Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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L’AFFAIRE DES « COUSINS D’AMERIQUE » : INTERROGATIONS SUR LA DEFINITION DE L’ACCIDENT COLLECTIF, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Réflexions à propos du jugement du tribunal correctionnel de Nanterre, 28 août 2019, 16ème chambre correctionnelle A BIS, n° minute : 021/2019, n° parquet : 10245045150

Lors du colloque sur le traitement judiciaire des accidents collectifs qui s’est tenu le 4 octobre dernier au TGI de Paris, Pierre-Etienne Denis, président de la FENVAC, regrettait la remise en cause de l’article 2-15 du code de procédure pénale dans cette affaire (Cf. compte-rendu JAC n° 190, oct. 2019 ; JSS, 23 nov. 2019, n° 84, p. 22). L’intérêt majeur de cette décision est le refus d’application de cette disposition via la non reconnaissance de la qualification d’accident collectif à l’événement.

L’accident survenu le 22 août 2009 dont le tribunal de Nanterre eut à connaître avait été médiatisé : outre le fait qu’il se soit déroulé en Californie lors d’un voyage organisé, le jeune âge des victimes ne pouvait que sensibiliser l’opinion publique. La société française « Cousins d’Amérique », devenue depuis « Cousins », bien connue pour organiser des séjours de vacances pour enfants, adolescents et jeunes adultes proposait cette « conquête de l’Ouest Américain » itinérante pour adolescents encadrés par trois animateurs. Au programme figurait notamment un transport par vans à travers les États-Unis, en l’espèce trois vans pour vingt jeunes. Conduit par une des animatrices du séjour, Nassira S., un de ces vans, d’une capacité de douze personnes avec à bord six adolescents, quittait soudainement la route avant de faire des tonneaux sur le bas-côté. Trois des passagers ont été éjectés, dont Léa et Orane, lesquelles décédèrent peu de temps après l’accident. Outre deux décès, l’accident a occasionné des blessures à quatre passagers et à la conductrice-animatrice.

Il ressort du rapport de police américaine que la conductrice s’était endormie au volant alors qu’elle roulait à 100 km/h, également qu’un seul des passagers avait bouclé sa ceinture. Il apparaît encore que son permis de conduire n’était pas valide pour conduire le van. De manière générale, les animateurs-conducteurs étaient sujets à une grande fatigue car ils avaient des difficultés à trouver le repos en raison notamment de tâches multiples à accomplir.

Outre la conductrice, Nassira S. prévenue des chefs d’homicides et blessures involontaires par conducteur de véhicule terrestre à moteur, la prévention vise également Cédric J., gérant et représentant légal au moment des faits de la société « Cousins d’Amérique » ainsi que cette dernière, à la fois des chefs de pratique commerciale trompeuse et de ceux d’homicides et blessures involontaires.

La compétence des juridictions françaises pour un accident ayant eu lieu aux États-Unis se justifie par le constat, lors de l’information, de manquements susceptibles d’avoir été commis dans l’organisation du voyage au siège même de la société à Bagneux, donc sur le territoire national (art. 113-2 CP). Précisons que parmi la vingtaine de parties civiles, personnes physiques, certaines avaient déjà été indemnisées au cours d’une procédure engagée aux États-Unis, leur constitution de partie civile s’effectuant dès lors uniquement au soutien de l’action publique.

S’agissant des infractions non intentionnelles, l’analyse du tribunal est classique et minutieuse (I), la surprise vient davantage de son approche de l’accident collectif lors du prononcé des intérêts civils (II).

I. Les condamnations pour infractions non-intentionnelles

 1°) La condamnation de la conductrice, une des animatrices du séjour

Poursuivie pour délits d’homicide involontaire et de blessures involontaires par conducteur, Nassira S. ne pouvait guère échapper à la condamnation au regard des circonstances de l’accident. Il ressort en effet des procès-verbaux de la police californienne que le van est sorti de la chaussée sur sa droite, puis que la conductrice a braqué à gauche ce qui a eu pour effet que les roues du van ont dérapé et que le véhicule a ensuite traversé les deux voies de trafic jusqu’au bas-côté où il a fait plusieurs tonneaux pour terminer sa course sur le toit.

