Ce compte-rendu, coordonné par Nathalie Arbousset, ingénieur d’études au CERDACC, a été réalisé par les étudiants des Master 2 de l’Université de Haute-Alsace en :
– Droit de la prévention des risques et responsabilité : Laura Rougon, Aurore Pruvot, Julian Marbach
– Droit de l’Entreprise : Loresa Ferataj, Ophélie Phan, Nicolas Renckly, Camille Utard, Joris Buisine, Louise Khassouev
– Droit social et ressources humaines : Eléonore Missud, Lucy Walker, Samuel Hansconrad, Cassandra Sipp, Selin Dogan
C’est sous la présidence de M. le professeur TREBULLE qu’a débuté l’étude de la RSE et les obligations de l’entreprise élargie. Mme MARTINEAU-BOURGNINAUD, maître de conférences à Nantes a traité, dès la reprise des travaux, de « L’entreprise élargie à travers ses obligations de reporting et de vigilance ».
L’obligation de reporting est une règle de transparence, tandis que l’obligation de vigilance est une obligation substantielle ayant pour finalité la sauvegarde des droits fondamentaux et de l’environnement. Depuis plusieurs années, les entreprises se trouvent confrontées à des mutations radicales qui élargissent leurs fonctions originelles et les rendent comptables, d’une part, de leurs performances financières à l’encontre de leurs actionnaires et du marché, et d’autre part, de leurs performances extra-financières à l’encontre des parties prenantes. Elles ont donc l’obligation de prendre en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Elles sont, en outre, redevables d’informations relatives aux mesures de vigilance, mises en place dans le cadre d’un plan, afin de prévenir les risques sociaux et environnementaux résultant de leurs activités, mais aussi de celles des entreprises avec lesquelles elles entretiennent des relations de domination juridique ou économique.
Traiter de l’entreprise élargie à travers ses obligations de reporting et de vigilance relève presque d’un pari note Mme MARTINEAU, tant le législateur semble s’efforcer de limiter le nombre des entreprises assujetties aux obligations RSE. De plus, l’obligation de vigilance et de reporting semble s’adresser, en priorité, aux groupes de sociétés, et bien que l’obligation de vigilance ait engendré un abaissement des frontières de l’entreprise en faveur des réseaux de sous-traitances et de distribution, l’indépendance juridique des sociétés n’a pas été remise en cause. En effet, la société dominante ne saurait s’immiscer dans la gestion du personnel de ses sous-traitants et fournisseurs. L’entreprise dominante se trouve donc promue au simple rôle de garante et de pivot central du respect des nouvelles obligations relatives à la prévention des risques.
La parole a ensuite été donnée à Mme Chrystelle LECOEUR, maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace. Son analyse a porté sur les aspects sociaux de l’entreprise élargie.
La nouvelle rédaction de l’article 1833 du code civil telle que proposée par la loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) envisage de définir la gestion de l’entreprise dans son intérêt social, ce qui nécessiterait d’y intégrer les enjeux sociaux et environnementaux liés à son activité.
L’entreprise ne revêt plus seulement une dimension économique même si elle reste focalisée sur ce point. Les chefs d’entreprise doivent mesurer l’impact de leurs activités sur leurs partenaires. Ils doivent donc intégrer des exigences managériales et sociétales. Ce nouveau concept est d’ailleurs plébiscité car les effets pervers de la mondialisation ont créé un besoin de « relégitimation ». Dans cette dynamique, la RSE permet donc à la fois de réintroduire un lien solidaire dans la vie collective interne de l’entreprise, mais aussi d’accorder une place plus importante aux parties prenantes internes et externes. En droit du travail, cette évolution s’est traduite par un recours croissant aux contrats atypiques, comme le recours aux conventions de mise à disposition, la franchise.
