Sophie HILDENBRAND
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992) et membre associée du Centre de Droit Privé Fondamental (UR 1351)
Commentaire Cass. crim., 1er oct. 2024, n°23-81.328 (v. aussi n°23-81.329 et n°23-81.330).
L’article L. 142-2 du Code de l’environnement permet à certaines associations de défense de l’environnement de se constituer partie civile. Cette possibilité n’existe toutefois que dans le cadre de la commission de certaines infractions environnementales. Le présent arrêt apporte des précisions sur la teneur de cette liste. La Cour de cassation rappelle que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement est d’interprétation stricte et que la tromperie aggravée ne figure pas parmi les infractions listées.
Mots-clés : Dieselgate – Droit pénal – Droit pénal de l’environnement –Interprétation stricte – Partie civile – Principe de légalité criminelle – Tromperie
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 1er octobre 2024 un intéressant arrêt portant sur l’exercice de l’action civile d’une association de défense de l’environnement et plus particulièrement sur les conditions énoncées à l’article L. 142-2 du Code de l’environnement.
Pour se repérer
Cet arrêt du 1er octobre 2024 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000050316214?isSuggest=true. – Voir I. Souid, « Nouvelle étape dans l’interprétation de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement devant les juridictions répressives ? Dalloz actualité, 16 oct. 2024) s’inscrit dans cadre du célèbre scandale du Dieselgate qui a ébranlé plusieurs États du monde lors des dernières années (Panorama rapide de l’actualité « Pénal » de la semaine du 30 septembre 2024, Dalloz, 4 oct. 2024). Plusieurs constructeurs, dont Volkswagen ou encore Peugeot, sont accusés d’avoir mis en place un logiciel pour que, lors de l’homologation des véhicules, leurs émissions polluantes de particules d’oxyde d’azote soient minorées (V. récemment : « ʺDieselgateʺ : plusieurs entreprises et collectivités vont se joindre aux procédures françaises », Le Monde, 3 oct. 2024). Ces véhicules produisent en réalité plusieurs dizaines de fois la quantité autorisée, ce qui peut avoir des conséquences dommageables pour le vivant.
Ces faits ont donné lieu à des procédures judiciaires dans plusieurs États, dont en France. C’est dans ce cadre que s’inscrit le présent arrêt. En l’espèce, une information judiciaire avait été ouverte contre X pour tromperie aggravée. À cet égard, une société avait été mise en examen. C’est alors qu’une association de protection de l’environnement a demandé à se constituer partie civile conformément à l’article L. 142-2 du Code de l’environnement. Cependant, la société mise en examen a formé une demande pour que la constitution de partie civile soit déclarée irrecevable. Les juges d’instruction ont rejeté la demande de la société. La société a alors interjeté appel.
La cour d’appel a estimé que la tromperie aggravée s’inscrit bien dans la liste des infractions ouvrant droit aux associations de défense de l’environnement à exercer l’action civile. Toutefois, selon le demandeur au pourvoi, l’article L. 142-2 du Code de l’environnement doit être interprété strictement : la tromperie aggravée ne peut, ni être assimilée à la pratique commerciale trompeuse comportant des indications environnementales, ni constituer une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de l’environnement, de la nature et de l’air ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions.
Pour aller à l’essentiel
La Cour de cassation censure l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris. Elle s’inscrit dans l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi. Elle rappelle tout d’abord que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement « est d’interprétation stricte ». Il permet à des associations de défense de l’environnement agréées d’exercer l’action civile mais dans la limite de certaines infractions qu’il énumère.
Elle décide ensuite que lorsque l’article L. 142-2 du Code de l’environnement fait référence aux « dispositions législatives ayant pour objet la lutte contre les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales », il ne s’applique pas à la tromperie aggravée de l’article L. 454-3 du Code de la consommation. Seules sont concernées les pratiques commerciales trompeuses de l’article L. 121-2 du même code.
Par ailleurs, elle précise que la tromperie aggravée ne « constitue pas davantage une infraction aux dispositions législatives […] relatives notamment à la protection de la nature, de l’environnement et de l’air, dès lors qu’elle n’a pas par elle-même pour objet la protection des intérêts environnementaux limitativement énumérés par ce texte ».
Néanmoins, les juges d’appel n’ont pas distingué entre la tromperie aggravée, infraction prévue aux articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation dans leur rédaction alors applicable ainsi que les articles L. 441-1 et L. 454-3, 1° du même code et la pratique commerciale trompeuse de l’article L. 121-2 du Code de la consommation et ont par conséquent estimé que la tromperie aggravée fait partie des « dispositions législatives ayant pour objet la lutte contre les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ». Ils ont également estimé que la tromperie aggravée s’inscrit dans les infractions relatives à la protection de la nature, de l’environnement et de l’air.
