Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

CATASTROPHES SANITAIRES : LE PREMIER MINISTRE PREND LA MAIN, M. Baubonne

Mickaël BAUBONNE

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)

 

A jour le 30 mars 2020

On n’insistera jamais assez en cette période sur l’impérieuse nécessité de respecter les gestes « barrière » les plus élémentaires, parmi lesquels le lavage des mains. En dépend la préservation de l’ordre public sanitaire, lui qui, au cœur de l’épidémie de covid-19, passe de main en main.

Les préfets, confrontés notamment à la multiplication de cas groupés sur le territoire national, sont montés en première ligne dans cette « guerre » face au virus. C’est ainsi au visa des articles L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales que le préfet de l’Oise a pris un arrêté le 29 février 2020 pour interdire les « rassemblements collectifs » dans le département et un autre le 1er mars 2020 pour ordonner la fermeture des établissements scolaires et périscolaires de plusieurs communes. Ces mêmes mesures ont été adoptées par le préfet du Morbihan le 1er mars 2020, toujours sur le fondement de ses pouvoirs de police administrative générale. Le préfet du Haut-Rhin s’est contenté quant à lui de viser le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets pour interdire tout rassemblement collectif dans deux communes du département.

Pourtant, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique confie au ministre de la santé une police administrative spéciale en matière sanitaire, « notamment en cas de menace d’épidémie ». À ce titre, il revient au ministre de « prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». Des mesures avaient ainsi été prises en 2009 par la ministre de la santé, dans le contexte semblable de l’épidémie de la grippe A (H1N1). Si les préfets peuvent agir, ce n’est qu’après habilitation du ministre. Mais le ministre de la santé n’a réagi que très tardivement, par un arrêté du 4 mars 2020 (voir S. Renard, « Covid-19 : mais qu’a fait la police ? », RDLF 2020, chron. n° 08 ; N. Symchowicz, « Urgence sanitaire et police administrative : la grande confusion », AJDA 2020, p. 545). Finalement, le ministre a été dessaisi de sa compétence par le Premier ministre qui a décrété le 16 mars 2020 des mesures plus contraignantes, au visa de l’article L. 3131-1. Parce que ce visa peut surprendre de prime abord en ce qu’il implique la compétence du ministre de la santé et non celle du Premier ministre, il est aussitôt suivi d’un autre qui relève « les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 ».

L’invocation de la théorie des circonstances exceptionnelles au soutien du décret du 16 mars 2020 témoigne de l’inadéquation des fondements existants pour la résolution des catastrophes sanitaires, ce que le nouveau régime d’état d’urgence sanitaire vient sanctionner. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui instaure et aussitôt déclare l’état d’urgence sanitaire, confirme la prééminence du Premier ministre pour la résolution des catastrophes sanitaires A LIRE ICI. Elle participe ainsi de la circonscription du champ d’application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (I) et de l’amputation définitive de l’état d’urgence traditionnel (II).

I. La circonscription du champ d’application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique

Si la rédaction de l’article L. 3131-1 du CSP laissait déjà entendre que les pouvoirs de police confiés au ministre de la santé ne lui permettent pas d’œuvrer à la résolution des catastrophes sanitaires, cette disposition a pu sembler autrement interprétée. Avec l’état d’urgence sanitaire, la loi du 23 mars 2020 précise donc plus fermement le champ d’application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (A) et définit un régime plus protecteur des droits et libertés en cas de catastrophe sanitaire (B).

A. L’exclusion plus ferme des catastrophes sanitaires du champ d’application de l’article L. 3131-1 du CSP

Aux termes de l’article L. 3131-1 du CSP, des mesures ne peuvent être prises sur son fondement qu’« en cas de menace sanitaire grave ». Les arrêtés pris par le ministre de la santé au début de l’épidémie de covid-19 le confirment en ce qu’ils s’inscrivent dans « la lutte contre la propagation du virus », au stade donc de la menace d’épidémie. Ce fondement ne paraît plus adapté dès lors que la catastrophe sanitaire est établie. L’article L. 3131-1 a par ailleurs été modifié par loi du 23 mars 2020 pour permettre au ministre de la santé d’user de ses pouvoirs de police « après la fin de l’état d’urgence sanitaire […] afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ». Le législateur a ainsi contribué à imposer une acception stricte du domaine des dispositions de l’article L. 3131-1 du CSP, circonscrites à « l’avant » et à « l’après » catastrophe sanitaire. Cette articulation chronologique des dispositions du CSP amène à s’interroger sur la qualification de « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », qui seule permet l’activation de l’état d’urgence sanitaire. Si l’on peut douter de ce que des catastrophes sanitaires ne mettent pas en péril la santé de la population (à quoi de telles catastrophes devraient-elles alors leur adjectif ?), on peut imaginer que certaines circonstances ne caractérisent qu’une crise sanitaire, même grave, et non une catastrophe. Dans ce cas, l’état d’urgence sanitaire ne pourrait pas être déclaré et le ministre de la santé ne pourrait pas non plus user de ses pouvoirs de police au titre de l’article L. 3131-1, sauf à considérer que toute crise, surtout sanitaire, représente la « menace » d’une catastrophe plus grande encore.

