ATTAQUES A L’ENCONTRE DES SAPEURS-POMPIERS : VERS UNE NOUVELLE REPONSE DES POUVOIRS PUBLICS ?, V. Doebelin

Vincent Doebelin,
Doctorant en Droit public, Université de Haute-Alsace, CERDACC

 

En 2015, selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et le Ministère de l’Intérieur, notre pays comptait près de 246 900 sapeurs-pompiers, dont 193 700 exerçant cette activité à titre volontaire. Leurs missions, aujourd’hui principalement dévolues au secours à personnes, ont été tristement mises en lumière par les attaques terroristes et les catastrophes naturelles nombreuses qui ont frappé la France ces dernières années.

Un phénomène de violences qui existait déjà à l’encontre, notamment, des personnels soignants, des forces de l’ordre ou des enseignants, tend à s’accentuer de manière inquiétante depuis quelques mois à l’encontre des sapeurs-pompiers lors de différentes interventions. D’ailleurs, l’augmentation spectaculaire des agressions contre les pompiers a retenu l’attention de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), c’est ce qui ressort de son rapport rendu public en novembre dernier.

Une hausse spectaculaire des violences en 2016

En effet, ce rapport met en avant 2 280 agressions de sapeurs-pompiers déclarées en 2016, soit une augmentation de 17,6% par rapport à l’année passée. Les régions Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France semblent particulièrement touchées. La Corse est la seule région de France qui n’enregistre aucune déclaration au sein de ses Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS). L’Observatoire insiste d’ailleurs sur le caractère « déclaratif » des agressions recensées en l’espèce, rappelant donc que « compte-tenu du caractère purement déclaratif et de l’absence d’obligation à déclarer les faits (…) les chiffres présentés ne sont pas exhaustifs ». On peut donc imaginer un nombre d’agressions qui, en réalité, demeure légèrement supérieur.

Il faut également noter qu’en 2015, ces agressions avaient déjà augmenté très fortement, avec une progression de plus de 20% par rapport à l’année précédente (Céline Groslambert, « Violences contre les sapeurs-pompiers : les chiffres à retenir », La Gazette des communes, 15 novembre 2017). Elles ont pour conséquence une augmentation considérable des arrêts de travail entrainant une désorganisation des différents services. Aussi, ces agressions inquiètent et portent gravement atteinte au moral des casernes où l’on travaille souvent dans des conditions déjà difficiles.

Cette nouvelle multiplication des agressions crée évidemment l’émoi au sein des SDIS, dans la population et sur l’ensemble des bancs du Parlement. Quelques dizaines de questions écrites ont ainsi été posées au ministre de l’intérieur, ces dernières semaines, à ce sujet. Pour Jean-François PARIGI, député (Les Républicains) de Seine-et-Marne, « les sapeurs-pompiers sont des acteurs essentiels dans l’organisation de la sécurité civile, ils méritent la bienveillance, la reconnaissance, pas la violence ! » (Question écrite n° 3360, JOAN du 28 novembre 2017, p. 5823). Le ministre de l’Intérieur, Gérard COLLOMB, a tenu à plusieurs reprises à rassurer la représentation nationale, précisant qu’un « appel à la vigilance » avait été tout particulièrement lancé sur ces problématiques, dans une note adressée aux préfets de départements en date du 11 novembre dernier (Questions au gouvernement, 6 décembre 2017, réponse à M. Fabien MATRAS, député La République en Marche du Var). Une plus grande collaboration entre les forces de l’ordre et les sapeurs-pompiers est également prévue.

Aussi, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint pour de nombreux SDIS, les dégradations et détériorations de matériels de travail posent un véritable problème. La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise comptabilise ainsi pas moins de 414 véhicules dégradés en 2016, pour un préjudice financier total estimé à plus de 280.000 euros (il s’élevait à près de 99.700 euros en 2015).

Une difficile et nécessaire réponse pénale

Dans le droit pénal, les sanctions sont renforcées à l’encontre des délinquants responsables de violences commises sur « un sapeur-pompier professionnel ou volontaire (…) lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur ». En effet, ce renforcement est notamment issu  des dispositions de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (JORF du 19 mars 2003, p. 4761) et de la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (JORF du 3 mars 2010, p. 4305).

