires qui pourraient faire l’usage d’un droit d’alerte RSE. En tout état de cause, il reviendra aux sociétés elles-mêmes d’envisager ces possibilités, en interne, car il leur reviendra de les mettre en place.

Pour conclure son intervention, M. Favario se demande si la modification de l’article 1833 n’est pas destinée aux consommateurs. Au final, ce sont bien eux qui sont au cœur des intérêts des sociétés. Ce sont également eux qui ont les leviers d’action les plus efficaces pour sanctionner les entreprises, et qui peuvent donc réellement leur demander des comptes.

Débats :

Question de M. Schultz : « Que pensez-vous du rôle du commissaire aux comptes ? »

Réponse de M. Favario : « La loi PACTE baisse les seuils, c’est paradoxal. Les CAC devrait s’intéresser aux  aspects extra financiers, mais ils n’ont pas le temps. Ce n’est pas la piste à explorer mais plutôt celle des agences de notation extra-financière.

Réflexion de M. Trébulle : « Ces agences ne sont pas un modèle achevé…elles ne s’appliquent qu’à un nombre réduit d’entreprises.

Au-delà, peut-on considérer que la comptabilité donne une image fiable et sincère, si elle ne tient pas compte de la question de l’environnement ? Mais le risque est traduit imparfaitement en comptabilité. 

Je suis certain d’une évolution : dans les petites entreprises on connait le lien intime entre l’expert-comptable, le CAC et le chef d’entreprise. C’est là l’intérêt de l’article 1833 : c’est à l’expert-comptable et au CAC d’interroger le chef d’entreprise sur la prise en considération de l’environnement et ses enjeux. 

Question du public : « Le pouvoir du consommateur, peut-il engager la responsabilité de l’entreprise ? Comment peut-elle se concrétiser avec la puissance des lobbies ? 

Réponse de M. Favario, il propose deux pistes :

–       Les actions de groupe, c’est une piste juridique  

–       Les consommateurs qui ont un pouvoir de nuisance susceptible d’être exprimé de manière assez violente. Ainsi sous la pression de l’opinion publique, les entreprises peuvent être obligées de s’expliquer.

Remarque de Mme Berrod :

« Les lobbies de consommateurs sont très importants, très puissants au niveau européen ».

Remarque de M. Trébulle :

«  Le droit de l’Union européenne est matriciel sur ces questions ».

Remarque de M. Favario :

«  Les entreprises publiques représentent dans leurs organes les usagers. Alors, il faudrait envisager que dans les sociétés il y ait aussi une représentation des usagers ».

La reprise des exposés a conduit M. Defiebre, maître de conférences en gestion à l’Université de Haute-Alsace, à traiter des enjeux stratégiques et managériaux de l’ « entreprise élargie ». Ces enjeux posent la question des frontières de l’organisation et des facteurs qui instituent l’action de l’investisseur, le consommateur, le salarié et de manière plus large toutes les parties prenantes de l’entreprise. Il s’agira de s’intéresser aux rapports que l’entreprise va entretenir avec ses parties prenantes (« stakeholders »). Comment l’entreprise réussit-elle à se présenter comme une entité digne de confiance et quels rapports entretient-elle avec les autres parties prenantes ? M. Defiebre a indiqué que ces questions sont au croisement de plusieurs questions de droit.

M. Defiebre a ainsi exprimé qu’en fait, la question de l’ « entreprise élargie » est au croisement d’enjeux de marketing, de gestion des ressources humaines, stratégiques et financiers. On pense notamment à l’image de marque de l’entreprise. Derrière ces enjeux se cache également un enjeu anthropologique de l’organisation de l’entreprise, du pouvoir et de la violence. Il s’agit de savoir comment légitimer le pouvoir d’une organisation ayant des liens avec différents partenaires.

C’est enfin l’intervention de Philippe Schultz, maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace, qui a clôturé les interventions de la matinée. Il avait pour mission de traiter des techniques d’organisation juridique de l’entreprise élargie. En préambule, il a été rappelé que la notion d’entreprise est caractérisée par une activité économique qui nécessite des moyens humains, financiers et une organisation. Penser l’ « entreprise élargie » oblige à dépasser le cadre de l’entreprise, casser l’idée selon laquelle une entreprise est égale à une personne. La suite de la démonstration a conduit M. Schultz à envisager dans un premier temps, l’ « entreprise élargie » imposée par le législateur comme technique d’organisation. Ainsi il a été fait la preuve que le législateur reconnait une sorte d’unité à certaines organisations à travers des règles comme la consolidation des comptes ou encore lors de la mise en place de comités de groupement. Ensuite, le conférencier a traité, dans un second temps, de l’entreprise volontairement élargie comme technique d’organisation. Il existe, en effet, plusieurs techniques. Tout d’abord, la coopération. Ainsi plusieurs entreprises peuvent coopérer vers un même but. Ensuite, la coproduction, ce type de contrat permet de mettre en place une société en participation. Enfin, les organisations en réseaux, avec une organisation en aval (franchise) et une organisation de l’amont à savoir des sous-traitants et des fournisseurs. M. Schultz a terminé son propos en évoquant les questions de clauses RSE.

Débat

Question de M. Trébulle :

« Quelle est l’’importance de l’imposition des clauses au sous-traitant de second rang ? Ne repousse-t-elle pas l’ensemble des charges sur l’ultime sous-traitant (plus fragile) ? »

Réponse de M. Schultz :

« Il ne faudrait pas que la charge repose sur l’ultime sous-traitant dans la chaîne car le sous-traitant de second rang est un tiers. Le seul reproche qu’on peut faire au contractant direct c’est de n’avoir pas proposé la clause, mais il ne faudrait pas l’imposer».