Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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DEDOMMAGEMENT DU PREJUDICE MORAL SUBI PAR UN ENFANT DONT LES DEUX FRERES, ISSUS DE LA MEME FIV, SONT NES HANDICAPES, I. Corpart

Isabelle Corpart
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

 

CAA Bordeaux, 2e chambre, 4 décembre 2018, n° 16BX02831

 

Lors de la programmation d’une fécondation in vitro, un praticien du CHU de Bordeaux avait recommandé un diagnostic prénatal en raison de risques de mucoviscidose et de myopathie de Becker mais le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot n’en a pas tenu compte et la famille n’a pas été informée. Selon le rapport d’expertise, « le couple a donc subi une perte de chance concernant la possibilité d’obtenir des enfants non atteints de la dystrophie musculaire de Becker, soit en renonçant à la grossesse, soit en bénéficiant d’un diagnostic prénatal avec interruption sélective de grossesse ». Le seul enfant né sain, alors que la mère de famille a mis au monde des triplés, peut-il être indemnisé en raison du handicap de ses deux frères ?

Mots clefs : Naissance d’enfants handicapés – test génétique – absence d’information médicale – fécondation in vitro – maladie génétique – risque de transmission d’une maladie – perte de chance – jurisprudence Perruche et loi dite « anti-Perruche » du 4 mars 2002 – préjudice moral pour troubles dans les conditions d’existence d’un enfant sain – responsabilité médicale.

Pour se repérer

Le 21 septembre 1999 des triplés B., K. et E. sont nés à la suite d’une fécondation in vitro proposée à leurs parents infertiles. Parmi les trois garçons, le diagnostic de dystrophie musculaire de Becker est posé pour deux d’entre eux, B. et K.

Le tribunal administratif de Bordeaux est saisi par des époux qui réclament une indemnisation pour eux-mêmes et pour leurs trois enfants au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, estimant leur préjudice personnel et celui de leurs enfants à hauteur de 861 600 euros.

Le tribunal ordonne en référé une expertise qui conclut à une faute du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot d’une part, pour avoir égaré un courrier du CHU informant la famille d’un risque de myopathie pour les enfants à naître, d’autre part, pour ne pas avoir recommandé à la famille de programmer un diagnostic prénatal au vu des antécédents génétiques familiaux.

Les juges accueillent en partie leur demande, accordant 20 400 euros à chacun des parents pour leur préjudice personnel, plus 10 000 euros en leur qualité de représentants légaux de leur fils E., somme versée par le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot mais ils rejettent les autres prétentions. Ils reconnaissent le préjudice personnel des parents et, pour E., le fils en bonne santé, un préjudice moral lié au trouble dans ses conditions d’existence en raison du handicap de ses deux frères. Les parents font appel.

Pour aller à l’essentiel

Les juges de la cour d’appel administrative de Bordeaux n’avaient pas à revenir sur la responsabilité du centre hospitalier dont la faute n’était pas contestée en appel, faute caractérisée qui a privé les parents de la possibilité d’effectuer un diagnostic prénatal compte tenu de leurs antécédents familiaux. Si le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot soutient qu’à l’époque de la naissance, le diagnostic prénatal visant des fœtus atteints de la myopathie de Becker était délicat à réaliser et que, si les parents avaient opté pour une interruption sélective de grossesse, leur fils en bonne santé avait peu de chance de naître sans ses frères, il ne produit aucune pièce ou élément pour corroborer ce raisonnement. A l’inverse, il résulte clairement du courrier du CHU qu’un diagnostic prénatal s’imposait en présence de risques de mucoviscidose et de myopathie de Becker suite à l’analyse effectuée pour cette famille préalablement à la fécondation in vitro. Surtout le rapport d’expertise judiciaire est explicite : il relève que « le couple a donc subi une perte de chance concernant la possibilité d’obtenir des enfants non atteints de la dystrophie musculaire de Becker, soit en renonçant à la grossesse, soit en bénéficiant d’un diagnostic prénatal avec interruption sélective de grossesse ».

