Compte-rendu du colloque « A nouvelle société, nouveaux risques » en date du 23 janvier 2020
Les étudiants du Master 2 Droit de la prévention des risques et responsabilités et du Master 2 Risques et Environnement de l’Université de Haute-Alsace ont organisé le 23 janvier 2020 au sein du campus Fonderie un colloque intitulé « A nouvelle société, nouveaux risques ».
Amendé par Mme Karine Favro, ce compte-rendu a été rédigé par Madame Caroline Tholey, étudiante du Master 2 Droit de la prévention des risques et responsabilités, et complété par les étudiants de la formation.
Quatre thèmes ont été abordés lors du colloque ayant pour fil conducteur le changement climatique et les risques y afférents :
- Comment appréhender les nouveaux risques sanitaires induits par le dérèglement climatique ?
- Comment notre société tente-t-elle de s’adapter à des phénomènes climatiques de plus en plus impactants ?
- Dans quelle mesure l’agriculture française peut-elle répondre aux nouveaux enjeux de consommation ?
Seul le dernier thème avait pour objectif d’aborder les risques liés au stockage de l’énergie par les batteries confrontés à la volonté de mettre en œuvre le tout électrique.
Un panel d’intervenants professionnels complété par les interventions ponctuelles et introductives des étudiants organisateurs de la manifestation ont permis d’explorer ces thématiques.
Monsieur Jean-Christophe Zink, docteur aux hôpitaux civils de Colmar, a développé deux facettes des « nouveaux risques » sanitaires : le climat et les risques infectieux ainsi que la veille et la sécurité sanitaire. En premier lieu, la France métropolitaine semble devenir une « zone tropicale à temps partiel » propice au développement des maladies à transmission vectorielle. Ces dernières désignent des maladies infectieuses transmises par des vecteurs, essentiellement des insectes et acariens hématophages. Ceux-ci peuvent transmettre des maladies comme le paludisme ou la dengue. L’infection est transmise par le vecteur après qu’il se soit lui-même infecté au cours d’un repas sanguin sur un hôte porteur de l’agent infectieux. De nos jours, l’expansion de ces maladies à transmission vectorielle résulte principalement de la mondialisation des échanges de biens et des mouvements de personnes mais également des interactions de l’homme avec son environnement et des changements climatiques. A titre d’illustration, le moustique-tigre est désormais présent dans 51 départements métropolitains.
En second lieu, la diversité des risques sanitaires rend particulièrement difficile leur surveillance, notamment lors de situations de controverse scientifique et d’incertitude. En guise de réponse face à l’émergence de ces risques, des acteurs institutionnels tels que les préfets et les agences régionales de santé collaborent au quotidien avec des partenaires de terrain (les professionnels de santé libéraux, les services de santé au travail etc.) et des partenaires nationaux et internationaux, dans l’objectif notamment d’organiser la veille et sécurité sanitaires.
Monsieur Simon Bellec, chef de service à l’Agence Régionale de Santé Bourgogne Franche-Comté, est intervenu quant à lui sur les impacts sanitaires liés à l’évolution du climat. Le changement climatique se traduit concrètement par l’augmentation à la fois de la fréquence, de la durée et de l’intensité des épisodes de sécheresse et un caractère précoce plus ou moins marqué. La sécheresse en 2018 est un signal fort du changement climatique. Par conséquent, il est nécessaire de mettre en place des mesures de stabilisation de l’alimentation en eau potable. Ces mesures sont déployées sous trois axes : quantitatif, qualitatif et conjoncturel. Pour une sécurisation quantitative, il faut par exemple développer les actions d’économie d’eau. Sur le plan conjoncturel, des plans internes de crise, impérativement réalisés par l’exploitant du réseau, ont pour objectif la satisfaction des besoins prioritaires de la population lors des situations de crise. La question des canicules et des vagues de chaleur a également été évoquée. Dans les prochaines années, leur nombre et leur intensité continueront à augmenter. En ce qui concerne la canicule 2019, si la classe d’âge des plus de 75 ans est la plus touchée, les tranches d’âge 15-44 et 65-74 sont également impactées. Le Plan « canicule » a d’ailleurs été activé. Il vise à prévenir et à lutter contre les conséquences sanitaires d’une canicule et accorde une attention particulière aux personnes vulnérables. Le changement climatique engendre aussi des risques vectoriels dus à des insectes comme le moustique-tigre et des risques allergiques (ambroisie). Un corpus réglementaire a été mis en place pour prendre en compte ces deux risques avec, par exemple, en ce qui concerne le moustique tigre, l’application du décret du 29 mars 2019 relatif à la prévention des maladies vectorielles. En conclusion, Monsieur Bellec a explicité les principales actions prévues dans le Plan Régional Santé Environnement Bourgogne Franche-Comté. La création d’un Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) à l’échelle intercommunale et la valorisation des travaux de recherche sur les ilots de fraîcheur font notamment partie de ces actions.
