EXTENSION BIENVENUE DU RECOURS AU BRACELET ANTI-RAPPROCHEMENT, MOYEN DE LUTTE PRECIEUX CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Commentaire de Crim., avis, 22 septembre 2021, n° 21-96.001

 

Dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales, le bracelet anti-rapprochement est un outil très appréciable, aussi peut-on se féliciter de l’avis rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 septembre 2021. Pour les juges, ce dispositif s’applique bien aux condamnations prononcées pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du décret d’application de la loi qui encadre le port du dispositif électronique mobile anti-rapprochement car le but est de protéger le maximum de victimes de violences conjugales.

Mots-clefs : avis de la chambre criminelle de la Cour de cassation – dispositif de lutte contre les violences conjugales – mise en place du bracelet anti-rapprochement – conditions de pose du dispositif électronique mobile (CP, art. 132-45-1) – interdiction de se rapprocher d’une victime (CP, art. 132-45, 18° bis) – extension de son application aux faits antérieurs à l’entrée en vigueur du décret d’application de la loi du 28 décembre 2019 – renforcement de la sécurisation des victimes de violences conjugales.

Pour se repérer

Afin de sécuriser au mieux les victimes de violences conjugales, la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (JO du 29 décembre 2019) et son décret d’application n° 2020-1161 du 23 septembre 2020 (JO du 24 septembre 2020) ont introduit un nouvel outil protecteur, à savoir un dispositif électronique mobile anti-rapprochement. Cette innovation est précieuse car elle donne aux autorités la possibilité de géo-localiser l’auteur des violences en temps réel ; on peut utiliser pour ce faire, soit un bracelet anti-rapprochement, soit un boîtier. La victime peut solliciter la mise à disposition de cet outil en cas d’infraction commise par son époux, son concubin ou son partenaire dans le cadre d’un pacte civil de solidarité. Ainsi la législation intègre tous les couples sous l’appellation « violences conjugales », y compris les couples séparés. Cela permet de déclencher un système d’alerte lorsque l’auteur des violences s’approche de la personne protégée au-delà d’un périmètre défini par le juge, ce dernier ayant pour mission de concilier la nécessité de protection de la victime avec le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée, familiale et professionnelle de la personne à laquelle est imposé ledit bracelet. En outre, comme la victime dispose d’un boîtier, elle peut aussi être rapidement géo-localisée afin que les secours puissent intervenir au plus vite. En effet, un bracelet est posé à la cheville ou au poignet de l’auteur des violences par le personnel pénitentiaire, tandis qu’un boîtier est remis à la victime (boîtier qu’elle devra conserver sur elle en permanence). Des tests de mise en service devront être effectués et une information devra être dispensée au porteur du bracelet et à sa victime s’agissant des modalités pratiques de fonctionnement de ce dispositif de lutte contre les violences conjugales.

La question s’est posée de savoir si, pour des faits commis avant que les textes précisent les conditions de mise en place dudit bracelet, il était possible d’utiliser cet outil lors d’un réaménagement de peine pour des auteurs de violences conjugales déjà détenus en exécution de peine. En effet, depuis le décret de 2020, seules les personnes condamnées postérieurement à son entrée en vigueur étaient amenées à le porter. L’interrogation a été émise par un juge d’application des peines qui, dans une procédure relative à un réaménagement de peine, a sollicité l’avis de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Cette demande d’avis s’attachait à l’application dans le temps de dispositions issues de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, visant à agir contre les violences au sein de la famille et de son décret d’application, n° 2020-1161 du 23 septembre 2020.

Pour aller à l’essentiel

Cet outil étant jugé très utile et très performant dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales dans la mesure où il permet de renforcer la protection des personnes victimes, la chambre criminelle se montre favorable à l’élargissement du bracelet anti-rapprochement aux condamnations prononcées pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de ce dispositif, mis en place seulement par le décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020.  Ce dispositif électronique mobile anti-rapprochement était issu de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, toutefois il fallut attendre le décret pour que soient précisées les modalités de sa mise en œuvre.

Pour autant, la chambre criminelle de la Cour de cassation émet un avis favorable à ce que l’on puisse l’imposer à l’auteur des violences conjugales à quelque moment que ce soit afin de mettre en application les articles 132-45, 18° bis et 132-45-1 du Code pénal qui encadrent la pose du bracelet et la mise à distance de l’auteur des violences, à l’occasion d’une affaire survenue avant l’entrée en vigueur du dispositif, à partir du moment où les juges interviennent à nouveau pour un aménagement d’une peine d’emprisonnement en cours d’exécution. En effet, elle rappelle que, conformément à l’article 112-2, 3° du Code pénal, les textes visant le régime d’exécution et d’application des peines sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur.