S’agissant de l’éventuelle faute du CHU pour ne pas avoir informé la patiente qu’elle risquait de transmettre à ses enfants le gène de la dystrophie musculaire de Becker, les parties ne se prévalent d’aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l’argumentation développée en première instance et leur argumentation est écartée eu égard aux motifs pertinemment retenus en première instance.

Concernant ensuite les préjudices subis, il est clair que les faits reprochés aux deux centres médicaux n’ont ni provoqué ni aggravé le handicap dont sont atteints deux des enfants de la fratrie, aussi l’action de la famille n’est-elle pas fondée sur ce point. En revanche, si l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles prévoit le caractère non indemnisable des préjudices subis par les enfants handicapés du fait de leur naissance ou des charges particulières pour les parents découlant d’un tel handicap tout au long de la vie de l’enfant, ce texte n’a pas vocation à interdire l’indemnisation des préjudices moraux subis par d’autres membres de la famille, notamment pour les troubles dans ses conditions d’existence pour l’enfant non handicapé en raison du handicap du restant de la fratrie. Cet enfant a, en effet, souffert des retombées de la maladie de ses deux frères pendant son enfance. Ses parents ont, quant à eux, subi une perte de chance de fonder une famille non atteinte de la dystrophie musculaire de Becker car, s’ils avaient été dûment informés, ils auraient pu renoncer à la grossesse et donc à la fécondation in vitro ou réclamer une interruption médicale de grossesse après la réalisation d’un diagnostic prénatal ou encore tenter une interruption sélective de grossesse qui aurait conduit à conserver uniquement le fœtus sain.

Au vu de ces éléments et au titre de leurs préjudices moraux, le centre hospitalier est condamné à verser aux parents la somme de 30 200 € chacun et au frère en bonne santé la somme de 10 000 €.

Pour aller plus loin

Dans cette affaire, la cour d’appel administrative de Bordeaux, qui avait à rechercher si des préjudices moraux pouvaient être reconnus pour des parents et l’un des enfants de la fratrie, ordonne une indemnisation par le centre hospitalier. Elle reconnait le préjudice subi par les parents face à la maladie génétique dont souffrent deux de leurs enfants, handicap qui aurait pu être décelé avant la naissance si le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot n’avait pas commis de faute. Les médecins n’ont effectivement pas tenu compte des recommandations que le CHU leur avait adressées après la réalisation d’un test génétique et leur faute est à l’origine des préjudices invoqués par les père et mère. Ils auraient dû informer les parents du risque encouru et ces derniers auraient probablement renoncé à la FIV. Ils auraient pu aussi prendre une décision d’interruption sélective de grossesse si un diagnostic prénatal avait été réalisé et il aurait été possible également d’effectuer un diagnostic préimplantatoire avant la FIV afin de ne réimplanter que l’embryon non porteur de l’anomalie génétique (I. Corpart, La santé de l’enfant à naître : vers l’enfant parfait ?, Médecine et droit 1995, n° 15, nov.-déc., p. 3). Ils ont ainsi perdu une chance de n’avoir que des enfants en bonne santé (à rappr. Cass. ass. plén., 13 juill. 2001, n° 97-17.359).

L’arrêt est surtout intéressant en ce qu’il offre à l’enfant, non porteur de la maladie génétique, une compensation de ses préjudices moraux, liée au fait que ses deux frères jumeaux sont atteints d’une maladie génétique détectée à six ans, alors que le risque de handicap n’avait pas été pris en compte durant la grossesse en raison d’une faute médicale. Les juges étendent le bénéfice de l’article L. 114-5, alinéa 3 du Code de l’action sociale et des familles à l’enfant né le même jour que ses frères malades. Cette jurisprudence peut sembler dérangeante car depuis la loi « dite anti-Perruche », loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui met un terme à la jurisprudence Perruche selon laquelle la naissance d’un enfant handicapé pouvait donner lieu à un préjudice réparable (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, n° 99-13.701), il est désormais convenu que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». En effet, la compensation des charges découlant dudit handicap relève de la solidarité nationale. C’est en parfaite application de cette loi que les juges de la cour d’appel ont ici rejeté la demande des parents tendant à ce que soient indemnisés les préjudices dont souffrent leurs deux enfants du fait de ce handicap, lequel doit être pris en charge par la prestation de compensation du handicap (en d’autres termes par la solidarité nationale).