De plus, le concept de RSE en droit social a indéniablement contribué à relancer ou restructurer le dialogue social dans l’entreprise. En effet, la RSE est désormais perçue par les organisations syndicales comme un terrain d’intervention sociale, c’est-à-dire un moyen d’être associés à l’élaboration des codes et chartes éthiques par le biais de la négociation collective. La création du conseil d’entreprise pourra participer en ce sens, au renouveau du dialogue social puisqu’il est prévu que les parties puissent décider des thèmes de négociation en la matière.
Enfin, il convient de noter l’importance des représentants des salariés qui sont eux aussi, consultés de manière aléatoire à propos des démarches responsables de l’entreprise dans sa politique de RSE. Reste à savoir quelles seront les évolutions envisagées par les entreprises en la matière avec la mise en place du Comité Social et Economique (CSE).
Suite aux interventions de Mesdames MARTINEAU-BOURGNINAUD et LECOEUR, un débat s’est ouvert sous le patronage de Monsieur le professeur François-Guy TREBULLE. Ce dernier demande des éclaircissements sur l’émergence et la traduction de la notion d’entreprise élargie au niveau social. Mme Chrystelle LECOEUR répond « qu’il n’y a pas nécessairement d’impact », ce qui suppose une utilisation générale des notions liées à l’entreprise élargie.
M. TREBULLE s’interroge ensuite sur une disposition du Code la consommation concernant le cadre légal de l’action du consommateur face à un fournisseur aux pratiques douteuses en matière de conditions de travail. M. Philippe SCHULTZ apporte les précisions juridiques demandées. Ce dernier invoque la légalité du silence du vendeur (prestataire de service ou fournisseur) face à la demande d’informations du client mais sous certaines conditions motivées, notamment si la pérennité de l’entreprise est menacée.
Le professeur TREBULLE poursuit sa réflexion et aborde la question de l’articulation entre la notion d’entreprise élargie, les principes directeurs des Etats-Unis et les droits de l’Homme. Mme Chrystelle LECOEUR évoque une utilisation hasardeuse de la notion d’entreprise élargie en matière de droits de l’Homme (définition de la notion non aboutie dans ce domaine).
Les échanges se sont poursuivis à propos de la dimension comptable des sociétés à travers l’article L.225-100-1 du Code de commerce. En effet, ledit article précise les indicateurs clefs de performance de nature financière et le cas échéant de nature extra-financière qui doivent être évoqués dans le rapport de gestion. Le professeur TREBULLE s’interroge sur la pertinence des indicateurs de nature extra-financière, sur une éventuelle déconnexion environnementale et sociale opérée par ces sociétés au niveau comptable. Mme MARTINEAU-BOURGNINAUD évoque un flou juridique pour certaines sociétés, les SAS par exemple. M. Philippe SCHULTZ fait remarquer que « la fidélité comptable impose nécessairement à toutes les entreprises de se soucier de cette question ». M. le professeur TREBULLE se dit, lui, « sceptique ».
Georges CAVALIER, maître de conférences et spécialiste en fiscalité internationale, est intervenu sur la thématique « Des groupes de sociétés à l’entreprise élargie en droit fiscal européen et international ». L’entreprise élargie s’inscrit dans le contexte plus général de responsabilité, et selon lui, fiscalité et responsabilité ont des points de rencontre mais leurs objectifs sont différents. En effet, la responsabilité fiscale reste, a priori, éloignée de la responsabilité sociale de l’entreprise. Les règles de l’impôt ne doivent pas seulement être édictées dans l’idée de satisfaire l’appétit du Trésor, elles doivent accompagner les autres branches du droit. Le droit fiscal se préoccupe donc d’autres enjeux sociaux, par-delà sa fonction budgétaire.