Désormais, l’article 222-10 4°) du Code pénal aggrave, dans ce cas, les sanctions pour violences ayant entrainé une infirmité ou une mutilation permanente. Il en est de même pour les délits de violences ayant entrainé une interruption temporaire de travail (ITT) supérieure à huit jours, puisque la peine prévue par l’article 222-11 (trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende) passe à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (art. 222-12 dudit code).

Les peines maximales encourues sont renforcées lorsque les violences sont commises avec préméditation ou guet-apens sur des sapeurs-pompiers, le Code pénal retenant ainsi plusieurs circonstances aggravantes. Elles sont dès lors portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour les violences avec ITT inférieure ou égale à huit jours (art. 222-13 9°), puis à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende pour les violences ayant entrainé une ITT supérieure à huit jours (art. 222-12 9°).

Enfin, les professionnels de santé – on peut notamment penser au personnel du SAMU ou des urgences, qui effectue des missions de secours à personnes semblables à celles auxquelles portent secours les sapeurs-pompiers – ne sont pas laissés pour compte. Le Code pénal prévoit ainsi les mêmes aggravations des peines lorsque les violences sont exercées sur « toute personne chargée d’une mission de service public, ainsi que sur un professionnel de santé, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions » (art. 222-10 4° bis), 222-12 4° bis) et 222-13 4° bis))

Très récemment, deux auteurs d’agression avec marteaux et barres de fer contre des pompiers en intervention sur le territoire de la commune de Wattrelos (Nord) ont été condamnés à neuf et douze mois de prison ferme par le Tribunal de Grande Instance de Lille. Si ces peines peuvent apparaitre comme étant bien en-deçà des peines maximales prévues par la loi, ce jugement a été plutôt bien accueilli par les sapeurs-pompiers, notamment les collègues des blessés qui s’étaient rassemblés au tribunal lors de cette audience.

Il semble que l’autorité judiciaire souhaite réellement montrer sa fermeté à l’encontre des auteurs de tels actes. La réponse pénale doit être à la hauteur de l’engagement des pompiers et personnels soignants, qui se mobilisent chaque jour pour sauver des vies. Ces actes, qui menacent avec violence le « contrat social » et dénote une citoyenneté qui chez certains a perdu toutes ses vertus, doivent être fermement réprimés par notre droit.

Il est possible d’envisager une nouvelle intervention du législateur qui viendrait renforcer les sanctions en la matière. Malgré l’émoi suscité, cette option ne semble pas être inscrite à l’ordre du jour, la loi prenant déjà en compte ce type de faits. Aussi, l’accent doit être mis sur la recherche des causes qui conduisent à une augmentation de ces agressions. Les territoires « à risques » doivent être particulièrement ciblés par la mise en place de mesures de la part des pouvoirs publics.

Suite aux agressions de Wattrelos, le représentant de l’Etat dans le Nord a assuré que les pompiers victimes recevraient la médaille d’honneur du courage et du dévouement, tandis que la sécurisation par la police, des interventions sensibles, va être fortement renforcée (Vincent Depecker, « Après l’agression de pompiers, le préfet annonce des mesures pour renforcer la sécurité sur les interventions », La Voix du Nord, 5 décembre 2017). La mise en place de « caméras mobiles » sur les pompiers lors de leurs interventions – certains policiers en sont déjà équipés en France (« Les caméras-piétons utilisées par les forces de l’ordre », CNIL, Rapport d’activité 2015, p.18) – peut également être envisagée. Si ce dispositif se met en place, il devrait faire l’objet d’un encadrement législatif spécifique, comme cela a été le cas pour son utilisation par les services de polices et de gendarmerie, répondant à un certain nombre d’exigences.

Tant de pistes pour inverser la « tendance » et garantir des conditions de travail sereines à nos sapeurs-pompiers, alors qu’ils peinent de plus en plus à recruter aujourd’hui (« Les pompiers n’arrivent plus à recruter », Ouest-France.fr, 12 avril 2017).

Note de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) : https://inhesj.fr/sites/default/files/ondrp_files/publications/pdf/note_20.pdf

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