Pour aller plus loin
Cet arrêt est l’occasion de rappeler quelques éléments sur l’exercice de l’action civile par une association de défense de l’environnement et d’en apprendre davantage sur la composition de la liste des infractions pouvant donner lieu à une constitution de partie civile dans le cadre de l’article L. 142-2 du Code de l’environnement ainsi que son application.
Rappelons tout d’abord qu’il est possible, en droit français, que la victime d’un préjudice résultant de la commission d’une infraction, exerce l’action civile devant une juridiction pénale ou civile (art. 3 et 4 C. proc. pén.). Aux termes de l’article 2 du Code de procédure pénale, l’action civile est ouverte à « tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». S’il paraît assez logique que cette faculté soit ouverte à cette victime, l’ouvrir à des personnes morales qui n’ont pas elles-mêmes subi un préjudice, mais qui défendent un intérêt général, l’est assurément moins. Cette possibilité est toutefois ouverte à de tels groupements en premier lieu aux articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale. C’est le cas en matière de lutte contre le raciste par exemple (art. 2-1 C. proc. pén.).
Cependant le Code de procédure pénale est très loin de contenir toutes les dispositions relatives à l’exercice de l’action civile d’associations. Ainsi, c’est au sein du Code de l’environnement qu’on retrouve l’article L. 142-2 permettant aux associations agréées et existants depuis au moins trois ans, d’exercer l’action civile en matière de droit de l’environnement (L. Boré, Fasc. 40 : action publique et action civil – Action civile des groupement, JurisClasseur Procédure pénale, LexisNexis, §106 et s.). Cet article dispose en son alinéa 1er que « les associations agréées mentionnées à l’article L. 141-2 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme, à la pêche maritime ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu’aux textes pris pour leur application ».
Plusieurs conditions sont énoncées dans ce texte dont celle relative aux infractions (G. Stefani, Procédure pénale, Dalloz, 2023, p. 277 et s., § 303 et s.). L’arrêt amène deux observations en particulier.
Premièrement, il apporte des précisions sur la liste – laconique – des infractions qui permettent aux associations d’exercer les droits reconnus à la partie civile. Il est certain que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement manque de clarté puisqu’il se contente de nommer des infractions, sans opérer aucune référence à des articles précis. Cela peut être source d’incertitudes. Parallèlement, les nombreuses références ont souvent pour conséquence d’alourdir les textes et donc de participer aux difficultés de compréhension (v. C. Touboul, Concevoir un texte normatif : comprendre la légistique, Dalloz, 2023, p. 119, n°4.95 et 4.97). La solution retenue par le législateur peut alors paraître comme un « moindre mal ». La Cour de cassation remplit dès lors une de ses missions : contrôler l’interprétation de la loi. L’article L. 142-2 du Code de l’environnement ne permet aux associations d’exercer l’action civile que pour une liste limitative d’infractions, dont elle rappelle les contours.
Elle précise alors utilement que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement, lorsqu’il mentionne « les dispositions législatives ayant pour objet la lutte contre les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques ou publicités comportant des indications environnementales », s’applique à l’infraction définie à l’article L. L121-2 du Code de la consommation, et non celle des articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation alors applicable ainsi que les L. 441-1 et surtout L. 454-3 du même code.
En revanche, on peut déplorer qu’elle n’apporte pas plus de précisions concernant les autres infractions énumérées à l’article L. 142-2 du Code de l’environnement. Elle se contente simplement de préciser que la tromperie aggravée (art. L. 454-3 C. consom.) ne constitue pas une « infractions législatives relatives notamment à la protection de la nature, de l’environnement et de l’air, dès lors qu’elle n’a pas par elle-même pour objet la protection des intérêts environnementaux limitativement énumérés par ce texte ».
Secondement, par la précision que l’article L. 142-2 du Code de l’environnement est un « texte spécial d’interprétation stricte », nous en apprenons davantage sur le champ d’application de ce grand principe du droit pénal. Rappelons que le principe de légalité criminelle, et donc son corollaire d’interprétation stricte, s’applique, sans que cela ne fasse débat, au droit pénal matériel (V. B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, 2023, p. 107 et s., § 105 et s.). Toutefois, en procédure pénale, dont l’exercice de l’action civile fait partie, les avis sont moins catégoriques, bien qu’aujourd’hui la doctrine l’admette généralement (V. B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 2023, p. 10, §10). La Cour de cassation tranche ici le débat. Le texte doit être interprété strictement, ce qui se justifie car la constitution de partie civile peut être défavorable aux mis en cause.