Mustapha Kamel KADIRI
Doctorant en droit à l’Université Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)
Le mardi 4 février 2025 s’est tenu à l’université Jean-Moulin Lyon 3, le colloque intitulé « Les ports face au défi du changement climatique : enjeux et opportunités ». Ce colloque était organisé par l’EDIEC (Université Lyon 3) dans le cadre du projet « Mer et changements climatiques », mené par Kiara NERI, Professeure de droit public, Co-directrice du CDI-EDIEC (Université Jean Moulin Lyon 3) et Pascale RICARD, Chargée de recherche au CNRS (CERIC, UMR DICE, Université d’Aix-Marseille), sous la direction scientifique de Gaëtan Balan, Maître de conférences de l’Université Catholique de Lyon (UCLy – Institut des Droits de l’Homme de Lyon (IDHL)). Dès 14 heures, et après un mot de remerciement, Gaëtan BALAN ouvre les travaux de ce colloque avec un propos introductif soulevant la question de l’enjeu stratégique et économique, suite aux répercussions du changement climatique sur les activités portuaires. Il a souligné que, historiquement, les ports ont toujours dû s’adapter aux mutations des activités humaines et des territoires. Aujourd’hui, le défi climatique s’impose à eux, exigeant des réponses ambitieuses face à des enjeux multiples : transformation des activités, évolution des conditions météorologiques et modification des accès maritimes. Ce colloque s’articulera autour de deux axes :
- La décarbonation, essentielle pour le transport maritime.
- Des problématiques innovantes, comme l’impact des sanctions économiques sur les ports et l’adaptation climatique.
La première intervenante, Sandrine DRAPIER, Maître de conférences HDR en droit privé, Temis-UM, Le Mans Université, ouvre les débats sur le thème : « Décarbonation des navires : défi ou menace pour les sociétés de transport maritime ? ».
La directive « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive du 14 décembre 2022) sur le reporting extra-financier vise à intégrer les enjeux climatiques dans les stratégies des entreprises qui exploitent le transport maritime. Le règlement (13 septembre 2023) spécifique à l’UE, impose quant à lui directement la décarbonation des navires via des normes techniques et environnementales strictes. Ces mesures visent à généraliser les critères environnementaux. Ces deux dispositifs obligent les sociétés à élaborer des plans de transition climatique, plaçant la réduction des émissions de CO₂ au cœur de leurs actions.
L’intervenante souligne que les compagnies maritimes doivent adapter leurs stratégies face aux risques croissants et aux nouvelles réglementations. La trajectoire rigoureuse de l’UE, alignée sur les objectifs de l’OMI visant une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050, pourrait être fragilisée par les récents changements de cap de l’UE en matière de durabilité. Elle note également la densité des directives et règlements adoptés ces deux dernières années, y compris pour le transport maritime.
La deuxième intervenante Morgane QUEREL, Docteure en droit, Université de Nantes ouvre les débats sur le thème : « Le rôle des ports dans la décarbonation du transport maritime ».
L’intervenante aborde la question de la décarbonation du transport maritime. En tant qu’enjeu climatique majeur, cette décarbonation repose sur l’action stratégique des ports, nœuds clés des chaînes logistiques mondiales. L’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Union européenne (UE) encadrent cette transition, mais leur capacité à mobiliser les ports dépend de leur légitimité juridique et des mécanismes opérationnels déployés. Trois technologies clés sont recommandées par l’OMI, à savoir :
- L’Onshore Power Supply (OPS) : Connecter les navires à quai à l’électricité terrestre réduit les émissions, mais son efficacité dépend du mix énergétique national.
- L’arrivée juste-à-temps : Réguler la vitesse des navires pour éviter les attentes au large exige une coordination contractuelle (armateurs-chargeurs) et un partage de données sécurisé.
- Les carburants alternatifs : les normes comme « FuelEU » (UE) et « Greenhouse Gas Fuel Standard » (OMI) instaurent une demande incitative, poussant les ports à investir dans des infrastructures propres.