Pour autant, si l’enfant lui-même ne peut pas agir, ses parents sont admis à le faire. Ils se voient accorder un droit spécial à réparation du « préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence », de la part des médecins qui les ont privés de la possibilité de renoncer à une grossesse ou d’y mettre un terme. Le texte ne vise toutefois que les parents : « Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice ».

Les autres membres de la famille ne sont pas expressément visés par cet article et le fait d’indemniser le frère peut être entendu comme une interprétation contestable tant il peut être douloureux pour une personne handicapée de savoir que des proches peuvent obtenir des dommages et intérêts pour devoir vivre avec elle ou justement, pour avoir des conditions de vie différentes parce qu’un parent est frappé par une grave maladie génétique. La personne porteuse du handicap peut se sentir encore diminuée ou dévalorisée de savoir que son parent a lui aussi des séquelles, victime par ricochet.

Il faut également noter que seuls les parents, dûment avertis, auraient pu prendre une décision qui aurait conduit à ne pas accueillir des enfants handicapés dans leur famille. L’autre enfant, quant à lui, n’avait nullement la possibilité de se manifester pour dire qu’il donnait son accord pour cette naissance (évidemment ici lui non plus n’était pas né mais il en irait de même pour un enfant plus grand) ou s’en inquiétait.

Néanmoins on ne saurait nier la réelle souffrance des proches. Les parents ne sont pas les seuls à subir des préjudices moraux. Il en va de même de la fratrie et des personnes vivant sous le même toit et même de proches parents, tels les grands-parents, les collatéraux. Tous peuvent être affectés par le fait de voir un proche handicapé dans un état de délabrement moral et physique. Le libellé de l’article 114-5, alinéa 3 du Code de l’action sociale et des familles peut sembler dès lors trop restrictif et devoir être revu et étendu.

Telles pourraient être les suites de cette affaire dans laquelle les juges ont estimé que « les dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (…) n’ont pas pour objet d’interdire par principe, l’indemnisation des préjudices moraux et des troubles dans leurs conditions d’existence subis par d’autres membres de la famille et notamment par la fratrie de l’enfant né handicapé ». D’autres avant eux ont déjà élargi le champ d’application du texte en reconnaissant un préjudice par ricochet dans une fratrie (CA Bordeaux, 5e ch. civ., 6 févr. 2013, n° 11/49, JurisData n° 2013-007274).

 