La prévenue soutient que cette perte de contrôle est due à la présence d’un objet sur la chaussée, mais, s’il y avait bien des débris sur la chaussée après l’accident, les conducteurs des autres vans n’ayant aperçu aucun débris lors de leur passage, le tribunal en déduit que les débris relevés provenaient du van accidenté.

Selon la police américaine, l’accident trouve sa cause dans l’endormissement de la conductrice. Cette analyse est étayée par les nombreux témoignages de personnes, notamment des passagers du van, ayant entendu Nassira S. déclarer qu’elle s’était endormie au volant. La sortie de route liée à l’assoupissement de la conductrice du van a été aggravée par la réaction de celle-ci ayant consisté à braquer violemment, ce qui a entraîné la perte totale de son contrôle du véhicule.

Les fautes de conduite étant en lien causal direct avec les deux décès et les blessures infligées à d’autres occupants du véhicule, la culpabilité de l’animatrice est établie.

Dès lors que Nassira S. est un auteur direct, au sens de l’article 121-3 du code pénal, le tribunal n’a pas à apprécier le degré de la faute, puisqu’une faute simple d’imprudence suffit pour entrer en condamnation.

Cependant, le tribunal ne s’arrête pas là et souligne le défaut de vigilance de la prévenue, tant comme conductrice que comme animatrice, quant au non port de ceinture de sécurité de cinq des six passagers du van, dont quatre ont été éjectés, dont les deux jeunes filles décédées. Cette faute est également à l’origine des aggravations des blessures des occupants éjectés.

Toutefois, cette faute simple ne saurait, selon le tribunal, engager la responsabilité pénale de la conductrice dès lors que le lien de causalité n’est qu’indirect. En effet, aux termes du quatrième alinéa de l’article 121-3, les personnes physiques, auteurs indirects, ne sont responsables pénalement que « s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ». L’article R.412-1 du Code de la route dispose qu’« en circulation, tout conducteur ou passager d’un véhicule à moteur doit porter une ceinture de sécurité homologuée dès lors que le siège qu’il occupe en est équipé ».  Le non-respect de cette obligation constitue une infraction du 4ème classe, l’amende devant être payée par le conducteur au lieu et place des passagers mineurs non attachés. La faute de la conductrice n’est-elle que simple, comme l’estime le tribunal, ou bien l’article R.412-1 aurait-il pu être considéré comme instituant une obligation particulière de prudence ou de sécurité, ce qui permettait d’entrer aussi en condamnation de ce chef ?

Le tribunal ne s’engage pas dans cette voie mais tient compte du non-port de ceinture des passagers, faute imputable à la conductrice, pour contextualiser les fautes de conduite et « déterminer la sanction la plus adaptée». Cette sanction consiste en une peine d’emprisonnement de dix-huit mois avec sursis, et à titre de peines complémentaires, la suspension de son permis de conduire pour une durée de trois ans ainsi que l’interdiction définitive d’exercer l’activité d’animatrice de colonies de vacances.

L’endormissement, cause principale de l’accident, est dû à la fatigue engendrée par les conditions particulièrement éprouvantes du voyage ce qui amène le tribunal à rechercher la responsabilité pénale de la société organisatrice du voyage et du chef de l’entreprise.

2°) Les condamnations du chef d’entreprise et de la société « Cousins ».

En recherchant à la fois les fautes pénales du représentant de la personne morale et de cette dernière, le tribunal applique sans aucune ambiguïté les dispositions du premier alinéa de l’article 121-2 du code pénal aux termes duquel les personnes morales sont responsables pénalement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.  L’exigence de la faute d’un organe ou d’un représentant de la personne morale fait débat depuis des années, principalement en ce qui concerne les infractions non-intentionnelles et sur ce point la jurisprudence est hésitante (Cf. Y Mayaud, « L’articulation des responsabilités pénales entre personne morale et personnes physiques – Une logique d’artifices », AJ pénal déc. 2018, 546).