La lecture stricte de l’article L. 3131-1 semble ne s’être imposée qu’avec la loi du 23 mars 2020. Une interprétation contraire paraît même avoir prévalu jusqu’ici. Les mesures du décret du 16 mars 2020 limitant les déplacements « dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 » ont ainsi été précisées, plus que durcies, par le décret du 24 mars qui vise désormais à « faire face à l’épidémie de covid-19 ». L’absence de gradation peut trahir le fait qu’il s’agissait dès le 16 mars de « faire face » à la catastrophe sanitaire au visa de l’article L. 3131-1 et non plus de l’éviter ou de la retarder. C’est corroboré par le visa du décret du 16 mars 2020 qui invoque les circonstances exceptionnelles nées non de menaces d’épidémie, mais de l’épidémie elle-même. Certes, la théorie des circonstances exceptionnelles pouvait éventuellement justifier l’élargissement du champ d’application de l’article L. 3131-1 au-delà de la résorption des menaces sanitaires graves. Mais le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 témoigne encore de ce que le Premier ministre ne retenait pas une lecture restrictive des dispositions de l’article L. 3131-1. Il entendait au contraire éviter que la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, qui suppose la survenance d’une catastrophe sanitaire et non simplement l’existence de menaces, n’exclue l’intervention concurrente du ministre de la santé sur le fondement de l’article L. 3131-1. Une disposition devait permettre au « ministre chargé de la santé [de] prendre les autres mesures prévues à l’article L 3131-1 » lorsque l’état d’urgence sanitaire est déclaré. Plaidant pour une clarification de la distribution des compétences, le Sénat a imposé une interprétation de l’article L. 3131-1 plus fidèle à sa rédaction en supprimant cette disposition.

L’exclusion de la résolution des catastrophes sanitaires du champ de l’article L. 3131-1 du CSP renforçait la nécessité de mettre au point un régime spécifique. L’élaboration de ce régime a été l’occasion de dépasser les lacunes de l’article L. 3131-1 concernant la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

B. La définition d’un régime plus protecteur des droits et libertés en cas de catastrophe sanitaire

La marginalisation de l’article L. 3131-1 du CSP en cas de catastrophe sanitaire au profit d’un état d’urgence sanitaire contribue, paradoxalement peut-être, à une meilleure protection des droits et libertés tant cet article se révèle lacunaire sur ce point. L’intitulé même de la loi du 23 mars 2020, qui suggère sa filiation avec la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, appelait des « garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et [les droits et libertés constitutionnellement garantis] » (par exemple, Conseil constitutionnel, décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, à propos des perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence). La rédaction de la loi du 23 mars 2020 est largement inspirée de cette loi relative à l’état d’urgence et se démarque ainsi avantageusement de la rédaction — finalement pauvre — de l’article L. 3131-1 du CSP. Certes, contrairement aux dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire, l’article L. 3131-1 prévoit que les mesures individuelles prises par le préfet habilité en ce sens par le ministre de la santé « font immédiatement l’objet d’une information du procureur de la République ». Mais s’agit-il alors d’informer un gardien reconnu des libertés fondamentales ou celui qui « procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale » sur le fondement de l’article 41 du code de procédure pénale ? D’ailleurs, le procureur de la République ne détient pas de prérogatives particulières pour imposer au préfet le respect du principe de légalité, ce qui constitue un élément de réponse.

