Marouane RHARTAOUI
Doctorant Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC (UR 3992)
Commentaire de C. cass., 1re civ., 8 janvier 2025, n° 23-19.583
Lorsqu’on dit protection du consommateur, le premier texte qui vient spontanément à l’esprit de certains juristes est le Code de la consommation, parce qu’il est précisément conçu comme l’instrument principal de cette protection. Or, cette perception est réductrice, car le consommateur n’est pas un sujet qui relève exclusivement du Code de la consommation.
D’autres codes peuvent également intervenir avec la même finalité, comme le Code du tourisme. Dans une décision rendue, le 8 janvier 2025, par la première chambre civile de la Cour de cassation (n° 23-19.583 : « Forfait touristique et responsabilité de plein droit : seules trois causes factuelles d’exclusion permettent au professionnel d’échapper à l’indemnisation du voyageur » : BJDA févr. 2025, comm. 9, note A. Trescases) qui concerne une voyageuse ayant acheté, auprès d’une société organisatrice de voyage, un forfait comprenant une croisière à l’aller et un vol retour Dubaï–Nice, qui a connu une escale non annoncée. Face à cette absence d’information de la voyageuse, c’est bien le Code du tourisme, notamment ces dispositions relatives à l’obligation d’information précontractuelle qui ont reçu application et pas celles du Code de la consommation. La non-information du voyageur par l’agence du lieu et de la durée de l’escale avant la conclusion du contrat a justifié l’application de l’article L. 211-8 et R. 211-4 du Code du tourisme relatif à l’obligation d’information précontractuelle. Cette décision rendue par la haute juridiction ne mentionne pas, en revanche, l’application de l’article L. 111-1 du Code de la consommation, alors qu’il traite de la même obligation.
Ce choix se justifie par un champ d’application du Code de la consommation qui est limité contrairement au Code du tourisme (I). De plus, ce choix peut également s’expliquer, en pratique, par un Code du tourisme qui a la même structure probatoire, mais répond au mieux au besoin du voyageur grâce à sa logique réparatrice, là où le Code de la consommation adopte une approche plus répressive et administrative (II).
I.- Deux logiques divergentes : une protection du voyageur conditionnée par sa qualité dans l’article liminaire du Code de la consommation, mais non dans le Code du tourisme
Le Code de la consommation a un champ d’application qui peut limiter la protection qu’il accorde au voyageur. Son article liminaire permet de qualifier le voyageur de consommateur, mais cela ne veut pas dire qu’il peut pour autant bénéficier de sa protection (A). De plus, selon le même article liminaire, si jamais ce voyageur est qualifié de professionnel, il risque de ne pas pouvoir bénéficier de la protection d’un certain nombre de dispositions protectrices du Code de la consommation, contrairement au Code du tourisme (B).
A.- Une qualification de consommateur sans effet déclencheur des dispositions protectrices du Code de la consommation
Dans l’arrêt qui nous intéresse, le voyageur correspond bien à la définition du consommateur qui figure à l’article liminaire du Code de la consommation, parce qu’il est une personne physique et agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole (Pour une étude approfondie de cette question : M. Rhartaoui, « Le droit de la consommation et les voyages » in Risque & voyage, sous la dir. de E. Desfougères, Paris, Mare & Martin, coll. Tourisme et écotourisme, 2025, p. 161 et ss.). À partir de la présente décision, plusieurs indices peuvent être relevés pour corroborer cela. La victime a agi seule, en son nom propre, sans mention d’une entreprise, et la décision ne mentionne aucunement que ce voyage était lié à une activité professionnelle du voyageur. À notre sens, la simple absence de toute stipulation expresse dans le contrat de voyage rend difficile sa qualification de professionnel. En effet, dans un arrêt déjà rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 31 août 2022 (n° 21-11.097 : JCP E 2022, comm. 1356, « L’extension de la notion de consommateur » note J.-D. Pellier ; Contrats, conc. cons., oct. 2022, comm. 160, « Médecin concluant un contrat d’hébergement dans un hôtel : professionnel ou consommateur ? », note S. Bernheim-Desvaux), un médecin ayant réservé pour son épouse et lui-même une chambre d’hôtel pour assister à un congrès médical, avait été qualifié de consommateur. Pour casser la décision des juges du fond, elle s’était alors référée à l’article liminaire du Code de la consommation et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a précisé que la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d’apprécier si le rapport contractuel s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (V. notamment arrêt du 4 oct. 2018, n° C-105/17, Komisia za zashtita na potrebitelite, point 35). Par conséquent, la Haute juridiction décide qu’en souscrivant le contrat d’hébergement litigieux, M. [I] n’agissait pas à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle et qu’ainsi le tribunal a violé les textes susvisés.
Donc, il est possible, dans la décision rendue le 8 janvier 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation, de qualifier le voyageur de consommateur. Cela ne justifie pas pour autant l’intervention des dispositions du Code de la consommation pour assurer sa protection pour plusieurs raisons. Certes, le Code de la consommation constitue un régime spécial, mais dans ce cas d’espèce, le Code du tourisme est plus spécial, comme le montrent les dispositions de l’article L. 211-8 et surtout celle de l’article R. 211-4 du Code du tourisme. Ainsi, cet article précise que, préalablement à la conclusion du contrat, l’organisateur ou le détaillant doit communiquer au voyageur plusieurs informations, comme le montre, par exemple, son 1°, la date, l’heure exacte, les lieux, etc. Alors que l’article L. 111-1 du Code de la consommation impose au professionnel de communiquer au consommateur, de manière lisible et compréhensible, diverses informations comme les caractéristiques essentielles du bien ou du service, le prix, ainsi que les informations relatives à l’identité, aux coordonnées et aux activités du professionnel. Lorsqu’elles ne ressortent pas du contexte, ces exigences demeurent générales, comparées aux obligations d’information plus spécifiques prévues par le Code du tourisme.