Il existe deux régimes de groupe en droit fiscal français : le régime des sociétés mères et filiales, et celui de l’intégration fiscale. Tant l’un que l’autre ont pour objet la constitution de groupes puissants et structurés en France, en Europe, pour concurrencer d’autres grands groupes internationaux. Toutefois, un problème majeur subsiste : le mécanisme de droit fiscal est un mécanisme de droit interne, qui se limite donc aux sociétés présentes sur le territoire national. M. CAVALIER explique donc qu’un élargissement de la reconnaissance du groupe fiscal tant au niveau européen qu’international est espéré. C’est la Cour de Justice qui a permis en premier lieu de faire rentrer la fiscalité dans le droit communautaire, en sanctionnant les dispositifs fiscaux nationaux contraires aux libertés de circulation. C’est par exemple le cas avec l’arrêt Marks & Spencer de 2005, où la Cour de Justice de l’Union Européenne a rappelé que la liberté d’établissement interdit la discrimination entre filiales résidentes et non résidentes. Or dans le cas d’espèce, la discrimination était bien caractérisée. Elle vient préciser que la restriction opérée était justifiée pour des raisons d’intérêt général, notamment la cohérence fiscale, qui consiste à imputer les pertes par priorité dans les pays où elles sont subies. Toutefois, la CJUE a ajouté que, si le groupe peut prouver que les pertes ne sont pas utilisées, alors la déductibilité des pertes étrangères doit être admise. La Commission Européenne, avec son projet ACCIS (assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés), a comme objectif de proposer une consolidation qui permettrait aux groupes européens de devenir une réalité en matière fiscale, de regrouper les résultats de plusieurs sociétés européennes membres d’un groupe, de compenser les profits dans un État membre contre les pertes dans un autre état membre. Ce projet permettrait ainsi de calculer un résultat consolidé au niveau du groupe européen et serait ventilé entre les États.
Les aspects pénaux de l’entreprise élargie ont été étudiés par Mme Blandine THELLIER DE PONCHEVILLE, maître de conférences à l’Université de Lyon 3.
Le droit pénal est un droit sanctionnateur qui se caractérise par la sanction. Cette peine, seules les juridictions étatiques peuvent la prononcer. Le droit pénal est un droit dur. L’entreprise élargie quant à elle peut être définie comme l’entreprise dont les frontières s’étendent au périmètre du groupe mais aussi aux sous-traitants et fournisseurs. Elle résulte de la nécessité sociale de dépasser la personnalité juridique en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.
Dans un premier temps, la RSE signifie « responsabilité sociale de l’entreprise ». Ce qui la caractérise, c’est son absence de caractère contraignant. S’agissant de droit mou, la violation de ces normes n’engage pas la responsabilité civile ou pénale. La sanction est « simplement » sociale… La responsabilité est donc non juridictionnelle, c’est pourquoi la RSE, appréhendée sous la notion de responsabilité sociale de l’entreprise et du droit pénal n’ont pas vraiment vocation à se rencontrer. Ainsi, par exemple, le principe de légalité des délits et peines suppose que la définition du comportement soit établie dans des termes clairs et précis et suppose également des normes contraignantes. Ici déjà, les normes RSE n’y répondent pas. Ou encore, le principe de responsabilité du fait personnel implique qu’on ne peut pas être responsable des faits commis par autrui. Or l’idée d’entreprise élargie est de répondre des faits commis par les fournisseurs et les sous-traitants. Ici encore, le droit pénal n’a pas vocation à s’appliquer.
On voit donc dans un premier temps que le droit pénal et la RSE appréhendée dans une vision sociale sont incompatibles. De ce point de vue, la RSE peut être prise en compte sur le point du standard juridique pour apprécier la faute, et tel a été le cas dans l’affaire ERIKA.
Mais dans un second temps, l‘accent a été mis sur l’objet de la RSE : elle désigne alors la responsabilité sociétale des entreprises, c’est à dire cette fois la responsabilité vis à vis des effets exercés sur la société. C’est cet objectif qui conduit les entreprises à une obligation de vigilance. Une entreprise socialement responsable est donc élargie. Dans un rapport de 2011, la commission européenne a expliqué que cela impliquait le respect de la législation, et de s’inscrire dans un processus impliquant les parties prenantes.
L’importance des enjeux de la RSE conduit les Etats à légiférer en la matière, et le droit pénal peut alors apporter le soutien de sa sanction à des normes imposant l’élargissement de l’entreprise.
A la suite de ces interventions, un nouveau débat a été organisé.