CAA Bordeaux, 2ème chambre 4 décembre 2018, n° 16BX02831

M. et Mme C… D…, agissant tant pour leur compte que pour celui de leurs enfants mineurs A…, B…et E…, ont demandé, à titre principal, au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux et le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à leur verser une somme de 861 600 euros, chacun, en réparation de leur préjudice personnel ainsi que de ceux de leurs enfants E…, A…et B….
Par un jugement n° 1404696-1404697 du 14 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à verser M. et Mme D… une somme de 20 400 euros chacun au titre de leur préjudice personnel ainsi qu’une somme de 10 000 euros en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur E…et a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2016, et deux mémoires, enregistrés les 31 mars et 6 juin 2017, M. et Mme D…agissant tant pour leur compte que pour celui de leurs enfants mineurs A…, B…et E…, représentés par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demandent à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 juin 2016 ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Bordeaux (CHU) et le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot à leur verser, chacun, la somme de 873 370,73 euros, assortie des intérêts de droit à compter du 15 juillet 2014 en réparation de leur préjudice personnel ainsi que de ceux de leurs enfants E…, A…et B…;
3°) de mettre à la charge du CHU et du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot une somme de 5 000 euros, chacun, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– le tribunal n’a pas examiné le moyen tiré de l’inapplicabilité des dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles alors que ce moyen n’était pas inopérant ;
– le tribunal a commis une erreur de droit en faisant application des dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;
– l’application de ces mêmes dispositions porte une atteinte disproportionnée à leur droit de créance indemnitaire constitutif d’un bien au sens des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et méconnaît les stipulations de l’article 14 de la même convention ;
– le défaut d’information commis par le CHU présente un lien de causalité direct avec leurs préjudices ;
– les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, n’excluent pas toute indemnisation de la fratrie d’un enfant né handicapé ;
– ils justifient du montant et du quantum de leurs préjudices.
Par un mémoire, enregistré le 28 avril 2017, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux (CHU) et le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, représentés par Me F…, concluent au rejet de la requête, à l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a alloué une indemnité à E… à raison du handicap de ses frères et à sa réformation en tant qu’il n’a pas limité à 20 200 euros la somme que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a été condamné à verser à M. et Mme D….
Ils soutiennent que le jugement n’est pas entaché d’une insuffisance de motivation ; que les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles sont applicables au présent litige ; qu’en s’abstenant d’informer les appelants des résultats de l’analyse génétique à laquelle s’était soumise Mme D…, le CHU n’a pas commis de faute eu égard aux règles de l’art et aux dispositions réglementaires alors en vigueur et qu’en tout état de cause, à supposer même que ses agissements puissent être regardés comme fautifs, la faute ainsi commise ne serait pas caractérisée et ne présenterait pas de lien direct avec leurs préjudices ; que les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles font obstacle à l’indemnisation du préjudice du jeune E…et que ce préjudice est, en tout état de cause, purement hypothétique ; qu’enfin, le montant des frais d’assistance à expertise ayant été fixé à la somme globale de 400 euros et le préjudice moral respectif de M et Mme D…à la somme de 20 000 euros, le montant total des sommes qui leur sont dues doit être ramené de 20 400 euros à 20 200 euros chacun.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D… a bénéficié d’une fécondationin vitro à l’issue de laquelle elle a donné naissance, le 21 septembre 1999, à trois garçons. En 2005, le diagnostic de dystrophie musculaire de Becker a été posé concernant deux d’entre eux, B… et Kévin. L’expert missionné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux à la demande de M. et Mme D…, assisté de deux sapiteurs, a rendu son rapport le 22 avril 2013. Par un jugement du 14 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a considéré que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot avait commis une faute caractérisée en égarant la lettre du centre hospitalier universitaire de Bordeaux (CHU) l’informant des risques de myopathie encourus par les futurs enfants de M. et Mme D… et en n’informant pas ces derniers de la possibilité d’effectuer un diagnostic prénatal compte tenu de leurs antécédents familiaux. Il a, en conséquence, condamné cet établissement à verser à M. et Mme D… les sommes de 20 400 euros chacun en réparation de leurs préjudices personnels ainsi qu’une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence subis par leur fils E…à raison du handicap de ses frères et a rejeté le surplus de leurs demandes. M. et Mme D… demandent à la cour de réformer ce jugement et de condamner le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot ainsi que le CHU à leur verser, chacun, la somme de la somme de 873 370,73 euros en réparation des préjudices que leurs enfants et eux-mêmes ont subis à la suite des fautes commises par ces deux établissements. Le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot et le CHU demandent, par la voie de l’appel incident, l’annulation du jugement attaqué en tant qu’il a alloué une indemnité à E… à raison du handicap de ses frères et à sa réformation en tant qu’il n’a pas limité à 20 200 euros la somme que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a été condamné à verser à M. et Mme D….