Les avancées de la loi du 23 mars 2020 par rapport à l’article L. 3131-1 sont ailleurs. La loi impose deux temps pour que des restrictions soient apportées aux libertés. Les mesures nécessaires ne peuvent être prises par le Premier ministre qu’une fois l’état d’urgence sanitaire déclaré, par une autre autorité, normalement le Président de la République, en l’occurrence le Parlement. Ces deux temps en appellent, le cas échéant, un troisième : l’intervention de la loi pour autoriser la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois. Alors que le projet de loi recopiait la loi de 1955 en imposant un délai de douze jours, le Conseil d’État a jugé préférable d’allonger ce délai, « eu égard à la nature d’une catastrophe sanitaire ». Pourtant, si une telle catastrophe peut compliquer la réunion du Parlement comme l’épidémie du covid-19 le montre (au point que l’ombre de l’article 16 de la Constitution a pu planer dans certains esprits), il n’est pas certain que la tâche serait moins compliquée lors d’autres catastrophes. Finalement, ces difficultés ont été surmontées en l’occurrence pour voter un régime d’exception. Sans doute auraient-elles pu l’être également pour s’assurer au bout de douze jours que l’état d’urgence sanitaire a bien lieu d’être prorogé. L’article L. 3131-1 du CSP ne contient pas un tel dispositif de sorte que « toute mesure » peut être prise sur son fondement sans que le législateur ait à intervenir au terme d’un certain délai. Or les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire l’ont d’abord été, pour l’essentiel, au visa de l’article L. 3131-1. L’absence de garde-fou dans l’article L. 3131-1 ne peut donc pas se justifier par la moindre portée des mesures pouvant être prises sur son fondement. De plus, l’article L. 3131-15 du CSP précise l’objet des mesures pouvant être prises par le Premier ministre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire lorsqu’elles portent atteinte aux libertés d’aller et de venir (voire à la liberté individuelle au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les assignations à résidence), de réunion et de manifestation et au droit de propriété. Ces dispositions se démarquent ainsi de l’article L. 3131-1 du CSP. Le projet de loi prévoyait initialement que « la déclaration de l’état d’urgence sanitaire donne au Premier ministre le pouvoir de prendre par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services nécessaires afin de mettre fin à la catastrophe sanitaire ». Le Sénat a cependant estimé qu’une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis impliquait des dispositions plus précises quant aux mesures pouvant être prises. En tout état de cause, ces mesures doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », adverbe qui ne figure pas à l’article L. 3131-1 du CSP. De ce point de vue, le régime de l’état d’urgence sanitaire semble mieux bordé que celui de l’article L. 3131-1.

Si le régime de l’état d’urgence sanitaire s’inspire davantage de celui de l’état d’urgence que des dispositions de l’article L. 3131-1 du CSP, il s’en éloigne aussi pour mieux répondre aux spécificités des catastrophes sanitaires. La loi du 23 mars 2020 signe alors l’amputation définitive de l’état d’urgence traditionnel.

II. Un état d’urgence traditionnel amputé de l’ordre public sanitaire

Si la déclaration de l’état d’urgence poursuit la préservation et le rétablissement de l’ordre public en général, l’instauration d’un régime d’état d’urgence sanitaire permet d’apporter une réponse spécifique aux catastrophes affectant l’ordre public sanitaire. Ainsi amputé, l’état d’urgence traditionnel en devient lui-même spécialisé (A), ce qui marque l’aboutissement des logiques à l’œuvre dans la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (B).

A. La spécialisation en miroir de l’état d’urgence traditionnel

Aux termes de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, celui-ci peut être déclaré « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Une catastrophe sanitaire aurait très bien pu correspondre à cette seconde hypothèse, à l’exemple « d’incendies ou d’inondation de grande ampleur ou d’un tremblement de terre ou encore d’une catastrophe nucléaire » (A. Roblot-Troizier, « État d’urgence et protection des libertés », RFDA 2016, p. 426). En créant un nouveau régime d’état d’urgence spécifique aux catastrophes sanitaires, la loi du 23 mars 2020 vide la référence aux calamités publiques d’une partie de son contenu.