Monsieur Brice Martin, maître de conférences HDR en géographie à l’Université de Haute-Alsace, a évoqué plus particulièrement la question des catastrophes naturelles. En premier lieu, les catastrophes naturelles se révèlent être la problématique centrale des rapports rendus par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) depuis de nombreuses années. Le dérèglement climatique provoque une aggravation des aléas climatiques et de ce fait, des catastrophes naturelles. Une catastrophe doit nécessairement être évaluée. Se pose alors la question de la détermination des critères objectifs ou subjectifs d’évaluation. On constate également que le nombre de victimes lors de catastrophes naturelles diminue au fil des années. Monsieur Martin a aussi évoqué les problématiques liées à l’adaptation et à l’évolution de la prévention des catastrophes naturelles en France. En moyenne, la France est touchée chaque année par 40-60 catastrophes naturelles. La prévention de ces dernières est régie par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages ainsi que par les lois de décentralisation du 27 janvier 2014 et du 7 août 2015, lesquelles ont confié la compétence gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) aux intercommunalités. Il est toutefois possible de mettre en exergue le blocage existant au niveau des plans de prévention des risques naturels (PPRN). En effet, certains PPRN n’ont pas été modifiés depuis le 1er juin 2005. Il existerait une différence considérable entre la réalité du terrain et la réalité régalienne. Pourtant, la prévention demeure primordiale en matière de catastrophes naturelles. En effet, on estime qu’un euro investi en prévention représenterait quatre euros économisés en gestion.
L’adaptation de l’agriculture au changement climatique a fait l’objet d’une intervention de Monsieur Marc Benoît, directeur de recherche à l’INRAE. L’agriculture représente 22% des gaz à effet de serre émis par la France. Le changement climatique a nécessairement des conséquences sur l’agriculture puisqu’il a pour effets d’augmenter la température, de modifier les régimes pluviométriques et d’augmenter la teneur en CO2. De plus, le changement climatique modifie les dates de semis et de récolte de certaines céréales. Par ailleurs, les forêts sont également impactées par le changement climatique. Monsieur Benoît a souligné que le changement climatique pourrait être freiné si de réels efforts étaient réalisés par chaque Etat et par les citoyens. Il a également mis en exergue le fait qu’il faudrait envisager dans le futur le déplacement des zones de production vers le Nord de la planète ou en altitude. Ce déplacement soulève toutefois des interrogations afférentes au contexte économique et aux terroirs. Cependant, d’autres solutions pourraient être mises en œuvre comme par exemple la réduction drastique du recours aux engrais minéraux de synthèse ou la généralisation des cultures intermédiaires.