Cependant, le tribunal semble adopter une interprétation large de cet alinéa puisqu’il inclut les agissements des préposés de la personne morale (Cf. J. Lasserre Capdeville, « La notion d’organe ou de représentant de la personne morale », AJ pénal déc. 2018, 550).

La responsabilité pénale de la société est engagée pour faute simple alors que celle de Monsieur Cédric J., son représentant légal, personne physique et auteur indirect, exige la démonstration, soit de la violation délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité, soit d’une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer (art. 121-3 CP al. 4).

S’agissant de la faute caractérisée, le tribunal correctionnel de Nanterre énonce à juste titre qu’« il est constant que le faute caractérisée au sens de l’article 121-3 du code pénal peut être unique ou plurielle, et peut résulter d’une série de manquements agrégés entre eux qui forment une faute caractérisée ». En effet, les « poussières de fautes » que la loi du 10 juillet 2000 avait semblé éradiquer sont réapparues en jurisprudence dès 2003 suite à l’avalanche meurtrière de Montroc (Trib. corr. Bonneville, 17 juil. 2003 ; LPA 11 mai 2005, 13, note M.-F. Steinlé-Feuerbach). En l’espèce, le tribunal égrène les fautes commises à la fois lors de l’organisation du voyage et lors de son déroulement.

Il s’avère que le voyage était insuffisamment préparé puisque les hébergements n’étaient pas tous réservés à l’avance et que plusieurs étapes restaient à construire. La directrice nouvellement engagée a été amenée à prendre des décisions en urgence sans l’assistance de la société. Le budget ainsi que le matériel prévus étaient insuffisants au point qu’il est arrivé que Nassira S. soit contrainte de dormir à même le sol à l’entrée d’une tente. Le matériel de communication entre les vans était inopérant.

L’accumulation de la fatigue des jeunes et des animateurs a débuté dès la seconde nuit passée en partie sur la route après un voyage en avion de 11 heures, le décalage horaire ne facilitant pas les choses.

La veille de l’accident, le groupe avait improvisé un bivouac sur une aire d’autoroute, le sommeil étant en outre perturbé par l’arrosage des pelouses.

A ces conditions très éloignées du rêve californien s’ajoutaient, pour les animateurs, la difficulté de faire face à des activités multiples. Au-delà, les animateurs ne bénéficiaient pas de la journée de repos hebdomadaire obligatoire dans les contrats d’engagement éducatif.

Pour le tribunal, « il ressort que la fatigue de la conductrice qui a occasionné l’accident est liée indirectement, mais de façon certaine, à l’accumulation des fautes commises dans l’organisation de ce voyage, avec une directrice impréparée et non soutenue par la société COUSINS qui l’avait recrutée à la hâte».

La tentative de Monsieur J. de décliner sa responsabilité en alléguant une délégation de pouvoirs à la directrice échoue dès lors que cette dernière ne bénéficiait pas des moyens matériels et humains pour agir que doit posséder tout délégataire.

Les fautes relevées sont imputables à Monsieur J., leur cumul s’analyse en une faute caractérisée en lien certain avec l’accident. Son choix de maintenir le voyage malgré le désistement d’une directrice en recrutant dans l’urgence une directrice de remplacement ainsi que l’absence d’attention aux règles de repos hebdomadaire obligatoire des animateurs démontrent que la sécurité des jeunes clients n’était pas pour lui une priorité. Il est condamné à une peine d’un an de prison avec sursis.

L’ensemble des fautes d’imprudences commises ainsi que les manquements sont imputables également à la personne morale condamnée au paiement d’une amende de 150 000 euros.

Ajoutons que le chef d’entreprise et la société sont également condamnés pour délit de pratiques commerciales trompeuses (art. L. 131-2 et s. C. conso.), le premier à une amende de 1500 euros, la seconde à une amende de 5000 euros.

Si le raisonnement suivi par le tribunal quant aux condamnations pour homicides et blessures involontaires doit être approuvé, son approche de la notion d’accident collectif peut, elle, prêter à discussion.