En conséquence, de l’avis de la Cour, le nouveau dispositif électronique mobile anti-rapprochement a bien vocation à s’appliquer à toutes les condamnations, même à celles prononcées pour des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur.

Pour aller plus loin

Il est fort appréciable que la chambre criminelle de la Cour de cassation se soit prononcée en faveur de la mise en place du bracelet anti-rapprochement pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau dispositif prévu par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (Ph. Bonfils, Le renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille, Dr. famille 2020, n° 3, p. 9 ; J. Buisson, Violences au sein de la famille, Procédures 2020, n° 2, p. 61 ; I. Corpart, Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales, commentaire de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille, Lexbase, éd. priv., n° 809, 2020, Numéro Lexbase : N1877BY8 ; I. Corpart, Lutter contre les violences conjugales, encore et toujours, JAC 2020, n° 193, p. 5 ; C. Duparc, Contribution de la loi du 28 décembre 2019 à la lutte contre les violences au sein de la famille, JCP G 2020, n° 7, p. 322 ; J.-B. Perrier, Renforcement de la lutte contre les violences familiales, Rev. sc. crim. 2020, n° 2, p. 426). Ladite loi avait repris une idée déjà dégagée dans la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 et reprise dans la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cependant, à cette époque, les tentatives d’expérimentations n’avaient guère été concluantes car il fallait que l’auteur des faits litigieux soit condamné au moins à cinq ans de prison. Il a donc fallu attendre le décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020 pour que les modalités de mise en œuvre soient précisées et que cet outil devienne enfin opérationnel.

Il est envisageable d’y recourir dans le cadre d’une procédure pénale, par ordonnance du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention pour accompagner un contrôle judiciaire et en tant que condamnation, ainsi que dans le cadre d’une procédure civile, par le juge aux affaires familiales lors d’une ordonnance de protection d’une femme dénonçant des violences et que l’on estime en danger. Dans ce cas, il faut demander l’accord du conjoint violent avant la pose du bracelet. Si celui-ci refuse, le juge peut saisir le Parquet afin qu’une enquête pénale soit ouverte, enquête à la suite de laquelle il pourra décider de l’imposer s’il l’estime nécessaire.

La législation française a aujourd’hui mis en place un solide arsenal de mesures de lutte contre les violences conjugales (L. n° 2006-399 du 4 avr. 2006 ; L. n° 2010-769 du 9 juill. 2010 ; L. n° 2014-873 du 4 août 2014 ; L. n° 2018-703 du 3 août 2018 ; L. n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 ; L. n° 2020-936 du 30 juill. 2020 : P. Battistini, Protection des victimes de violences conjugales, LPA n° 243 du 4 déc. 2020, p. 6 ; C. Duparc, Une nouvelle loi visant à protéger (entre autres) les victimes de violences conjugales, JCP G 2020, n° 39, p. 1623 ; A. Gouttenoire, La loi du 30 juillet 2020 : un nouveau pas dans la protection civile de toutes les victimes de violences conjugales, Lexbase Hebdo – Édition privée générale n° 836 du 17 sept. 2020 ; A. Wehbé, Nouvel arsenal dans la lutte contre les violences domestiques, Gaz. Pal. 6 oct. 2020, n° 34, p. 59). Toutefois, l’essentiel est que le recours à ces différents outils soit possible en pratique afin de tenir compte de la situation que rencontre chacune des victimes, notamment pour pouvoir éloigner l’auteur des violences. Dès lors, il aurait été vraiment regrettable qu’il ne soit pas envisageable de faire profiter certaines d’entre elles d’un moyen permettant que l’auteur des violences soit repéré de sorte que les autorités policières puissent intervenir en temps utile.

Il est dès lors permis de saluer la Cour de cassation qui, dans son avis rendu le 22 septembre 2021 offre de nouvelles perspectives rassurantes aux victimes en prônant l’application dans le temps du bracelet anti-rapprochement et en permettant d’imposer sa pose pour des personnes déjà condamnées et détenues en exécution de peine.

Après avoir relevé que les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines, « lorsqu’elles ont pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis après leur entrée en vigueur », la Cour de cassation note que la mise en place du bracelet ne conduit pas à aggraver la situation de la personne condamnée pour des agissements violents. Il s’agit donc d’une mesure d’application immédiate applicable aux infractions commises avant que le dispositif électronique mobile anti-rapprochement soit opérationnel (le fait que la situation du condamné ne soit pas aggravée peut toutefois être discutée : en ce sens, M. Dominati, Dalloz Actualité du 30 sept. 2021), laquelle peut, en conséquence, être utilisée dans le cadre de condamnations prononcées pour des faits commis avant septembre 2020.