L’agriculture durable et les nouveaux modes de consommation alimentaire sont questionnés par Monsieur François Collart-Dutilleul, professeur émérite en droit à l’Université de Nantes. Il existe de nombreuses tensions au sein du monde agricole, qui sont notamment dues aux risques alimentaires et aux conflits autour de la terre. Des controverses citoyennes autour de l’agriculture et de l’alimentation demeurent aujourd’hui : véganisme, agriculture « bio ». Il est possible de noter que les débats scientifiques ne sont pas toujours indépendants du lobbying. De plus, le GIEC, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’Organisation des Nations Unies (ONU) ne communiquent pas ensemble sur la question de l’alimentation. Il ne faut pas oublier que l’Union Européenne est d’abord un marché. La notion de climat apparaît pour la première fois dans le projet de la politique agricole commune 2021-2027. En droit interne, plusieurs textes ayant pour objet l’alimentation ont été adoptés : la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, laquelle a instauré les projets alimentaires territoriaux, et l’ordonnance du 21 octobre 2019 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Monsieur Collart-Dutilleul a également évoqué la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable du 30 octobre 2018. Cette loi prévoit notamment d’introduire 50% de produits durables ou sous signes d’origine et de qualité (dont 20% de produits bio) dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022. Toutefois, elle demeure perfectible pour deux principales raisons. La partie de la loi relative à l’information des consommateurs a été jugé non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et le gouvernement a lui-même reconnu l’inefficacité de la partie de la loi consacrée aux revenus des agriculteurs. Monsieur Collart-Dutilleul a aussi mis l’accent sur la nécessité d’éduquer les enfants en matière d’alimentation, en leur apprenant à mieux manger quantitativement et qualitativement. De surcroît, il est possible de regretter l’absence de critères internationaux en matière d’agriculture biologique.
Sur un tout autre sujet, la question du « tout batterie » a été traitée par Monsieur Adrian Beda, docteur en science des matériaux à l’Université de Haute-Alsace. Monsieur Beda a d’abord pris le soin de distinguer trois éléments : les piles, les accumulateurs et les batteries. Il a ensuite expliqué la composition des différentes batteries existantes ou en projet. Du fait de leur légèreté, les batteries Li-ion connaissent un incroyable essor. Possédant une large gamme d’applications, ces accumulateurs électrochimiques qui utilisent le lithium sous une forme ionique, peuvent apparaître comme la solution idéale. Mais les matières premières servant à fabriquer ces dernières, en particulier le cobalt, sont très peu disponibles dans la croute terrestre. Par ailleurs, les batteries NIB sont une technologie prometteuse mais complexe. En 2019, il est possible de relever que le nombre de publications sur les batteries NIB ont doublé. Les batteries solides pourraient être une autre alternative, leur durée de vie étant plus longue. Toutefois, leur mise à l’échelle est difficile. Enfin, il est important de ne pas occulter les problématiques sociales qui se cachent derrière la fabrication des batteries. En effet, dans certains pays, de nombreux enfants sont exploités pour récupérer les matériaux composant les batteries. Monsieur Frédéric Sanchez, président de Recy’stem Pro, a exposé, quant à lui, la réglementation et les enjeux concernant la gestion des batteries en fin de vie. Le marché mondial des batteries est en forte croissance. Le marché des véhicules électriques à moteur, mené majoritairement par la Chine, est le principal levier de croissance pour les années à venir. Les batteries Li-ion sont un enjeu majeur pour le recyclage eu égard notamment au coût de celui-ci et aux procédés de traitement à mettre en place. Il existe de fortes disparités en termes de recyclage des batteries entre les différents pays du monde car le recyclage est peu réglementé dans certains Etats, comme aux Etats-Unis par exemple. Par conséquent, la réglementation apparaît comme un levier majeur dans l’organisation d’une filière de recyclage car elle génère son financement et influe sur les capacités, les moyens et les procédés à mettre en œuvre. Les enjeux pour le recyclage des batteries Li-ion ne sont pas uniquement réglementaires mais également techniques et économiques. Enfin, Monsieur Sanchez a mis en exergue les principaux leviers afin de développer la filière et d’optimiser le recyclage : fixer les priorités et les exigences réglementaires, garantir le gisement sur un plan quantitatif et qualitatif et donner de la visibilité sur le plan économique.
Chaque intervention était suivie d’un temps de questions et de débat avec le public. Les échanges ont permis d’approfondir la réflexion sur les différents thèmes abordés. A ce titre, nous adressons nos plus sincères remerciements à Messieurs Jean-Christophe Zink, Simon Bellec, Brice Martin, Marc Benoît, François Collart-Dutilleul, Adrian Beda et Frédéric Sanchez pour leurs interventions respectives.