Cette transition exige donc une « collaboration collective ». Seule une approche, combinant innovations techniques, régulation adaptée et engagement multipartite, garantira la durabilité du transport maritime.
Le troisième intervenant François DANIEL, Expert portuaire, Délégué général de TFL Overseas, Commission Transport Maritime, ouvre les débats sur le thème : « Les ports face aux défis de demain : une profession en action ».
L’intervenant se présente en tant que représentant du secteur du transport international, et précise que son intervention se concentrera sur l’impact des réglementations de décarbonation sur les ports et les stratégies de contournement comme le « port off call ». Les ports sont confrontés à une transition énergétique majeure, passant d’une économie basée sur les produits pétroliers à un rôle de hubs énergétiques (hydrogène, solaire). Ce changement implique une transformation économique et fonctionnelle, avec une importance croissante du foncier portuaire. Les ports, pivots de la logistique, jouent un rôle clé dans la transition énergétique en facilitant la production, le stockage et la distribution d’énergies alternatives, tout en assurant fiabilité, fluidité et efficacité des contrôles. Enfin, le cadre réglementaire européen « Fit for 55 » vise à réduire les émissions de GES, mais soulève des défis d’application et des risques de contournement.
À l’issue du premier panel consacré aux enjeux de la décarbonation du transport de marchandises et des défis connexes, la réflexion se focalise sur des thématiques plus spécifiques. Cette nouvelle séquence débute par une présentation des relations entre l’économie et les sanctions économiques, suivie d’une analyse de la transformation structurelle d’un port.
Le quatrième intervenant Alexandre ZOURABICHVILI, Maître de conférences, Université Saint-Esprit de Kalisk, Liban, ouvre les débats sur le thème : « Économie portuaire et sanction économique ».
L’intervenant met l’accent sur le rôle central des ports dans l’économie mondiale et la géopolitique, servant de hubs stratégiques aux croisements des routes maritimes et des chaînes de valeur globales. Leur importance est illustrée par deux exemples : le canal de Panama, où les tensions entre les États-Unis et la Chine ont conduit le Panama à se retirer des routes de la soie, et le port iranien de Chabahar, dont la modernisation par l’Inde est menacée par les sanctions américaines. Ces sanctions, outils de pression privilégiés par les États-Unis et l’UE, s’érigent en normes internationales, que des pratiques comme l’utilisation de la « flotte fantôme », contournent augmentant les risques environnementaux. Les sanctions affectent également les engagements climatiques, en particulier ceux des pays du Sud, qui voient leurs ressources financières pour la transition écologique limité. Ces mesures coercitives, souvent extraterritoriales, créent un conflit entre les obligations climatiques des pays développés et leur application, révélant les lacunes du droit international. Une procédure est en cours devant la Cour internationale de Justice (CIJ) pour évaluer la légalité des sanctions au regard des engagements climatiques.
Le dernier intervenant Didier PRINCE AGBODJAN, Enseignant-chercheur, Université Catholique de Lyon (UCLy), Institut des Droits de l’Homme de Lyon (IDHL), ouvre les débats sur le thème : « La transformation du port de Lomé à l’heure du changement climatique ».
Son intervention explore la question des ports face au changement climatique, en adoptant une vision globale liant les personnes à leur environnement. Le Port Autonome de Lomé (PAL), qu’il aborde à travers une approche ethno-méthodologique inspirée de ses origines togolaises, constitue un cas d’étude riche en enseignements. Il y examine trois axes : les enjeux climatiques, les opportunités d’adaptation et d’atténuation, et les processus de transformation en cours, dans une optique de conciliation entre éthique, social et environnement. La responsabilité sociétale des organisations (RSO) apparaît comme un levier essentiel pour renforcer la résilience du pays, en intégrant les enjeux climatiques dans les stratégies économiques et sociales. Cependant, des défis persistent : évaluation fine des risques, mobilisation des expertises techniques, et intégration d’une économie circulaire à l’interface ville-port. La réussite de cette transition dépendra de la mutualisation des expertises, de l’accélération des réformes structurelles et de l’inclusion des communautés locales dans une vision durable et inclusive.