B.- L’exclusion du voyageur professionnel de la protection du Code de la consommation, mais non de celle du Code du tourisme
Le choix du Code du tourisme, dans ce cas d’espèce, et pas du Code de la consommation, peut également s’expliquer par son champ d’application qui figure dans l’article liminaire du Code de la consommation qui exige la qualité de consommateur pour pouvoir invoquer certaines dispositions du Code de la consommation. L’obligation d’information précontractuelle de l’article L. 111-1 du Code de la consommation relatif à l’obligation d’information précontractuelle exige que le voyageur soit qualifié de consommateur dans une relation avec un professionnel pour en bénéficier. La qualification du voyageur de professionnel l’exclut du bénéfice de la protection de cet article. En revanche, au regard du Code du tourisme, même si le voyageur se déplaçait à des fins professionnelles, il aurait conservé les protections du Code du tourisme, comme celle relative à l’information précontractuelle, ou la responsabilité de plein droit, sauf si le voyage avait été acheté dans le cadre d’une « convention générale » conclue entre l’agence et l’employeur pour organiser les déplacements d’affaires. Dans ce cas, de convention générale uniquement, plusieurs dispositions protectrices du Code du tourisme, comme l’article L. 211-8 et R. 211-4 de ce Code, ne s’appliquent pas. Cela peut se justifier, par l’article L. 211-7 du Code du tourisme qui dispose dans son II, que la section 2 relative au contrat de vente de voyages et de séjours des articles L. 211-7 à L. 211-14 du Code du tourisme, ne s’applique pas aux services de voyage et forfaits touristiques vendus dans le cadre d’une convention générale conclue pour le voyage d’affaires. De même, la directive 2015/2302 du Parlement européen et du conseil du 25 novembre 2015 concernant les voyages à forfait et les prestations de voyage liées (JOUE L 326, 11 décembre 2015, p. 1-33, modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil), vient préciser qu’elle ne s’applique pas aux forfaits et aux prestations de voyage connexes achetés sur la base d’un accord général pour l’organisation de voyages d’affaires entre un professionnel et une autre personne physique ou morale qui agit à des fins liées à son commerce, à son entreprise, à son artisanat ou à sa profession.
II.- Les effets pratiques du recours au Code du tourisme plutôt qu’au Code de la consommation
Si le choix du Code du tourisme, plutôt que du Code de la consommation, se justifie d’abord par son champ d’application, il se justifie également par sa structure probatoire et par la logique des sanctions réparatrices. En effet, le Code du tourisme reprend la même logique probatoire protectrice que celle prévue par le Code de la consommation, en plaçant la charge de la preuve sur le professionnel (A). Mais, il s’en distingue par une logique de sanction davantage réparatrice, centrée sur l’indemnisation effective du voyageur, alors que le Code de la consommation privilégie une approche plus répressive et administrative (B).
A.- La même logique probatoire applicable au voyageur dans le Code de la consommation figure dans le Code du tourisme
Le recours au Code du tourisme et non pas au Code de la consommation se justifie également par la charge de la preuve, qui figure dans les deux codes, et qui repose sur le professionnel. En effet, le Code du tourisme reprend la logique de l’article L. 111-5 du Code de la consommation, comme le montre l’article L. 211-9, alinéa 2 du Code du tourisme « la charge de la preuve concernant le respect des obligations d’information énoncées aux articles L. 211-8 et L. 211-10 incombe au professionnel ». Dans ce sens, la décision commentée vient confirmer que c’est à l’agence de voyages de prouver une cause exonératoire, et non au voyageur de prouver une faute, conformément à l’article de L. 211-16 du Code du tourisme.
En pratique, le professionnel doit prouver qu’il a communiqué au voyageur des supports traçables comme une brochure, un devis ou toute fiche contenant des mentions précises comme la date, l’heure, les lieux, etc. (V. C. tourisme, art. R. 211-4). Conformément à l’article L. 211-9, alinéa 2, le voyageur peut tout simplement alléguer une non-conformité, par exemple, une escale non annoncée, alors que le professionnel doit démontrer qu’il avait effectivement porté cette information à sa connaissance avant la conclusion du contrat.
B.- Une logique de sanction réparatrice dans le Code du tourisme, contre une logique répressive dans le Code de la consommation
Quant aux sanctions, l’application du Code du tourisme se justifie également par sa logique réparatrice qui répond mieux au besoin du voyageur. Dans l’arrêt rendu le 8 janvier 2025, l’agence devait informer le voyageur, en l’espèce, Mme V., de l’existence de l’escale, ce qu’elle n’a pas fait. La victime peut agir sur le fondement de l’article L. 211-16, IV du Code du tourisme pour obtenir un remboursement des dépenses nécessaires avancées comme les repas et les frais d’hôtel. Elle peut également demander une réduction de prix au titre des deux jours non-prévus, ce qui revient à un remboursement partiel du prix payé, conformément à l’article L. 211-16, III, alinéa 1 du Code du tourisme.
Quant au Code de la consommation, certaines de ses dispositions dans leur logique ne sont pas réparatrices, mais répressives, car elles ne permettent pas au voyageur d’obtenir une réparation, comme c’est le cas de l’article L. 131-1 du Code de la consommation qui prévoit une amende d’un montant de 3 000 euros pour la personne physique et de 15 000 euros pour la personne morale pour manquement aux articles L. 111-1 à L. 111-3 du Code de la consommation relatif à l’obligation d’information précontractuelle. Cela étant dit, à notre sens, ces sanctions peuvent intervenir en parallèle pour imposer des amendes administratives par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en cas de manquement aux L. 111-1 à L. 111-3 du Code de la consommation.