Philippe SCHULTZ a relevé que s’il existait un texte réprimant le non-respect de l’obligation d’établir des comptes consolidés et d’en informer les actionnaires, ce dernier ne visait que les comptes consolidés et non pas le rapport consolidé de gestion. Ainsi, la non-communication du rapport consolidé ne constitue donc pas, en l’absence de disposition répressive, une infraction pénale. Il s’agit là d’un texte ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des sociétés soumises à cette consolidation, sa forme sociale n’ayant en conséquence aucune importance en l’espèce. Cela n’implique dès lors aucune sanction pénale sur la non-communication du plan de vigilance. Il s’agit ici d’un texte qui rentre dans le cadre de la dépénalisation du droit des affaires.
La fin de l’après-midi s’est poursuivie par l’intervention de Mme le professeur Blandine ROLLAND qui a abordé la responsabilité civile de l’entreprise élargie. La scéance était présidée par Marie-Béatrice LAHORGUE, maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace.
L’entreprise cherche à être responsable de ses actes et fait tout pour éviter une responsabilité juridique, ainsi la RSE est une démarche préventive. Cependant, tout peut basculer si les parties prenantes engagent sa responsabilité juridique lorsqu’elles relèvent une incohérence entre les discours et les engagements pris. La responsabilité peut être alors pénale, administrative ou civile.
Le premier angle de vue par Mme le professeur ROLLAND est la construction de l’entreprise élargie à travers sa responsabilité civile contractuelle. Ainsi, le périmètre de l’entreprise élargie est défini à travers des relations contractuelles qui sont nouées entre plusieurs personnes. Le contrat est le ciment de l’entreprise élargie et par conséquent la responsabilité civile contractuelle des diverses entités liées peut être engagée à plusieurs titres. La technique contractuelle est appelée à intervenir pour imposer une démarche de RSE entre les partenaires commerciaux. Ce sont les clauses de démarches sociales permettent de concrétiser une démarche de RSE et de l’imposer aux partenaires commerciaux.
Le second angle de vue par Mme le professeur ROLLAND est l’attaque de l’entreprise élargie à travers sa responsabilité délictuelle. C’est une responsabilité de chef de fil de l’entreprise élargie vis-à-vis de ses parties prenantes qui vont essayer d’attaquer le comportement inapproprié de l’entreprise élargie en invoquant la responsabilité délictuelle de la société mère ou donneuse d’ordre. Cette attaque donne lieu à deux salves : celle mettant en œuvre la responsabilité civile délictuelle du chef de fil, c’est-à-dire la responsabilité du fait personnel, qui est un point admis et acquis ; et celle qui est beaucoup plus novatrice, celle de la responsabilité du fait d’autrui.
Le rapport de synthèse a été confié à Mme le professeur Catherine MALECKI. Finalement la RSE « c’est être vigilant sur l’activité mis en place sur un territoire ou un État se trouvant souvent éloigné du lieu de l’entreprise, donneuse d’ordre et ayant son siège en France ».
Le coup d’accélérateur pour intégrer la RSE dans le système français pourrait être le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE) car l’article 1833 ajouterait à la définition de l’entreprise, la prise en considération d’enjeux sociaux et environnementaux. Mais alors il faudra, notamment, prendre en compte l’activité de l’entreprise, ces différentes chaînes de valeur mais aussi tenir compte des nouvelles technologies notamment avec le développement d’internet.
Mme MALECKI a recensé tous les avantages de la RSE. Elle permettra, notamment, de lutter contre la mondialisation sauvage, caractérisée par l’absence de règles internationales et de sanctions en cas de non-respect de certains traités internationaux, concernant la protection de l’environnement mais aussi la protection des travailleurs où dans de nombreux pays, ces droits sont bafoués quotidiennement. La RSE permettrait donc aussi de favoriser l’économie collaborative, c’est-à-dire une économie qui vise à accompagner le dynamisme de l’économie tout en protégeant les travailleurs des comportements abusifs et en garantissant une fiscalité équitable.