II. La définition de l’accident collectif à l’occasion du prononcé des intérêts civils

La position du tribunal quant à la notion d’accident collectif suscite quelques interrogations.

1°) Le refus de la reconnaissance d’un accident collectif

S’agissant des parties civiles, personnes physiques, qui demandent à être indemnisées lors de la procédure devant le tribunal correctionnel de Nanterre, chacune sollicite des indemnités au titre du préjudice spécifique de victimes d’accident collectif qu’elles soient victimes directes ou indirectes. La nature de ce préjudice n’est nullement précisée, il est simplement permis de supposer qu’il s’agit d’un préjudice extra-patrimonial.

En ce qui concerne les victimes directes, le tribunal distingue les passagers du car accidenté des occupants des deux autres vans.

Deux victimes sollicitent 50 000 euros chacune au titre du préjudice spécifique de victimes d’accident collectif ainsi que 10 000 euros de provision chacune à valoir sur l’indemnisation définitive outre le renvoi sur intérêts civils.

Sans répondre précisément à leur demande d’indemnité au titre de ce préjudice spécifique, le tribunal estime que « les parties civiles qui étaient dans le van accidenté ont subi des blessures physiques et un traumatisme certain. La conscience d’une mort imminente et l’angoisse existentielle y afférent, le fait d’attendre l’arrivée des secours dans un contexte dramatique et les souffrances physiques liées aux blessures subies constituent un préjudice personnel ouvrant droit à indemnisation ». Ainsi, le tribunal reconnaît bien à la fois l’angoisse d’une mort imminente et le préjudice né de l’attente de l’arrivée des secours dans un contexte dramatique, ce qui n’est pas sans rappeler des préjudices spécifiques aux accidents collectifs ( Cf. not. M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Victimes de violences et d’accidents collectifs. Situations exceptionnelles, préjudices exceptionnels : réflexions et interrogations », Médecine et Droit, nov.-déc. 2000, n° 45, p. 1, https://www.courdecassation.fr/IMG/File/Steinle_Feuerbach.pdf  ; B. Deparis, « Le point de vue du magistrat : retour sur le jugement du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains du 26 juin 2013 », Gaz. Pal. 22 mars 2014).

S’agissant du seul passager porteur de la ceinture de sécurité, un jeune homme âgé de 15 ans lors des faits, qui s’était retrouvé coincé sous le van, le tribunal constate que le traumatisme est encore très actuel et lui accorde 20 000 euros en réparation du préjudice subi. Pour une jeune fille éjectée du véhicule et sérieusement blessée, le tribunal énonce que « le fait d’apercevoir les corps inanimés de ses camarades avant l’arrivée des autres vans et la longue attente dans un milieu particulièrement hostile ont nécessairement causé un traumatisme important », la somme de 15 000 euros lui est attribuée. Ici encore, le raisonnement du tribunal n’est pas en contradiction avec celui qui se tient dans l’hypothèse d’un accident qualifié de collectif.

C’est à propos des demandes des passagers des autres vans, sollicitant également 50 000 euros au titre du préjudice spécifique aux accidents collectifs que la juridiction énonce :

« Non définie par les textes législatifs, la notion d’accident collectif se caractérise par ses circonstances, notamment liées à la soudaineté et à l’imprévisibilité de l’évènement, et par conséquent quant au nombre particulièrement important de victimes et à l’ampleur des dommages causés nécessitant la mise en oeuvre de moyens importants et de mesures spécifiques.

En l’espèce, il ne s’agit pas d’un accident collectif mais d’un accident de la circulation touchant un groupe ».

Toutefois, le tribunal reconnaît que les jeunes occupants des autres vans avaient tissés des liens d’affection et d’amitiés étroits avec les jeunes accidentés et leur reconnaît la qualité de victimes par ricochet. Il souligne que deux des occupants des autres vans ont tenté de porter secours à leurs camarades, les soutenant jusqu’à l’arrivée des secours. Ils ont également subi l’attente interminable de l’arrivée en assistant à l’agonie de Léa et Orane. La somme de 8 000 euros est accordée à chacun des demandeurs en raison du préjudice subi.