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des paragraphes 3, 4 et 5 du jugement attaqué que les premiers juges, qui n’étaient pas tenus de répondre explicitement à tous les arguments avancés par les parties, ont répondu de façon circonstanciée au moyen tiré de l’inapplicabilité des dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles et ont, en particulier, indiqué pour quels motifs ces dispositions étaient, au contraire, applicables au litige. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier, faute pour les premiers juges d’avoir répondu à un moyen qui n’était pas inopérant, ne peut qu’être écarté comme manquant en fait.
Sur la responsabilité :
3. En premier lieu, il n’est plus contesté, en appel, que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot a commis une faute caractérisée de nature à engager sa responsabilité.
4. En second lieu et au soutien du moyen tiré de ce qu’en adressant à Mme D…une lettre datée du 9 mai 1996, qui indiquait que le résultat de ses caryotypes était tout à fait normal alors que seuls les résultats des examens relatifs à la mucoviscidose étaient alors connus puis en s’abstenant de l’informer qu’elle risquait de transmettre à ses enfants le gène de la dystrophie musculaire de Becker, le CHU a commis une faute de nature à engager sa responsabilité dans les préjudices des appelants, ceux-ci ne se prévalent devant la cour d’aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l’argumentation développée en première instance et ne critiquent pas sérieusement la réponse apportée par le tribunal administratif. Par suite, il y a lieu de l’écarter par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges.
Sur les préjudices :
5. En premier lieu, aux termes de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la codification par le 1 du II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 de dispositions figurant antérieurement aux trois premiers alinéas du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé :  » Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance / (…) / Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale « . Aux termes du 2 du II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005, reprenant les dispositions qui figuraient antérieurement au dernier alinéa du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 :  » Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation « . En prévoyant l’application des dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles aux instances en cours à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, le législateur a nécessairement entendu que ces dispositions s’appliquent également à la réparation de dommages dont le fait générateur était antérieur à la date d’entrée en vigueur de cette loi mais qui, à la date de cette entrée en vigueur, n’avait pas encore donné lieu à l’engagement d’une action indemnitaire.
6. D’une part, par la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 publiée au Journal officiel le 12 juin 2010, le Conseil constitutionnel a, sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, déclaré le 2 du II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 contraire à la Constitution, en jugeant qu’il n’existait pas de motifs d’intérêt général suffisants pour justifier la remise en cause des droits des personnes ayant engagé une instance juridictionnelle en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice avant le 7 mars 2002, date d’entrée en vigueur du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002. Le Conseil constitutionnel a en revanche jugé qu’existaient des motifs d’intérêt général suffisants de nature à justifier l’application des règles nouvelles aux instances engagées après le 7 mars 2002, au titre de faits générateurs intervenus avant cette date. Il résulte de cette même décision et des motifs qui en sont le support nécessaire que, conformément au deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, elle n’emporte abrogation du 2 du II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 que dans la mesure où la disposition inconstitutionnelle rendait les règles nouvelles applicables aux instances en cours au 7 mars 2002. La décision du Conseil constitutionnel ne définit par ailleurs aucune autre condition ou limite remettant en cause les effets que cette disposition a produit vis-à-vis des situations de fait n’ayant pas encore donné lieu à cette même date à l’engagement d’une instance.
7. D’autre part, aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :  » Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général « .