Bien sûr, il reste des catastrophes qui ne sont pas nécessairement sanitaires, mais beaucoup peuvent rapidement dégénérer ainsi. D’ailleurs, l’épidémie de covid-19 ne semble pas par elle-même constitutive d’une catastrophe sanitaire, comme en témoignent les premières réactions devant les premiers cas qui invitaient à relativiser son impact. Il semblerait plutôt que la catastrophe sanitaire résulte de la pression soudaine et importante, d’où le terme de « vague », exercée sur le système de santé. Les mesures mises en œuvre par le gouvernement ne visent pas tant à lutter contre la propagation du virus qu’à l’étaler dans le temps pour éviter la saturation des hôpitaux, comme l’a démontré, schéma à l’appui, le ministre de la santé, Olivier Véran, le 9 mars 2020. En somme, toute calamité publique susceptible de faire chavirer le système de santé peut se muer en catastrophe sanitaire (voir B. Pauvert, « La spécificité des actes de terrorisme par rapport aux crises sanitaires graves », RDSS 2019, p. 199). Ce sont autant de situations susceptibles de relever de l’état d’urgence sanitaire. Cela pose tout de même la question de la succession dans le temps, voire de l’application concurrente, du régime de l’état d’urgence et du régime de l’état d’urgence sanitaire pour ces catastrophes qui ne sont à l’origine pas nécessairement sanitaires, mais qui le deviennent. Le silence de la loi sur ce point pourrait recevoir des interprétations diverses et potentiellement contradictoires. En tout cas, la création de ce nouveau régime pour la préservation et le rétablissement de l’ordre public sanitaire conduit à la spécialisation du régime de la loi de 1955 à la préservation et au rétablissement d’un ordre public dominé par les questions de sécurité.

En réalité, la loi du 23 mars 2020 ne marque qu’un aboutissement d’une spécialisation qui était déjà latente dans la loi du 3 avril 1955.

B. Un aboutissement des logiques à l’œuvre dans la loi du 3 avril 1955

La loi du 3 avril 1955 porte en germe la spécialisation du régime de l’état d’urgence, pensé pour répondre à un « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » plutôt qu’à une « calamité publique » comme peut l’être une catastrophe sanitaire. La professeure Agnès Roblot-Troizier parle ainsi du « décalage » originel « entre la dualité des motifs de la déclaration de l’état d’urgence et des moyens tournés essentiellement vers l’un des deux motifs » (loc. cit., p. 427). L’épidémie du covid-19 montre que ces moyens répondent mal à une catastrophe sanitaire. Les mesures pouvant être prises sur le fondement de la loi de 1955 sont en effet essentiellement justifiées par le « comportement » des personnes concernées, par la « commission d’actes ». De telles justifications évoquent des troubles intentionnels à l’ordre public, ce qui explique que l’état d’urgence ait jusqu’ici été déclaré en cas d’émeutes, de mouvements insurrectionnels, de menaces terroristes. Ces justifications ne se révèlent pas nécessairement adaptées dans l’hypothèse de catastrophes sanitaires dont la survenance ne résulte pas nécessairement de l’intention de certains administrés de troubler l’ordre public sanitaire.

La mise en œuvre des moyens tirés de l’état d’urgence est par ailleurs surtout confiée au ministre de l’intérieur (ainsi qu’aux préfets localement). Et ce n’est sans doute pas l’expertise de ce ministre qui doit prévaloir en cas de catastrophe sanitaire. C’est d’ailleurs le sens de l’article L. 3131-1 du CSP, qui met en avant l’expertise du ministre de la santé en cas de menaces sanitaires graves (D. Truchet, « L’urgence sanitaire », RDSS 2007, p. 411). Pourtant, le régime de l’état d’urgence sanitaire met plutôt en avant le Premier ministre, assisté d’un comité de scientifiques, réuni sans délai, et chargé de rendre des avis périodiques et publics. Dans ce cadre, le ministre de la santé est, quant à lui, confiné aux seconds rôles, alors même qu’il ne peut pas agir concurremment sur le fondement de l’article L. 3131-1. Il lui revient tout d’abord d’élaborer les rapports sur la base desquels l’état d’urgence sanitaire pourra être déclaré puis les mesures nécessaires décrétées. Ensuite, il est réduit à « prescrire toute mesure individuelle nécessaire à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre ». Si le ministre de la santé peut aussi arrêter des mesures réglementaires au cœur de l’état d’urgence sanitaire, de telles mesures doivent être « relatives à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé ». Afin de prévenir toute action concurrente du ministre avec celle du Premier ministre sur ce fondement, le Sénat a même renchéri au détour d’une incise : « à l’exception des mesures prévues à l’article L. 3131-23 [devenu article L. 3131-15] ». En tout cela, la place du ministre de la santé est bien différente de celle du ministre de l’intérieur dans le cadre de l’état d’urgence. Cette place du ministre de l’intérieur trahit la logique intrinsèquement sécuritaire de la loi de 1955.

La gestion de l’épidémie de covid-19 révèle la volonté du Premier ministre de monter au front, assurément au détriment du ministre de la santé. La mise en place d’un régime spécifique à la résolution des catastrophes sanitaires par la loi du 23 mars 2020 achève la redistribution des rôles au sein du gouvernement en cas de catastrophe sanitaire, déjà entamée par le décret du 16 mars 2020.