Pour les parents de deux victimes blessées ayant demandé réparation en tant que victimes indirectes, la demande au titre du préjudice spécifique n’est pas satisfaite sans être pour autant explicitement rejetée. Ils seront indemnisés à hauteur de 5000 euros en raison de l’inquiétude ressentie dans l’attente des résultats médicaux ainsi que pour l’accompagnement de leurs enfants lors du retour en France de ceux-ci.

Parmi les parties civiles personnes morales, il importe de souligner deux demandes au titre de l’article 2-15 du code de procédure pénale, celle de l’association « Les amis de Léa et Orane » créée par le père d’Orane avec les parents de Léa ainsi que celle de la Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectifs (FENVAC).

Rappelons qu’aux termes de l’article 2-15 du code de procédure pénale « Toute association régulièrement déclarée ayant pour objet statutaire la défense des victimes d’un accident survenu dans les transports collectifs ou dans un lieu ou local ouvert au public ou dans une propriété privée à usage d’habitation ou à usage professionnel et regroupant plusieurs de ces victimes peut, si elle a été agréée à cette fin, exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne cet accident lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée (…) Toute fédération d’associations, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et inscrite auprès du ministère de la justice, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, dont l’objet statutaire est la défense des victimes d’accidents collectifs, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne un accident collectif survenu dans les circonstances visées au premier alinéa, lorsque l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée » (C. Lienhard, « Le droit pour les associations de défense  des victimes d’accidents collectifs de se porter partie civile : article 2-15 du Code de procédure pénale », D. 1996, chron., 314 ; « Le droit pour les fédérations d’associations de défense de victimes d’accident collectif de se porter partie civile », JAC n° 44, mai 2004).

Le tribunal refusant de reconnaître à l’évènement un caractère collectif, il ne pouvait, dans la suite logique de ce refus, que rejeter les demandes formulées au titre de l’article 2-15, ce qu’il énonce clairement pour la FENVAC : « Les faits objets de la prévention ne relevant pas de la catégorie des accidents collectifs, la FENVAC sera déboutée de l’ensemble de ses demandes ».

Cette affirmation serait parfaitement compréhensible dans la logique de la juridiction si elle n’avait pas accepté, plus haut dans sa décision, la demande de l’association « Les amis de Léa et Orane », adhérente à la FENVAC, au titre précisément de l’article 2-15. En effet, alors que l’association sollicite la condamnation des prévenus à la fois à 20 000 euros à titre de dommages et intérêts conformément à l’atteinte à son objet social, et à 12 647,06 euros en application de l’article 2-15 alinéa 4 du code de procédure « civile » ( qu’il faut lire « pénale »), la juridiction accepte d’indemniser, certes modérément, les atteintes à l’objet statutaire, lequel réside dans la défense des intérêts des enfants et adolescents de séjours de vacances, mais surtout, elle accorde la somme demandée au titre de l’article 2-15 après avoir précisé que cette association été agréée.

2°) Les interrogations suscitées par la décision

Si le refus de reconnaissance de la qualification d’accident collectif est clairement énoncé, la lecture de la décision suscite quelques questionnements.

Une première interrogation est permise quant à la place, dans la décision, du refus de la qualification d’accident collectif, celui-ci n’intervenant qu’à partir des demandes formulées par les occupants des vans non accidentés. Ce refus est par ailleurs justifié par le fait que ces parties civiles ne sont pas visées par l’ordonnance de renvoi. Faudrait-il en déduire que l’accident du premier van pourrait être qualifié de collectif, un collectif dans lequel les deux autres vans ne seraient pas inclus ?

Sur le plan des indemnisations, refuser l’accident collectif permet à la juridiction de ne pas accorder le montant du « préjudice spécifique » demandé, mais ne l’empêche en rien d’admettre des préjudices extra-patrimoniaux, notamment d’attente, aux demandeurs personnes physiques, qu’il s’agisse de victimes directes ou par ricochet.

