LA JUSTICE EN VOIE DE DESHUMANISATION
Demain, les hommes jugés par l’intelligence artificielle ?
Olivia DUFOUR
LGDJ, 2021
Journaliste, spécialisée en droit et en finance, chroniqueuse judiciaire, Olivia Dufour est notamment responsable du développement éditorial du site d’information Actu-Juridique. Fine observatrice du monde judiciaire, elle s’inquiète dans cet ouvrage de l’avenir d’une justice qu’elle estime en voie de deshumanisation. Une visite guidée du nouveau tribunal de Paris avec ses 38 étages de verre et d’acier, son accès très sécurisé mais inadapté aux personnes en situation de handicap, ses cages de verre initialement installées dans les salles d’audience pénale, ses cantine et restaurant interdits aux avocats… interpelle immédiatement le lecteur.
L’auteur se penche ensuite sur la souffrance psychologique des professions de justice, laquelle ne se déduit pas que des statistiques mais aussi des manifestations de protestation comme les journées « Justice morte » de 2018 organisées par les barreaux et soutenues par des syndicats de magistrats, la grande grève des avocats du début de l’année 2020 ou encore le très symbolique jet des robes d’avocats, le 8 janvier 2020 à Caen, aux pieds de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Olivia Dufour analyse les cinq chantiers ayant abouti au vote de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice malgré un conflit ouvert entre les avocats et la Chancellerie, conflit qui va laisser des traces. Le projet de réforme des retraites et la réforme de la procédure civile n’ont guère été de nature à apaiser les esprits.
Après deux mois de grève suivis de plusieurs semaines d’arrêt quasi-total des juridictions en raison de la pandémie, la situation économique des avocats se détériore.
De leur côté, des magistrats se retrouvent en burn-out, cette souffrance au travail avait déjà fait l’objet d’un rapport en 2015 qui relève épuisements, harcèlements, brimades. Les exemples de telles situations se multiplient et en 2019 un tiers des magistrats s’estime en état de souffrance au travail. Dans ce contexte, la nomination d’Éric Dupont-Moretti comme garde des Sceaux a pu être perçue comme une provocation par les magistrats.
Pour Olivia Dufour, simplification de la justice rime avec déjudiciarisation et deshumanisation, l’auteur déplore également l’élargissement du champ du recours à la visioconférence, mode dégradé d’audience, pour des raisons budgétaires ou sanitaires.
La machine peut-elle remplacer le juge ? Sans nier l’utilité des nouvelles technologies, dont les juridictions ne sont d’ailleurs pas vraiment dotées, l’auteur s’inquiète de la tentation toujours plus forte de déléguer à l’intelligence artificielle le plus de tâches possibles.
Le constat dressé en 2021 est toujours d’actualité.