8. Il résulte de l’instruction que M. et Mme D… n’ont engagé une instance en réparation des conséquences dommageables du handicap de leurs enfants que postérieurement au 7 mars 2002. Par suite, ils n’entrent pas dans le champ de la disposition abrogée par le Conseil constitutionnel, relative aux personnes ayant engagé une action en cours à cette date et n’étaient pas davantage titulaires à cette date d’un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d’un bien au sens de ces stipulations conventionnelles. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles aux instances engagées après le 7 mars 2002 à des situations nées avant cette date porterait une atteinte disproportionnée aux droits qui leur sont garantis par ces stipulations doit être écarté. Il en va de même, par voie de conséquence, du moyen tiré de ce qu’ils auraient été victimes, dans l’exercice de ces droits, d’une discrimination injustifiée au regard de l’article 14 de la même convention.
9. Il résulte de ce qui précède que le régime de responsabilité défini aux premier et troisième alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles est applicable à l’instance engagée par M. et Mme D…. Par suite et dès lors que les faits reprochés au CHU et au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot n’ont ni provoqué, ni aggravé le handicap dont sont atteints les jeunes A…et B…D…, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions tendant à l’indemnisation des préjudices que leurs enfants ont subis à raison de ce handicap ainsi que des charges particulières en découlant, notamment les frais d’adaptation de leur logement ou, comme ils le soutiennent, ceux liés à la construction d’une maison plus adaptée au handicap de leurs enfants.
10. En deuxième lieu, les dispositions précitées du troisième alinéa de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles relatives au caractère non indemnisable des préjudices subis par les enfants handicapés du fait de leur naissance ainsi qu’aux charges particulières pour les parents découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap n’ont pas pour objet d’interdire l’indemnisation des préjudices moraux et des troubles dans leurs conditions d’existence subis par d’autres membres de la famille et notamment par la fratrie de l’enfant né handicapé.
11. En l’occurrence, le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot soutient qu’en 1999, le diagnostic prénatal des foetus atteints de la myopathie de Becker par ponction de liquide amniotique était particulièrement délicate et que la réalisation, ensuite, d’une interruption sélective de grossesse était  » encore plus délicate et aléatoire  » pour en déduire que E… n’avait en réalité aucune chance de naître sans ses frères atteints de myopathie. Toutefois, cet établissement ne produit aucun élément ni aucune pièce à l’appui de ces allégations alors qu’il résulte au contraire des lettres adressées par un praticien du CHU les 18 avril et 20 août 1996 qu’en présence de risques de mucoviscidose et de myopathie de Becker, un diagnostic prénatal s’imposait et du rapport d’expertise judicaire que  » le couple a donc subi une perte de chance concernant la possibilité d’obtenir des enfants non atteints de la dystrophie musculaire de Becker, soit en renonçant à la grossesse, soit en bénéficiant d’un diagnostic prénatal avec interruption sélective de grossesse.  » .
12. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré qu’il lui appartenait d’indemniser le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence subis par le jeune E… à raison du handicap dont souffrent ses deux frères.
13. En troisième lieu, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu, notamment du caractère évolutif de l’état de santé de B…et de Kévin, il y a lieu de fixer aux sommes de, respectivement 30 000 et 10 000 euros le montant des préjudices moraux et des troubles dans leurs conditions d’existence subis par M. et Mme D…ainsi que par leur fils E… dès lors, en particulier, que les appelants n’établissent pas l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre les soins donnés à A…dans le cadre de la pathologie psychiatrique dont il est atteint et la faute commise par le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot.
14. Les honoraires du médecin conseil qui a assisté les appelants au cours des opérations d’expertise s’étant élevés à la somme de 400 euros, il résulte de ce qui précède que la somme que le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot doit être condamné à verser à M. et Mme D… doit être portée à 30 200 euros chacun.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D… sont seulement fondés à obtenir la réformation du jugement attaqué en tant que celui-ci ne leur a pas accordé à chacun une somme de 30 200 euros.
16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. et Mme D… au titre des frais exposés pour l’instance et non comprise dans les dépens soit mise à la charge du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, qui, pour l’essentiel, n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot est condamné à verser à M. et Mme D… la somme de 30 200 euros chacun.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 juin 2016 est réformé en tant qu’il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. et Mme D… ainsi que des conclusions incidentes du centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot et du CHU sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C… D…, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, au centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot, à la mutuelle nationale hospitalière et à la caisse primaire centrale d’assurance maladie de Lot-et-Garonne.