La deuxième interrogation porte sur l’application distributive de l’article 2-15. La mise en perspective de recevabilité de la demande l’association créée après le drame avec le refus de celle de la FENVAC à laquelle elle appartient peut laisser penser que la juridiction a souhaité privilégier l’accès des associations qui correspondent à une émanation démocratique en rejetant la Fédération.

Nous ne pouvons qu’approuver la juridiction lorsqu’elle énonce que la notion d’accident collectif n’est pas définie par la loi. Cela avait été souligné le mois dernier par Jean-Luc Gadaud, premier vice-président chargé de l’instruction et coordonnateur du pôle santé publique et accidents collectifs à Paris, lors de son intervention au colloque sur le traitement judiciaire des accidents collectifs à propos des articles 706-176 du CPP créant les juridictions spécialisées dans ce contentieux ( JSS, 23 nov. 2019, n° 84, p. 14).

La définition de la juridiction reprend des éléments du Guide méthodologique de prise en charge des victimes d’accidents collectifs édité par la Ministère de la Justice lequel énonce dans son édition de novembre  2017  A LIRE ICI « qu’il s’agit d’un évènement soudain provoquant directement ou indirectement des dommages humains ou matériels à l’égard de nombreuses victimes. Pouvant avoir pour origine ou pour facteur contributif une intervention ou une abstention humaine susceptible de recevoir une qualification pénale, cet évènement nécessite, par son ampleur ou son impact, la mise en œuvre de moyens importants et de mesures spécifiques pour la prise en charge des victimes, ainsi qu’une coordination des interventions et des accompagnements déployés ».

Bien que ce guide n’ait pas de valeur normative, il est possible de distinguer, outre la qualification pénale potentielle, les critères relatifs au nombre de victimes et à la nécessité de la mise en œuvre de moyens importants et de mesures spécifiques.

Le seuil du collectif n’étant pas fixé, six victimes sont-elles suffisantes pour que ce seuil soit atteint ?  Il est à noter que le tribunal correctionnel d’Albertville, dans une décision du 24 novembre 2008, avait estimé que l’article 2-15 s’appliquait « puisque l’accident a fait deux victimes et qu’il a été occasionné par un tapis roulant destiné au transport collectif de skieurs et de piétons sur un domaine skiable » (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Accident mortel à Val Cenis », JAC n° 90, janv. 2009). Le seuil du collectif était donc atteint avec deux victimes.

Toutefois, au-delà du nombre se pose encore la question du mode de transport. Le tribunal d’Albertville avait pris le soin de préciser que le tapis roulant était destiné à un transport collectif. L’article 2-15 vise en effet un accident survenu dans les transports collectifs, mais la notion même de transport collectif n’est pas juridiquement définie puisqu’elle est totalement absente des tables des matières du code des transports, du Lamy Transport et des ouvrages généraux de droit des transports. Cette notion n’est pas davantage précisée par l’article 2-15 du code de procédure pénale. Il en résulte des divergences d’interprétation en ce qui concerne tant la procédure d’agrément des associations par la Chancellerie, que la recevabilité de l’action civile au titre de l’article 2-15 elle-même.

Si les accidents aériens, maritimes ou ferroviaires sont incontestablement des transports collectifs, faut-il écarter systématiquement les accidents de la circulation ? En l’espèce le van avec une capacité de douze personnes n’est-il pas un moyen de transport collectif ?

Cependant, le critère de la nécessité de la mise en œuvre de moyens importants et de mesures spécifiques n’est à l’évidence pas rempli. Par ailleurs, la recherche des responsabilités ne s’est pas heurtée à des questions de complexité technique et causale.

Finalement, la décision du tribunal correctionnel de Nanterre aura soulevé bien des interrogations y compris parmi les membres du Cerdacc eux-mêmes, les opinions étant partagées. Je remercie mes collègues Claude Lienhard et Caroline Lacroix pour leurs analyses croisées et partiellement divergentes de la notion d’accident collectif et du périmètre du droit à agir des associations au regard des objectifs du procès pénal.