Reste à savoir comment les juridictions qui auront à accorder ou non un bracelet anti-rapprochement à la victime réagiront à la lecture de cet avis de la Cour de cassation qui ne lie personne mais se contente d’exprimer un point de vue.

Néanmoins, l’heure est, semble-t-il, depuis le Grenelle contre les violences conjugales, au déploiement de ces bracelets qui permettent de maintenir des distances salvatrices entre l’auteur des violences conjugales et sa victime, ce qui permet d’espérer un accueil favorable des juridictions à cette analyse qui autorise une application dans le temps dudit bracelet. En effet son efficacité en matière de protection des victimes ne fait aucun doute (H. Matsopoulou, Le bracelet anti-rapprochement au service de la lutte contre les violences faites aux femmes, JCP G 2020, n° 10, p. 488), tout comme celle du téléphone grave danger. Précisément, il est essentiel que les auteurs des violences ne puissent pas s’approcher de leurs victimes car le nombre de morts en la matière est encore fort inquiétant.

À l’occasion du premier anniversaire de la mise en place de ce bracelet, mesure phare issue du Grenelle contre les violences conjugales, à savoir le 24 septembre 2021, un bilan a été proposé (La réalité virtuelle est une piste intéressante à explorer dans la lutte contre les violences conjugales – 3 questions à Emmanuelle Masson, porte-parole du ministère de la Justice, JCP G n° 41, 11 oct. 2021.1075). On relève que le Gouvernement et le ministère de la Justice engagés dans une mobilisation continue pour lutter contre les violences conjugales, ont effectivement déployé de nombreuses fois ce bracelet anti-rapprochement, malgré les contraintes posées par la crise sanitaire (au 27 septembre 2021, 414 poses de bracelets ont été décidées par des juridictions : JCP G 2021, préc.). Il a été mis à disposition de nombreuses juridictions, cette démarche attestant de la volonté des autorités que ce dispositif soit rendu opérationnel par tous les moyens. Dès lors, le fait que l’affaire vise des violences survenues dans le passé ne doit pas conduire à priver les victimes de cette aide substantielle.

Cass. crim., 22-09-2021, n° 21-96.001, FS-B

N° G 21-96.001 FS-B
ECF
N° 40002
22 SEPTEMBRE 2021
AVIS SUR SAISINE SOULARD président, RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 22 SEPTEMBRE 2021

Le juge de l’application des peines au tribunal judiciaire de Lyon, par jugement en date du 16 juin 2021, reçu le 23 juin 2021 à la Cour de cassation, a sollicité l’avis de la Cour de cassation dans la procédure suivie sur requête d’aménagement de peine de M. Aa Ab.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 septembre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mme Ac, M. Ad, Ae Af, Sudre, Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mme Barbé, conseiller référendaire, M. Petitprez, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

Énoncé de la demande d’avis
1. La demande d’avis est ainsi rédigée :
« Lorsque les faits réprimés par la peine d’emprisonnement dont l’aménagement est sollicité devant la juridiction de l’application des peines ont été commis antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 et du décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020, soit le 25 septembre 2020, les obligations des articles 132-45, 18° bis et 132-45-1 du code pénal, nouvellement créées par ces textes, sont-elles applicables à la personne condamnée dans le cadre d’un aménagement de peine au regard des dispositions de l’article 112-2, 3° du code pénal ? »

Examen de la demande d’avis
Vu les articles L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, 706-64 du code de procédure pénale, 112-2, 3°, 132-45 et 132-45-1 du code pénal :
2. Il résulte des deux premiers de ces textes que les juridictions pénales, à l’exception des juridictions d’instruction et de la cour d’assises, peuvent, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation.
3. Il résulte du troisième que les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur. Toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis après leur entrée en vigueur.
4. Les deux derniers, respectivement modifié et créé par l’article 10 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, instaurent et fixent le régime du dispositif électronique mobile anti-rapprochement.
5. Les dispositions des articles 132-45 et 132-45-1 du code pénal, issues de l’article 10 de la loi précitée, lorsqu’elles permettent l’aménagement d’une peine d’emprisonnement en cours d’exécution, relèvent de l’article 112-2, 3° du code pénal, et n’ont pas pour résultat d’aggraver la situation du condamné. Elles s’appliquent donc aux condamnations prononcées pour des faits commis avant leur entrée en vigueur.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

EMET L’AVIS SUIVANT : Les obligations des articles 132-45, 18° bis et 132-45-1 du code pénal, créées par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, entrée en vigueur le 30 décembre 2019, lorsqu’elles permettent l’aménagement d’une peine d’emprisonnement en cours d’exécution, s’appliquent aux condamnations prononcées pour des faits commis avant leur entrée en vigueur ;
DIT que, par application de l’article 706-69 du code de procédure pénale, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux septembre deux mille vingt et un.

 

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